CA Paris, 5e ch. B, 13 décembre 2007, n° 04-07626
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Miom Crème Cacao (SARL)
Défendeur :
Servair (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimoulle
Conseillers :
Mme Le Bail, M. Picque
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Lagourgue-Olivier
Avocats :
Mes Pelletier, Przyborowski, Thibault, Vanbesien
LA COUR,
Vu l'appel relevé par la SARL Miom Crème Cacao du jugement du Tribunal de commerce de Paris (13e chambre, n° de RG : 2003060283), prononcé le 17 mars 2004;
Vu les dernières conclusions de l'appelante (19 août 2004);
Vu les dernières conclusions (13 août 2004) de la SA Servair, intimée et incidemment appelante;
Sur quoi,
Considérant que Servair, entreprise de commissariat aérien, et Miom Crème Cacao, fabricant de pâtisseries, ont conclu le 1er septembre 1998 un contrat portant sur la fourniture de desserts aux escales de Fort de France (Martinique), Pointe à Pitre (Guadeloupe) et Cayenne (Guyane) ; que, le 16 mars 2001, Servair a annoncé à Miom Crème Cacao la cessation provisoire, pour avril et mai 2001, de ses commandes destinées à son client Air France pour son escale de Fort de France, puis, le 31 décembre 2001, leur arrêt définitif; que Miom Crème Cacao a cependant continué à livrer ses produits pour les autres clients de Servair à Fort de France ainsi qu'aux escales de Pointe à Pitre et de Cayenne; que, après des négociations sur les tarifs en avril 2002, Miom Crème Cacao a notifié à Servair, le 18 juin 2002, sa décision d'arrêter définitivement toutes ses livraisons à la fin juillet 2002 et la vente de son fonds de commerce; que Miom Crème Cacao, estimant, à la suite de ces circonstances, que Servair était responsable de la rupture des relations commerciales qui avait eu pour conséquence de déprécier considérablement son fonds de commerce, l'a assignée en réparation de son préjudice ; que le tribunal, par le jugement dont appel, a jugé que Servair n'avait pas créé la dépendance économique dans laquelle se trouvait Miom Crème Cacao à son égard et n'en avait pas abusé, a alloué à Miom Crème Cacao des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par l'insuffisance du préavis avant la rupture partielle des relations commerciales annoncée le 31 décembre 2001 pour le 1er avril 2002 mais l'a déboutée de sa prétention à raison de la rupture totale qu'elle avait elle-même notifiée le 18 juin 2002 et l'a au contraire condamnée à payer de ce chef à Servair 1 euro de dommages-intérêts;
Considérant que l'appelante soutient, premièrement, que le tribunal a sous-estimé son préjudice consécutif à la rupture partielle, dont l'intimée conteste la brutalité, deuxièmement, que Servair a eu, dans les négociations tarifaires, un comportement fautif caractéristique d'un abus de dépendance économique ou, à tout le moins, assimilable à une rupture brutale des relations commerciales;
I. Sur la rupture partielle:
Considérant que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers [...] de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écris tenant compte de la durée de la relation [...]";
Considérant que, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 31 décembre 2001, Servair a notifié à Miom Crème Cacao : " Air France nous a informé qu'elle ne souhaite pas retenir pour sa prochaine saison les produits identifiés Miom Cacao pour son escale de Fort de France à effet du 1er avril 2002. En conséquence, nous sommes au regret de vous notifier que nous ne renouvellerons pas nos commandes de pâtisseries auprès de la société Miom Cacao à compter de cette date ";
Considérant qu'il y a donc eu un préavis écrit de trois mois ; que cette durée, s'agissant d'une rupture partielle, portant seulement sur 17 % du chiffre d'affaires réalisé entre les parties, et de relations qui avaient débuté en septembre 1998, soit deux ans et quatre mois auparavant, ne peut être qualifiée d'insuffisante, d'autant moins que ce préavis avait été lui-même précédé d'une mise en garde, Servair ayant écrit à Miom Crème Cacao, le 27 juin 2001, soit six mois avant la confirmation et neuf mois avant la rupture effective, que l'intention manifestée par Air France de diversifier ses fournisseurs, notamment en pâtisserie, pourrait avoir " une incidence sur la nature et les quantités des produits achetés à votre entreprise " et l'invitait en conséquence à en tenir compte " dès maintenant dans votre organisation ";
Considérant, par ailleurs, qu'il est constant que les produits fabriqués par Miom Crème Cacao étaient fournis sans marque et insérés comme tels dans les plateaux repas destinés aux passagers des compagnies aériennes clientes de Servair ; que cette circonstance ne permet pas de considérer que Miom Crème Cacao vendait ses produits sous marque de distributeur au sens de l'article L. 442- 6,I, 5°, du Code de commerce ; que le doublement du préavis prescrit par ce texte dans une telle hypothèse n'est donc pas applicable en l'espèce;
Considérant qu'il en résulte que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a retenu un caractère de brutalité à la rupture partielle et condamné de ce chef Servair à payer des dommages-intérêts à Miom Crème Cacao;
2. Sur la faute imputée à Servair dans les négociations tarifaires:
Considérant que Miom Crème Cacao fonde sa prétention de ce chef sur l'article L. 442-6, I, 2°, b, du Code de commerce, selon lequel : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers [...] d'abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations non justifiées " ; qu'elle précise (p. 12 de ses conclusions) que sa demande n'est pas fondée sur la prohibition des pratiques anticoncurrentielles définies par l'article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce;
Considérant que la seule circonstance que Miom Crème Cacao se soit opportunément constituée à l'occasion de la défaillance de l'ancien fournisseur de Servair et qu'elle ait réalisé avec ce seul client jusqu'à 91,63 % de son chiffre d'affaires en 1999-2000, part réduite à 76,19 % en 2000-2001, n'établit pas, en l'absence de toute donnée relative à l'organisation du marché sur lequel intervenait Miom Crème Cacao, que Servair l'aurait tenue dans une relation de dépendance au sens des dispositions ci-dessus reproduites de l'article L. 442-6, I, 2°, b, du Code de commerce ; que c'est ainsi que Miom Crème Cacao, qui s'abstient de toute indication sur la présence, dans les Antilles françaises ou dans la zone proche, région éminemment touristique, d'entreprises concurrentes de Servair dont elle aurait pu rechercher la clientèle, et qui ne démontre pas qu'il lui aurait été impossible de diversifier sa production ou d'approcher d'autres catégories de clients, ne peut se prévaloir de l'état de dépendance qu'elle invoque et dont les premiers juges ont, à juste titre, retenu qu'elle était son fait;
Considérant, en toute hypothèse, Miom Crème Cacao ayant réclamé des négociations tarifaires en mars 2002, que celles-ci ont eu lieu en avril suivant; que les lettres échangées entre les parties, versées au débat, montrent que la discussion a permis de trouver un accord puisque, le 2 mai 2002, Miom Crème Cacao écrivait à Servair : " Vous constaterez que nous consentons à revoir à la baisse les tarifs que nous vous proposions ces dernières semaines en limitant à 5 et 6 % la marge d'augmentation de notre produit par rapport aux tarifs de l'année 2001-2002 ", ce à quoi Servair a répondu, le 10 mai 2002 " Après plusieurs rendez-vous en avril, puisqu'il fut difficile de trouver de part et d'autre des dates de réunion en mars, nous avons accepté ces augmentations, allant même jusqu'à accepter de 5 % à 7 % de hausse sur les tarifs de Fort de France, Pointe à Pitre et Cayenne ";
Considérant, enfin, compte tenu de ce qui a été dit précédemment sur les conditions dans lesquelles était survenue l'arrêt des commandes pour Air France à l'escale de Fort de France, que c'est à juste titre que Servair a refusé d'ajouter à l'augmentation de tarif à laquelle elle consentait l'indemnisation réclamée par Miom Crème Cacao;
Considérant, dès lors, que Miom Crème Cacao échoue à rapporter la preuve du comportement fautif qu'elle reproche à Servair; qu'il suffit de rappeler que c'est l'appelante, et non Servair, qui a pris l'initiative de la rupture totale et définitive des relations commerciales par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 18 juin 2002, quatre jours après avoir signé la promesse de vente de son fonds de commerce, circonstance totalement étrangère à Servair; que ces circonstances révèlent le caractère artificieux de la tentative de Miom Crème Cacao d'imputer à Servair la responsabilité de la rupture;
Considérant, au demeurant, que, pas plus devant la cour que devant le tribunal, Miom Crème Cacao n'apporte aucun élément de nature à justifier l'importance de la dépréciation alléguée de son fonds de commerce;
Considérant que Miom Crème Cacao doit en conséquence être déboutée de toutes ses prétentions;
Considérant que, pour sa part, Servair ne livre au débat aucun indice permettant d'apprécier la consistance réelle du préjudice en réparation duquel elle réclame 15 000 euro de dommages-intérêts, confondant sous cette même prétention le coût de sa réorganisation après la rupture et le caractère prétendument abusif de la procédure;
Considérant en définitive, que le jugement entrepris sera infirmé et les parties déboutées de toutes leurs demandes;
Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Déboute les parties de toutes leurs demandes, Condamne la SARL Miom Crème Cacao aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile et à payer à la SA Servair 2 500 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.