CA Bordeaux, ch. soc. C, 18 mai 2006, n° 05-01645
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Richard
Défendeur :
Etablissements Jean Kossmann (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Frizon de Lamotte
Conseillers :
M. Barrailla, Guillout
Avocats :
Mes Dubarry, Deudon
Engagé en qualité de VRP par la SA Etablissements Jean Kossmann le 1er janvier 1983, Monsieur Jean-Jacques Richard a été licencié pour faute lourde le 22 novembre 1996 pour avoir détourné des clients de son employeur afin de les présenter à la société créée par sa compagne.
Par jugement du 29 mai 1998, le Conseil de prud'hommes de Libourne a validé ce licenciement et condamné Monsieur Richard au paiement de différentes indemnités, les unes en réparation du préjudice financier causé à son employeur, les autres au titre de la violation de la clause de non-concurrence.
Il a par ailleurs condamné la société Kossmann au paiement de commissions restant dues à Monsieur Richard.
Par un arrêt du 22 novembre 2002, la cour de céans, après avoir confirmé la qualification de faute lourde donnée par les premiers juges aux agissements de Monsieur Richard, a statué comme suit :
" - Sursoit à statuer sur l'évaluation du préjudice né de cette faute lourde jusqu'au dépôt du rapport d'expertise ordonné par la cour dans le litige entre la société Kossmann et Madame Philippeau,
- Condamne Monsieur Richard à verser la somme de 60 000 euro à valoir sur l'indemnisation définitive;
- Sursoit à statuer sur la réclamation du chef de la violation de la clause de non-concurrence et dit que les débats seront rouverts à l'audience du 13 décembre 2002 à 9 heures 40;
- Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur Richard de sa demande au titre des congés payés;
- Le confirme en ce qu'il a condamné la société Kossmann à verser à Monsieur Richard les commissions restant dues;
- Sursoit à statuer sur l'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile."
Par un arrêt du 31 janvier 2003, la cour, statuant à la suite des dispositions de l'arrêt ci-dessus relatives aux obligations des parties nées de la clause de non-concurrence, a énoncé :
"- Dit que la Convention Nationale des VRP est applicable aux parties et se substitue aux dispositions illicites du contrat;
- Dit que par suite de la violation par Monsieur Richard de son obligation de non-concurrence, celui-ci a été déchu de son droit de percevoir une contrepartie financière ;
- Le condamne pour violation de son obligation, à verser à la société Kossmann la somme de 66 237,72 euro correspondant à une année de salaire;
- Sursoit à nouveau à statuer sur les demandes au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile."
Parallèlement, par un arrêt du 7 juin 2005 intervenu dans l'instance opposant Madame Delphine Philippeau épouse Richard à la société Kossmann assistée de la SELARL Laurent Mayon, la Cour d'appel de Bordeaux a homologué le rapport d'expertise de Monsieur Rascle dans l'attente duquel il avait été sursis à statuer dans ce litige, et condamné Madame Philippeau au paiement de la somme de 141 777,59 euro en réparation du préjudice subi par la société.
Par conclusions écrites développées oralement à l'audience du 23 février 2006 à laquelle la présente affaire a été rappelée, Monsieur Richard demande à la cour de:
"- Constater que la société Kossmann a d'ores et déjà obtenu la fixation de sa créance à l'encontre de la liquidation de Madame Delphine Philippeau;
Principalement,
- Dire et juger qu'en application de la jurisprudence en la matière, les sommes allouées au titre de la clause pénale et des dommages et intérêts devant réparer le préjudice subi par la violation de la clause de non-concurrence sont exclusives l'une de l'autre;
- Dire et juger en conséquence que la somme de 66 237,75 euro allouée par la cour a déjà réparé le préjudice de la société Kossmann, et qu'il n'y a pas lieu d'étudier le rapport de Monsieur Rascle;
- Dire et juger que les sommes que la société Kossmann a été condamnée à verser à Monsieur Richard, soit 17 967,03 euro à titre de commissions sur commandes honorées et 5 771,11 euro sur commandes restant à honorer, issues du jugement confirmé du 29 mai 1998, doivent s'imputer sur la créance de la société Kossmann;
Subsidiairement,
- Dire et juger que la perte de marge sur coût variable subie par la SA Etablissements Kossmann s'élève à 116 531,59 euro;
- Dire et juger que la charge de frais de déplacement retenue par l'expert ne constitue pas un préjudice lié aux agissements de Monsieur Richard ;
- Dire et juger que la perte financière subie par la SA Etablissements Kossmann s'élève à 7 400 euro ;
- Dire et juger que les frais de justice engagés par la SA Etablissements Kossmann s'élèvent à 13 366,56 euro;
- Dire et juger que les frais d'agence de recherches et les frais de recherche universitaire retenus par l'expert ne constituent pas un préjudice lié aux agissements de Monsieur Richard;
- Dire et juger que les sommes que la société Kossmann a été condamnée à verser à Monsieur Richard, soit 17 967,03 euro à titre de commissions sur commandes honorées et 5 771,11 euro sur commandes restant à honorer, issues du jugement confirmé du 29 mai 1998, doivent s'imputer sur la créance de la société Kossmann;
- Dire et juger que la clause pénale d'un montant de 66 237,72 euro à laquelle Monsieur Richard a été condamné par l'arrêt du 31 janvier 2003 doit s'imputer sur la créance de la société Kossmann, les deux indemnités étant exclusives l'une de l'autre en application de la jurisprudence constante en la matière ;
En conséquence,
- Fixer la créance de la SA Etablissements Kossmann de la façon suivante :
* Perte de marge sur coût variable : 116 531,59 euro
* Perte financière : 7 400 euro
* Frais de justice : 13 366,56 euro
* Condamnation de la société Kossmann au titre des commandes honorées (17 967,03 euro) et des commandes restant à honorer (5 771,11 euro): -23 738,14 euro
* Montant de la clause pénale telle que fixée par l'arrêt avant dire droit du 31 janvier 2003 : -66 237,29 euro
Soit : 47 322,29 euro
- Condamner la SA Etablissements Kossmann à payer à Monsieur Richard une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens."
Par conclusions écrites développées oralement à l'audience, la SA Etablissements Jean Kossmann demande à la cour de :
"- Condamner Monsieur Jean-Jacques Richard à verser à la SA Etablissements Jean Kossmann, prise en la personne de son représentant légal, les sommes de :
* 223 694 euro au titre des pertes de résultat,
* 76 201,78 euro au titre des pertes financières;
- Prononcer la compensation avec les sommes dues par les Etablissements Jean Kossmann à Monsieur Richard au titre des commissions sur commandes ;
- Condamner Monsieur Jean-Jacques Richard à verser à la SA Etablissements Jean Kossmann, prise en la personne de son représentant légal, la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise."
Motifs :
Monsieur Richard soutient que dans la mesure où la deuxième chambre civile de la Cour d'appel de Bordeaux a condamné Madame Delphine Philippeau à verser à la société Kossmann la somme de 141 777,59 euro correspondant à sa déclaration de créance à la procédure collective, où les causes du préjudice de cette société sont les mêmes et où c'est le rapport de Monsieur Rascle, expert comptable, qui sert de base à la fixation du montant de la réparation dans les deux instances, la société Kossmann ne saurait prétendre obtenir deux fois la réparation d'un même préjudice.
Il convient cependant d'observer que Monsieur Richard et Madame Philippeau, pour avoir été condamnés à l'occasion de deux instances distinctes, n'en ont pas moins été reconnus responsables d'un même dommage dont chacun doit être condamné à réparer la totalité sauf recours contre son codébiteur selon le régime des obligations contractées in solidum.
Dans son arrêt du 7 juin 2005, la cour d'appel a d'ailleurs énoncé que Madame Philippeau avait été condamnée in solidum avec Monsieur Richard qui l'avait aidée à commettre le détournement de clientèle.
La contestation de Monsieur Richard doit donc être écartée sur ce point.
Monsieur Richard soutient ensuite qu'il ne saurait y avoir cumul entre la clause pénale et les dommages et intérêts et que dès lors que l'arrêt du 31 janvier 2003 l'a condamné du chef de la violation de la clause de non-concurrence, l'indemnité allouée à ce titre est exclusive de dommages et intérêts en réparation du préjudice de la société Kossmann.
Il convient néanmoins d'observer qu'il s'agit en l'espèce de deux chefs de demandes distincts, la violation de la clause de non-concurrence, pour laquelle une condamnation est déjà intervenue, ne pouvant s'entendre que de faits commis postérieurement à la rupture du contrat de travail, alors que la demande de dommages et intérêts présentée par la société Kossmann se fonde sur des agissements constitutifs d'actes de concurrence déloyale commis depuis le 28 décembre 1995, à une époque antérieure à la rupture du contrat de travail, un an avant le licenciement.
L'indemnité forfaitaire allouée pour manquement à l'obligation de non-concurrence et la demande de dommages et intérêts pour le préjudice financier né de la concurrence déloyale destinée à avantager l'entreprise de Madame Philippeau n'ont dès lors pas le même objet et doivent donner lieu à des réparations distinctes.
En ce qui concerne la détermination du préjudice de la société Kossmann, l'expert Monsieur Rascle a retenu comme chefs de dommages imputables aux agissements de Monsieur Richard une perte de résultats, des pertes financières et des débours exposés par la société.
- Pertes de résultats :
Elle se compose de :
1) - Une perte de chiffre d'affaires de 1 814 306 F qui, rapportée à un taux de marge sur coût variable de 50,52 % représente une perte de marge de 916 587 F soit 139 733 euro;
2) - Des frais de déplacement pour un montant de 152 117 F, soit 23 190 euro, correspondant à la prise en charge par la société Kossmann des frais de déplacement du remplaçant de Monsieur Richard afin de réduire au maximum la chute de son chiffre d'affaires;
3) - Des pertes financières estimées à 99 366 F, soit 15 148 euro, après prise en compte des dires des parties ;
4) - Des frais et débours dont le total est justifié par des factures communiquées par les Etablissements Kossmann à hauteur de 17 232,78 euro (frais d'avocats, avoués et huissiers pour 13 366,56 euro, frais d'agence et de recherche sur l'activité de Monsieur Richard pour 3 140,81 euro, frais de recherche universitaire d'ordre juridique pour 725,41 euro).
Le total du préjudice évalué par l'expert s'élève ainsi à 195 303,78 euro.
L'indemnisation des frais d'agence de recherche et de recherche universitaire supportés par la société Kossmann sera prise en compte dans le cadre des frais irrépétibles.
Il y a lieu pour le surplus d'entériner les évaluations auxquelles a procédé l'expert à l'issue d'un travail long et minutieux, après avoir recueilli les dires et observations des parties et tenu compte de leurs contestations.
Le préjudice de la société Kossmann sera en conséquence chiffré à la somme de 195 303,78 - 3 140,81 - 725,41 = 191 437,56 euro.
Il y a lieu d'ordonner la compensation entre cette somme et le montant des commissions au paiement desquelles la société Kossmann a été condamnée au profit de Monsieur Richard par le jugement du 29 mai 1998 confirmé sur ce point par l'arrêt du 22 novembre 2002.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Réformant le jugement du Conseil de prud'hommes de Libourne du 29 mai 1998, Condamne Monsieur Richard à payer à la société Kossmann la somme de 191 437,56 euro en réparation de son préjudice économique consécutif aux agissements de concurrence déloyale de son salarié. Ordonne la compensation entre cette somme et celle au paiement de laquelle la société Kossmann a été condamnée au titre des commissions dues à Monsieur Richard. Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Monsieur Richard à payer à la société Kossmann la somme de 5 000 euro sur le fondement de ce texte. Condamne Monsieur Richard aux dépens.