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Décisions

CA Lyon, ch. soc., 27 septembre 2006, n° 04-03755

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Trinome (SARL)

Défendeur :

Delhomme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Joly

Conseillers :

M. Defrasne, Mme Lefebvre

Avocats :

Mes Vaschalde, Roumeas

Cons. prud'h. Lyon, du 22 avr. 2004

22 avril 2004

Statuant sur l'appel formé par la SARL Trinome d'un jugement du Conseil des prud'hommes de Lyon, en date du 22 avril 2004 qui a:

- dit que la rupture du contrat de travail de Madame Stéphanie Delhomme résulte d'une démission

- condamné la SARL Trinome à payer à Madame Stéphanie Delhomme la somme de 39 033 euro au titre de la clause de non-concurrence

- condamné la SARL Trinome à payer à Madame Stéphanie Delhomme la somme de 400 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

- débouté les parties du surplus

- condamné la SARL Trinome aux dépens.

Vu les écritures et observations orales à la barre, le 7 juin 2006 de la SARL Trinome, appelante, qui demande à la cour:

- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes sauf en ce qui concerne la clause de non-concurrence

- de dire que Madame Delhomme ne peut pas relever des dispositions de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975

- de constater qu'il n'y a pas lieu de lui verser une contrepartie financière à la clause de non-concurrence et de la condamner au remboursement des sommes versées à ce titre en exécution du jugement

- subsidiairement, de constater que le montant de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ne peut être supérieur à 1 009,36 euro et de condamner Madame Delhomme au remboursement du trop perçu

- de condamner Madame Delhomme au paiement de la somme de 1 500 euro en application 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Vu les écritures et observations orales à la barre le 7 juin 2006, de Madame Stéphanie Delhomme, intimée, qui demande de son côté à la cour:

- de confirmer le jugement entrepris concernant la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence

- de réformer le jugement pour le surplus

- de dire que la rupture de son contrat de travail est imputable à la SARL Trinome et de constater le caractère abusif de cette rupture

- de condamner la SARL Trinome à lui payer:

• dommages et intérêts pour licenciement abusif : 35 000 euro

• indemnité compensatrice de préavis : 8 782,47 euro

• congés payés afférents : 878,24 euro

• indemnité conventionnelle de licenciement : 1524,73 euro

• congés payés afférents à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence : 3 903,32 euro

• solde de congés payés : 3 803,73 euro

• article 700 du nouveau Code de procédure civile : 1 500 euro

- de condamner la SARL Trinome à lui remettre des bulletins de salaire, un certificat de travail, une attestation ASSEDIC rectifiés en fonction des condamnations prononcées, sous astreinte de 100 euro par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.

- à titre subsidiaire, de condamner la SARL Trinome à lui payer la somme de 13 646,29 euro à titre de rappel de salaire, outre celle de 1 364,62 euro au titre de congés payés afférents.

Motifs de la cour

Attendu que Madame Stéphanie Delhomme a été embauchée par la SARL Trinome, agence immobilière au sein du réseau Guy Hoquet, suivant contrat à durée indéterminée à compter du 10 janvier 2002, en qualité de négociateur immobilier, VRP au sens des articles L. 751-1 et suivants du Code du travail, hors classification en application de l'avenant n° 15/1 du 27 novembre 1996 à la convention collective nationale de l'immobilier, moyennant une rémunération fixée à la commission dont les modalités étaient précisées audit contrat; qu'il y était également stipulé une obligation de non-concurrence à la charge du salarié pendant une durée de deux ans dans un rayon de 3 kilomètres autour du point de vente des bureaux de la société;

Que par courrier du 15 janvier 2002 qui faisait suite à un arrêt pour maladie, Madame Delhomme a réclamé à son employeur le paiement de commissions; qu'il lui a été répondu que le règlement lui serait adressé dès qu'elle aurait fait parvenir le décompte de ses indemnités versées par la Sécurité sociale; que par nouveau courrier du 24 janvier 2002 Madame Delhomme a reproché à son employeur de ne pas lui avoir versé ses commissions depuis le 1er octobre 2001 et qu'elle lui a indiqué que du fait de ce non-respect de ses obligations contractuelles elle considérait son contrat de travail comme rompu de son fait à la date du 10 février 2002, date de la fin de son arrêt de travail; que les parties ont échangé d'autres courriers par lesquels notamment la salariée a réitéré le 20 février 2002 sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail par l'employeur; que la SARL Trinome lui a écrit ensuite le 25 février 2002 pour lui indiquer qu'elle la considérait comme démissionnaire;

Attendu que Madame Delhomme revendique le statut de VRP avec toute conséquence de droit quant à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence en se référant aux indications portées sur son contrat, sur ses bulletins de salaire et au fait que ses fonctions comportaient une activité de prospection; que dans le cas où il serait jugé qu'elle ne relève pas du statut d'ordre public des VRP, elle réclame le remboursement de l'abattement de 30 % intitulé "abattement VRP" appliqué par l'employeur sur sa rémunération; qu'elle fait valoir par ailleurs que la SARL Trinome n'a pas respecté ses obligations contractuelles concernant le paiement régulier des commissions qui lui étaient dues et que cette faute justifie la prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur;

Que la SARL Trinome fait valoir de son côté que les négociateurs immobiliers comme Madame Delhomme constituent une catégorie particulière de représentants auxquels s'appliquent les dispositions légales d'ordre public prévues par les articles L. 751-1 et suivants du Code du travail relatif aux VRP mais non les dispositions de l'accord national interprofessionnel de VRP du 3 octobre 1975 puisqu'ils relèvent de la convention collective nationale de l'immobilier; qu'ils ne peuvent donc prétendre à une contrepartie financière de la clause de non-concurrence calculée en application des dispositions de l'accord national interprofessionnel et que par ailleurs Madame Delhomme a perçu une contrepartie financière incluse dans sa rémunération selon les dispositions du contrat de travail; que la SARL Trinome prétend que le paiement tardif des commissions qui lui est reproché provient d'une part de la nécessité pour elle d'être en possession du décompte des indemnités journalières de la Sécurité sociale versées à la salariée et d'autre part la nécessité de vérifier pour les affaires en cause si les conditions du droit à commission étaient bien remplies; qu'elle considère qu'elle n'a commis aucune faute et que la salariée a agi avec précipitation alors que la situation lui était imputable; qu'elle demande à la cour de juger comme le conseil de prud'hommes que Madame Delhomme a démissionné de son emploi;

1°) Sur l'application de l'accord international de VRP

Attendu que, si les dispositions d'ordre public figurant aux articles L. 751-1 et suivants du Code du travail ne peuvent être écartées quant les conditions de fait de la représentation commerciale sont remplies, l'accord interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975, en revanche, n'est pas obligatoire dans le secteur professionnel des agents immobiliers et administrateurs de biens, la principale organisation patronale, la FNAIM s'étant en effet exclue du champ d'application de l'accord; que ces éléments sont rappelées par l'article 1er de la convention collective de l'immobilier qui précise que les démarcheurs vérificateurs et négociateurs salariés des entreprises relevant de ladite convention (du fait d'une activité s'exerçant à titre exclusif ou dominant dans son champ d'application), qui remplissent les conditions prévues par les articles L. 751-1 et suivants du Code du travail régissant les VRP relèvent de la présente convention et non de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975; que le contrat de travail liant les parties est conforme à ces dispositions puisqu'il indique que la salariée était engagée en qualité de négociateur immobilier VRP au sens des articles L. 751-1 et suivants du Code du travail, hors classification en application de l'avenant 15/1 du 27 novembre 1996 à la convention collective nationale de l'immobilier; que Madame Delhomme ne saurait tirer de ses bulletins de salaire une application volontaire par la SARL Trinome de la convention collective des VRP car les derniers bulletins de salaire font mention de la convention collective de l'immobilier; que la salariée ne peut en conséquence se prévaloir des dispositions de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975, notamment son article 17 régissant les clauses de non-concurrence;

Attendu, au demeurant, qu'une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace et qu'elle comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière; que si cette contrepartie financière peut prendre la forme d'une majoration de salaire versée en cours de contrat, encore faut-il que cette majoration soit déterminable et que les bulletins de salaire en portent mention; qu'en l'espèce, le contrat de travail de Madame Delhomme se borne à indiquer que sa rémunération tient compte de l'application de la clause de non-concurrence et que ses bulletins de salaire ne mentionnent rien à cet égard; qu'il ne peut donc être soutenu que la rémunération effectivement versée à la salariée incluait l'indemnité de non-concurrence;

Que le salarié qui sans contrepartie financière a néanmoins respecté l'obligation de non-concurrence mise à sa charge subit nécessairement un préjudice dont il est en droit de réclamer réparation; qu'il n'est pas contesté que Madame Delhomme a respecté cette obligation; qu'en l'absence de toute disposition sur ce point dans la convention collective applicable dans l'immobilier et compte tenu des éléments de la cause il convient de lui allouer la somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'obligation de non-concurrence;

2)- Sur la demande d'indemnités de congés payés

Attendu que Madame Delhomme réclame le paiement de 21 jours de congés payés au titre de l'année 2000/2001 et de 18 jours de congés au titre de l'année 2001/2002 en précisant qu'elle n'a bénéficié de congés payés que pour la période du 21 juillet au 6 août 2001; que la SARL Trinome s'oppose à cette demande motif pris que l'indemnité de congés payés était incluse dans la rémunération de la salariée;

Attendu que l'inclusion de l'indemnité de congés payés dans le salaire est permise à la double condition qu'elle résulte d'une convention expresse entre les parties et n'aboutisse pas à un résultat moins favorable que l'application stricte de la loi; que pour vérifier que le salarié a bien été rempli de ses droits il est indispensable que la convention permette d'identifier la part de salaire représentant l'indemnité de congés payés; que le contrat des parties qui indique seulement que le salarié bénéficiera d'une garantie annuelle de rémunération comprenant notamment les congés payés, les frais professionnels et le 13e mois ne permet nullement cette vérification; que la forfaitisation des congés payés ne peut donc être retenue en l'espèce;

Que Madame Delhomme justifie de son droit à une indemnité compensatrice de congés payés en regard de la période de référence 2001/2002 et qu'il convient de lui allouer la somme de 1 756,48 euro correspondant à 18 jours de congés acquis et non pris du fait de la rupture intervenue du contrat de travail; qu'en revanche, compte tenu du principe du non-cumul du salaire et de l'indemnité de congés payés et comme elle ne démontre pas qu'elle a été dans l'impossibilité de prendre ses congés payés acquis au titre de la période de référence 2000/2001, elle ne saurait réclamer aucune indemnité de ce chef;

3°) Sur la demande en remboursement de l'abattement VRP

Attendu que la SARL Trinome a inclus dans le montant de la rémunération de Madame Delhomme des frais professionnels qui ont fait l'objet sur les bulletins de salaire d'un abattement correspondant au taux de 30 % généralement appliqué aux VRP; que cette pratique contractuellement prévue ne peut être remise en cause par le salarié qui relève au surplus du statut légal d'ordre public des VRP; que la SARL Trinome démontre par ailleurs par ses écritures que l'abattement VRP de 30 % qui a pour effet de diminuer le montant des charges sociales supportées par la salariée n'entraîne en fait aucune perte de salaire; qu'il convient donc de débouter Madame Delhomme de ce chef de demande;

4°) Sur la rupture du contrat de travail

Attendu que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission;

Qu'il est constant en l'espèce que Madame Delhomme a réclamé le 15 janvier 2002 à la SARL Trinome le paiement de commissions afférentes aux mois d'octobre, novembre et décembre 2001 qui devaient selon les termes de son contrat de travail faire l'objet du décompte trimestriel au 31 décembre compte tenu de l'encaissement par l'agence durant le trimestre considéré, des commissions hors taxes; que l'employeur lui a répondu le 21 janvier qu'il effectuerait le paiement après réception du décompte de ses indemnités journalières pour le complément de salaire lié à la régularisation trimestrielle des commissions; que le 24 janvier, Madame Delhomme considérant comme inutile la remise du décompte de la Sécurité sociale a pris acte de la rupture de son contrat de travail motif pris du non-paiement des commissions réclamées; que les commissions dues ont été réglées ultérieurement par la SARL Trinome;

Que s'il est exact que les comptes devaient être effectués entre les parties à la fin de l'année 2001 et le règlement des commissions normalement effectué à cette date il n'est pas formellement contesté que des vérifications pouvaient s'avérer nécessaires pour les dernières affaires de décembre; que par ailleurs, il n'est pas démontré devant la cour que la demande concernant les indemnités de Sécurité sociale formulée par l'employeur était parfaitement inutile et dilatoire; que dans ce contexte le retard de paiement des commissions est explicable en partie par des circonstances indépendantes de la volonté de l'employeur et ne peut donc constituer un manquement suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat à ses torts; que la prise d'acte de la rupture par Madame Delhomme a été prématurée comme l'a justement relevé le conseil de prud'hommes; que cette prise d'acte devant produire les effets d'une démission le jugement sera confirmé de ce chef;

5°) Sur la demande de remise des documents de rupture

Attendu qu'il serait fait droit à la demande concernant la remise de bulletins de salaire et d'une attestation ASSEDIC rectifiés en fonction de la présente décision mais qu'une astreinte n'est pas nécessaire;

Attendu que le présent arrêt entraînant de plein droit la restitution des sommes qui ont pu être versées par l'employeur en exécution du jugement, il n'y a pas lieu pour la cour de statuer sur la demande en remboursement formée par la SARL Trinome;

Attendu que la SARL Trinome qui succombe supportera les dépens; qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel;

Par ces motifs, Dit l'appel recevable, Confirme le jugement entrepris sauf sur l'indemnité allouée à la salariée au titre de la clause de non-concurrence, Statuant à nouveau de ce chef : Dit que les dispositions de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 ne sont pas applicables en l'espèce, Condamne la SARL Trinome à payer à Madame Stéphanie Delhomme la somme de 3 000 euro (trois mille euro) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'obligation de non-concurrence, Y ajoutant : Condamne la SARL Trinome à payer à Madame Stéphanie Delhomme la somme de 1 756,48 euro (mille sept cent cinquante six euro et quarante huit cents) à titre d'indemnité compensatrice de congés payés, Dit que la SARL Trinome devra remettre à Madame Stéphanie Delhomme dans un délai de 15 jours à compter de la notification du présent arrêt, un bulletin de salaire et une attestation ASSEDIC mentionnant cette indemnité de congés payés, Dit n'y avoir lieu application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la SARL Trinome aux dépens.