CA Dijon, ch. civ. B, 15 novembre 2007, n° 07-00144
DIJON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Carré Blanc Distribution (SA)
Défendeur :
Juban
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Munier
Conseillers :
Mmes Vieillard, Vautrain
Avoués :
SCP Avril & Hanssen, SCP Bourgeon & Kawala & Boudy
Avocats :
SCP Fotayd, Braillard, Gosme, Me Bernier
Exposé du litige
La SA Carré Blanc Distribution, société spécialisée dans le commerce de linge de maison, de vaisselle, de décoration et d'équipement de la maison en général, procède à la distribution d'une partie de ses produits sous la marque Carré Blanc par l'intermédiaire d'un réseau de franchisés.
Un contrat de franchise est signé le 10 juillet 1997 entre cette société et Madame Christine Juban prévoyant que le lieu d'exploitation de la franchise sera situé 17 rue du Châtelet à Chalon-sur-Saône, que le contrat est conclu pour 5 ans à compter de sa signature et qu'il est renouvelable, un nouveau contrat devant alors être signé au moins 3 mois avant l'expiration du précédent.
Le contrat est exécuté sans problème jusqu'à son terme. Malgré l'absence de signature d'une nouvelle convention, les relations contractuelles continuent après le 10 juillet 2002 dans les mêmes conditions que précédemment
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 décembre 2003, la SA Carré Blanc Distribution propose à Madame Juban d'établir un nouveau contrat à effet rétroactif au 10 juillet 2002, d'une durée de 6 ans, en précisant qu'il conviendrait d'ajuster la convention à l'évolution du fonctionnement de la franchise et au niveau d'aménagement habituellement réalisé notamment par une identité visuelle en façade et mobilier de la vitrine et un mobilier intérieur à réimplanter avec aménagement du mobilier central.
Par courrier du 1er juillet 2004, la société Carré Blanc Distribution adresse à Madame Juban deux exemplaires du dossier d'information précontractuel en lui demandant de les lui retourner dûment paraphés et signés, et précise qu'à réception, elle établira un nouveau contrat prenant en compte les points particuliers dont il a été discuté.
Par courrier du 16 juillet 2004, la société adresse à Madame Juban sa "proposition pour la mise en place de l'identité visuelle sur (sa) façade ainsi que le remodelage intérieur de la boutique".
Madame Juban ne retourne pas le dossier d'information, et aucune convention n'est signée. Malgré cela, les relations contractuelles perdurent jusqu'au 28 juin 2005, date à laquelle Madame Juban adresse à la société Carré Blanc Distribution un courrier par lequel elle lui confirme qu'elle cesse son activité au 25 août 2005 pour des raisons de santé, et qu'elle a cédé son pas de porte. Elle demande à la société de ne plus lui envoyer de marchandises à compter de la réception du courrier afin de lui permettre d'écouler son stock.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 juin 2005, la société Carré Blanc Distribution reproche à Madame Juban de ne pas avoir respecté un délai de préavis suffisant au regard des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, et d'avoir cédé le pas de porte sans l'en avertir, l'empêchant d'assurer la continuité de sa représentation. Aucun accord n'est possible malgré l'échange de courriers entre les conseils des parties.
Par acte d'huissier du 4 octobre 2005, la SA Carré Blanc Distribution assigne Madame Christine Juban en condamnation au paiement de 69 926,50 euro de dommages-intérêts, outre 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
La SA, qui s'étonne que Madame Juban ne l'ait jamais avertie de ses problèmes de santé, soutient que, compte tenu de la durée des relations contractuelles et de la croyance entretenue auprès d'elle de relations pérennes, le respect d'un délai de préavis d'un an s'imposait par application de l'article L. 442-6 du Code de commerce ; qu'elle est fondée à obtenir l'indemnisation de son préjudice qui correspond à la marge brute qu'elle réalisait sur le chiffre d'affaires, soit 49 926,50 euro. Elle demande en outre 20 000 euro de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice commercial résultant pour elle de la nécessité de rechercher de nouveaux locaux et un nouveau partenaire et du risque de subir la concurrence du cessionnaire du pas de porte.
Par jugement du 8 janvier 2007, le Tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône déboute la SA Carré Blanc Distribution de l'intégralité de ses prétentions, et la condamne à verser à Madame Christine Juban 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Les premiers juges retiennent que la durée des relations à prendre en compte est celle postérieure au 10 juillet 2002, que la SA ne prouve pas que Madame Juban lui ait laissé croire à la pérennité de leurs relations alors même qu'elle n'a pas régularisé de nouveau contrat de franchise, et que, compte tenu du courant d'affaires décroissant entre les parties, le délai de 2 mois était suffisant.
La SA Carré Blanc Distribution fait appel par déclaration reçue au greffe le 23 janvier 2007.
Par conclusions déposées le 26 septembre 2007, elle reproche aux premiers juges d'avoir ajouté au texte de l'article L. 442-6,1,5° du Code de commerce en retenant que seule la durée des relations d'affaires postérieure au 10 juillet 2002 était à prendre en compte alors que le texte parle de la "durée de la relation commerciale", laquelle vise toute relation qu'elle soit précontractuelle, contractuelle ou post-contractuelle, et qu'il convenait de retenir que les relations entre les parties avaient duré plus de 8 ans.
Elle maintient que Madame Juban lui a fait croire au caractère pérenne de leurs relations en continuant à passer des commandes et en ayant des contacts téléphoniques fréquents au cours desquels étaient envisagés les termes du nouveau contrat.
Elle ajoute que le respect d'un délai de préavis s'impose indépendamment de l'état de dépendance économique d'une partie envers l'autre, et conteste d'autre part avoir abusé d'une quelconque dépendance économique de l'intimée.
Elle relève que contrairement à ce que Madame Juban soutient, le courant d'affaires restait important entre elles, une commande d'avril 2005 pour un montant de 16 804,06 euro HT étant même la troisième plus grosse commande en 3 ans de commercialisation.
Elle conteste la réalité des motivations invoquées par Madame Juban pour justifier la rupture, et soutient qu'il ne s'agissait que d'un prétexte pour masquer le fait qu'elle entendait céder son fonds de commerce de manière occulte.
Elle réitère en conséquence l'intégralité de ses prétentions de première instance.
Par conclusions déposées le 27 septembre 2007, Madame Christine Juban demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner l'appelante à lui verser 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle relève que le contrat du 10 juillet 1997 prévoyait qu'il prendrait automatiquement fin 5 ans après sa signature et qu'il serait éventuellement renouvelable, un nouveau contrat devant alors être signé au moins 3 mois avant l'expiration du premier; qu'aucun contrat n'ayant été signé après le 10 juillet 2002, les relations contractuelles se sont continuées sans cadre particulier. Elle en déduit qu'à raison les premiers juges ont retenu que la durée des relations contractuelles à prendre en compte était celle postérieure au 10 juillet 2002; les précédentes ayant pris fin à cette date sans qu'il soit besoin d'un préavis et sans qu'aucune indemnité ne puisse être exigée puisqu'il s'agissait du terme contractuellement stipulé.
Elle conteste avoir laissé la SA Carré Blanc Distribution croire à la pérennité des relations entretenues depuis le 10 juillet 2002 en relevant qu'elle n'a jamais donné suite à la proposition faite en décembre 2003, et n'a pas plus accepté la proposition de modification de façade proposée en juillet 2004, et conteste l'existence de négociations.
Elle soutient que la réglementation désormais applicable en matière de ruptures des relations contractuelles vise à protéger le cocontractant qui se trouve en situation de dépendance économique vis-à-vis de l'autre, et qu'en l'espèce la SA Carré Blanc Distribution n'est pas dans une telle situation.
Elle conteste sur ce point le caractère croissant de leurs relations invoqué par l'appelante, relevant que si, entre 2003 et 2004, les achats ont été en hausse de 12,53 %, ils ont baissé de 19,18 % entre 2002 et 2003, et en moyenne de 27,36 % par mois entre 2004 et 2005.
Elle maintient que sa décision de mettre fin à son activité lui a été imposée par des problèmes de santé, et que la rupture résultant d'un cas de force majeure, elle était dispensée de préavis.
Subsidiairement, elle estime que le délai de 2 mois était suffisant pour permettre à sa cocontractante de trouver un autre distributeur.
Elle relève que depuis le 10 juillet 2002, à défaut de signature d'un nouveau contrat de franchise, elle ne bénéficiait plus de l'exclusivité de la distribution et que la SA Carré Blanc Distribution était tout à fait libre de commercialiser ses produits par l'intermédiaire d'un autre commerçant.
Subsidiairement, elle conteste l'importance du préjudice invoqué, relevant que l'appelante ne justifie ni du chiffre d'affaire invoqué, ni du taux de marge brute allégué.
Elle ajoute que dans la mesure où elle était commerçante indépendante, la SA Carré Blanc Distribution ne bénéficiait d'aucun droit de préférence pour une reprise du bail.
L'ordonnance de clôture est rendue le 3 octobre 2007.
Sur quoi, LA COUR,
Il est établi que les relations contractuelles auxquelles Madame Juban a mis fin le 30 juin 2005 n'avaient plus pour cadre le contrat de franchise précédemment signé le 10 juillet 1997 dont la validité avait expiré le 10 juillet 2002, et que la société Carré Blanc ne peut fonder ses prétentions que sur les dispositions de l'article L. 442-6 I 5°) du Code de commerce, lequel dispose qu'" engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ".
Les dispositions de l'article susvisé s'appliquent quelle que soit la nature des relations commerciales, qu'elles soient précontractuelles, contractuelles ou post-contractuelles ; même si ces relations ont donné lieu à une succession de contrats à durée déterminée, la durée à prendre en compte est celle de la totalité desdits contrats.
En l'espèce, il importe peu que les rapports entre la SA Carré Blanc et Madame Juban aient été d'abord régis par un contrat de franchise venu depuis à expiration dès lors qu'il n'est pas contesté que les relations contractuelles se sont poursuivies après le terme de ce contrat écrit entre les mêmes parties et avec le même objet.
La durée des relations contractuelles à prendre en compte est par conséquent celle courue entre le 10 juillet 1997 et le 30 juin 2005, soit 8 ans.
S'il est établi par le certificat médical produit par Madame Juban que des problèmes de santé sont à l'origine de sa décision de mettre fin à son activité professionnelle, aucun élément ne permet de retenir qu'ils étaient tels, en juin 2005, qu'ils auraient constitué un cas de force majeure de nature à exonérer Madame Juban de son obligation de respecter un délai de préavis.
S'il n'est pas contesté que Madame Juban n'a jamais donné suite aux propositions de la SA Carré Blanc de renouveler le contrat de franchise, elle ne peut pas sérieusement contester que des discussions ont eu lieu entre les parties alors que dans un courrier du 1er juillet 2004 l'appelante lui transmet "comme convenu" deux exemplaires du dossier d'information précontractuel en lui demandant de les retourner paraphés et signés et en précisant qu'à réception elle établira le nouveau contrat "qui prendra en compte les points particuliers dont nous avons discuté ensemble".
D'autre part, nonobstant l'absence de contrat écrit, Madame Juban a continué à commander régulièrement des marchandises à la SA Carré Blanc ainsi qu'en atteste le tableau intitulé "achats marchandises" qu'elle produit elle même.
Aucune pièce n'est produite concernant l'importance des relations pendant la période d'exécution du contrat de franchise, mais Madame Juban n'a jamais soutenu qu'il y aurait eu après le 10 juillet 2002 une différence notable dans l'importance de ses commandes à la SA Carré Blanc, ou qu'elle aurait commercialisé d'autres produits que ceux provenant de ce fournisseur, il ressort du tableau " achats marchandises " que ceux-ci ont été en moyenne mensuelle de 10 027,11 euro en 2002, 8 103,88 euro en 2003, 9 119,63 euro en 2004 et 9 522,01 euro au cours des 6 premiers mois de 2005.
Ainsi que le relève la SA Carré Blanc, en avril 2005, les commandes ont atteint 16 804,06 euro somme rarement dépassée au cours des trois années précédentes.
L'attitude de Madame Juban, qui a continué à commander régulièrement des marchandises selon un rythme qui remontait régulièrement après une baisse entre 2002 et 2003 et à respecter l'exclusivité telle que précédemment prévue par le contrat de franchise, a maintenu la SA Carré Blanc dans la croyance légitime d'une pérennité des relations commerciales, et ce quel que soit leur cadre.
Compte-tenu de ces éléments, et du fait que dans le contrat de franchise la SA Carré Blanc estimait implicitement suffisant un délai de trois mois pour tirer les conséquences du non-renouvellement de la convention au terme, il convient de retenir que Madame Juban aurait dû respecter un délai de préavis de 3 mois en limitant son préavis à 2 mois, elle a commis une faute entraînant un préjudice pour l'appelante dont celle-ci est fondée à demander réparation.
Il appartient à celui qui invoque un préjudice d'en établir l'importance.
La SA Carré Blanc ne produit aucune pièce au dossier sur ce point, se contentant d'un calcul dans ses écritures basé sur un chiffre d'affaires et sur un taux de marge brute dont il n'est pas justifié. Le seul document figurant au dossier est le tableau des achats dressé par Madame Juban dont il ressort qu'en moyenne mensuelle, ils ont évolué entre 9 119 et 9 522 euro en 2004 et 2005. Sur la base de ce seul élément, il convient de fixer à 5 000 euro l'indemnisation due pour le mois de préavis manquant;
La SA Carré Blanc invoque également un préjudice commercial résultant de la nécessité de rechercher de nouveaux locaux et un nouveau partenaire, et de la concurrence du cessionnaire de Madame Juban.
Sur ce dernier point, il convient de relever que les locaux précédemment occupés par l'intimée ont été cédés à la société La Redoute qui, à l'évidence, n'est pas susceptible de concurrencer l'appelante.
Quant aux conséquences de la nécessité de trouver un nouveau franchisé, la SA Carré Blanc ne produit aucune pièce.
La cour ignore donc en l'état du dossier si une telle recherche a eu lieu, et dans l'affirmative, dans quel délai un autre point de vente de produits Carré Blanc a été ouvert à Chalon-sur-Saône.
Il est fait état d'une perte de clientèle sans aucune justification.
Quant au reproche formulé par l'appelante sur les conditions dans lesquelles Madame Juban a cédé son droit de bail sans l'en aviser, il est sans emport, la SA Carré Blanc n'ayant aucun droit de préférence sur les locaux dans lesquels l'intimée exerçait son activité contrairement à ce qu'elle soutient.
A défaut de justificatif, aucune somme ne peut être allouée à ce titre.
Par ces motifs, Statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône en date du 8 janvier 2007, Statuant à nouveau, Condamne Madame Christine Dutreuil épouse Juban à verser à la SA Carré Blanc la somme de 5 000 à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive, des relations contractuelles, Vu les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles, Condamne Madame Christine Juban aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Avril & Hanssen, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.