CA Caen, 1re ch. sect. civ. et com., 20 septembre 2007, n° 06-00563
CAEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Back Europe France (SA)
Défendeur :
Corman France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Fevre
Conseillers :
Mmes Holman, Boissel Dombreval
Avoués :
SCP Parrot Lechevallier Rousseau, SCP Grammagnac-Ygouf Balavoine Levasseur
Avocats :
Me Lehuede, SELARL Mayne
LA COUR,
Vu le jugement du 10 février 2006 du Tribunal de commerce de Coutances qui a notamment déclaré irrecevable l'action en dommages et intérêts fondée sur l'article L. 442-6-1°) du Code de commerce intentée par la SA Coopérative Back Europe France à l'encontre de la SAS Corman France et a accordé à cette dernière 300 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu l'appel de la SA Coopérative Back Europe France et ses conclusions du 19 juin 2007 par lesquelles elle demande à la cour de réformer la décision entreprise, sur le fondement des articles L. 442-6-1°), L. 420-1 et L. 420-3 du Code de commerce, dire que Corman France, en pratiquant deux tarifs de base, l'un pour les produits à destination d'Auchan et des grandes et moyennes surfaces, l'autre pour les produits à destination des boulangers-pâtissiers, et ce sur le beurre " Tourage " plaque de un kilogramme, sur le beurre " Incorporation " plaque de dix kilogrammes, et sur le beurre " Incorporation " plaque de un kilogramme, a commis une pratique discriminatoire en avantageant les premières par rapport aux seconds, entre le 27 mars 2002 et le 31 décembre 2003 ; enjoindre à Corman France, dans la huitaine de l'arrêt à intervenir de mettre en place et de communiquer à Back Europe France un tarif de base identique sur les produits sus désignés et ce qu'ils soient à destination de la société Auchan et des grandes et moyennes surfaces ou des boulangers-pâtissiers ; renvoyer les parties à négocier les conditions d'achat et de vente sur ces bases ; dire que faute par Corman France d'y satisfaire dans le délai sus imparti, elle sera condamnée à payer à Back Europe France la somme de 20 000 euro par jour de retard ; ordonner une expertise à l'effet de convoquer les parties, entendre et recueillir leurs explications, donner à la cour tous éléments permettant de déterminer le préjudice subi par Back Europe France du fait de la pratique discriminatoire liée à la mise en place de deux taris de base différenciés sur les mêmes produits ; condamner Corman France à lui payer la somme de 10 000 euro à titre de provision ; ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans deux journaux professionnels, au choix de la société Back Europe France et aux frais de Corman France sans que le coût ne dépasse 5 000 euro par insertion ; condamner Corman France à lui payer à la société Back Europe France la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les conclusions du 13 juin 2007 de la SAS Corman France qui demande à la cour de constater son absence de qualité à défendre, l'absence d'intérêt à agir de Back Europe France, confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de Back Europe France à son encontre, en tout état de cause la débouter, infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Corman France de ses demandes de dommages et intérêts ; condamner Back Europe France à lui payer 15 000 euro de dommages et intérêts en raison du caractère abusif de son action et 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu qu'il résulte des termes de l'article L. 442-6-I du Code de commerce que le fait de pratiquer à l'égard d'un partenaire économique des conditions de vente ou des modalités de vente discriminatoires non justifiées par des contreparties réelles engage la responsabilité de son " auteur " ; que la mise en œuvre de ce texte implique que soient réunies deux conditions cumulatives : que la personne physique ou morale poursuivie soit " l'auteur " des faits incriminés et que les pratiques aient lieu à l'égard d'un " partenaire économique " ; que ces deux conditions existent, même si l'on situe la responsabilité sur un terrain délictuel ;
Attendu que la SAS Corman France se qualifie d'agent commercial français de la SA de droit belge Corman ; qu'il n'apparaît pas qu'elle soit inscrite au registre spécial des agents commerciaux, mais qu'il s'agit là d'un simple mode de preuve ; que Corman France indique qu'elle est rémunérée à la commission et produit une lettre de Corman Belgique du 21 décembre 1999 confirmant sa mission d'agent commercial sur le territoire français en contrepartie d'une commission de 0,10 F par kilo de produit vendu par Corman Belgique ; qu'elle produit aussi des factures de commissions adressées à Corman Belgique ; qu'elle fait valoir qu'elle propose aux " potentiels et actuels clients de la SA Corman Belgique " la formation de contrats de vente avec cette dernière ; qu'il n'est pas contesté que les factures ont toujours été transmises par la SA Corman Belgique ; que les factures versées aux débats ont été émises par Corman Belgique ; que les conditions générales de vente, en français et en anglais, sont celles de Corman Belgique ; que les règlements ont toujours été effectués par Back Europe France au bénéfice de Corman Belgique pour les commandes qui lui ont été passées ; que les contrats de vente ont été conclus entre Corman Belgique, vendeur, et Back Europe, acheteur, et exécutés, fourniture de marchandises et paiement, directement entre eux ; que Corman France apparaît comme un simple mandataire, qui ne saurait être un commissionnaire, contrairement à ce que prétend l'appelante, ne s'étant pas engagé personnellement, les engagements étant conclus directement entre le vendeur et l'acheteur ;
Attendu que Back Europe soutient que les négociations tarifaires ont été faites avec Corman France ; mais que ceci est contesté, est improbable compte tenu de la nature des relations entre les parties et n'est pas prouvé ; que Corman France déclare qu'elle ne détermine pas le prix de vente des produits litigieux ; que des correspondances se référant à des négociations tarifaires sont en provenance et à destination de la compagnie laitière Food Service, non concernée par le présent litige, ou de Corman Belgique ; qu'un fax de Corman Belgique à Auchan du 19 mai 1999 se réfère à une " rencontre " du 14 mai, à des " entretiens " et fait une proposition de collaboration indiquant des tarifs ; qu'un autre fax du 23 novembre 1999 de Corman Belgique à Back Europe indique les conditions de finalisation du référencement Auchan de la gamme " Beurissimo " de Corman Belgique en faisant état d'une rencontre Auchan-Back Europe et Corman des 16 et 17 novembre 1999 ; que les prix argués de discrimination ont apparemment été négociés entre Corman Belgique et Auchan ; que le 8 mars 2002 Back Europe France écrivait à Corman Belgique à l'attention de M. Jean-Marc C " malgré notre rencontre du 25 février 2002 à Theix, je n'ai, à ce jour, concernant le beurre livré à nos concurrents, la confirmation de votre proposition de tarification " ; que Back Europe France a aussi reçu des courriers de Corman France contenant notamment des " confirmations " de tarifs et conditions de ventes, lui a adressé des demandes concernant ces tarifs et a adressé une mise en demeure, se référant à la lettre du 8 mars, " de faire bénéficier Back Europe France d'un produit de même qualité et de même prix ", non à Corman Belgique ni à Corman France 20,22 rue des petits hôtels 75010 Paris ou 50890 Condé-sur-Vire, les deux adresses figurant sur le papier à en-tête de Corman France, mais à " CL FS Corman M.D " ; que la multiplicité de ces contacts pouvait créer une ambiguïté ; mais que celle-ci a été levée par une lettre du 16 juin 2003 de Corman Belgique sous la signature de Didier F conseiller juridique, à l'avocat de Back Europe, se référant à un courrier adressé à M. E contenant apparemment des accusations de " distorsion de concurrence " et " pratique discriminatoire " et déclarant " à titre préliminaire, je vous saurai gré, à l'avenir de bien vouloir adresser toute correspondance à mon attention au siège de la SA Corman, société de droit belge, qui est la cocontractante de votre cliente " ; que l'avocat répondait le 23 juillet 2003 à Corman Belgique et lui demandant communication de " vos " conditions de vente à Auchan..... les accords de coopération commerciale, vos barèmes ; qu'il résulte de la combinaison de ces éléments que c'est Corman Belgique qui négociait et déterminait, ainsi que cela est logique, les prix de vente de ses produits ; que lorsque Corman France écrivait à la première personne du pluriel dans ses courriers, tel que celui du 3 janvier 2003 se référant à " notre proposition concernant Auchan " et à " un prix négocié entre Corman et Auchan ", elle s'exprimait au nom et pour le compte de Corman Belgique, l'imprécision des termes étant justifiée par la parfaite connaissance par Back Europe de la situation ;
Attendu que c'est donc la SA de droit belge Corman qui est le seul auteur des pratiques arguées de discrimination abusive et que c'est aussi elle seule qui est le partenaire économique de Back Europe France ; que l'article L. 442-6-1°) ne peut recevoir application dans le cadre du présent litige ;
Attendu que pour les raisons ci-dessus exposées, il n'est pas non plus pertinent pour Back Europe France d'invoquer à l'encontre de Corman France les articles L. 420-1 et L. 420-3 du Code de commerce ; qu'aucune nullité d'engagement n'est d'ailleurs demandée ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède et des motifs non contraires du tribunal qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de Back Europe France à l'encontre de Corman France ; que Corman France n'établit pas avoir subi du fait de la procédure un préjudice distinct de l'engagement de frais irrépétibles ; qu'il est équitable de lui accorder 5 000 euro à ce dernier titre pour la procédure d'appel ;
Par ces motifs, - Confirme le jugement entrepris, dans les limites de la saisine résiduelle de la cour, notamment en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de la SA Coopérative Back Europe France à l'encontre de la SA Corman France ; - Condamne la SA Coopérative Back Europe France à payer à la SA Corman France la somme supplémentaire de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; - Déboute les parties de leurs autres demandes ; - Met à la charge de l'appelante les dépens d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.