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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 14 septembre 2006, n° 06-00715

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Boudet

Défendeur :

Technigaz Entretien (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Laporte

Conseillers :

MM. Fedou, Coupin

Avocats :

SCP Guedj, Laisne, SCP Gayraud-Benahji-Danielou, Dumeige Istin

T. com. Pontoise, du 18 janv. 2006

18 janvier 2006

Faits et procédure:

Monsieur Stéphane Boudet a été recruté fin 1991 en qualité de dépanneur par la société Technigaz Entretien, laquelle a pour activité l'achat, la vente, l'installation, la réparation, l'entretien et la transformation d'appareils de chauffage et de production d'eau chaude.

Après avoir exercé ses fonctions pendant plus de dix ans en tant que salarié, Monsieur Boudet a donné sa démission de la société Technigaz et a cessé toute activité pour le compte de celle-ci à compter du 30 septembre 2003; il s'est alors installé à son compte en qualité de plombier-chauffagiste.

C'est dans ces circonstances que la société Technigaz Entretien a, par acte du 17 février 2005, assigné Monsieur Stéphane Boudet aux fins de cessation sous astreinte des agissements anticoncurrentiels imputables à ce dernier ainsi qu'en dommages-intérêts.

Monsieur Stéphane Boudet, se prévalant de son statut d'artisan, a soulevé in limine litis l'incompétence du tribunal de commerce au profit du Tribunal de grande instance de Pontoise.

Par jugement du 18 janvier 2006, le Tribunal de commerce de Pontoise a rejeté cette exception d'incompétence, s'est déclaré compétent pour connaître du fond du présent litige, et a condamné Monsieur Boudet au paiement de la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Stéphane Boudet a formé un contredit à l'encontre de cette décision.

Il rappelle que le tribunal de commerce est une juridiction d'exception, et il observe que la présente affaire oppose une société commerciale à un artisan, lequel, n'ayant pas la qualité de commerçant, aurait dû être attrait devant la juridiction civile de droit commun.

Il soutient que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il incombait à la société Technigaz de prouver l'existence d'actes de commerce réguliers et suffisamment importants pour lui attribuer la qualité de commerçant.

Il fait valoir qu'en tant qu'artisan, il exerce ses fonctions seul, sans la moindre main d'œuvre interne ou externe, et ne spécule nullement sur les matériaux qu'il fournit et qui sont indispensables à son activité.

Il relève que la théorie de la commercialité par accessoire ne saurait s'appliquer lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, les achats de matériels sont accomplis par un non commerçant pour les besoins et à l'occasion de son activité principale civile.

Il estime qu'il ne saurait être assimilé à un commerçant, puisque sa rémunération principale est issue, non de la marge qu'il est susceptible d'effectuer sur un matériel acquis, mais du chiffre d'affaires réalisé essentiellement grâce à son travail et à sa propre main d'œuvre.

Il conteste l'existence d'une prétendue spécificité de l'action en concurrence déloyale, de nature à justifier la compétence du tribunal de commerce pour en connaître, alors qu'en la matière, cette compétence n'est prévue par aucun texte.

Par voie de conséquence, il demande à la cour de déclarer bien fondé son contredit, d'infirmer le jugement entrepris, et, statuant à nouveau, de dire que le Tribunal de commerce de Pontoise est incompétent pour se prononcer sur les réclamations de la société Technigaz à son encontre, et de renvoyer les parties à se pourvoir devant le tribunal de grande instance.

Il réclame en outre la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Technigaz Entretien conclut à la confirmation du jugement.

Elle expose que, compte tenu de la spécificité de l'action en concurrence déloyale diligentée à son encontre, Monsieur Boudet, quand bien même il serait immatriculé au répertoire des métiers, a été attrait à bon droit devant le tribunal de commerce en qualité de concurrent agissant sur le même marché économique qu'elle.

Elle observe que, par application de la théorie de la commercialité par accessoire, la juridiction consulaire connaît des litiges relatifs à des actes de concurrence déloyale, alors même que le défendeur est une personne physique civile, dans la mesure où les actes de concurrence déloyale qui lui sont reprochés se rattachent à une activité économique.

Elle précise que Monsieur Boudet accomplit des actes de commerce de façon habituelle lorsqu'il revend à ses clients des biens meubles, tels que des chaudières ou éléments d'équipement et radiateurs, ce que viennent corroborer les factures et autres documents comptables qu'il a communiqués dans le cadre de la présente instance.

Elle fait valoir que les premiers juges n'ont pas renversé la charge de la preuve en énonçant qu'il appartenait à la partie adverse d'établir qu'il n'effectuait pas d'actes de commerce, dès lors qu'ayant relevé que la concurrence déloyale repose sur une succession d'actes de commerce, ils ont constaté que l'intéressé n'apportait pas la preuve contraire.

Elle invoque l'évolution législative récente, laquelle tend à rapprocher le statut de l'artisan de celui du commerçant, et elle souligne que l'inscription de Monsieur Boudet au répertoire des métiers, qui vaut seulement à titre d'indice, ne s'oppose pas à ce qu'il accomplisse des actes de commerce, plus particulièrement dans le cadre d'une instance en concurrence déloyale.

Elle considère qu'il y a lieu de prendre en compte t'entreprise créée par la partie adverse en tant qu'actrice économique non civile sur un marché concurrentiel, laquelle n'est devenue artisanale qu'à la suite d'un choix unilatéral, au demeurant non immuable et en toute hypothèse nullement incompatible avec l'accomplissement d'actes de commerce.

A titre subsidiaire, elle estime que le caractère tardif de la contestation soulevée par l'intéressé justifie que, pour une bonne administration de la justice, le Tribunal de commerce de Pontoise ne soit pas désaisi de la connaissance de cette affaire.

Elle demande à la cour, en ajoutant à la décision entreprise, de condamner Monsieur Stéphane Boudet à lui verser la somme de 3 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de la décision:

Considérant qu'il résulte des règles générales de compétence d'attribution que la partie qui n'est pas commerçante et qui n'a pas effectué un acte de commerce a le droit d'être jugée par la juridiction civile compétente à son égard;

Considérant qu'en l'occurrence, il est constant que Monsieur Stéphane Boudet, qui exerce la profession de plombier chauffagiste, a le statut d'artisan, régulièrement inscrit depuis le 8 septembre 2003 au répertoire des métiers ;

Considérant que, si l'inscription au répertoire des métiers ne suffit pas, à elle seule, à exclure la compétence de la juridiction commerciale, les documents produits aux débats n'établissent toutefois nullement la nature commerciale de l'activité exercée par l'intéressé ;

Considérant qu'à cet égard, la circonstance qu'il soit procédé à des opérations d'achat de matières premières elles-mêmes revendues n'a pas pour effet de conférer à l'exploitation un caractère commercial, tant que ces opérations restent l'accessoire d'un travail artisanal et n'excèdent pas, par leur nature et leur importance, le cadre d'une activité artisanale;

Considérant que tel est le cas en l'espèce, dès lors qu'il résulte de l'examen de ses comptes de résultat au titre des exercices 2003 et 2004 que Monsieur Boudet a principalement une activité de production, celle relative à la vente des marchandises représentant, pour l'année 2004, seulement l'équivalent d'environ 5 % de son résultat d'exploitation;

Considérant que l'allégation suivant laquelle les achats de marchandises et de matériels relèveraient de la catégorie des actes de commerce par accessoire ne peut davantage prospérer, dans la mesure où il s'avère que Monsieur Boudet est artisan et que son activité principale est artisanale;

Considérant qu'il s'ensuit que ce dernier, qui travaille seul, sans l'apport d'une main d'œuvre interne ou externe, et qui exerce de manière prépondérante une activité de production, transformation et prestation de services, dont il tire l'essentiel de sa rémunération, ne peut être qualifié de commerçant;

Considérant que, par ailleurs, s'il est exceptionnellement dérogé à la compétence des juridictions civiles en matière de prévention des difficultés et de procédure collective affectant une entreprise artisanale, aucune disposition légale n'attribue aux tribunaux de commerce la connaissance des actions en concurrence déloyale diligentées à l'encontre d'un artisan;

Considérant que, dès lors, ni les spécificités inhérentes à ces actions, dont la société Technigaz Entretien se prévaut pour justifier la saisine de la juridiction consulaire, ni la nécessité alléguée par elle d'une bonne administration de la justice, ne sauraient emporter dérogation à la compétence d'attribution de la juridiction civile de droit commun;

Considérant qu'il y a donc lieu d'accueillir le contredit formé par Monsieur Stéphane Boudet, et, en infirmant le jugement déféré, de dire que le Tribunal de commerce de Pontoise est incompétent pour statuer sur les demandes présentées par la société Technigaz Entretien, et de renvoyer la cause et les parties devant le Tribunal de grande instance de Pontoise;

Considérant que l'équité commande d'allouer à Monsieur Boudet une indemnité égale à 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que la société Technigaz Entretien conserve la charge des frais non compris dans les dépens exposés par elle dans le cadre du présent contredit ;

Considérant que cette dernière doit être condamnée aux dépens de ce contredit.

Par ces motifs, Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Déclare recevable le contredit formé par Monsieur Stéphane Boudet, le dit bien fondé; Infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau : Dit que le Tribunal de commerce de Pontoise est incompétent pour statuer sur les demandes formées par la société Technigaz Entretien à l'encontre de Monsieur Boudet ; Renvoie la cause et les parties devant le Tribunal de grande instance de Pontoise ; Dit qu'il sera fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Technigaz Entretien à payer à Monsieur Stéphane Boudet la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute la société Technigaz Entretien de sa demande d'indemnité de procédure ; Condamne la société Technigaz Entretien aux dépens du présent contredit.