CA Grenoble, ch. com., 19 octobre 2006, n° 06-00517
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Alpes Rhône Conseil Immobilier (SARL)
Défendeur :
Nobre, EJC Immobilier (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Uran
Conseillers :
M. Bernaud, Mme Cuny
Avoués :
Me Ramillon, SCP Grimaud, Selarl Dauphin & Mihajlovic
Avocats :
Mes Dode, Janot, Grabsia
Monsieur Pierre Nobre a exercé une activité d'agent commercial pour le compte de la SARL Alpes Rhône Conseil Immobilier (ARCI) selon contrat de mandat à durée indéterminée du 1er juin 1995.
Il a pris l'initiative de rompre le contrat par lettre du 25 mars 2004 en offrant d'exécuter le délai de préavis contractuel de 2 mois.
Selon contrat de travail du 24 mai 2004 il est entré au service de la SARL EJC Immobilier en qualité de négociateur immobilier. A cette occasion il a déclaré qu'il n'était pas lié par une clause de non-concurrence avec un précédent employeur et qu'il était libre de tout engagement.
Prétendant que son ancien agent aurait ainsi violé la clause de non-concurrence d'une durée d'une année stipulée au contrat de mandat, et sanctionnée par une clause pénale égale à 12 mois d'honoraires, la société ARCI a fait assigner Monsieur Pierre Nobre et la société EJC Immobilier par acte du 17 septembre 2004 à l'effet d'obtenir, outre la cessation sous astreinte de l'activité salariée exercée par Monsieur Nobre, la condamnation de celui-ci au paiement de la somme de 40 939 euro sur le fondement de la violation de la clause de non-concurrence et celle de la société EJC au paiement de la somme de 30 000 euro à titre de dommages-intérêts sur le fondement de la concurrence déloyale.
Monsieur Nobre a formé une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 8 383 euro au titre d'un arriéré de commissions.
Par jugement du 20 janvier 2006 le Tribunal de commerce de Grenoble a débouté la société ARCI de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à Monsieur Nobre la somme de 8 383 euro.
La SARL ARCI a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 1er février 2006.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 4 juillet 2006 par La SARL ARCI qui demande, par voie d'infirmation, la condamnation de Monsieur Nobre à lui payer la somme de 40 939 euro au titre de la clause pénale et de la société EJC à lui payer la somme de 30 000 euro à titre de dommages-intérêts, subsidiairement la production aux débats par les intimés du registre des mandats de la société EJC depuis le début de l'année 2004 et de la liste des commissions perçues par Monsieur Nobre au cours des années 2004 et 2005 avec copie des mandats afférents et en tout état de cause la condamnation in solidum des intimés au paiement d'une indemnité de procédure de 3 000 euro, aux motifs que la clause de non-concurrence stipulée au contrat de mandat est valable comme répondant aux exigences posées par l'article L. 134-14 du Code de commerce, que sa validité n'est pas subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière, que n'ayant à aucun moment renoncé au préavis de 2 mois qui lui était dû elle était en droit d'exiger de son ancien agent l'exécution de son engagement de non-concurrence durant une année à compter du 25 mai 2004, que la preuve est rapportée de la violation effective à deux reprises au moins (affaires Mugnier et Pegaud) de cet engagement, qu'elle est en droit de demander le paiement de la clause pénale contractuelle fixée à une année de commissions, que pour sa part la société EJC, qui n'ignorait pas l'existence de la clause de non-concurrence en raison d'un litige de même nature survenu l'année précédente à l'occasion du débauchage d'un autre négociateur, s'est rendue sciemment complice des agissements de Monsieur Nobre dont elle a retiré le bénéfice durant une année.
Vu les conclusions signifiées et déposées le 26 juin 2006 par Monsieur Pierre Nobre qui sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de la société Alpes Rhône à verser aux débats la liste des mandats et des ventes obtenus et réalisées par lui ainsi que ses comptes des six derniers mois, le tout sous astreinte de 100 euro par jour de retard, et à lui payer trois indemnités de 5 000 euro chacune pour procédure abusive, pour accusation mensongère de fraude à la sécurité sociale et pour frais irrépétibles aux motifs que la clause de non-concurrence invoquée par son ancien mandant est frappée de nullité comme n'étant pas indispensable à la protection légitime des intérêts de celui-ci en raison de la pratique généralisée des mandats simples, et comme n'étant pas assortie d'une contrepartie financière, qu'il a été dispensé d'une partie du préavis et a quitté définitivement l'agence Alpes-Rhône le 22 avril 2004, qu'il n'a commis aucun détournement de clientèle alors qu'au titre des deux ventes incriminées la société EJC disposait également d'un mandat, qu'il lui reste dû une somme de 8 383 euro au titre de quatre ventes réalisées par son intermédiaire, que l'agence Alpes Rhône doit justifier de l'issue des affaires en cours au jour de son départ alors qu'aux termes du contrat de mandat il doit être commissionné sur les ventes réalisées dans les deux mois de la résiliation, qu'il ne doit aucune garantie à la société EJC qui n'ignorait pas l'existence de la clause litigieuse.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 10 juillet 2006 par la société EJC Immobilier qui sollicite la confirmation du jugement, subsidiairement la condamnation de Monsieur Nobre à la relever et garantir de toute éventuelle condamnation à dommages-intérêts, et en tout état de cause la condamnation de l'appelante à lui payer une somme de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre une indemnité de 2 000 euro pour frais irrépétibles, aux motifs qu'elle n'a commis aucune faute alors que par une clause expresse de son contrat de travail Monsieur Nobre a affirmé qu'il n'était lié par aucune clause de non-concurrence et qu'il était libre de tout engagement, qu'elle n'était pas en droit d'exiger une copie du contrat de mandat lors de l'embauche, qu'à aucun moment La société Alpes Rhône ne l'a informée de l'existence de la clause, qu'aucun fait précis de détournement de clientèle n'est établi, qu'aucune preuve n'est apportée du préjudice financier allégué, qu'en toute hypothèse Monsieur Nobre, qui a menti, devra la relever et garantir de toute éventuelle condamnation.
Motifs de l'arrêt
Sur l'arriéré de commissions
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Alpes Rhône au paiement de l'arriéré de commissions de 8 383 euro, objet des quatre notes d'honoraires des 3, 10, 15 et 29 juillet 2004, qui n'a a aucun moment été contesté.
En revanche, n'apportant aucun élément de preuve attestant de l'existence d'affaires en cours au jour de la résiliation du contrat de mandat, dont il serait fondé à soutenir qu'elles auraient été conclues par son intermédiaire dans le délai contractuel de deux mois après la cessation du contrat, Monsieur Nobre sera débouté de sa demande de production de pièces sous astreinte.
Sur la violation de la clause de non-concurrence
Le contrat de mandat du 1er juin 1995, qui n'a pas été modifié sur ce point par l'avenant du 6 janvier 2000, contient un engagement de non-concurrence à la charge de l'agent rédigé en ces termes:
"- En cas de rupture du contrat, à quelque période et pour quelque cause que ce soit, Monsieur Pierre Nobre s'interdit d'exercer des activités similaires, soit directement, soit indirectement pendant une durée de une année, dans un rayon de 30 kilomètres du siège de l'agence.
Toute infraction exposerait l'agent commercial au versement au profit de l'agence Alpes Rhône Conseil Immobilier, de dommages et intérêts en fonction du préjudice subi sans pouvoir être inférieurs à douze mois d'honoraires calculés sur la moyenne des honoraires TTC des douze derniers mois, et ceci indépendamment de la cessation effective de l'activité interdite".
Doublement limitée dans l'espace et dans le temps cette clause répond aux exigences de forme et de fond posées par l'article L. 134-14 du Code de commerce, alors d'une part que sa durée n'excède pas le délai maximum de 2 ans, et d'autre part qu'il n'est pas soutenu que l'aire d'interdiction (rayon de 30 km du siège de l'agence) excéderait le secteur géographique initialement concédé à l'agent, qui était habilité à représenter l'agence Alpes Rhône "pour toutes les opérations comprises dans son activité".
L'absence de contrepartie financière directe ne porte pas, en outre, atteinte à la validité de la clause au regard de l'article L. 134-14 susvisé, qui n'exige pas qu'une indemnité spécifique soit allouée à l'agent.
Quant aux activités interdites après la cessation du contrat d'agence, elles comprennent nécessairement l'exercice de la fonction de négociateur immobilier sous la forme salariée compte tenu de la généralité des termes employés par la clause, qui vise l'exercice "d'activités similaires, soit directement, soit indirectement".
L'engagement de non-concurrence contracté par Monsieur Nobre était enfin proportionné aux intérêts à protéger.
En raison de la nature même de la mission de représentation commerciale confiée à l'agent, de l'indépendance statutaire dont jouissait celui-ci et des particularités propres au secteur économique de la négociation immobilière (le succès d'une opération est le résultat d'une relation de confiance avec la clientèle s'inscrivant le plus souvent dans la durée), la société mandante pouvait, en effet, légitimement craindre qu'une partie de sa clientèle fût attachée à la personne de l'agent ; étant observé que la pratique des mandats simples, dont Monsieur Nobre indique qu'elle serait aujourd'hui largement répandue, renforce l'exigence d'une concurrence licite et loyale entre les agences immobilières.
La clause de non-concurrence litigieuse a donc valablement été stipulée entre les parties au contrat de mandat.
En entrant au service d'un concurrent direct dès le 24 mai 2004, soit antérieurement à l'expiration du délai de préavis contractuel de deux mois, ayant couru à compter de la lettre de rupture du 25 mars 2004 et auquel il n'a pas été expressément renoncé (la restitution des clefs et des fichiers Le 22 avril 2004 dont atteste le témoin Christian Seifried ne peut faire preuve à elle seule de la renonciation au préavis à compter de cette date), Monsieur Nobre a incontestablement manqué à son obligation de non-concurrence.
La pénalité, qui a été stipulée, (douze mois d'honoraires au minimum), excède toutefois manifestement le préjudice subi. La société ARCI ne démontre pas, en effet, avoir été victime d'un détournement de clientèle à l'occasion des deux seules opérations incriminées, alors d'une part que dans les deux cas les agences concurrentes disposaient d'un mandat non exclusif, et d'autre part qu'aucun des témoignages écrits versés au dossier ne fait état d'un démarchage de la clientèle de l'agence Alpes Rhône par Monsieur Nobre.
Usant du pouvoir de modération qu'elle tient de l'article 1152 du nouveau Code de procédure civile, la cour ramènera par conséquent la pénalité encourue à la somme de 8 000 euro qui est de nature à réparer intégralement le trouble commercial nécessairement subi par la société mandante, laquelle ne peut exiger la communication de pièces destinées a établir la réalité d'un préjudice financier complémentaire, en l'état purement éventuel.
Succombant, Monsieur Nobre sera débouté de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive.
Il ne saurait enfin obtenir réparation d'un prétendu préjudice moral, alors que l'accusation " de fraude à la sécurité sociale " n'excédait pas ce qui était nécessaire à la défense des intérêts de la société Alpes Rhône.
Sur la concurrence déloyale
Aux termes du contrat de travail conclu le 24 mai 2004 avec la société EJC Monsieur Nobre a expressément déclaré qu'il était libre de tout engagement et qu'il n'était lié par aucune clause de non-concurrence avec un précédent employeur.
La société EJC, qui ne pouvait exiger du salarié qu'il justifiât de son affirmation, n'a donc pas eu connaissance de la clause litigieuse au moment de l'embauche, et il ne peut être sérieusement soutenu qu'elle ne pouvait l'ignorer au seul motif qu'un précédent litige avait opposé les parties à l'occasion du départ en 2003 d'un premier négociateur (Madame Sanges), également soumis à une clause de non-concurrence.
Jusqu'à l'assignation introductive d'instance du 17 septembre 2004 elle n'a donc pas pu se rendre complice de la violation par Monsieur Nobre de son obligation contractuelle de non-concurrence.
Même si à compter de cette date elle a nécessairement eu connaissance de l'interdiction, elle n'a pas fautivement maintenu Monsieur Nobre dans ses fonctions dès lors que la validité de la clause de non-concurrence était judiciairement contestée.
La société ARCI ne saurait par conséquent être déclarée responsable de faits de concurrence déloyale.
L'action, qui n'apparaît p as d'une particulière témérité et qui n'est pas inspirée par la malveillance, ne saurait en revanche ouvrir droit à dommages-intérêts pour procédure abusive.
Par ces motifs, Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire formée par la société ARCI à l'encontre de la société EJC Immobilier et condamné la société ARCI à payer à Monsieur Pierre Nobre la somme de 8 383 euro au titre de l'arriéré de commissions, outre intérêts ; Infirmant pour le surplus et statuant à nouveau : Dit et juge que Monsieur Pierre Nobre a violé la clause de non-concurrence valablement stipulée au contrat de mandat du 1er juin 1995, Le condamne à payer à la SARL ARCI la somme de 8 000 euro en réparation de son préjudice commercial après réduction de la clause pénale contractuelle, Y ajoutant : Déboute tant Monsieur Pierre Nobre que la SARL ARCI de leurs demandes de communication de pièces, Déboute Monsieur Pierre Nobre de ses demandes en dommages-intérêts pour procédure abusive et préjudice moral, Déboute la société EJC Immobilier de ses demandes en dommages-intérêts pour procédure abusive et en paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Monsieur Pierre Nobre à payer à la SARL ARCI une indemnité de procédure de 1 500 euro, Condamne Monsieur Pierre Nobre aux entiers dépens, à l'exception des frais de la mise en cause de la société EJC Immobilier qui resteront à la charge de la SARL ARCI, dont distraction au profit des avoués de la cause qui en ont fait la demande.