Conseil Conc., 9 avril 2008, n° 08-D-07
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à l'exécution de la décision n° 06-D-30 du 18 octobre 2006 concernant le secteur des taxis marseillais
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport de M. Grandval par Mme Perrot, vice-présidente, présidente de séance, Mme Behar-Touchais, MM. Flichy, Honorat, membres.
Le Conseil de la concurrence (section II),
Vu la décision n° 07-SO-03 du 24 avril 2007, enregistrée sous le n° 07/0038 R par laquelle le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office du non-respect d'une injonction de publication prononcée par la décision n° 06-D-30 du 18 octobre 2006 ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les observations présentées par l'Intersyndicale des taxis marseillais, l'Union régionale Provence-Alpes-Côte d'Azur et l'Union départementale des Bouches du Rhône CFTC, le Syndicat indépendant des artisans taxis (SIAT), le Syndicat marseillais des artisans taxis (SMAT), le Syndicat des taximètres marseillais et de Provence (STM), le Groupement des taxis TUPP Radio, Taxi Radio Marseille (TRM), l'Union syndicale des petits propriétaires (TUPP), Taxis du Soleil et par la commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, la commissaire du Gouvernement et le représentant du Syndicat des Taximètres Marseillais et de Provence et l'association Taxis Radio Marseille (TRM) entendus lors de la séance du 11 mars 2008 ; l'Intersyndicale des Taxis Marseillais, le Syndicat Indépendant des Artisans Taxis (SIAT), le Syndicat Marseillais des Artisans Taxis (SMAT), l'Union syndicale des petits propriétaires (TUPP), l'association Taxi TUPP Radio ayant pour avocat Maître Yves Moraine, l'Association Radio Taxi Plus Marseillais en la personne de son liquidateur, Maître Simon Laure, ainsi que les associations Marseillaise des Artisans Taxis (AMAT), Taxis du Soleil, l'Union départementale et régionale CFTC des Bouches du Rhône et PACA et la Section marseillaise du Syndicat des taxis ayant été régulièrement convoqués; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
L'INJONCTION PRONONCEE PAR LE CONSEIL
1. Par décision n° 06-D-30 du 18 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Marseille, le Conseil a constaté dans l'article 1 du dispositif que l'Intersyndicale des taxis marseillais, l'Association marseillaise des artisans taxis (AMAT), la section marseillaise du syndicat des taxis CFTC, le Syndicat indépendant des artisans taxis (SIAT), le Syndicat marseillais des artisans taxis (SMAT), le Syndicat des taximètres marseillais et de Provence (STM), l'Union syndicale des petits propriétaires (TUPP), le Groupement des taxis TUPP Radio, Taxi Radio Marseille et Radio Taxi Plus Marseillais avaient participé à une entente sur les prix de vente des autorisations de stationnement à Marseille et enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
2. L'article 4 du dispositif de la même décision a fixé les sanctions pécuniaires suivantes :
15 000 euro à rencontre de la section marseillaise du syndicat des taxis CFTC ;
15 000 euro à rencontre du Syndicat indépendant des artisans taxis (SIAT) ;
15 000 euro à rencontre du Syndicat marseillais des artisans taxis (SMAT) ;
15 000 euro à rencontre du Syndicat des taximètres marseillais et de Provence (STM) ;
15 000 euro à rencontre de l'Union syndicale des petits propriétaires (TUPP);
6 200 euro à rencontre de l'association Taxis TUPP Radio ;
14 650 euro à rencontre de l'association Taxi Radio Marseille (TRM) ;
18 000 euro à rencontre de l'association Radio Taxi Plus Marseillais.
3. Deux des entreprises mises en cause n'ont pas été sanctionnées. En ce qui concerne l'Intersyndicale des Taxis Marseillais, le Conseil a estimé que cette association n'avait participé à l'entente qu'avec " un faible degré de responsabilité en raison de la décentralisation du fonctionnement de l'entente au niveau des syndicats et associations professionnelles que l'Intersyndicale regroupe formellement " et que " l'Intersyndicale étant dépourvue de ressources, le paiement de l'amende qui pourrait lui être infligée devrait être reporté sur les syndicats et associations professionnelles membres ". Dans le cas de l'Association Marseillaise des Artisans du Taxi, le Conseil a constaté qu'ayant été dissous, cet organisme ne pouvait être sanctionné.
4. L'article 5 du dispositif de la décision du Conseil a enjoint par ailleurs aux organismes mentionnés à l'article 1 du dispositif rappelé ci-dessus de publier, à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires, un résumé de la décision :
- dans le quotidien La Provence au plus tard le 15 décembre 2006 ;
- dans la version nationale et la version Ile-de-France de l'Artisan du Taxi au plus tard le 15 février 2007.
5. La décision du Conseil enjoignait aux organismes en cause d'adresser " sous pli recommandé, au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, copie de ces publications dès leur parution " avant les dates limites précitées.
L'EXECUTION DE L'INJONCTION
6. Les services d'instruction du Conseil constatant, au début du mois d'avril 2007, le non-respect de cette injonction de publication, le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office, par décision n° 07-SO-03 du 24 avril 2007, des pratiques relatives à l'exécution de l'injonction de publication précédemment prononcée.
7. L'enquêteur de la Direction Régionale de la Concurrence de Marseille (DRCCRF) a contacté le président de l'Intersyndicale des taxis marseillais et son avocat fin mars 2007 : le premier a déclaré ne pas connaître les obligations de publication incombant à l'organisme qu'il préside résultant de la décision du Conseil et le second a affirmé que ces obligations de publication seraient respectées durant la semaine du 2 au 6 avril 2007.
8. Par courriers en date du 30 avril 2007, le rapporteur a également demandé aux organismes concernés et à leur conseil les actions qu'ils avaient entreprises afin de se conformer à l'injonction du Conseil. Les réponses obtenues de leur part ont permis de constater :
- que la publication dans le quotidien La Provence avait eu lieu le 11 avril 2007 ;
- que des contacts avaient été établis avec l'artisan du Taxi début avril 2007 pour une publication du résumé de la décision du Conseil dans la version nationale et la version Ile-de-France de la revue et que, selon Maître X..., conseil de la plupart des organismes condamnés, cette publication devait avoir lieu le 15 juin 2007 dans l'édition nationale et le 2 juillet 2007 dans l'édition Ile-de-France.
9. Dans leurs courriers du 2 mai 2007 en réponse à la demande d'information du rapporteur mentionnée ci-dessus, le SMAT, le STM et Taxi TUPP Radio se sont contentés d'adresser au Conseil l'extrait de la publication du 11 avril 2007 dans le quotidien La Provence, sans indiquer le sort réservé à la seconde injonction de publication dans la revue l'Artisan du Taxi et sans expliquer les raisons du retard mis à remplir ces deux obligations.
10. Les autres organismes contactés par le rapporteur n'ont pas répondu à la demande qui leur avait été adressée.
11. Dans son courrier du 4 mai 2007, Maître X..., avocat des entreprises condamnées, a pour sa part indiqué que " ce retard a procédé d'une erreur matérielle de communication entre notre étude et nos clientes dont nous vous prions de bien vouloir nous excuser ".
12. Le 5 octobre 2007, le rapporteur, constatant qu'aucune information nouvelle concernant les publications dans la revue l'Artisan du Taxi n'était parvenue au Conseil, interrogeait à nouveau l'avocat des parties sur le sort réservé aux injonctions faites à ses clients. Son rapport constatant l'inexécution de l'injonction a ensuite été notifié le 10 novembre 2007.
13. Ce n'est qu'à la mi-novembre 2007, après la notification aux parties du nouveau rapport, que Taxi TUPP Radio et l'avocat de la plupart des contrevenants ont fait savoir au Conseil que les publications restant à effectuer avaient été programmées respectivement pour la mi-novembre dans l'Artisan du Taxi, édition Ile-de-France, et pour la mi-décembre dans L'Artisan du Taxi, édition nationale.
14. L'avocat des parties précisait que si la négociation engagée en avril pour ces dernières publications n'avait pu aboutir plus tôt, cela avait tenu aux difficultés financières rencontrées par la plupart des entreprises condamnées et au fait que, pour pallier ces défaillances, l'ensemble des frais avaient dû être pris en charge par l'association Taxis TUPP Radio et l'association Taxi Radio Marseille.
15. Il mentionnait aussi le fait que la responsable de la revue l'Artisan du Taxi était partie en congé de maternité au milieu de l'année 2007 et que cette circonstance, jointe au fait que la revue ne dispose pas de beaucoup de place pour accueillir les annonces, avait entraîné quelque retard dans les discussions amorcées en avril de la même année.
16. En définitive, sur les deux injonctions de publication notifiées aux parties, celle concernant l'insertion d'un résumé de la décision dans le quotidien la Provence au plus tard le 15 décembre 2006 a été exécutée le 11 avril 2007 et celle relative à la publication du même texte dans la version nationale et la version Ile-de-France de l'Artisan du Taxi au plus tard le 15 février 2007 a été exécutée en novembre et décembre de la même année.
II. Discussion
SUR LE NON RESPECT DE L'INJONCTION DE PUBLICATION
17. Aux termes de l'article L. 464-3 du Code de commerce : "Si les mesures et injonctions prévues aux articles L. 464-1 et L. 464-2 ne sont pas respectées, le Conseil peut prononcer une sanction pécuniaire dans les limites fixées à l'article L. 464-2".
18. En l'espèce, il est constant que l'injonction n'a pas été respectée. En ce qui concerne la publication dans La Provence, le retard a atteint près de quatre mois et, en ce qui concerne les publications dans l'Artisan du Taxi, il a atteint respectivement neuf et dix mois. Ces retards sont d'autant plus significatifs qu'ils ont été constatés en dépit des relances du rapporteur qui a informé en temps utile les entreprises du dépassement du délai fixé dans l'injonction.
19. L'avocat des parties mises en cause invoque " une erreur matérielle de communication entre notre étude et nos clientes " et les difficultés financières rencontrées par ses clients.
20. Pour sa part, le représentant du Syndicat des taximètres marseillais et de Provence a indiqué lors de l'audience que ces retards devaient être imputés principalement à l'avocat des entreprises en cause, qui n'aurait pas pris la mesure de l'urgence de la situation, et à la revue l'Artisan du Taxi, peu réactive pour opérer la publication demandée.
21. Mais ces allégations de mauvaise communication entre les entreprises et leur avocat ne sont pas de nature, en tout état de cause, à exonérer les contrevenants de leur responsabilité dans le retard des publications. Par ailleurs, l'allégation de la faible réactivité de la revue l'Artisan du Taxi lors de la négociation des insertions ne saurait être retenue dès lors qu'il ressort clairement des termes de cette négociation que c'est la question du paiement effectif de la publication, imputable aux parties mises en cause, et non la capacité de l'éditeur à assurer la publication, qui a constitué la cause immédiate du retard mis à l'insertion effective des extraits de la décision du Conseil.
SUR LES ENTITES RESPONSABLES DU NON RESPECT DE L'INJONCTION
22. L'injonction de publication contenue dans la décision n° 06-D-30 du 18 octobre 2006 concernait toutes les entités reconnues coupables d'entente listées à l'article 1er du dispositif. Avant même que n'intervienne cette décision, deux organismes ayant participé à l'entente ont été dissous.
23. En ce qui concerne l'AMAT, cet état de fait a été constaté dans la décision même condamnant l'entente. En ce qui concerne la section marseillaise du syndicat des taxis CFTC, cette dissolution a été révélée lors de l'instruction de la présente affaire et remonte au plus tard au milieu de l'année 2006 ; elle est intervenue après que son président a constaté qu'aucun adhérent n'avait acquitté sa cotisation 2006 et décidé de disposer de l'actif net, exclusivement monétaire, encore en possession de cette association au bénéfice de la Fédération des transports CFTC.
24. La responsabilité de ces deux entités ne pourra donc être recherchée pour la non-exécution d'une injonction intervenue postérieurement à leur dissolution.
25. Quant à l'Intersyndicale des taxis marseillais, qui a été reconnue coupable de l'infraction sanctionnée dans la décision initiale du 18 octobre 2006 mais ne s'est pas vu infliger d'amende puisque " ... étant dépourvue de ressources, le paiement de l'amende qui pourrait lui être infligée devrait être reporté sur les syndicats et associations professionnelles membres ", elle était théoriquement tenue par l'exécution de l'injonction mais à proportion d'une sanction pécuniaire nulle. Sa responsabilité ne saurait donc être retenue dans le retard mis par les contrevenants à exécuter les injonctions.
SUR LES SANCTIONS
26. Aux termes du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce : "Le Conseil de la concurrence peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnée (...)".
27. En ce qui concerne la gravité des faits, il est constant que les services d'instruction du Conseil ont dû intervenir à plusieurs reprises pour obtenir le respect de l'injonction de publication. Les entreprises mises en cause n'ont pas porté suffisamment d'attention au respect de cette injonction et ne se sont pas préoccupées du retard pris pour son exécution.
La faute ainsi constituée est une faute sérieuse.
28. S'agissant du dommage à l'économie, un retard de respectivement quatre et dix mois apporté à la réalisation de la publication n'a pas créé d'autre dommage qu'un retard dans l'information du public et de la profession. Au cas d'espèce, s'agissant d'une publication qui n'avait pas un caractère d'urgence particulier au regard de ses effets attendus sur le marché, le dommage peut être considéré comme faible.
29. A l'exception des deux entités dissoutes de l'Intersyndicale et de l'association Radio Taxis Plus Marseillais, dont le cas est examiné ci-après, les responsabilités de chacune des entreprises concernées par l'exécution de l'injonction sont équivalentes.
30. Pour ce qui est de l'Association Radio Taxi Plus Marseillais (RTPM), celle-ci a été mise en liquidation judiciaire le 27 juillet 2006 et les opérations de liquidation ne sont pas encore terminées à ce jour. L'association subsiste juridiquement mais le prononcé d'une sanction pécuniaire à son égard n'apparaît pas opportun eu égard à la procédure collective à laquelle elle est soumise. Par ailleurs, l'association Taxis du Soleil, qui s'est bornée à racheter une partie des actifs matériels de RTPM (le mobilier et l'antenne) sans conserver comme adhérents les chauffeurs de taxi anciens membres de l'association en liquidation, ne saurait être considérée comme le successeur économique de cette association.
31. Pour ce qui concerne les quatre associations professionnelles encore en cause, compte tenu de l'ensemble des éléments rappelés ci-dessus, il y a lieu de leur infliger les sanctions de principe suivantes :
- 1 000 euro au Syndicat indépendant des artisans taxis (SIAT) ;
- 1 000 euro au Syndicat marseillais des artisans taxis (SMAT) ;
- 1 000 euro au Syndicat des taximètres marseillais et de Provence (STM) ;
- 1 000 euro à l'Union syndicale des petits propriétaires (TUPP).
32. En ce qui concerne les sociétés de radio-taxis, l'association Taxis TUPP Radio et Taxi Radio Marseille, compte tenu de l'ensemble des éléments généraux rappelés ci-dessus et de leurs derniers produits d'exploitation connus qui s'élèvent respectivement à 288 811 euro et 643 688 euro, il y a lieu de leur infliger, à chacune, une sanction pécuniaire en proportion des amendes prononcées dans la décision n° 06-D-30, soit :
- 500 euro à l'encontre de l'association Taxis TUPP Radio ;
- 1 000 euro à l'encontre de l'association Taxi Radio Marseille.
Décision
Article 1er : Il est établi que le Syndicat indépendant des artisans taxis (SIAT), le Syndicat marseillais des artisans taxis (SMAT), le Syndicat des taximètres marseillais et de Provence (STM), l'Union syndicale des petits propriétaires (TUPP), l'association Taxis TUPP Radio, Taxi Radio Marseille et Radio Taxi Plus Marseillais ont enfreint les dispositions de l'article L. 464-3 du Code de commerce.
Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
- une sanction de 1 000 euro au Syndicat indépendant des artisans taxis (SIAT) ;
- une sanction de 1 000 euro au Syndicat marseillais des artisans taxis (SMAT) ;
- une sanction de 1 000 euro au Syndicat des taximètres marseillais et de Provence (STM) ;
- une sanction de 1 000 euro à l'Union syndicale des petits propriétaires (TUPP) ;
- une sanction de 1 000 euro à l'association Taxi Radio Marseille (TRM) ;
- une sanction de 500 euro à l'association Taxis TUPP Radio.