CA Montpellier, 2e ch., 27 novembre 2007, n° 07-01587
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Courtillet
Défendeur :
Audax (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schmitt
Conseillers :
Mme Plantard, Debuissy
Avoués :
SCP Divisia-Senmartin, SCP Argellies-Travier-Watremet
Avocats :
Mes Blanchet, de Balmann
Vu le jugement rendu le 27 février 2006 par le Tribunal de commerce de Carcassonne ;
Vu l'appel interjeté à l'encontre de ce jugement dans des conditions dont la régularité n'est pas discutée;
Vu les conclusions de Bernard Courtillet, appelant, déposées le 12 octobre 2007;
Vu les conclusions de la société Audax, intimée, déposées le 8 octobre 2007;
Attendu que pour l'exposé des moyens et prétentions des parties il est renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du NCPC, à leurs conclusions visées ci-dessus;
Attendu que Bernard Courtillet, qui exploitait à l'époque un commerce de fleurs, s'est vu remettre le 23 novembre 2001 un dossier précontractuel en vue de l'adhésion au réseau de franchise de la société Audax spécialisé dans le rénovation de revêtements de sol et plafonds suspendus et exploité sous la marque Basic System; qu'il a signé le 3 décembre 2001 une option de réservation et versé en contrepartie une somme de 10 000 F, puis le 17 décembre 2001 l'acte d'engagement définitif et payé à cette occasion une somme de 179 377,77 F TTC correspondant au prix de matériel et de fournitures ainsi que, à concurrence de 57 000 F, au coût de la formation initiale de cinq jours, au droit d'adhésion et au droit à la marque; qu'après s'être plaint le 5 février 2003 de n'avoir réalisé en 2002 qu'un chiffre d'affaires de 15 000 euro et proposé une rupture amiable, il a résilié le contrat le 8 octobre 2003 sous réserve de sa validité; que le 17 mars 2004 il a assigné la société Audax en annulation du contrat et restitution de la somme versée;
Attendu que par le jugement attaqué Tribunal de commerce de Carcassonne a annulé le contrat et rejeté la demande en indemnisation de Bernard Courtillet, en relevant que le chiffre d'affaires réalisé par ce dernier était largement inférieur au chiffre d'affaires prévisionnel et insuffisant pour permettre de dégager le moindre bénéfice, que le savoir-faire transmis ne comportait aucune originalité, que les produits utilisés étaient vendus de deux à cinq fois le prix du marché par la société Audax, mais que Bernard Courtillet, qui s'était fait embaucher comme chauffeur dès le mois de janvier 2003, n'avait produit aucun bilan, avait déclaré avoir pour 76 000 euro de devis à fournir en portefeuille, et ne justifiait pas de l'inexistence du marché; que Bernard Courtillet sollicite la confirmation de l'annulation du contrat et le remboursement de la somme versée, alors que la société Audax réclame la résiliation du contrat aux torts de Bernard Courtillet et la condamnation de ce dernier au paiement d'une somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture anticipée;
Sur ce,
Attendu que Bernard Courtillet se plaint de ce que, les techniques mises en œuvre dans le cadre de la franchise ayant été connues de tous et les produits utilisés disponibles en qualité équivalente sur le marché, aucun savoir-faire original ne lui a été transmis; qu'il résulte cependant des pièces produites qu'il a été initié de manière exhaustive, par le dossier remis et la formation de cinq jours suivie, aux différentes techniques de rénovation de divers revêtements de sol, meubles et plafonds ainsi qu'aux techniques d'approche et de sélection des clients, et que lui ont été fournis tout l'outillage et les produits nécessaires ainsi que le droit d'utiliser la marque Basic System qui couvre à la fois une gamme de produits et un disque absorbant en tissu destiné à la finition du travail de nettoyage des moquettes; que certes les techniques sont connues et le dossier ne permet pas, en l'absence de test comparatif, de déterminer si l'un au moins des produits et le disque étaient originaux et d'une efficacité supérieure à ceux des concurrents autrement dénommés, une telle originalité n'étant cependant pas requise pour la validité d'un contrat de franchise; que, Bernard Courtillet s'étant vu transmette des connaissances, schémas techniques, procédures et modes opératoires qui, globalement, permettaient de réaliser dans des conditions optimales l'objet de la franchise, l'existence du savoir-faire est contestée à tort;
Attendu qu'il résulte des articles L. 330-3 du Code de commerce et 1er du décret du 4 avril 1991 que la contrepartie de la somme remise à l'occasion d'une réservation doit être précisée par écrit, et que l'information précontractuelle doit comporter notamment tous les éléments d'identification de l'entreprise franchiseur, le rappel des étapes de son évolution et de celle du réseau, l'expérience professionnelle des dirigeants, la présentation de l'état général et local du marché, les comptes des deux derniers exercices du franchiseur, la liste des franchisés avec le mode d'exploitation retenu par chacun d'eux, la liste des franchisés qui ont cessé d'appartenir au réseau du franchiseur au cours de l'année précédant la remise des documents, la liste des tiers au réseau proposant les mêmes produits ou services que les franchisés avec l'accord du franchiseur, et l'indication de la durée du contrat avec les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession;
Attendu que Bernard Courtillet se plaint de l'irrégularité et du manque de sincérité de l'information précontractuelle découlant de l'absence de stipulation de la contrepartie à l'option de réservation, de l'insuffisance des informations sur la société Audax et l'expérience de ses dirigeants, de l'absence d'étude générale et locale du marché et des perspectives de développement, de l'absence de renseignements sur les établissements proposant les mômes produits avec l'accord du franchiseur, de l'insuffisance des informations quant au renouvellement, à la résiliation et à la cession du contrat, et de la fausseté de l'étude financière prévisionnelle; qu'en cas de violation de ces dispositions la nullité du contrat n'est cependant encourue que si le consentement du franchisé en a été vicié;
Attendu qu'encore qu'elle aurait dû le mentionner expressément, la société Audax soutient avec vraisemblance que l'engagement, résultant du dossier précontractuel, de n'agréer que quatre franchisés dans le même département que Bernard Courtillet, constitue une contrepartie à la somme de 10 000 F versée lors de la réservation; que, des informations sur la vente par le franchiseur à des tiers au réseau des produits destinés à ce dernier étant invérifiables quant à leur sincérité en l'absence de production du compte clients de la société Audax, l'omission déplorée à cet égard ne peut être retenue; que, si le mode d'exploitation des membres du réseau existants n'est pas précisé, cette omission est sans conséquence dès lors qu'il n'est pas soutenu qu'un seul d'entre eux exerçait autrement qu'en franchise; que, la société Audax étant présentée de manière complète dans la documentation précontractuelle et aucune démonstration n'étant faite du caractère déterminant de l'expérience professionnelle passée des dirigeants, l'omission de cette expérience est sans incidence sur la validité du contrat;
Attendu que les documents d'information précontractuelle comportent, à titre indicatif et sans valeur contractuelle, des prévisions de chiffres d'affaires et de résultats, la première année étant présentée comme pouvant générer 60 979,61 euro de chiffre d'affaires et un résultat de 8 056,93 euro, la seconde année un chiffre d'affaires de 117 144,87 euro et un résultat de 15 013,33 euro, et la troisième année un chiffre d'affaires de 169 941,02 euro et un résultat de 16 473,18 euro; que cependant, malgré les injonctions de Bernard Courtillet, la société Audax n'a pas produit les bilans à partir desquels ces prévisions ont été établies et n'a été en mesure de justifier que de quatre franchises atteignant ces résultats pour les années 2004 à 2006; qu'elle fait aussi grand cas du chiffre d'affaires de 212 775,94 euro obtenu par un autre franchisé au cours du premier exercice, de septembre 2005 à décembre 2006, le bénéfice étant cependant limité à 285,66 euro et le résultat d'exploitation à 2 696,30 euro;
Attendu que les informations obtenues par Bernard Courtillet sur six franchisés auprès d'infogreffe révèlent pour les années 2002 à 2004 un chiffre d'affaires annuel moyen de 51 186,22 euro et un bénéfice annuel moyen de 4 017,66 euro, en totale discordance avec les chiffres cités par la presse spécialisée qui fait état d'un chiffre d'affaires moyen de 100 000 euro en 2003 dont la véracité ne peut être retenue alors que la société Audax, qui les détient, n'a pas daigné produire les comptes dont ils sont censés être issus; qu'il faut en déduire, dans la meilleure des hypothèses, que seules quelques unes des 80 franchises que comportait le réseau lorsque Bernard Courtillet s'est engagé étaient rentables et que leurs résultats ont été présentés comme correspondant à une moyenne alors que, le contrat litigieux ayant été conclu pour trois ans, Bernard Courtillet avait toutes les chances de ne pas même récupérer sa mise de départ dans ce délai;
Attendu que ces éléments financiers méritent d'être mis en rapport, d'abord avec l'absence d'étude réelle du marché national et local, limitée à une évaluation invérifiable de la superficie de moquette posée, alors que, la clientèle visée ayant été essentiellement celle des entreprises et institutions disposant de grandes surfaces à rénover, et le seuil de rentabilité ayant été fixé par la société Audax à 200 m2 de surface traitée par jour et par opérateur, Bernard Courtillet soutient à juste raison que la spécialité de la rénovation, qui ne relève pas d'un savoir-faire secret, empiète dans une large mesure sur celles du nettoyage et de la marbrerie dont les structures sont en mesure d'absorber de manière quasi-immédiate une activité connexe rentable, ensuite avec l'affirmation d'un référencement auprès de grandes chaînes d'hôtels et institutions dont aucune preuve n'est rapportée, les simples lettres de félicitations versées aux débats, qui émanent essentiellement de quelques hôtels, ne pouvant en tenir lieu;
Attendu que, les propres pièces de la société Audax démontrant que Bernard Courtillet avait statistiquement peu de chances de pouvoir vivre de son travail, il ne peut être reproché à celui-ci d'avoir, pour subsister, accepté un travail de chauffeur de nuit à partir du début de l'année 2003; qu'il ne peut davantage lui être reproché de ne pas avoir converti en commandes fermes la totalité des 76 000 euro de devis qu'il a reconnu avoir établis avant de proposer la rupture, dès lors que la société Audax ne démontre pas que le taux de conversion obtenu de 20 à 30 %, présenté comme dans la norme dans une attestation d'un autre ancien franchisé dont elle conteste la sincérité, est inférieur à la moyenne observée dans le réseau; qu'est sans portée enfin l'accusation d'un manque d'investissement personnel et de travail, alors que des documents produits il résulte que même s'il avait atteint les chiffres d'affaires moyens observés, il n'aurait pu vivre de son activité et récupérer sa mise de départ dans les trois années pour lesquelles il s'était engagé;
Attendu qu'il faut en déduire que Bernard Courtillet, sauf concours de circonstances exceptionnel, avait, en s'engageant, toutes les chances de ne travailler que pour récupérer sa mise de départ tout en se voyant contraint d'acquérir auprès de la société Audax, pour un montant minimal substantiel et à des tarifs nettement au dessus de ceux de la concurrence, les produits nécessaires à son activité; qu'il a ainsi été trompé par des perspectives de gains chimériques de sorte qu'à juste raison les premiers juges ont annulé le contrat;
Attendu que Bernard Courtillet ne peut être privé du bénéfice des restitutions réciproques au motif d'une implication insuffisante dans une activité à la rentabilité incertaine; qu'il n'offre certes pas de restituer le matériel et les produits acquis dont le sort n'est pas justifié mais, son labeur n'ayant dégagé aucun bénéfice en conséquence de la tromperie dont il a été l'objet, a subi un préjudice net qui à tout le moins, après prise en compte des restitutions en valeur auxquelles il est obligé, peut être évalué au montant de sa mise de départ; que les intérêts de retard seront accordés à compter du présent arrêt; que, la nullité du contrat excluant sa rupture fautive anticipée par Bernard Courtillet, et les critiques adressées par ce dernier au réseau de franchise auquel il a appartenu étant pour l'essentiel justifiées, la société Audax ne saurait se voir accorder des dommages-intérêts pour rupture anticipée et dénigrement;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare l'appel recevable. Au fond, confirme la décision attaquée en ce qu'elle a annulé le contrat de franchise ayant lié Bernard Courtillet à la société Audax. L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau, Condamne la société Audax à payer à Bernard Courtillet une somme de 27 345,96 euro à titre de restitutions et de dommages-intérêts avec les intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt. Déboute la société Audax de sa demande de dommages-intérêts. La condamne aux entiers dépens des deux instances. La condamne à payer à Bernard Courtillet une somme de 2 500 euro par application des dispositions de l'article 700 du NCPC. Admet l'avoué de Bernard Courtillet au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.