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Décisions

CA Lyon, 3e ch. civ. A, 10 avril 2008, n° 07-00908

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupe Seb France (SAS)

Défendeur :

Nouveau Monde DDB Action (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvet

Conseillers :

M. Santelli, Mme Clozel-Truche

Avoués :

SCP Baufume-Sourbe, SCP Brondel-Tudela

Avocats :

Selas Vogel & Vogel, SCP Deprez Dian Guignot

T. com. Lyon, 9 janv. 2007

9 janvier 2007

Faits, procédure et prétentions des parties

La société Groupe Seb France a pour activité la vente et la distribution de petits équipements domestiques ménagers et électroménagers notamment des poêles et des crêpières.

La société Nouveau Monde DDB Action est une agence de conseil en marketing qui propose à ses clients des prestations de promotion de ventes.

Désirant organiser une promotion de ses produits de marque Téfal autour de la fête de la chandeleur 2005, la société Groupe Seb France a fait appel à la société Nouveau Monde DDB Action - avec laquelle elle avait déjà travaillé - et les parties ont convenu de retenir une opération commerciale, consistant notamment à proposer aux acheteurs de certains produits (poêle ou crêpière), une réduction de 30 % en cas d'achat durant la période du 5 janvier au 5 février 2005 (à l'exception du 2 février) et un remboursement à hauteur de 100 % de ces produits en cas d'achat le 2 février 2005.

L'évaluation du coût de l'opération en tenant compte du nombre de demandes de remboursement prévisibles a été évalué par la société Nouveau Monde DDB Action à la somme de 442 202,20 euro et la société Groupe Seb France a souscrit une assurance pour couvrir le risque lié aux opérations dans la limite de 723 360 euro, l'assureur ne pouvant être amené à régler une somme supérieure à 361 680 euro.

Le nombre de produits remboursés à 100 % s'est élevé à 370 133 - au lieu de 20 000 prévus - et l'opération de réduction de prix de 30 % a abouti à 11 101 demandes de remboursement.

Invoquant un dépassement très important du coût de l'opération de remboursement total des produits et un manquement à son obligation de conseil par son cocontractant, la société Groupe Seb France a donné assignation à la société Nouveau Monde DDB Action le 26 décembre 2005 devant le Tribunal de commerce de Lyon pour obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 5 816 013,86 euro et, par jugement en date du 9 janvier 2007, la société citée a été condamnée au paiement de la somme de 20 000 euro à titre de dommages-intérêts outre celle de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le 9 février 2007, la société Groupe Seb France a relevé appel de cette décision.

Vu les conclusions de la société Nouveau Monde DDB Action et date du 20 novembre 2007.

Vu les conclusions de la société Groupe Seb France en date du 11 décembre 2007. L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 février 2008.

Motifs de la décision

Attendu que par contrat en date du 30 juin 2004, la société Nouveau Monde DDB Action s'est engagée, pour l'opération "Chandeleur 2005" pour une mission de conseil (recueil de données, recommandations stratégiques, recommandations sur les mécaniques promotionnelles) suivi en conseil sur la mise en œuvre de l'opération), une mission de conception-création et une mission de coordination et suivi technique (évaluation budgétaire des moyens préconisés, mise eu place des aspects logistiques de l'opération);

Attendu que si la société Nouveau Monde DDB Action n'est pas tenue à une obligation de résultat sur le succès de la campagne promotionnelle mise en place ni, dans le périmètre de son contrat, notamment pour les recommandations stratégiques ou pour la gestion des mécaniques promotionnelles, il lui incombe une obligation de prudence et de diligence lui imposant de conseiller son contractant sur la portée des données retenues pour l'opération et sur leurs conséquences prévisibles compte tenu du choix de promotion retenu;

Attendu en l'espèce, sans qu'il soit établi que l'une ou l'autre des parties ait été à l'origine de ce choix, qu'il a été convenu pour l'opération "Chandeleur 2005" d'une part, de proposer aux consommateurs pour la période du 5 janvier au 5 février 2005 - à l'exception du 2 février 2005 - un remboursement à hauteur de 30 % sur le prix d'achat de plusieurs produits de la gamme Téfal et d'autre part le 2 février 2005, le remboursement à hauteur de 100 % du prix d'achat d'un produit Téfal promu (environ 50 produits);

Que pour obtenir le remboursement, l'acquéreur devait adresser, dans des délais précisés (72 ou 24 heures selon la promotion), le code barres du produit, le ticket de caisse, un relevé d'identité bancaire ainsi que son nom et son adresse;

Attendu que les estimations de vente ont été réalisées au mois de juin 2004 par la société Groupe Seb France sur la base des années précédentes (notamment de la "promotion Chandeleur 2001" où pour deux produits achetés, un était remboursé), qui l'ont amené à retenir 100 000 produits vendus le 2 février 2005 pour un prix moyen de 11 euro (courriers électroniques des 2 et 11 juin 2004 adressés à la société Nouveau Monde DDB Action par la société Groupe Seb France);

Que selon la société Post'Up, spécialisée dans les estimations de remontées (demandes de remboursement), 22 000 demandes (22 %) devaient être enregistrées sur la promotion du 2 février 2005 sur la base de la vente de 100 000 produits (éléments de budget du 24 novembre 2004);

Attendu que le nombre de demandes de remboursement pour l'opération "remboursement 100 %" a été de 360 262, le montant moyen des produits remboursés s'élevant à la somme de 19,59 euro;

Que la société Groupe Seb France a ainsi remboursé la somme de 7 057 532,58 euro;

Attendu que l'opération promotionnelle mise on place par la société Groupe Seb France assistée par la société Nouveau Monde DDB Action, a fait l'objet d'une longue préparation qui a débuté dès le mois d'avril 2004;

Attendu que la société Nouveau Monde DDB Action avait déjà travaillé avec la société Groupe Seb France sur l'opération "Chandeleur Téfal 2004" et qu'elle avait alors relevé que les prix promotionnels Téfal ne sont pas respectés (des écarts pouvant aller jusqu'à 25 % avec les prix préconisés), qu'à la "Chandeleur" la part de marché valeur est en moyenne de 9 points supérieurs à sa part de marché annuelle, que les livraisons "Chandeleur" représentent pour Téfal, 90 % des volumes et 80 % du chiffre d'affaires annuels de crêpières et 25 % des volumes et 25 % du chiffre d'affaires annuels de poêles, que les ventes Chandeleur représentent pour les magasins 62 % des volumes et 51 % du chiffre d'affaires annuels de crêpières et 15 % des volumes et 13 % du chiffre d'affaires annuels de poêles et que le prix resterait le critère d'achat n° 1 face à la concurrence;

Attendu que chacune des parties avaient connaissances de ces données, ainsi que des ventes des années précédentes pour lesquelles les promotions se limitaient à offrir en 2004, un CD ROM (de recettes de cuisine et de chansons pour faire la fête) pour l'achat d'un produit Téfal + un euro et en 2003, des entrées gratuites dans des parcs d'attraction;

Que de même, le plus grand nombre de taux de retour s'est produit pour l'année 2001 (13,3 %), alors que l'offre promotionnelle ne prévoyait, pour l'achat de deux produits Téfal, que le remboursement du moins cher;

Attendu que ces seuls éléments auraient du inviter les parties, chacune dans leur domaine (société Groupe Seb France pour l'estimation des ventes et des prix, société Nouveau Monde DDB Action pour l'ajustement des pratiques promotionnelles), à mener des études précises sur l'impact de ce type de promotion sur les ventes et donc les demandes de remboursement ;

Qu'au regard de ces précédents, aucun des courriers électroniques échangés durant les neuf mois de préparation de l'événement, ne fait état du changement de dimension de la promotion "Chandeleur 2005" relative au remboursement total de tout achat le 2 février 2005 ou ne s'interroge sur la fiabilité des chiffres de ventes prévus, calculés sur des opérations à l'évidence moins attractives, ou sur le taux de retour retenu de 22 %, proche de celui de 2001, pour une offre beaucoup moins intéressante pour le client,

Qu'en particulier, la société Groupe Seb France ne justifie, avant l'opération, d'aucune étude sérieuse et prospective des possibilités de ventes et qu'elle ne se proposait pas alors d'estimer le nombre de produits qui se trouveraient en rayon entre le 5 janvier et le 5 février 2005, susceptibles d'être acquis et remboursés;

Attendu que la société Nouveau Monde DDB Action, notamment chargé des recommandations stratégiques et des recommandations sur les mécaniques promotionnelles n'a pas pris la mesure de l'ampleur prévisible d'une promotion réalisée pour la première fois avec ce mode de remboursement, pour laquelle la société Groupe Seb France avait passé des contrats de partenariat avec toutes les sociétés nationales de grandes surfaces de vente et qui s'est traduite par la diffusion notamment de 1 300 000 bulletins et de 10 millions de prospectus par enseigne;

Qu'elle se devait d'attirer l'attention de la société Groupe Seb France sur les quantités non contrôlables de vente et de lui conseiller de limiter les offres à un certain nombre de produits, en leur affectant un signe distinctif, enlevant ainsi tout aléa quantitatif à la promotion.

Attendu de même qu'il aurait du apparaître comme relevant de l'évidence commerciale pour des professionnels comme la société Groupe Seb France et la société Nouveau Monde DDB Action, qu'il existait une forte probabilité que les acheteurs éventuels de produits Téfal - qui ne sont pas de nécessité immédiate -, allaient différer momentanément leurs achats pour bénéficier du remboursement à hauteur de 100 %, ce que confirme le fait que la promotion relative au remboursement à 30 % n'a pas atteint ses prévisions;

Que d'ailleurs, les ventes - et les demandes de remboursement - auraient été encore plus nombreuses, si les surfaces de vente n'avaient pas été en rupture de stocks, ce que relèvent de nombreux clients dans les courriers de protestation adressés à la société Groupe Seb France (pièces 51), dont l'un se plaint de ne pas avoir pu participer à cette superbe opération promotionnelle;

Attendu que ni l'une ni l'autre des parties n'ont anticipé les conséquences prévisibles de leur choix de stratégie promotionnelle, qu'ils mettaient en œuvre pour la première fois;

Attendu qu'il résulte de ces éléments, qu'en acceptant de retenir l'offre promotionnelle du 2 février 2005 sans attirer l'attention de la société Groupe Seb France sur ses conséquences prévisibles et sans lui préconiser la limitation en nombre des produits objets de la promotion, la société Nouveau Monde DDB Action a failli à son obligation de conseil, en relation directe avec le préjudice subi par la société Groupe Seb France;

Que sa seule proposition de limiter les moyens de diffusion publicitaire de l'offre (nombre de prospectus : courrier électronique de Catherine Petit du 5 mai 2004) était insuffisante eu égard à l'élément essentiel de la promotion (remboursement total de l'achat);

Attendu cependant, que les fautes d'appréciation de la société Groupe Seb France ainsi que les insuffisances des études qu'elle était seule ê pouvoir mener, est à l'origine de la plus grande part du préjudice qu'elle a subi;

Qu'en effet, elle n'a pas su déterminer à l'avance - y compris en s'informant auprès des ses principaux clients - le nombre de produits se trouvant en rayon, sur lesquels allait porter la promotion du 2 février 2005;

Que de même, alors qu'elle avait constaté les années précédentes un non respect des prix de vente promotionnelle, elle n'a pas su prévoir le prix moyen des produits de sa gamine qui allaient être vendus et qui est directement à l'origine du montant des remboursements, ce d'autant que les clients avaient tout intérêt à acquérir les produits les plus onéreux eu égard au mode de remboursement à 100 %;

Qu'en retenant une prévision de vente de 100 000 produits le 2 février 2005, sans réaliser d'études sérieuses et sans tenir compte de l'impact des promotions très limitées des années précédentes, la société Groupe Seb France a induit en erreur ses contractants qui en ont déduit

(société Post'Up), des prévisions de remboursement nettement sous évaluées;

Attendu enfin, que les deux sociétés auraient du à l'évidence percevoir que les potentialités d'achat des produits Téfal, allaient se concentrer sur la journée du 2 février 2005 au détriment de la promotion s'étalant sur tout le mois et concerner les produits les plus chers et que la société Nouveau Monde DDB Action a commis une faute de stratégie promotionnelle qui relevait de sa compétence;

Attendu que compte tenu de ces éléments, il convient de retenir la responsabilité de la société Nouveau Monde DDB Action à hauteur de 20 % du préjudice subi par la société Groupe Seb France;

Attendu sur le montant du préjudice, que le nombre de demandes de remboursement de produits à 100 % a excédé de 335 262 celui estimé;

Que compte tenu des contrôles réalisés par l'expert de l'assurance de la société Groupe Seb France, portant sur 225 000 demandes de remboursement et du nombre de retours non conformes, le nombre de retours supplémentaires subis par la société appelante s'établit à 193 806.

Attendu que les prévisions du coût de l'opération s'élevaient à 25 000 x 11 euro soit à la somme de 275 000 euro;

Attendu que ne peut être imputés à faute à la société Nouveau Monde DDB Action, l'erreur d'appréciation commise par la société Groupe Seb France sur le prix moyen des produits qui allaient bénéficier de l'opération "remboursement 100 %" et que le préjudice subi par l'appelante s'élève ainsi à la somme de 2 131 866 euro (193 806 X 11 euro);

Attendu que compte tenu du remboursement de l'assurance (200 000 euro) et des coûts supplémentaires entraînés par le nombre de retours, il convient de fixer à la somme de 1 800 000 euro le préjudice subi par la société Groupe Seb France;

Que compte tenu du partage de responsabilité opéré, il ya lieu, en infirmant le jugement déféré, de condamner la société Nouveau Monde DDB Action au paiement de la somme de 360 000 euro outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision;

Attendu que l'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel comme régulier en la forme, Infirme le jugement et statuant à nouveau, Condamne la société Nouveau Monde DDR Action à payer à la société Groupe Seb France la somme de 360 000 euro, Rejette les autres demandes, Fait masse des dépens qui seront supportés à concurrence des 4/5 par la société Groupe Seb France et de 1/5 par la société Nouveau Monde DDE Action, ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.