CA Paris, 14e ch. B, 27 février 2004, n° 2003-12096
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Capelou
Défendeur :
Meublus
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cuinat
Conseillers :
MM. Seltensperger, Maunand
Avocats :
Mes Michel, Fontaine
La procédure
Vu l'appel formé par la société Capelou contre une ordonnance de référé du 23 avril 2003 rendue en réputé contradictoire par le Président du Tribunal de commerce de Paris, qui faisant droit à la demande de la société Meublus :
* a condamné la société Capelou à cesser l'utilisation des sites Internet dénommés "armoire-lit.com" et "armoireslit.com" dans les 48 heures de la signification de la présente ordonnance, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard passé ce délai ;
* s'est réservé le pouvoir de liquider l'astreinte prononcée ;
* a débouté la société Meublus de sa demande de dommages-intérêts ;
* a condamné la société Capelou à verser à la société Meublus une indemnité de 1 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux dépens ;
Vu les conclusions du 3 septembre 2003 de la société Capelou, appelante, qui prie la cour de :
* réformer l'ordonnance entreprise et statuer à nouveau ;
* dire la société Meublus irrecevable en son action ;
* subsidiairement, dire que la société Capelou n'a commis aucune faute en utilisant des noms de domaine composés de termes génériques usuels et descriptifs ;
* très subsidiairement, dire que Meublus ne démontre ni son préjudice, ni un lien de causalité entre son prétendu préjudice et l'utilisation des noms de domaine contestés ;
* en conséquence, dire la société Meublus mal fondée en ses demandes et l'en débouter ;
* condamner la société Meublus à lui verser :
. 30 000 euro à titre de provision sur le préjudice à valoir de la société Capelou,
. 4500 euro au titre de l'article 700 du NCPC,
ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu les conclusions du 18 décembre 2003 de la société Meublus, intimée, qui prie la cour de :
* confirmer l'ordonnance entreprise, hormis en ce qu'elle a débouté la société Meublus de sa demande de dommages-intérêts
* dire la société Capelou irrecevable en son action ;
* subsidiairement, dire que l'utilisation de noms de domaine étymologiquement proches de celui utilisé par la société Capelou relève de l'agissement parasitaire punissable au titre de la concurrence déloyale en vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil ;
* très subsidiairement, dire que la société Capelou ne démontre ni son préjudice, ni un quelconque lien de causalité entre la cessation de l'utilisation des sites litigieux et le trouble commercial qu'elle subirait, et la débouter de sa demande de dommages-intérêts ainsi que de l'ensemble de ses demandes ;
* condamner la société Capelou à lui verser :
. 21 300 euro à titre de provision sur le préjudice à valoir de la société Meublus,
. 4 500 euro au titre de l'article 700 du NCPC,
. 683 euro de frais d'huissier qu'elle a dû engager,
ainsi qu'aux dépens ;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que le premier juge a prononcé contre la société Capelou l'injonction, sous astreinte, de cesser d'utiliser les sites internet dénommés "armoire-lit.com" et "armoireslit.com" et ouverts par elle en mai 2001 et avril 2002, au motif que la société Meublus établit qu'elle est propriétaire du site Internet "armoirelit.com" créé le 25 octobre 1999 et que l'utilisation ultérieure, par un concurrent direct exerçant une activité strictement similaire, de deux sites Internet se différenciant de celui de la société Meublus par le seul ajout de la lettre "s" ou d'un tiret, est manifestement de nature à créer dans l'esprit de la clientèle une confusion préjudiciable à ses intérêts et constitutive d'un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser ;
Mais considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que la société Meublus n'établit nullement qu'elle est titulaire du site Internet "armoirelit.com" créé le 25 octobre 1999, dès lors que, selon constat d'agent assermenté établi le 28 août 2003 par l'APP (Agence pour la Protection des Programmes) et produit par la société Capelou, le nom de domaine "armoirelit.com" est inscrit au "registre de propriété des noms de domaine" au nom de la société Athome, et non pas celui de la société Meublus, étant en outre précisé que la société Athome est en liquidation judiciaire aux termes d'un jugement du 2 juillet 2002 ainsi qu'il résulte d'un extrait du registre du commerce et des sociétés la concernant ;
Que la société Meublus invoque vainement, pour établir sa prétendu titularité, un document dactylographié sur papier libre, intitulé "Modification du registrant des domaines suivants", visant notamment le domaine "armoirelit.com", et signé :
. par Alain L, société Athome, en qualité d'ancien registrant,
. par Bertrand G, société Meublus, en qualité de nouveau registrant,
avec la mention "Bon pour transfert. Paris, le 25/04/2002", dès lors que le transfert ainsi évoqué n'a fait l'objet d'aucun enregistrement au registre de propriété des noms de domaine et que la société Capelou fait valoir sans être contredite par Meublus que la consultation du "Whois", registre informatisé tenu par l'Internic, ne mentionne pas non plus la titularité alléguée, et qu'enfin le nom de la société Meublus ne figure pas sur le site Internet "armoirelit.com" qu'elle revendique et qui s'avère exploité sous la dénomination "Armoire lit diffusion" ;
Qu'il en résulte que la titularité de la société Meublus sur le nom de domaine "armoirelit.com" n'est pas établie avec l'évidence requise en référé et que, par conséquent, Meublus apparaît comme n'ayant pas qualité pour agir à l'encontre de la société Capelou ;
Considérant que, pour sa part, la société Meublus ne soulève aucun moyen à l'appui de sa prétention de voir déclarer la société Capalou irrecevable en son action, alors au surplus que cette société était défenderesse non comparante en première instance et qu'elle est appelante devant la Cour, de sorte que l'inanité de la fin de non-recevoir ainsi soulevée par la société Meublus conduit à la rejeter ;
Considérant au surplus, que le nom "armoirelit" n'est nullement original et distinctif, mais est au contraire un terme générique, usuel et descriptif, et par conséquent, insusceptible de protection faute de pouvoir créer une confusion dans l'esprit du public, alors en outre que la société Meublus, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 18 février 2002 ne peut sérieusement prétendre que la société Capelou qui commercialise depuis 1959 des meubles convertibles et notamment des armoires-lit, se serait placée dans le sillage de Meublus par la création d'un site Internet portant un nom de domaine voisin de celui de "armoirelit.com" et se serait ainsi livrée à des actes de parasitisme justifiant de lui ordonner sous astreinte de cesser d'utiliser les deux sites Internet "armoire-lit.com" et "armoireslit.com" réservés par elle auprès de l'Internic respectivement les 25 mai 2001 et 23 avril 2002 ;
Qu'il s'ensuit que l'ordonnance entreprise qui a condamné la société Capelou à une telle cessation, doit être infirmée en toutes ses dispositions, et que la cour, statuant à nouveau, dira n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Meublus ;
Considérant que la demande de dommages-intérêts provisionnels formée par la société Capelou, à valoir sur le préjudice que lui aurait causé l'exécution provisoire de l'ordonnance déféré, suppose d'apprécier la diminution du chiffre d'affaires alléguée ainsi que le préjudice en terme d'image et le trouble commercial liés à l'interruption forcée des deux noms de domaine concernés, en sorte qu'elle excède manifestement le pouvoir de la juridiction des référés et relève des juges du fond ;
Considérant que l'intimée, qui succombe devant la cour, sera condamnée aux entiers dépens de première instance d'appel et ne saurait, par conséquent, obtenir l'indemnité de procédure qu'elle sollicite, tandis que sa demande de dommages-intérêts doit être rejetée comme injustifiée ;
Qu'il serait inéquitable de laisser supporter à l'appelante les frais de procédure qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens ;
Par ces motifs, . Rejette la fin de non-recevoir opposée par la société Meublus ; . Déclare la société Capelou bien fondée en son appel ; Y faisant droit : . Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ; Statuant à nouveau : . Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Meublus ; Y ajoutant : . Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de dommages-intérêts provisionnels formée par la société Capelou ; . Condamne la société Meublus à verser à la société Capelou la somme de 4 500 euro au titre de l'article 700 du NCPC ; . La condamne également aux dépens de première instance d'appel.