Cass. crim., 4 mars 2008, n° 07-83.628
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Distribution Leader Price (Sté), Leader Price région Sud (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Farge (faisant fonction)
Rapporteur :
M. Chaumont
Avocat général :
M. Lucazaeu
Avocats :
SCP Monod, Colin, SCP Waquet, Farge, Hazan
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par X Christian, Y Jean-Claude, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Amiens, chambre correctionnelle, en date du 11 avril 2007, qui, dans la procédure suivie contre eux du chef de publicité comparative illicite, a prononcé sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Amiens, 11 avril 2007) et des pièces de procédure que, courant juin 2004, le [magasin] Z de Beautor (Aisne) a exposé à l'entrée du magasin, sur une estrade, deux chariots remplis de produits ménagers et alimentaires provenant, pour l'un d'eux, de ses rayons, pour l'autre, de l'établissement à l'enseigne Leader Price situé dans une commune du même département ; que cette présentation était accompagnée d'un tableau comparatif, sous la forme de tickets de caisse, répertoriant les marchandises concernées, avec l'annonce suivante : " Chers clients, un nouveau concurrent voudrait vous faire croire qu'il est moins cher que Z ; alors nous avons comparé 65 produits de consommation courante ; à vous de juger ; total caddie Z Beautor : 58,46 euro ; total caddie concurrent : 76,43 euro ; un écart en faveur de Z Beautor de 17,97 euro, soit 23,52 % moins cher que notre nouveau concurrent ; faites-le savoir " ; que Jean-Claude Y, président du conseil d'administration de la société qui exploite le magasin Z, et Christian X, directeur de celui-ci, ont été poursuivis par les sociétés Distribution Leader Price et Leader Price région Sud, parties civiles, devant le tribunal correctionnel du chef de publicité comparative illicite ; que, par jugement du 9 février 2006, les prévenus ont été relaxés et les parties civiles déboutées ; que seules celles-ci ont relevé appel ;
En cet état ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-8 et L. 121-14 du Code de la consommation, 3 bis de la directive 84-450-CEE du 10 septembre 1984, tel qu'interprété notamment par l'arrêt C-356-04 du 19 septembre 2006 de la Cour de justice des Communautés européennes, 591 et 593 du Code de procédure pénale,1382 du Code civil, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué, tel que rectifié par l'arrêt du 27 juin 2007, a déclaré Christian X et Jean-Claude Y responsables d'une publicité comparative irrégulière et les a condamnés en conséquence à réparer le préjudice prétendument subi par les sociétés Distribution Leader Price et Leader Price Région Sud du fait de cette opération publicitaire ;
"1°) aux motifs que " le premier juge ne pouvait affirmer que les différences de poids ou de quantité n'étaient pas significatives, en ce que portant sur des produits répondant aux mêmes besoins et donc tenus pour comparables, alors qu'il lui incombait, au regard des dispositions légales, de rechercher si ces différences ne conduisaient pas à considérer que les produits sélectionnés par le magasin Z n'étaient pas en réalité comparables entre eux ; qu'il n'est pas en effet contesté qu'au-delà de différences de quantité ou de poids, les produits comparés présentaient pour certains d'entre eux des compositions distinctes : ainsi, la teneur en viande des raviolis, ou encore le fumage des lardons au bois pour le magasin Leader Price, fumés sans autre précision pour le magasin Z, ou encore le taux de caramel des flans, qui varie entre 5 % et 7 % ; que de même les gâteaux Cookies se différencient par leur teneur en glucides et lipides, ce qui induit une qualité nutritionnelle variable, au vu de laquelle le consommateur se déterminera, en prenant aussi en compte les variations de poids ou de quantités, lesquelles ne peuvent être, à bon droit, considérées par le consommateur, comme dénuées d'intérêt. (...) que force est au surplus de constater que si les dirigeants du magasin Z se sont attachés à choisir des produits comparables, et offerts dans l'un et l'autre magasin, ceux vendus par le magasin Z s'avèrent, pour nombre d'entre eux, relever de la gamme Eco +, ce qui constitue pour le consommateur une limite dans le choix des produits mis en vente par le magasin Z, tandis que les produits sélectionnés dans le magasin Leader Price appartiennent à des gammes plus variées de produits, et offrent un choix plus élargi, en dehors de gammes dites de produits génériques à prix économiques, ce qui tend à fausser quelque peu la comparaison opérée à l'initiative du magasin Z " (4e, 5e et 7e § de la 7e page de l'arrêt) ;
"alors, d'une part, que les conditions exigées de la publicité comparative doivent être interprétées dans le sens le plus favorable à celle-ci ; que constituent des biens répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif, au sens de l'article L. 121-8 2° du Code de la consommation, les biens qui présentent un degré suffisant d'interchangeabilité pour le consommateur ; qu'en se bornant à relever que certains des biens comparés par l'opération de publicité litigieuse présentaient des différences de quantité, de poids, de compositions ou de gamme minimes, sans rechercher, comme il lui était demandé, s'ils ne présentaient pas néanmoins un degré suffisant d'interchangeabilité pour le consommateur, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"et alors, d'autre part, que si la publicité comparative doit porter sur une ou plusieurs caractéristiques essentielles des produits, il n'est, en revanche, pas nécessaire que l'ensemble des caractéristiques essentielles des produits soient comparables pour que ceux-ci présentent un degré suffisant d'interchangeabilité pour le consommateur ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article L. 121-8 du Code de la consommation en confondant les conditions de licéité énoncées par les 2° et 3° alinéas de ce texte ;
"2°) et aux motifs que " la mise en rapport des seuls tickets de caisse agrandis ne pouvaient permettre au consommateur destinataire de la publicité d'avoir pleinement connaissance des raisons ayant motivé la différence des prix pratiqués. (...) Si les dispositions légales applicables à la publicité comparative n'exigent pas expressément une stricte identité dans la composition des produits, il convient pour autant que les produits comparés puissent l'être en toute connaissance de leurs différences de poids, de quantité, et de qualités, s'agissant principalement de denrées alimentaires où le choix du consommateur s'attache plus particulièrement à ces dernières. (...) Il est aussi à relever que les produits placés dans les deux caddies ne pouvaient être directement examinés par les consommateurs, à l'instar de ceux placés dans les rayons, de sorte que le consommateur ne pouvait opérer utilement de comparaisons entre les produits sélectionnés ; en l'état, la présentation comparative des produits, telle qu'agencée par le magasin Z, avec les seules mentions de tickets de caisse, ne répondait pas aux exigences légales, faute de permettre au consommateur de vérifier leurs qualités, quantités ou composants, de sorte que la publicité comparative ainsi organisée ne pouvait être considérée comme loyale, régulière et objective " (4e et 6e § de la 7e page de l'arrêt, ainsi que les deux premiers § de la 8e page) ;
"alors, d'une part, que la licéité d'une publicité comparative portant exclusivement sur le prix d'achat n'est pas subordonnée à la présentation, dans le message publicitaire lui-même, des autres caractéristiques essentielles des produits comparés ou des raisons susceptibles d'expliquer les différences de prix constatées ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés en y ajoutant des conditions qu'ils ne prévoient pas ;
"et alors, d'autre part, que la publicité procède à une comparaison objective et vérifiable, au sens de l'article L. 121-8,3°, du Code de la consommation, dès lors que les produits comparés peuvent être individuellement et concrètement identifiés sur la base des informations contenues dans le message publicitaire et que les consommateurs sont mis à même de prendre aisément connaissance des éléments de la comparaison aux fins d'en vérifier ou d'en faire vérifier l'exactitude ; qu'en ne recherchant pas, comme il lui était demandé, si les informations figurant sur les tickets de caisse utilisés dans le cadre de l'opération publicitaire litigieuse satisfaisaient à ces deux conditions, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu que, pour estimer que la preuve des faits reprochés aux prévenus était rapportée, l'arrêt retient que la reproduction des seuls tickets de caisse ne permettait pas au consommateur de s'assurer que les produits comparés, qui, pour certains, présentaient des différences de qualité, de poids, de contenance et de composition, et qui étaient placés dans des chariots recouverts d'un film plastifié, présentaient les mêmes caractéristiques essentielles, de sorte que leur comparaison ne pouvait être opérée de façon objective ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ; qu'en effet, lorsque les éléments de comparaison sur lesquels repose la caractéristique mentionnée dans la publicité comparative ne sont pas énumérés, le destinataire du message publicitaire doit être mis en mesure, par l'annonceur, d'en vérifier l'exactitude ainsi que celle de la caractéristique en cause ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-8 et L. 121-14 du Code de la consommation, 1382 du Code civil, 121-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué, tel que rectifié par l'arrêt du 27 juin 2007, a déclaré Jean-Claude Y responsable du dommage subi par les sociétés Distribution Leader Price et Leader Price Région Sud du fait de la mise en œuvre d'une publicité comparative irrégulière et l'a condamné en conséquence à payer à chacune de ces sociétés une somme de 7 500 euro à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs que " concernant Jean-Claude Y, l'existence d'une délégation de pouvoirs expresse au profit de Christian X, directeur salarié du magasin Z, n'excluait pas, eu égard à la nature de l'opération publicitaire, à son importance stratégique quant à l'activité du magasin, au fait que des opérations similaires avaient été menées dans d'autres magasins de la même enseigne, sa participation personnelle à l'opération en cause, ayant, concurremment à la délégation de pouvoirs, conservé pour autant, et en l'absence de toute mention explicite dans celle-ci, ses prérogatives de dirigeant social, et donc la faculté et l'initiative de mettre en œuvre une telle action commerciale et de la faire cesser, aux côtés de son directeur salarié " (antépénultième § de la 8e page) ;
" alors qu'en présence d'une délégation de pouvoirs, le chef d'entreprise ne peut être pénalement responsable que s'il est établi qu'il a personnellement pris part à la réalisation de l'infraction ; que, pour retenir la responsabilité de Jean-Claude Y, la cour s'est fondée sur des considérations abstraites relatives aux facultés d'action et de contrôle qu'auraient conservées ce chef d'entreprise en dépit de la délégation de pouvoirs qu'il a consentie à Christian X ; qu'en ne relevant aucun acte concret de participation personnelle de Jean-Claude Y à la mise en œuvre de la publicité comparative litigieuse, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu que, pour écarter l'argumentation de Jean-Claude Y et le condamner à réparer le préjudice subi par les parties civiles, l'arrêt retient que l'opération publicitaire, compte tenu de son importance commerciale, relevait de son initiative et des prérogatives attachées à sa qualité de dirigeant, nonobstant la délégation de pouvoirs qu'il avait donnée au directeur ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui procèdent de son pouvoir souverain d'appréciation, et qui caractérisent suffisamment l'implication personnelle de Jean-Claude Y, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué, tel que rectifié par l'arrêt du 27 juin 2007, a condamné solidairement Christian X et Jean-Claude Y à verser à chacune des sociétés Distribution Leader Price et Leader Price Région Sud une somme de 7 500 euro à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs que " les deux sociétés appelantes estiment leur préjudice respectif à 15 000 euro chacune, en raison de la durée de l'opération publicitaire incriminée sur plusieurs jours, de l'atteinte portée à la notoriété de leurs enseignes, ainsi que des frais engagés par elles pour mettre fin à cette publicité irrégulière, laquelle n'a cessé qu'à la suite du constat par huissier de justice ; que la cour dispose des éléments suffisants pour apprécier utilement le préjudice de chacune des deux société plaignantes qu'elle estime s'élever à la somme de 7 500 euro, toutes causes confondues " (4e et 5e § de la 8e page) ;
" alors que les intimés soutenaient que les sociétés Distribution Leader Price et Leader Price Région Sud n'avaient pas rapporté la preuve d'un quelconque préjudice dès lors qu'elles n'alléguaient même pas une baisse de leur fréquentation ou une atteinte au développement de celle-ci (page 19 des conclusions d'appel) ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences des textes susvisés " ;
Attendu qu'en évaluant, comme elle l'a fait, le préjudice résultant pour les parties civiles du délit commis par Jean-Claude Y et Christian X, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans les limites des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage né de l'infraction ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette les pourvois.