CA Chambéry, ch. com., 2 octobre 2007, n° 07-00807
CHAMBÉRY
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Injection Montage Plastique (SARL)
Défendeur :
Salomon (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Robert
Conseillers :
Mme Carrier, M. Betous
Avoués :
SCP Fillard-Cochet-Barbuat, SCP Bollonjeon-Arnaud-Bollonjeon
Avocats :
Me Luc-Menichelli, Lexalp-Selurl-Cochet
La société Salomon a confié à la société SARL Injection Montage Plastique (ci-après IMP), gérée par Monsieur Georges Martinez, le montage de fixations de skis de fond en sous-traitance à compter de 1985. Etant l'unique client de la société IMP, elle a fourni puis remplacé les chaînes d'assemblage nécessaires à l'exécution des travaux de montage sous-traités.
Un contrat écrit de sous-traitance a été régularisé entre les parties le 2 septembre 2002 avec effet au 1er septembre 2001, pour une durée de un an renouvelable par tacite reconduction sauf dénonciation par l'une des parties trois mois à l'avance par lettre recommandée avec avis de réception, ce contrat prévoyait que, dans l'intérêt mutuel des parties, le chiffre d'affaires effectué pour Salomon ne devrait pas dépasser 50 % du chiffre d'affaires total annuel du sous-traitant et que, bien que cet objectif ne soit pas réalisé à la date de signature du contrat, il demeurait une condition essentielle à remplir dans les plus brefs délais pour la poursuite des relations contractuelles. La société Salomon a, par la suite, constamment rappelé à la société IMP la nécessité de diversifier ses activités par la recherche de nouveaux clients.
Préparant la délocalisation en Roumanie des activités de fabrication et de montage des skis de fond, la société Salomon a, au début de l'année 2005, fait part à la société IMP de sa décision de cesser toute relation contractuelle au 31 décembre 2007.
Par lettre du 11 mai 2005, elle a confirmé cette décision à la société IMP en lui adressant un protocole d'accord transactionnel organisant son désengagement progressif et les conditions de la poursuite de leur partenariat en 2006 et 2007. Elle lui a notifié un nouveau protocole transactionnel par lettre du 6 juillet 2005. Par lettre de son conseil en date du 6 septembre 2005, la société IMP a fait connaître qu'elle refusait cette proposition.
Par lettre recommandée du 16 décembre 2005, la société Salomon a fait connaître qu'elle maintenait sa décision d'interrompre les relations contractuelles de façon progressive pour qu'il y soit mis un terme définitif à la date du 31 décembre 2007 et a notifié à la société IMP le calendrier d'enlèvement des chaînes d'assemblage.
Conformément à ce calendrier, elle a récupéré au mois de décembre 2005, les chaînes Pilot et Snow Monster et au mois de décembre 2006 des chaînes Pilot Classic et Profil d'Equipe, laissant sur place exclusivement la chaîne Profil Auto.
Elle a, corrélativement, consenti des augmentations tarifaires à la société IMP. Au mois de décembre 2006, les parties se sont accordées sur une augmentation tarifaire de 80 % pour 2007.
Par exploit du 29 novembre 2006, la société IMP a saisi le Tribunal de grande instance d'Annecy à l'effet d'obtenir la somme de 1 056 762,01 euro en réparation du préjudice qu'elle avait subi du fait de l'abus de dépendance économique commis par la société Salomon.
Par jugement en date du 27 mars 2007, ce tribunal a:
- constaté que la demande, en ce qu'elle était fondée sur l'application de l'article L. 420-2 du Code de commerce, ne relevait pas de sa compétence,
- déclaré non fondée l'action en responsabilité engagée par la société IMP à l'encontre de la société Salomon,
- débouté la société IMP de l'ensemble de ses demandes,
- l'a condamnée à payer à la société Salomon la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.
La société IMP a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions, signifiées le 30 août 2007, elle conclut à la réformation du jugement déféré et demande à voir condamner la société Salomon à lui payer la somme de 1 904 540 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des fautes commises par celle-ci à savoir l'abus de la relation de dépendance, le non-respect de préavis, la rupture brutale des relations commerciales et la rupture abusive du contrat de sous-traitance.
Subsidiairement, elle sollicite l'allocation de la somme de 800 000 euro à titre provisionnel et l'instauration d'une mesure d'expertise à l'effet de chiffrer le coût des opérations de licenciement de son personnel et " des loyers à régler jusqu'au 31 mai 2009 " ainsi que le montant des " dommages et intérêts ".
Elle sollicite enfin l'allocation de la somme de 6 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Invoquant les dispositions de l'article L. 442-6 I 2° b) du Code de commerce, elle reproche à la société Salomon de l'avoir contrainte à signer le contrat de sous-traitance du 2 septembre 2002 et à accepter la clause relative à la diversification de son chiffre d'affaires, impossible à mettre en œuvre en raison de l'exclusivité consacrée à la société Salomon, de surcroît propriétaire de l'outil de travail, ainsi que la clause de non-concurrence réduisant à néant la possibilité de trouver de nouveaux débouchés en raison de la spécialisation de son personnel dans l'assemblage de matériel lié au sport. Elle lui reproche également de lui avoir imposé des prix en ne procédant à aucune augmentation de tarif pendant 4 ans, ce qui a engendré une perte de marge. Elle demande à voir constater en conséquence le caractère abusif de l'état de dépendance instauré par la société Salomon.
Invoquant d'autre part les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce, elle souligne "l'importance et la place incontournable de la société Salomon, en qualité de distributeur, dans la commercialisation des fixations, des skis et chaussures de skis et de randonnée, eu égard à son incontestable notoriété" et fait valoir que l'abus consistant à lui avoir imposé de ne pas travailler avec une entreprise relevant du même secteur constitue une circonstance aggravante de la rupture des relations commerciales établies.
Invoquant en outre les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, elle soutient que la société Salomon est tenue de respecter un délai de préavis dont la durée minimale doit être doublée dans la mesure où la relation commerciale portait sur "la fourniture de produits distribués sous la marque distributeur Salomon" et que le délai de préavis notifié en juillet 2005 pour décembre 2007 est insuffisant, ce d'autant que sa cocontractante ne l'a pas respecté, ayant enlevé deux chaînes de production dès le mois de décembre 2005 et rompu ainsi partiellement les relations commerciales à l'issue d'un délai de cinq mois seulement, puis enlevé deux autres chaînes au mois de décembre 2006, provoquant ainsi une baisse de production de 60 %.
Invoquant enfin les dispositions des articles 1134 et 1147 du Code civil, elle prétend que, même à supposer que le préavis prévu par l'article L. 442-6 I 5° ait été respecté, la rupture unilatérale du contrat est en elle-même abusive en raison des circonstances accompagnant cette rupture et tenant à sa situation de dépendance.
La société Salomon, aux termes d'écritures signifiées le 1er juillet 2007, conclut à la confirmation du jugement déféré et sollicite l'allocation de la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle soulève l'inapplicabilité des dispositions de l'article L. 420-2 alinéa 2 qui sanctionne exclusivement les pratiques anticoncurrentielles.
Elle conteste avoir abusé de la situation de dépendance économique de la société IMP et fait valoir que pas plus la conclusion du contrat de sous-traitance que les tarifs pratiqués ne sont constitutifs d'un abus.
Elle rappelle que la situation de dépendance économique ne se confond pas avec l'abus de cet état et que la durée et l'importance du partenariat entre les sociétés, la rupture des relations commerciales, la renommée de la société Salomon et l'absence de solution équivalente pour IMP sont inopérants à caractériser un abus.
Elle conteste également la rupture brutale des relations commerciales en soulignant que la société IMP a bénéficié d'un préavis de fait de près de trois ans, de début 2005 à fin 2007 alors que le contrat prévoyait un délai de trois mois conforme aux usages professionnels, que d'autre part la baisse du volume des commandes au cours de cette période a été compensée par une augmentation des tarifs et qu'enfin ce délai était suffisant pour lui permettre de prospecter une nouvelle clientèle et de diversifier ses activités.
Motifs de la décision
Sur l'abus de dépendance
La société Salomon ne conteste pas la position de dépendance économique de la société IMP à son égard.
Selon l'article 442-6 I 2° b) du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers d'abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées.
La société IMP n'établit pas en quoi la signature du contrat de sous-traitance du 2 septembre 2002 serait constitutive d'un abus. La clause de ce contrat prévoyant que la société sous-traitante devrait limiter le chiffre d'affaires réalisé avec le donneur d'ordre à 50 % de son chiffre d'affaires et dont le premier juge a justement relevé qu'elle n'avait ni empêché la poursuite des relations entre les parties ni donné lieu à une quelconque mise en œuvre contraignante, n'est que la traduction de la nécessité pour la société IMP, dans le contexte de délocalisation de la production envisagée par les deux parties depuis plusieurs années, de diversifier sa clientèle et de se dégager de sa dépendance économique par rapport à la société Salomon. Elle n'a dès lors pas eu pour effet de mettre à la charge du partenaire en situation de dépendance des conditions commerciales ni des obligations injustifiées qui permettraient seules de caractériser un abus de dépendance économique.
S'agissant des tarifs entre 1999 et 2004, la société IMP ne produit aucun élément susceptible de démontrer que les conditions tarifaires appliquées au cours de cette période auraient été injustifiées notamment au regard des coûts de production.
Quant à la clause de non-concurrence, elle est clairement limitée à l'activité visée au contrat de sous-traitance, à savoir l'assemblage de fixations de skis, et n'inclut donc pas comme le prétend la société IMP toutes les activités de la société Salomon. Cette limitation laissait à la société IMP la possibilité de se diversifier dans toutes autres activités d'assemblage, celle-ci n'apportant aucun élément établissant la réalité de son affirmation selon laquelle son personnel serait spécialisé dans "l'assemblage de matériel lié au sport" ni sur la spécificité technique de ce type d'assemblage.
La société IMP ne démontrant pas que la société Salomon lui aurait imposé des conditions commerciales ou des obligations injustifiées, elle ne saurait prétendre à dommages et intérêts de ce chef.
Selon l'article L. 420-2 du Code de commerce, est prohibée, dés lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur.
Ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, les litiges relatifs à l'application de ces dispositions relèvent de la compétence de juridictions spécialement désignées parmi lesquelles ne figure pas le Tribunal de grande instance d'Annecy. De surcroît, ces dispositions sont étrangères à la cause comme ne visant que les atteintes à la concurrence et non pas la réparation des abus commis à l'égard d'une des parties dans le cadre de relations contractuelles.
Sur l'indemnisation de la rupture
Selon l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale du préavis déterminée, en référence aux usage du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous la marque distributeur.
L'existence d'une position de dépendance économique entre deux entreprises liées par contrat n'interdit pas la rupture de ces relations contractuelles et cette rupture ne caractérise pas en elle-même un abus. La durée et l'importance du partenariat entre les deux sociétés n'ont dès lors à être prises en considération qu'au regard de la durée du préavis imposée par les dispositions susvisées.
Contrairement aux allégations de la société IMP, le dernier alinéa de ce texte n'est pas applicable en la cause, la société Salomon n'étant pas un distributeur et Salomon n'étant pas une marque distributeur.
Il résulte de l'examen des comptes des exercices 2001/2002 à 2006/2007 que le chiffre d'affaires de la société IMP a très sérieusement augmenté à compter de 2004/2005, passant au dessus des 1 000 000 euro à compter de cet exercice. De même, les résultats des exercices 2004/2005 et 2005/2006 ont été positifs, contrairement aux exercices antérieurs. Si l'exercice 2006/2007 a présenté un déficit de 16 686 euro, l'examen des comptes de cet exercice fait apparaître des postes de dépenses nouveaux (voyages et déplacements 15 Keuro, frais Roumanie 12 Keuro, cadeaux clients 2 Keuro, charges exceptionnelles de gestion 114 Keuro) peu explicables au regard des allégations de la société IMP selon lesquelles, n'ayant pu opérer ni diversification ni reconversion, elle a continué d'avoir pour unique client lui procurant 100 % de son chiffre d'affaires la société Salomon, la réintégration de ces charges rendant cet exercice également bénéficiaire. Ces éléments établissent suffisamment que, ainsi que le soutient la société Salomon, l'enlèvement des chaînes d'assemblage aux mois de décembre 2005 et de décembre 2006 a été compensée par les augmentations de tarif consenties par le donneur d'ordre dans le cadre de son désengagement. Dans ces conditions, l'enlèvement par la société Salomon de son matériel avant la fin du préavis ne saurait s'analyser en une rupture partielle des relations commerciales. L'enlèvement du matériel combiné avec l'augmentation des tarifs permettant un maintien du chiffre d'affaires était au contraire de nature à permettre à la société IMP de dégager de l'espace dans son atelier et du temps de ses salariés pour mettre en route, pendant le délai de préavis, d'autres activités d'assemblage obtenues auprès de nouveaux clients, l'intéressée reconnaissant avoir embauché un commercial à cette fin, en la personne de la fille de son gérant.
La société IMP a ainsi bénéficié d'un délai de préavis de plus de deux ans, largement supérieur aux usages, qui était amplement suffisant pour lui permettre de rechercher de nouveaux débouchés et procéder à toute reconversion utile le cas échéant, ce d'autant qu'il était doublé du dispositif d'accompagnement ci-dessus décrit. Elle n'est dès lors pas fondée à prétendre à dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.
Enfin, la situation de dépendance de la société IMP à l'égard de la société Salomon ne constitue pas une "circonstance de la rupture" justifiant l'allocation de dommages et intérêts nonobstant le respect du délai de préavis, sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil.
La décision déférée sera en conséquence confirmée en toutes ses dispositions.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant par mise à disposition au greffe et contradictoirement, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Condamne la société Injection Montage Plastique (IMP) à payer à la société Salomon la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La condamne aux dépens d'appel avec distraction au profit de la SCP Fillard Cochet-Barbuat par application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.