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Décisions

Conseil Conc., 7 mai 2008, n° 08-D-10

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre par les sociétés France Télécom et France Télévisions dans le secteur de la télévision de rattrapage

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Mac Namara, M. Bourhis, par Mme Perrot, Vice-Présidente, présidente de séance, Mmes Behar Touchais, Renard Payen, Xueref, MM. Flichy, Honorat, membres.

Conseil Conc. n° 08-D-10

7 mai 2008

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 8 octobre 2007, sous les numéros 07/0069 F et 07/0070 M, par laquelle l'Association Française des opérateurs de réseaux et de services de télécommunications (AFORST) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés France Télécom et France Télévisions et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les observations présentées par les sociétés France Télécom, France Télévisions et l'AFORST ; Vu l'avis n° 2008-0017 de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 8 janvier 2008 ; Vu l'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 15 janvier 2008 ; Vu les décisions de secret des affaires n° 08-DSA-17 du 16 janvier 2008, n° 08-DSA-18 du 16 janvier 2008, n° 08-DSA-19 du 21 janvier 2008, n° 08-DSA-34 du 18 février 2008 ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés France Télécom et France Télévisions, et de l'AFORST, entendus lors de la séance du mardi 18 mars 2008 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Le Conseil de la concurrence a été saisi le 8 octobre 2007 par l'Association Française des Opérateurs de Réseaux et de Services de Télécommunications (AFORST) de pratiques mises en œuvres par les groupes France Télécom et France Télévisions en matière de " télévision de rattrapage ".

2. La saisissante dénonce un partenariat intervenu entre ces deux sociétés et permettant au groupe France Télécom de distribuer en exclusivité certains programmes du groupe France Télévisions, sous forme de " télévision de rattrapage " (service dénommé " Rewind TV ").

3. L'AFORST estime, en premier lieu, que l'exclusivité obtenue par France Télécom constitue un abus de la position dominante détenue par cette dernière sur le marché de la fourniture d'accès haut débit aux offres multiservices des opérateurs ADSL. Elle fait valoir, en second lieu, que cette pratique revêtirait le caractère d'une vente liée interdite par les articles 82 du traité CE et L. 420-2 du Code de commerce.

4. L'exclusivité constituerait, par ailleurs, un abus de position dominante du groupe France Télévisions sur le marché des services de télévision de rattrapage. L'AFORST reproche à France Télévisions d'imposer aux producteurs indépendants une obligation de cession de droits. L'association demande également au Conseil de la concurrence de sanctionner chacun des deux partenaires pour abus de position dominante, pour avoir négocié l'accord " dans des conditions non transparentes et discriminatoires ".

5. Enfin, l'accord dénoncé serait contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du Traité CE, en ce qu'il caractériserait une entente verticale entre France Télécom et France Télévisions. L'accord constituerait par ailleurs une entente horizontale en raison de la négociation collective qui serait intervenue entre France Télévision et de nombreux producteurs concurrents.

6. Ces pratiques auraient, selon la saisissante, pour objet et pour effet de restreindre l'exercice d'une concurrence effective et loyale entre les fournisseurs d'accès Internet et de porter atteinte à la libre concurrence sur le marché amont de la production audiovisuelle indépendante.

7. L'AFORST considère que cet accord est susceptible de porter une atteinte grave et immédiate au secteur des télécommunications et à l'intérêt des consommateurs. Elle sollicite le prononcé de mesures conservatoires tendant à suspendre l'accord litigieux et à enjoindre à France Télévisions et à France Télécom de renoncer au caractère exclusif de l'accord. La saisissante demande, enfin, au Conseil de la concurrence d'enjoindre à France Télécom de ne lier aucun " service additionnel " à la souscription d'une offre multiservices sur ADSL.

B. LA TELEVISION DE RATTRAPAGE

8. Les services de télévision de rattrapage ou " catch up TV " permettent de regarder en différé et à la demande, les programmes qui ont préalablement été diffusés en linéaire par les chaînes de télévision. Ces services sont disponibles sur différents équipements : télévisions, ordinateurs, téléphones portables. Ce service permet aux téléspectateurs de visionner un programme qu'ils auraient manqué lors de sa diffusion en linéaire.

9. D'un point de vue technique, ce service fonctionne de la même manière que la vidéo à la demande. La VOD comme la " catch up TV " est un service de transmission de programmes audiovisuels sur demande individuelle.

10. Le groupe TF1 a précisé au cours de l'instruction que : " la catch up TV ou télévision de rattrapage constitue une offre ponctuelle et ne concerne qu'une petite partie des programmes diffusés sur une chaîne. Elle permet de proposer (en ce qui concerne TF1 en général à minuit après la diffusion sur l'antenne), un programme soit gratuitement, soit en paiement à l'acte pendant une durée déterminée. Elle est un prolongement de la diffusion d'un programme sur la chaîne. L'offre étant émergente, comme dans une certaine mesure celle de VOD, il est délicat de différencier les deux en termes de marché, même si l'on peut à ce stade considérer que la télévision de rattrapage est un ensemble séquent de la VOD ".

11. De même, le groupe M6 a indiqué que : " la télévision de rattrapage, bien qu'elle consiste en un service non linéaire, s'apparente à de la télévision. Elle consiste à proposer, pendant une courte période suivant leur diffusion à l'antenne, les programmes diffusés sur la chaîne. L'offre de programme se fait dans la continuité de l'antenne. Elle ne vient pas en substitution de la chaîne, comme c'est le cas des magasins de vidéo à la demande, dont les contenus sont des programmes de catalogue qui ne sont pas liés à une chaîne en particulier ".

12. De nombreux programmes de télévision sont aujourd'hui accessibles sur des sites Internet. Les chaînes de télévision proposent souvent, en effet, de visionner certains de leurs programmes à partir de leur site internet. Ces contenus sont alors visionnés sur un écran d'ordinateur.

13. Dans son avis, l'ARCEP apporte plusieurs précisions sur la distinction qu'il convient d'opérer entre les services de télévision de rattrapage disponibles sur ordinateur et ceux disponibles sur télévision :

" s'agissant des réseaux fixes, il convient par ailleurs de distinguer les offres disponibles sur le téléviseur de celles disponibles sur ordinateur. Ainsi dans le premier cas l'opérateur dimensionnera son réseau de sorte que la qualité de l'image soit équivalente à celle produite en diffusion hertzienne terrestre par exemple, et s'assurera par ailleurs, s'agissant d'un opérateur DSL, que le flux télévisuel soit protégé entre son dernier équipement actif, c'est-à-dire le DSLAM, et l'équipement terminal du client. Ainsi, en cas de congestion sur ce dernier segment, le flux télévisuel aura toujours une priorité supérieure aux flux Internet.

Les contenus des offres disponibles directement sur Internet sont quant à eux transportés sur les réseaux sans qu'aucune priorité ne leur soit accordée. Aussi, dès lors qu'ils ne sont disponibles qu'en streaming, la continuité du flux et la qualité de l'image ne peuvent être garanties. Les contenus ayant fait l'objet d'un paiement à l'acte sont donc généralement téléchargés totalement ou partiellement dans une mémoire tampon.

Il convient enfin d'ajouter que l'équipement naturel pour visionner des contenus produits par des professionnels (films de télévision, documentaires, séries etc.) demeure la télévision. Elle procure un confort supérieur à la consommation des mêmes contenus sur un ordinateur ".

14. Dans son avis, le CSA dresse un panorama des services de télévision de rattrapage proposés par les chaines de télévisions en France, dont il ressort que l'offre est à ce jour particulièrement limitée :

" deux chaînes du secteur public proposent des services de télévision de rattrapage, disponibles uniquement sur Internet :

• Arte propose un service appelé " ARTE+7 " dont l'accès est gratuit ;

• France 5 propose un service sur le site france5.fr dont l'accès est gratuit ; les contenus mis à disposition sont essentiellement des documentaires.

Par ailleurs, la société TF1 propose sur son site tf1.fr une rubrique " vidéos " qui offre des contenus gratuits liés à des émissions diffusées sur son antenne. Le service propose des journaux télévisés, quelques émissions sportives et quelques émissions de flux. Une faible partie des programmes diffusés est disponible sur ce service et la date de diffusion du programme n'est souvent pas mentionnée.

La société M6, malgré l'annonce publique en janvier 2007 du lancement d'une offre de télévision de rattrapage de ses programmes, ne propose gratuitement sur son site que quelques magazines produits par des producteurs liés à la chaîne comme Capital, E=M6 ou encore Turbo. Ces programmes n'ont pas nécessairement été diffusés récemment sur la chaîne. La société M6 a affirmé son intention de lancer une offre de télévision de rattrapage plus complète, gratuite pour l'utilisateur car financée par de la publicité. Cette offre pourrait être accessible auprès de fournisseurs d'accès à Internet ".

15. Le groupe TF1 a précisé le 12 février 2008, en réponse au questionnaire adressé par les rapporteurs, que ses programmes, diffusés par TF1 Vision, étaient disponibles chez Free, Neuf, Club Internet, SFR et Alice en TV sur ADSL. L'ensemble de ces FAI a choisi de financer ce service par paiement à l'acte, ou par abonnement. Le groupe a néanmoins mentionné qu'" [O]range n'a pas accepté de distribuer l'offre du groupe TF1 ", TF1 ayant refusé d'être référencé sur une base exclusive : " [d]ans l'état actuel du marché, le groupe TF1 estime que la distribution des offres de VOD doit se faire de manière non exclusive afin de faciliter le déploiement des offres de téléchargement légales et d'offrir une alternative la plus exhaustive possible au piratage. De plus, l'offre de vidéo à la demande du groupe TF1 s'appuyant en partie sur des programmes issus de la chaîne, il semble logique que l'offre de VOD soit accessible partout où la chaîne l'est ".

16. Le groupe TF1 a donc clairement indiqué qu'il s'opposait à toute diffusion de ses programmes en TV ADSL sur une base exclusive : " la position du groupe TF1 est de privilégier l'accès des offres de VOD et catch up TV des chaines de télévision sur toutes les plateformes, afin de faciliter le déploiement de l'offre légale, l'adoption des nouveaux modes de consommation numérique par les téléspectateurs internautes, la complémentarité entre les antennes et leurs services associés ".

17. Pour TF1, " la télévision de rattrapage est un service nouveau et émergent pour lequel il existe des perspectives, mais pour lequel il est aujourd'hui difficile de dire s'il correspond à une demande forte des téléspectateurs. Ceci est d'autant plus vrai que cette offre s'inscrit dans la forte croissance des offres élargies de télévisions (ADSL, TNT, TMP[Télévision mobile personnelle]) ".

18. Interrogé sur la spécificité des services de télévision de rattrapage, le groupe TF1 a estimé que " dans la mesure où les services de télévision de rattrapage utilisent la marque de la chaîne et sont dédiés exclusivement aux programmes diffusés sur ladite chaîne, ce service constitue bien un service spécifique de la chaîne à la différence de la VOD qui offre des programmes non systématiquement diffusés sur la chaîne. Ceci ne signifie pas pour autant que les offres de télévision de rattrapage des chaînes généralistes nationales ne soient pas substituables entre elles ".

19. Le groupe M6 a précisé le 10 janvier 2008, en réponse au questionnaire précité, qu'il disposait sur son site internet ainsi qu'en TVADSL d'une plateforme permettant de visionner des programmes payants ou gratuits : "quelques contenus sont proposés gratuitement dans le but d'attirer le client sur le service afin qu'il consomme des contenus payants. L'offre de contenus est constituée de contenus de catalogue, diffusés par le passé sur l'antenne de M6 ou indépendants de la programmation de l'antenne de M6". L'accès à la plateforme M6 vidéo en TV ADSL est disponible de manière non exclusive, auprès des FAI suivants : Free, Neuf Cegetel, Club Internet, Darty Telecom, Telecom Italia. Le service est financé par un partage des recettes d'exploitation entre le groupe M6 et le distributeur, recettes provenant de la facturation du service à l'utilisateur. La diffusion en mode non linéaire fait l'objet d'expérimentations, et l'offre disponible est pour l'instant assez limitée.

20. Le groupe précise qu'il étudie actuellement la possibilité de diffuser plus largement ses programmes en TV ADSL.

21. S'agissant de la demande existante pour les services de télévision de rattrapage, les chaînes estiment que ce service répond à une attente forte mais à un usage très ponctuel de la part des téléspectateurs. Le groupe M6 considère en effet qu' " il existe une attente forte de la part des téléspectateurs pour ce type de service. En effet proposer une deuxième chance au téléspectateur qui n'a pu se rendre disponible pour suivre un programme qu'il souhaitait regarder constitue un service à forte valeur ajoutée pour le public et qui s'inscrit assez naturellement dans la continuité de l'antenne pour une chaîne. Bien que l'attente soit très forte, la demande pour ce service répond à des usages très ponctuels, exceptionnels de la part des téléspectateurs ".

C. LES SECTEURS D'ACTIVITE

a) Les éditeurs de chaînes de télévision

22. Les fréquences du réseau analogique hertzien sont occupées par TF1, France 2, France 3, France 5, Arte, M6 et Canal+. Les ressources des chaînes publiques proviennent majoritairement de la redevance (64 % pour France Télévisions en 2006), tandis que les chaînes privées gratuites (TF1 et M6) trouvent majoritairement leur financement dans la publicité et Canal+ dans les abonnements.

23. Le groupe TF1 a annoncé avoir réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 2 763,6 millions d'euro pour l'exercice 2007 dont 1 718,3 millions d'euro de recettes publicitaires nettes, soit environ 62 % de son chiffre d'affaires. Le groupe Canal + a annoncé avoir réalisé un chiffre d'affaires de 1 740 millions d'euro en 2007 et le groupe de télévision M6 un chiffre d'affaires de 1 356 millions d'euro en 2007.

24. Les chaînes généralistes présentes sur le réseau hertzien sont détenues majoritairement, soit par l'Etat, soit par des groupes industriels intégrés dans la chaîne des médias et de la publicité (Bouygues, Vivendi), ou fortement implantés dans le secteur des médias (RTL Group - Bertelsman).

25. Le secteur public de la télévision en France est regroupé, depuis la loi du 1er août 2000, au sein de la holding France Télévisions, dont le président est nommé par le CSA. Cette société regroupe France 2, France 3, France 4, France 5 et RFO. La chaîne Arte, née d'un traité signé entre la France et l'Allemagne, est détenue à 50 % par chacun des deux Etats. Enfin, la Chaîne Parlementaire, créée par la loi du 30 décembre 1999, qui a une mission de service public, est diffusée gratuitement sur la TNT.

26. Depuis le lancement de la TNT, en 2005, les chaînes hertziennes généralistes gratuites sont confrontées à une baisse de leurs audiences. Cette érosion profite notamment aux chaînes thématiques présentes sur la TNT qui sont souvent détenues par les groupes déjà présents dans la télévision hertzienne ou par de nouveaux entrants comme Lagardère (Gulli, Virgin 17, Canal J...), par ailleurs fortement présents dans la production audiovisuelle, comme Bolloré (Direct 8).

27. L'audience des chaînes hertziennes en clair en 2006 telle que publiée par l'institut Médiamétrie apparaît dans le graphique suivant :

<emplacement tableau>

b) La production audiovisuelle

28. Aux termes de l'article L. 132-23 du Code de la propriété intellectuelle, " le producteur de l'œuvre audiovisuelle est la personne physique ou morale qui prend l'initiative et la responsabilité de la réalisation de l'œuvre ". L'article L. 132-24 dispose que le contrat qui lie le producteur aux auteurs d'une œuvre audiovisuelle emporte " cession au profit du producteur des droits exclusifs d'exploitation de l'œuvre audiovisuelle ". Le décret n° 2001-609 du 9 juillet 2001 précise que le producteur prend " personnellement ou partage solidairement l'initiative et la responsabilité financière technique et artistique de la réalisation de l'œuvre et en garantit la bonne fin ".

29. Le décret n° 90-66 du 17 janvier 1990, modifié par le décret du 23 décembre 2004, définit les œuvres audiovisuelles comme " les émissions ne relevant pas d'un des genres suivants : œuvres cinématographiques de longue durée ; journaux et émissions d'information ; variétés ; jeux ; émissions autres que fictions majoritairement réalisées en plateau ; retransmissions sportives ; messages publicitaires ; télé-achat ; auto-promotion ; service de télétexte ".

30. Les critères permettant de définir une œuvre réputée indépendante sont précisés dans le décret n° 2001-609 du 9 juillet 2001, modifié, qui prévoit, comme premier critère, que les droits de diffusion par voie hertzienne en mode analogique n'ont pas été acquis par l'éditeur de services pour plus d'une diffusion en exclusivité intervenant dans un délai maximal de dix-huit mois à compter de la livraison de l'œuvre. Ces contrats peuvent toutefois prévoir un droit d'option prioritaire et exclusive au profit de l'éditeur de services pour des diffusions supplémentaires et ce pour une période qui ne peut excéder quarante deux mois, sous réserve que le prix de ces rediffusions soit fixé dans le contrat initial. Par ailleurs, s'agissant des droits pour d'autres utilisations, chaque mandat de commercialisation fait l'objet d'un contrat distinct et doit avoir été négocié " dans des conditions équitables ". En outre, l'éditeur ne doit pas détenir, directement ou indirectement, des parts dans l'entreprise de production. Le financement d'une œuvre audiovisuelle est assuré en partie par un producteur délégué, par une ou plusieurs chaînes de télévision, par d'autres producteurs ou entreprises associées et, le cas échéant, par le compte de soutien à l'industrie des programmes audiovisuels (COSIP) ainsi que les pré-ventes dans d'autres pays. La spécificité de la production audiovisuelle française est de faire pré-financer ses programmes sur un marché dit " primaire " constitué des principales chaînes hertziennes historiques, lesquelles sont tenues d'investir 16% de leur chiffre d'affaires net dans la production d'œuvres audiovisuelles d'expression originale française et de dépenser au moins deux tiers de ce chiffre d'affaires auprès des producteurs indépendants.

c) Les moyens de diffusion de la télévision

31. Il existe aujourd'hui cinq modes de transmission des programmes de télévision : la diffusion d'ondes électromagnétiques (télévision hertzienne et TNT), le satellite, le câble, l'ADSL, et les technologies permettant la réception de télévision sur mobile. Seuls ces trois derniers modes de diffusion permettent le visionnage non linéaire de programmes audiovisuels.

Les offres " multi service " (ou " multiple play ") des fournisseurs d'accès à internet (FAI) et la diffusion de programmes de télévision sur ADSL (TV ADSL)

32. Depuis 2004, les opérateurs de télécommunication commercialisent des offres multiservices associant l'accès à internet haut débit, la téléphonie fixe par Internet et des services de télévision par ADSL (télévision et vidéo à la demande). Depuis 2006, ces offres intègrent également des services de téléphonie mobile.

33. L'ARCEP estime que ces offres multiservices, " attractives et compétitives " sont devenues " le standard du marché ". Selon les chiffres publiés par l'ARCEP, le nombre d'abonnés à un service de télévision par ADSL a plus que doublé en un an (près de 120 % d'augmentation), avec près de 3,8 millions d'abonnés à la fin du second trimestre 2007.

34. Les services de télévision par ADSL permettent de regarder directement sur un poste de télévision les programmes choisis. Ces services se distinguent ainsi de la possibilité de visionner les programmes audiovisuels sur les sites internet des chaines de télévision et par le biais d'un ordinateur.

35. L'ARCEP souligne qu'à ce jour, les opérateurs DSL concernés ne peuvent proposer ce service que dans les zones dégroupées, c'est-à-dire où ils ont raccordé en propre les répartiteurs de France Télécom : " le dégroupage de la boucle locale étant actuellement la seule offre de gros permettant à un opérateur de proposer un service de télévision par ADSL ou de VOD, susceptible d'être regardé par un consommateur sur son poste de télévision dans une qualité standard, ou a fortiori, en haute définition, ou en multiposte ".

36. Environ 40 % de la population serait aujourd'hui éligible aux offres " triple play " des opérateurs de télécommunication. L'Autorité précise que cette situation devrait évoluer prochainement, et que près de 70 % de la population pourrait prochainement accéder aux offres multiservices de contenus audiovisuels par ADSL.

37. L'ARCEP estime qu'Orange détient à ce jour entre un tiers et la moitié des parts de marché pour les services " triple play " au détail.

38. Les représentants de la société Free ont déclaré, lors de leur audition, que leur entreprise devenait un " acteur dominant sur les zones dégroupées ".

La téléphonie mobile

39. Selon l'ARCEP, le nombre d'abonnés à un service de téléphonie mobile s'élevait à 52,6 millions à la fin du deuxième trimestre 2007. La proportion de clients à une formule forfaitaire, qui était de 65,7 % à la même époque, continue de croître, tandis que le nombre de clients utilisant des services de type " multimédias " sur leur téléphone mobile (accès à l'Internet mobile, envoi de MMS...) s'élevait à 14,6 millions, soit 28 % des clients des opérateurs mobiles, cette proportion s'étant toutefois stabilisée depuis 2005.

40. Le revenu tiré de la commercialisation des services mobiles (téléphonie et transport de données) a atteint, selon le régulateur sectoriel, 4,4 milliards d'euro au premier trimestre 2007 (+ 6,3 % sur un an) dont 627 millions d'euro pour les seuls services de transport de données sur réseau mobile (messageries interpersonnelles, accès à Internet mobile et services multimédias).

41. Les parts de marché des trois opérateurs mobiles exploitant un réseau en métropole apparaissent dans le graphe ci-après. Les opérateurs virtuels mobiles (MVNO) se sont, quant à eux, partagés, au 31 décembre 2006, un parc global de 1 400 000 abonnés, représentant 2,79 % du parc national.

<emplacement tableau>

42. Les opérateurs SFR et Orange ont lancé, à la fin de l'année 2004, leurs premières offres sur téléphone mobile, qui utilisaient la norme UMTS. Ces services ont connu un développement limité. L'adoption, en 2007, de la norme DVB-T, devrait permettre de faciliter l'émergence de la télévision mobile personnelle (TMP).

D. LES ENTREPRISES

a) L'AFORST

43. L'Association Française des opérateurs de réseaux et de services de télécommunications (AFORST) est une association de type loi de 1901 créée le 12 juillet 2001. Elle a pour mission " d'assurer la promotion et la défense des intérêts moraux et professionnels de ses membres ainsi que de développer une réflexion permanente sur la situation et l'évolution du secteur des télécommunications ".

44. L'AFORST comprend parmi ses membres les sociétés Neuf Cegetel, SFR, Telecom Italia, Altitude Telecom, B3G Telecom, Bouygues Telecom, BT, Colt Télécommunication France, Completel, Hub Télécom, Ipnotic Telecom, Prosodie, Société Réunionnaise du Radiotéléphone (SRR) et Verizon France.

b) Le groupe France Télévisions

45. France Télévisions SA est une holding qui contrôle les sociétés France 2, France 3, France 4, France 5 et Réseau France Outre-mer (ci-après " RFO ").

46. En 2006, les ressources de la société France Télévisions se répartissaient de la manière suivante :

• redevance : 1 834 M€ ;

• publicité et parrainage : 834 M€ ;

• autre : 185 M€.

47. Deux filiales du groupe France Télévisions sont concernées par la saisine : France Télévisions Distribution et France Télévisions Interactive (FTVi).

48. Créée en 1991 sous la forme de société anonyme, France Télévisions Distribution (FTD) a pour mission de commercialiser les programmes du groupe France Télévisions ou de tout autre programme de télévision ou de cinéma pour lequel un producteur lui a confié le mandat d'éditer ces différents programmes sur tous types de supports et d'organiser l'exploitation des droits dérivés.

49. La société France Télévisions Interactive (FTVi) assure la coordination et le développement des activités du groupe en matière de programmes et de services interactifs. A ce titre, elle gère la production et l'édition des sites Internet des chaînes, leurs offres accessibles sur Internet mobile et en télévision interactive, leurs services télétexte, audiotel et SMS et leurs projets de télévision sur ADSL et de télévision sur les terminaux mobiles. La société FTVi peut être conduite à acquérir les droits de différents contenus auprès de FTD en vue de l'exploitation des programmes concernés sur Internet.

c) La société France Télécom et la société Orange

50. La société France Télécom est un opérateur de communications électroniques. L'entreprise a annoncé avoir réalisé un chiffre d'affaires total de 53 milliards d'euro en 2007. Selon l'opérateur, 55 % de ses revenus sont issus de la téléphonie mobile.

51. France Télécom commercialise, sous la marque Orange, des offres de téléphonie mobile et des offres dites " multiple play ", c'est-à-dire combinant un service d'accès Internet haut débit, de téléphonie illimitée et de télévision sur ADSL et éventuellement une offre de téléphonie mobile.

52. En 2007, l'opérateur a lancé une chaîne thématique " Orange Sports TV ". En février 2008, le groupe a remporté trois des douze lots mis en jeu par la ligue de football professionnel, dont la retransmission du match du samedi soir. Il a également acquis des droits sportifs auprès du Comité International Olympique pour retransmettre des disciplines à faible audience. Le 16 avril 2008, Orange Sports a acquis des droits de retransmission du championnat de handball français. Orange a annoncé le 7 avril 2008 le lancement d'" Orange cinéma séries ", une offre de films et de séries faisant suite à la signature de plusieurs accords d'achats de droits avec Warner, HBO, et Gaumont. Par ailleurs, le groupe de télécommunication a créé une filiale de coproduction de cinéma, Studio 37, qui investit dans une quinzaine de films par an.

E. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

a) L'objet de l'accord

53. Le partenariat dénoncé par la saisissante a pour objet l'édition d'un service de télévision de rattrapage permettant l'accès à la demande à certains programmes des chaînes du groupe France Télévisions pour une durée de 7 à 30 jours à compter du lendemain de leur diffusion en mode linéaire.

54. Ce service sera disponible sur ordinateur pour les abonnés à une offre ADSL d'accès à Internet, sur téléviseur pour les abonnés à une offre ADSL multiservices d'Orange situés en zone de dégroupage et disposant d'un décodeur numérique et sur téléphone mobile ou PMP (Portable Media Player : il s'agit d'un appareil multimédia portable permettant de lire des vidéos, des jeux et de la musique) pour les abonnés à une offre de téléphonie mobile 3G d'Orange disposant d'un terminal compatible TV HD et situés dans une zone 3G.

b) L'équilibre économique de l'accord

55. L'accord prévoit que les ayants droit percevront une rémunération forfaitaire en contrepartie des droits de télévision de rattrapage. Cette rémunération est négociée entre les ayants-droit et France Télévisions Distribution (FTD) qui dispose d'une enveloppe globale d'achat des droits qu'elle a reçue de France Télécom. Le contrat prévoit également que France Télécom versera à France Télévisions une rémunération indexée sur le nombre d'abonnés d'Orange ayant accès à son offre TV en contrepartie de l'attribution exclusive des droits négociés.

56. Selon le CSA, les producteurs ont toute latitude pour refuser de vendre leurs droits à FTD.

57. Dans son courrier du 25 janvier 2008, France Télécom a précisé que " la structure de la rémunération versée par FT et OF au groupe FTV variait en fonction de la phase du partenariat :

En phase 1 :

- En contrepartie de l'exclusivité, la rémunération se compose d'une somme fixe par abonné et par mois avec des montants différents selon le support (ADSL ou mobile), étant précisé que le nombre d'abonnés pris en compte est borné ;

- à cette rémunération de base s'ajoute, pour les programmes exploités en VOD en mode payant, une rémunération variable fondée sur un partage de revenus entre FT/OF et le groupe FTV.

En phase 2 :

- En contrepartie de l'exclusivité, la rémunération se compose également d'une somme fixe par abonné et par mois avec des montants différents selon le support (ADSL ou mobile), étant précisé que le nombre d'abonnés pris en compte est borné.

- Par ailleurs, FT/OF réserve une somme forfaitaire annuelle destinée à l'acquisition de programmes par le groupe FTV (coût d'acquisition des programmes et commission pour peines et soins) ".

58. Enfin, il n'est pas prévu que France Télévisions perçoive des recettes publicitaires issues de l'exploitation de ses programmes en catch up TV par France Télécom.

c) Le champ de l'exclusivité

59. L'accord concerne les programmes inédits diffusés par France 2, France 3, France 4, France 5 et France O entre 18 et 24 h, à l'exception des œuvres cinématographiques et des programmes sportifs. Les journaux télévisés sont mis à disposition de France Télécom mais sur une base non exclusive.

60. Le partenariat ne porte pas sur l'intégralité des programmes de France Télévisions. En effet, l'impossibilité pour les ayants droit de libérer l'ensemble des droits exclut plusieurs programmes.

61. Dans ses observations du 14 février 2008 (paragraphe 403) la saisissante dresse la liste des programmes pour lesquels les droits ont pu être libérés par France Télévisions et qui ont été mis à disposition des abonnés de France Télécom sur le site d'Orange :

pour France 2 :

la série FBI Portés disparus (épisodes du 25/2, 11/2, 04/2),

la série Cinq soeurs (épisodes du 28, 27, 26, 25, 21, 20, 19, 18, 15, 14/02, 31 30/01),

la série Avocats et associés (épisode du 1 /2),

la fiction Sous les vents de Neptune (22/02 et 15/02),

la fiction La résistance (parties I et II du 19 et 18/02),

pour France 3 :

la série Plus belle la vie (28, 27, 26, 25, 22, 21, 20, 19, 18, 15/02),

la série The closer (3/02),

la série Les oubliés (2/02),

la fiction Dans l'ombre du maître (23/02),

la fiction Qui va à la chasse (14/02),

la fiction Figaro (07/02),

le jeu Question pour un champion (28, 27, 26, 25, 24, 23, 22/02),

pour France 4 :

l'émission Pliés en 4 (28, 27, 26, 25 et 22/02),

pour France 5 :

le documentaire La mécanique Orange (5/02),

le magazine Ripostes (24/02),

le magazine le Bateau Livre (28/02),

le magazine C dans l'air (27, 26, 25, et 22/02),

le magazine, C A dire ? (28, 27, 26, 25 et 22/02),

le magazine Les escapades du Petitrenaud (27/02),

le magazine Le café Picouly (22/02),

le magazine Echappées belles (23/02),

pour France O :

la série Baie des Flamboyants (8, 7, 6, 5, 4, et 1/02),

le magazine Studio M (23/02),

le magazine Toutes les France (28, 27, 26, 25, 22/02),

le magazine ôtrement dit (26/02).

62. Le CSA et l'ARCEP font observer que les programmes visés par le partenariat ne comportent pas de contenus de type " premium " tels que le cinéma ou le sport.

63. France Télévisions a également précisé, s'agissant des conditions de diffusion de ses programmes en " catch up TV " et accessibles depuis un ordinateur, que ses programmes de flux seront accessibles gratuitement sur son site francetvod.com, ses programmes de stock étant en revanche payants, quel que soit l'opérateur de télécommunication.

d) La durée de l'exclusivité

64. Le contrat de partenariat a été signé le 28 décembre 2007. France Télécom a annoncé que l'offre serait lancée en mars 2008.

65. Le contrat conclu entre FT-OF et le groupe FTV se décompose en deux phases :

- une première phase d'une durée de 12 mois maximum à compter du 1er juillet 2007,

- une seconde phase, d'une durée de 24 mois, dont l'ouverture est subordonnée à un certain nombre de conditions techniques et de disponibilité de volumes de programmes.

66. S'agissant des conditions auxquelles est assujetti le lancement de la phase 2, l'article 5 de l'accord prévoit l'établissement d'un " premier bilan " à l'issue de la phase 1 et, qu'" à défaut de lancement de la 2ème phase, les parties pourront mettre fin au présent accord ". 66. France Télévisions a précisé que " les raisons qui pourraient justifier que soit mis un terme à l'accord sont uniquement des motifs d'ordre technique (difficultés liées à la disponibilité des programmes ou indisponibilité de la plate-forme technique d'Orange, par exemple) ".

e) Les conditions de sortie et de reconduction de l'accord

67. Le protocole ne prévoit aucune condition de sortie ou de reconduction de l'accord à l'issue de la phase 2. L'article 5 de l'accord stipule que la reconduction éventuelle de l'accord reste " à déterminer d'un commun accord entre les parties ".

68. Par ailleurs, dans un courrier du 21 janvier 2008, France Télévisions a confirmé qu'elle serait prête à reconsidérer sa position sur l'exclusivité à la condition que les autres FAI acceptent un modèle économique comparable : " France Télévisions confirme qu'elle serait prête à revoir sa position sur l'exclusivité à l'issue d'une période de deux ans à compter de la fin de la phase préparatoire de l'accord avec Orange, dès lors que les autres FAI seraient prêts à s'engager sur un modèle économique comparable aboutissant à des revenus équivalents ".

II. Discussion

69. L'article R. 464-1 du Code de commerce énonce que " la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée ". Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que pour autant que la saisine au fond ne soit pas rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'alinéa 2 de l'article L. 462-8 du Code de commerce selon lequel le Conseil de la concurrence " (...) peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ".

70. La saisissante et les parties mises en cause, partenaires de l'accord d'exclusivité, s'opposent sur l'effet de ce dernier.

71. Pour l'AFORST, l'exclusivité dont bénéficierait France Télécom du fait de l'accord rendrait son offre extrêmement attractive aux yeux des téléspectateurs. Ceux-ci, attirés par la possibilité de voir les contenus fortement valorisés de France Télévisions en télévision de rattrapage, s'abonneraient massivement à cette offre, évinçant ainsi les opérateurs alternatifs. L'exclusivité porterait donc en germe des risques d'exclusion.

72. Pour France Télévisions et France Télécom, au contraire, l'accord d'exclusivité permet de donner à chacun des acteurs impliqués dans la chaîne verticale (production de contenus, édition, distribution) les incitations nécessaires à mettre sur le marché un nouveau service, ce qui est favorable aux consommateurs qui font ainsi face à une offre accrue et diversifiée.

73. Arbitrer entre ces deux scénarios possibles nécessite de revenir sur la délimitation des marchés, les stratégies mises en œuvre, et leurs conséquences sur la concurrence.

A. SUR LES MARCHES

a) Sur les marchés aval

74. France Télécom et France Télévisions, suivis en cela par le CSA, estiment que le marché sur lequel le partenariat litigieux est susceptible de produire des effets est celui de la télévision payante. Les opérateurs ADSL et l'ARCEP exposent, quant à eux, que le marché aval pertinent est le marché de l'accès aux offres multiservices.

75. Dans son avis n°06-A-13 du 13 juillet 2006, relatif à l'acquisition des sociétés TPS et Canal Satellite par Vivendi Universal et Groupe Canal Plus, le Conseil de la concurrence a estimé que l'accès à la télévision sur ADSL relevait de la télévision payante.

76. Néanmoins, dans plusieurs décisions récentes relatives au contrôle des concentrations (lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du 26 octobre 2006, relative à une concentration dans le secteur des services d'accès à internet - C2006-108 ; lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du 25 juin 2007, relative à une concentration dans le secteur du marché de la fourniture d'accès à internet - C2007-68), le ministre de l'Economie a considéré que l'ensemble des services composant l'offre multiservice des opérateurs ADSL appartenait à un même marché, celui de l'accès haut débit aux offres multiservices. Dans sa lettre du 25 juin 2007, relative à l'acquisition de T-online par Neuf Cegetel, le ministre a ainsi précisé : " [e]n ce qui concerne plus particulièrement le marché de la fourniture d'accès à Internet haut débit, le ministre a constaté, dans les décisions précédentes, qu'il comprenait non seulement les services d'accès à Internet mais également les services de voix sur IP, de télévision et de visiophonie sur IP. Dans sa décision Neuf Cegetel / AOL précitée, il a indiqué que le terme "d'accès à Internet haut débit" apparaissait aujourd'hui comme réducteur et qu'il conviendrait, à ce jour, de parler d'un accès haut débit aux offres multiservices. Cette évolution se fonde sur le développement d'offres "multiplay" assises sur un abonnement à l'accès Internet haut débit, qui combinent l'accès à Internet à des services de téléphonie et de télévision et qui rendent difficile l'identification, au sein des offres d'accès haut débit, de chacun des services ".

77. Il n'est donc pas exclu, à ce stade, qu'il existe un marché de l'accès haut débit aux offres multiservices des opérateurs ADSL, constitué par les offres combinant un accès haut débit à Internet, des services de téléphonie et de télévision sur IP, et incluant sans doute dans un futur proche la téléphonie mobile.

78. Par ailleurs, si pour l'instant seuls les opérateurs de télécommunication se sont montrés intéressés par la distribution des programmes des chaînes en non linéaire, il est envisageable que ce service nouveau puisse également intéresser les entreprises actives sur le marché de la télévision payante, et notamment le groupe Canal Plus.

79. Dans son avis n° 06-A-13 du 13 juillet 2006 précité, le Conseil avait souligné que " le secteur se trouve à un moment critique de convergence entre les opérateurs de l'audiovisuel et ceux des télécommunications, et particulièrement, à l'aube des choix stratégiques des parties à l'opération et de leurs concurrents potentiels et actuels, s'agissant de la construction de nouveaux modèles économiques qui structureront le secteur à moyen, voir à long terme. Il en résulte une grande incertitude tant sur l'existence d'une rencontre concurrentielle effective entre les opérateurs de l'audiovisuel et ceux des télécommunications que sur la nature, le champ, et la portée de la concurrence auxquels ceux-ci, finalement se livreront. Dans ce contexte, l'analyse concurrentielle de l'opération doit poursuivre le double objectif de prudence et de permettre l'émergence de toute situation de concurrence susceptible, à terme d'exister " (soulignement ajouté).

80. Le caractère encore très récent du service de " catch up TV " concerné par l'accord, les incertitudes qui pèsent sur les caractéristiques de l'offre et de la demande, et le contexte de convergence entre des activités traditionnellement distinctes (accès à la télévision payante, distribution de chaînes de télévisions, accès ADSL) ne permettent pas, à ce jour, de définir plus précisément les contours du marché aval.

81. Néanmoins, cette question peut rester ouverte, dès lors qu'il n'apparait pas que le groupe France Télécom serait en position dominante sur l'un ou l'autre des marchés envisagés.

82. En effet, sur le marché de la télévision payante, dominé par le groupe Canal Plus, France Télécom détiendrait, selon le CSA, une part de marché de 8 %. Dans son avis précité 06-A-13, le Conseil évaluait, sur ce marché, la part des opérateurs de télécommunication à moins de 20 %, et celle de la nouvelle entité Canal+/TPS à plus de 70 %. Parmi les opérateurs de télécommunications, le Conseil observait déjà que Free disposait d'un plus grand nombre d'abonnés à un service de télévision que France Télécom.

83. France Télécom ne peut donc être regardé comme détenant aujourd'hui une position dominante sur le marché de la télévision payante.

84. Sur le marché de l'accès aux offres multiservices des opérateurs ADSL, l'opérateur historique se trouve confronté à la concurrence de Neuf Cegetel et de Free.

85. Les informations communiquées par ces trois opérateurs (communiqué de presse Neuf Cegetel du 8 février 2008, communiqué de presse Iliad du 11 février 2008 et courrier de France Télécom du 28 décembre 2007) permettent d'établir le tableau suivant :

<emplacement tableau>

86. Le nombre d'abonnés de Free disposant d'un décodeur permettant de réceptionner la télévision par ADSL n'est pas communiqué. Néanmoins, Free et Neuf Cegetel sont présents dans les mêmes zones géographiques, le plus souvent les régions urbaines qui sont aujourd'hui dégroupées, et il est raisonnable de penser que le taux d'abonnés disposant d'un décodeur TV chez Free est proche de celui de Neuf Cegetel c'est-à-dire les 3/4. Il est donc probable que Free dispose d'une base d'abonnés disposant d'un décodeur permettant de réceptionner la télévision par ADSL proche de 1 774 500 (3/4 de 2 366 000).

87. Enfin, la société Neuf Cegetel dispose également d'un parc d'abonnés significatif. Par ailleurs, depuis l'annonce de son rachat par SFR en décembre 2007, Neuf Cegetel est adossé au groupe Canal Plus, renforçant ainsi son pouvoir de marché.

88. A ce stade, et compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le groupe France Télécom est concurrencé par Free et Neuf Cegetel sur le marché de l'accès haut débit aux offres multiservices.

89. Sur le marché des offres de télévision sur réseau mobile, marché dont le Conseil a reconnu l'existence dans son avis du 13 juillet 2006, le groupe France Télécom est concurrencé par deux sociétés détenant d'importantes parts de marché et appartenant à des groupes puissants (SFR, Bouygues).

b) Sur le marché amont

90. La saisissante et les parties mises en cause ont développé des analyses divergentes des marchés amont.

91. L'AFORST distingue, en amont, un marché de la fourniture de contenus audiovisuels destinés à une diffusion sous forme de télévision de rattrapage et spécifique à chaque chaîne. Chaque chaîne constituant son propre marché, France Télévisions serait mécaniquement en position dominante pour la diffusion en rattrapage de ses programmes pour chacune de ses chaines. Enfin, la saisissante estime que les offres de vidéo à la demande accessibles sur téléviseur relèvent d'un marché différent de celles qui sont seulement accessibles sur ordinateur.

92. Subsidiairement, elle prétend que les programmes du groupe France Télévisions comme ceux de TF1 seraient incontournables. En conséquence, l'entreprise détiendrait, de fait, " une position prééminente sur les marchés amont de la fourniture de contenus destinés à une diffusion en télévision de rattrapage, même si l'on ne distingue pas selon les chaînes ".

93. La saisissante déduit également la prééminence du groupe France Télévisions du volume cumulé des programmes de ses cinq chaînes, qui réalisent 42 % de l'audience, ainsi que de la diversité de ses chaînes et de ses programmes. Elle estime par ailleurs que la gestion groupée des chaînes du groupe " confirme sa position indéniablement incontournable sur le marché des chaînes gratuites ". Enfin, elle considère que les chaînes du groupe représentent près de 70 % du volume de minutes diffusées entre 18 et 24 heures par les chaînes nationales.

94. Pour France Télécom et France Télévisions, le marché amont se définit au contraire comme celui de l'acquisition des droits de diffusion en VOD de contenus audiovisuels (autres que le cinéma) sur le territoire français. France Télécom souligne par ailleurs l'existence en amont d'un marché français de l'acquisition de droits de diffusion de contenus audiovisuels pour les terminaux mobiles.

95. France Télécom produit au soutien de son analyse une étude économique et fait valoir que l'AFORST n'a pas examiné la substituabilité des services, du point de vue des acquéreurs de droits, " [o]r pour un FAI, la demande d'un contenu audiovisuel dépend exclusivement de la profitabilité qui en résulte, c'est-à-dire de la mise en balance de son coût d'acquisition et des recettes qu'il génère. Peu importe à cet égard que lesdites recettes soient issues de ses abonnés amateurs de France 2, de France 4 ou de films proposés par le FAI en VOD. En d'autres termes, comme pour la plupart des marchés, la demande est plus élastique sur le marché de gros (amont) que sur le marché de détail (aval), de sorte que des contenus éventuellement peu substituables pour les consommateurs finals sont néanmoins substituables pour les fournisseurs d'accès " (observations de France Télécom du 14 février 2008, paragraphe 53).

96. En conséquence, le marché amont serait, selon France Télécom, nécessairement plus large que celui de la simple acquisition des droits de diffusion de chaque chaîne en télévision de rattrapage. A minima, France Télévisions souligne que les offres de télévision de rattrapage des chaînes généralistes sont parfaitement substituables : " si France Télévisions devait exiger de France Télécom une rémunération excessive, l'opérateur ADSL choisirait de substituer à ce contenu une autre offre de télévision de rattrapage ". France Télécom précise que le marché de l'acquisition de contenus VOD est très concurrentiel et qu'elle ne détient pas de position dominante sur ce marché.

97. S'agissant ensuite du marché de l'acquisition de droits de diffusion de contenus audiovisuels pour les terminaux mobiles, France Télécom considère qu'il est exclu qu'elle puisse y détenir une position dominante, compte tenu de la présence sur ce marché de deux concurrents majeurs : Bouygues et SFR.

98. En réponse à ces différentes thèses, il convient de définir avec la plus grande circonspection le marché amont pertinent. D'une part, l'absence de maturité des services de télévision de rattrapage et les incertitudes relatives aux stratégies des chaînes de télévision en ce qui concerne ce produit rendent particulièrement incertaines à ce jour la délimitation et la détermination des parts de marché des différentes chaînes.

99. Le marché amont ne se définit pas nécessairement de la même manière selon que le marché aval est préalablement appréhendé comme celui de la télévision payante ou comme celui de l'accès aux offres multiservices des opérateurs ADSL.

? Définition du marché amont dans l'hypothèse où le marché aval serait celui de la télévision payante

100. Ainsi que le Conseil l'a souligné dans son avis du 13 juillet 2006, une offre de télévision payante est constituée par un assemblage de contenus : chaînes premium ; chaînes thématiques à forte attractivité (cinéma, sport, informations, jeunesse) ; chaînes thématiques à faible attractivité (documentaire, musique,...) ; services de paiement à l'acte (PPV et VOD) : " dès lors qu'une offre de télévision payante doit nécessairement comprendre les différentes composantes identifiées ci-avant, il n'existe pas de substituabilité entre les chaînes d'une thématique à l'autre, ni du point de vue du consommateur, ni du point de vue du distributeur : ce dernier ne pourra en effet remplacer une chaîne thématique de cinéma par une chaîne thématique de sport, jeunesse ou d'information et réciproquement, pas plus qu'avec une autre thématique (documentaire, fiction, etc.). Dans ces conditions, il convient d'identifier les marchés pertinents au regard de la composition nécessaire d'une offre de télévision " (soulignement ajouté).

101. Ces contenus sont assemblés par les distributeurs après avoir été achetés aux éditeurs sur un marché intermédiaire où " se rencontrent, d'une part, l'offre des éditeurs de chaînes ou de services de télévision ou programmes, ou encore chaînes thématiques (ci-après, les éditeurs), et d'autre part, la demande des distributeurs commerciaux de bouquets de chaînes ou distributeurs de services (ci-après, les distributeurs) ".

102. La question est donc de savoir si l'acquisition par les distributeurs de programmes en vue d'une diffusion en " télévision de rattrapage ", relève du quatrième marché identifié par le Conseil " services de paiement à l'acte, (PPV, VOD) ", comme le soutiennent France Télécom et France Télévisions, ou d'un marché nouveau, celui de la diffusion de programmes de télévision en rattrapage, ou d'un marché encore plus restreint limité aux programmes du groupe France Télévisions et accessibles en non linéaire, comme le fait valoir l'AFORST.

103. Il convient, préalablement, de préciser qu'aucun élément probant n'établit, qu'il existe à ce jour une demande suffisamment forte en " télévision de rattrapage " pour que ce service constitue de manière certaine une composante nécessaire à l'offre de tout distributeur de télévision payante.

104. Le caractère gratuit du service le fait, en tout cas, échapper aujourd'hui à la catégorie des " services de paiement à l'acte " identifiée par le Conseil dans son avis précité.

105. En conclusion, il est peu probable que France Télévisions détienne une position dominante sur le marché intermédiaire de la vente aux distributeurs des droits relatifs aux programmes de télévision destinés à une diffusion payante en mode non linéaire. Il n'est pas exclu que les autres chaînes généralistes proposent à leur tour, à moyen terme, de tels contenus aux distributeurs.

? Définition du marché amont dans l'hypothèse où le marché aval serait celui de l'accès haut débit aux offres multiservices

106. Dans l'hypothèse où le marché aval serait le marché de l'accès haut débit aux offres multiservices, il ne pourra être établi qu'il existe un marché amont de la mise à disposition par les chaines de télévisions de leurs programmes en vue d'une distribution en mode non linéaire par les opérateurs de télévisions, que si la composante " télévision de rattrapage " est un élément indispensable de l'offre multiservice, c'est-à-dire non-substituable aux autres services que peuvent proposer les opérateurs ADSL à leurs abonnés pour se différencier de leurs concurrents.

107. Or, bien avant l'annonce de la création du service " Rewind TV " par France Télécom et France Télévisions, les opérateurs ADSL ont cherché à différencier leurs offres multiservices, qui se structurent autour d'un accès à Internet, d'un accès téléphonique et d'une offre télévisuelle, en proposant à leurs abonnés des services nouveaux. A titre d'exemple, Free donne à ses abonnés un accès à l'offre VOD de Canalplay, Neuf Telecom au catalogue musical d'Universal et cet opérateur a récemment négocié un accord permettant à tous les abonnés haut débit de Neuf TV HD de bénéficier d'une sélection de contenus provenant de Dailymotion. Aucun de ces services ne constitue un élément indispensable à la constitution de l'offre multiservices des opérateurs ADSL, dont l'absence dans l'offre des concurrents serait de nature à la rendre insuffisamment attractive.

108. Compte tenu du caractère très récent du service de télévision de rattrapage et des incertitudes relatives à son développement, il ne peut être établi à ce jour que l'offre de télévision de rattrapage constituerait une composante nécessaire de l'offre multiservices des opérateurs ADSL, déterminante pour leur attractivité et non-substituable aux autres services proposés par les FAI en sus de leur offre de base.

109. En conclusion, aucun élément n'établit de manière probante qu'il existe un marché amont de l'acquisition des droits pour la diffusion en non linéaire des programmes des chaînes de télévision et, a fortiori, un marché limité, pour ce qui concerne ce service, à l'offre du groupe France Télévisions.

110. En toute hypothèse, si le caractère abusif des pratiques alléguées est dépourvu de tout élément probant, ce qui fera l'objet de développements plus bas, la question de la délimitation des marchés concernés et de la détermination des positions respectives des partenaires de l'accord ne revêt qu'un caractère secondaire pour l'analyse et peut donc rester ouverte.

B. SUR LES PRATIQUES DENONCEES

1. SUR L'ENTENTE HORIZONTALE ALLEGUEE ENTRE FRANCE TELEVISIONS ET LES PRODUCTEURS

111. La saisissante soutient que l'accord critiqué s'analyse comme une entente horizontale, qualifiable sur le fondement des articles 81 paragraphe 1 du traité CE et L.420-1 du Code de commerce, dès lors que France Télévisions " ne dispose pas même de tous les droits qu'elle prétend concéder et dont elle n'a pas hésité à annoncer par avance qu'elle les obtiendrait avec des producteurs avec lesquels elle travaille ". Dès lors, étant elle-même producteur et co-producteur, l'accord de partenariat " comporte également une dimension horizontale " qui l'oblige à mener, pour le compte d'Orange, une " véritable négociation collective ". Pour l'AFORST, cette négociation collective s'avère être la manifestation d'une " sorte de cartel " en privant les acheteurs potentiels de pouvoir négocier directement avec les détenteurs de droits.

112. Mais, les ayants-droit n'ont pas été associés à l'élaboration du protocole d'accord intervenu entre France Télécom et France Télévisions. De plus, ce protocole ne fait pas obstacle à la mise en œuvre de négociations individuelles entre chaque producteur et le groupe France Télévisions pour la libération des droits.

113. Les éléments dont fait état la saisine ne sont donc pas de nature à étayer l'existence d'un accord de volontés anticoncurrentiel entre les différents producteurs, qui serait constitutif d'une entente horizontale contraire aux dispositions des articles 81 du traité CE et L. 420-1 du Code de commerce.

2. SUR L'ABUS DE POSITION DOMINANTE REPROCHE A FRANCE TELEVISIONS

114. La saisissante prétend que l'imposition aux producteurs indépendants d'une obligation de cession de droits constitue un abus de position dominante de France Télévisions. L'AFORST soutient également que l'accord de partenariat exclusif conclu entre France Télévisions et France Télécom a été négocié dans des conditions non objectives et non transparentes, privant ainsi les FAI concurrents de la possibilité de se porter candidats, dans le cadre d'un appel d'offres. Pour le saisissant, le refus opposé par France Télévisions aux FAI concurrents d'Orange de bénéficier d'une telle offre serait constitutif d'un abus, " même si le respect de ces règles n'aurait pas nécessairement purgé la question concurrentielle ". Il constituerait aussi selon la saisissante une " captation " illégitime des droits en mode de diffusion non linéaire au détriment des FAI concurrents.

115. Mais il ne peut être soutenu que l'accord litigieux constituerait une pratique susceptible d'être qualifiée d'abusive en ce qu'elle imposerait aux ayants-droit la cession de leurs droits.

116. En effet, les producteurs restent libres de céder leurs droits en vue d'une diffusion des œuvres en télévision de rattrapage. Certains ayants-droit ont d'ailleurs choisi de refuser cette offre, tandis que d'autres sont dans l'impossibilité de libérer ces droits. Dans tous les cas, les producteurs se sont dits satisfaits de l'équilibre économique de l'accord qui ne semble pas susceptible de constituer une pratique abusive à leur égard.

117. Enfin, il convient de souligner que les droits de diffusion en mode non linéaire n'auraient pas pu être exploités par les FAI concurrents, même en l'absence du partenariat litigieux. En effet, selon les déclarations, recueillies par les rapporteurs, de l'Union Syndicale de la Production Audiovisuelle et du Syndicat des Producteurs Indépendants des 7 décembre 2007 et 7 janvier 2008, les diffuseurs concurrents refusent de rémunérer les producteurs pour les diffusions en mode non linéaire : " pour l'instant seule France Télévisions accepte de rémunérer spécifiquement ces nouveaux modes de diffusion ".

118. Ainsi, quand bien même le groupe France Télévisions détiendrait une position dominante sur un marché pertinent - question laissée ouverte dans les développements précédents -, aucun élément probant ne vient étayer l'existence d'un abus du fait des termes de la négociation avec les ayants-droit.

3. SUR LA PRATIQUE DE VENTE LIEE REPROCHEE A FRANCE TELECOM

119. L'AFORST reproche à France Télécom d'abuser de sa position dominante en offrant gratuitement le service de télévision de rattrapage des chaînes de France Télévisions dans le cadre de son offre de télévision sur ADSL, sans qu'il soit possible de dissocier l'accès à ces deux services. Le saisissant considère d'une part, que les abonnés d'Orange seraient ainsi victimes de la pratique dans la mesure où ils se trouvent privés d'une " éventuelle réduction de prix " sur l'offre d'Orange et, d'autre part, que les consommateurs non-abonnés à l'offre Orange se trouvent contraints de changer de FAI pour bénéficier des programmes de France Télévisions en rattrapage.

120. Mais le couplage est défini par le Conseil de la concurrence et par les juridictions communautaires et nationales comme la pratique consistant à lier la fourniture de deux produits distincts relevant de deux marchés. Le potentiel anticoncurrentiel de cette pratique provient notamment de ce qu'elle peut permettre dans certains cas à une entreprise de transférer son pouvoir d'un marché où elle détient une position dominante sur un marché connexe pour y obtenir une position de force à moindre coût et sans rapport avec ses mérites. De telles pratiques ne sont pas en soi illicites, les effets potentiellement anticoncurrentiels pouvant être contrebalancés par des gains d'efficacité transmis de manière positive aux consommateurs.

121. En l'espèce, l'offre multiservices proposée par les opérateurs ADSL constitue un seul produit. Non seulement de telles offres constituent la norme du marché mais il est techniquement impossible de dissocier les services regroupés de ces offres. En effet, l'accès à chacun des services composant les offres multiservices suppose nécessairement un abonnement préalable à un accès internet ADSL. Si les consommateurs conservent parfois la possibilité de choisir certaines chaînes, il n'existe pas de marchés séparés pour les différents éléments constituant le bouquet de base. Dès lors, aucune pratique de couplage ne peut-elle être retenue à l'encontre de France Télécom, et, a fortiori, aucune pratique de couplage abusif.

4. SUR L'EXCLUSIVITE ACCORDEE PAR FRANCE TELEVISIONS A FRANCE TELECOM

122. Pour l'AFORST, l'exclusivité accordée par France Télévisions à France Télécom sur ses propres émissions constitue une restriction de concurrence, susceptible d'être qualifiée d'entente verticale sur le fondement des articles 81 paragraphe 1 du traité CE et L. 420-1 du Code de commerce, dès lors que les parties à l'accord se situent à des niveaux différents et que ladite exclusivité réduit le nombre d'acheteurs potentiels. L'exclusivité constituerait également un abus de position dominante de France Télécom.

123. Mais qu'elles soient appréhendées sous l'angle des abus de position dominante ou celui des restrictions verticales, les exclusivités contractuelles ne sont pas interdites par elles-même, comme l'a rappelé récemment le Conseil dans sa décision 07-MC-01.

124. Dans cette décision, le Conseil a relevé les principaux éléments à prendre en compte pour apprécier le caractère anticoncurrentiel de clauses d'exclusivité : "il convient [...] de s'assurer que les clauses d'exclusivité n'instaurent pas, en droit ou en pratique, une barrière artificielle à l'entrée sur le marché en appréciant l'ensemble de leurs éléments constitutifs : le champ d'application, la durée, l'existence d'une justification technique à l'exclusivité, et la contrepartie économique obtenue par le client".

125. L'appréciation des effets des clauses d'exclusivité contenues dans les accords verticaux dépend donc du champ et de la durée de l'exclusivité ainsi que des justifications techniques ou des contreparties économiques de l'accord. Le champ de l'exclusivité

126. Le champ de l'exclusivité paraît en l'espèce restreint, le partenariat ne portant que sur certains programmes de la tranche 18-24 h et excluant le cinéma, l'information et le sport, donc les programmes de type " premium ", par nature les plus attractifs car capables de réaliser des taux d'audience élevés. En l'absence de contenu premium, l'attractivité du service de catch up TV de France Télécom sera donc a priori limitée.

127. Les opérateurs ADSL concurrents peuvent proposer à leurs clients d'autres services interactifs que ceux qui font l'objet du partenariat. Ces opérateurs peuvent en effet différencier et rendre plus attractives leurs offres multiservices, qui se structurent autour d'un accès à Internet, d'un accès téléphonique et d'une offre télévisuelle, en proposant à leurs abonnés des services nouveaux. A titre d'exemple, Free - comme il a déjà été indiqué au paragraphe 107- offre à ses abonnés un accès à l'offre VOD de Canalplay. Neuf Telecom donne accès au catalogue musical d'Universal et a récemment négocié un accord permettant à tous les abonnés haut débit de Neuf TV HD de bénéficier d'une sélection de contenus provenant de Dailymotion sur le canal 100, à l'image de la section "TV Perso" disponible sur le canal 99 de la Freebox depuis plusieurs mois. Chaque FAI propose son offre spécifique, qui présente des caractéristiques propres et des éléments de différenciation par rapport aux bouquets concurrents, portant sur d'autres contenus que les programmes de télévision.

128. Enfin, le partenariat n'interdit pas aux concurrents du groupe France Télécom de développer des partenariats avec les autres diffuseurs pour une diffusion en rattrapage de leurs programmes. L'accord laisse également ouverte la possibilité pour ces opérateurs de distribuer les programmes du groupe France Télévisions n'entrant pas dans le champ de l'accord.

La durée de l'exclusivité

129. La durée de l'accord n'apparaît pas non plus à ce jour excessive. L'obligation d'exclusivité porte sur une durée de deux ans à compter du lancement du service, soit au plus tard à compter du 1er juillet 2008, date d'expiration de la première phase de mise au point de l'offre (paragraphe 65 de la décision), ce qui relève des pratiques usuelles du secteur de l'audiovisuel, et le contrat ne prévoit aucune condition particulière de reconduction ou de sortie de l'accord.

130. Il convient en outre de rappeler que, dans ses lignes directrices sur les restrictions verticales (JOCE 2000/C 291/01, paragraphe 119 10), la Commission européenne a écarté tout risque d'atteinte à la concurrence en ce qui concerne les accords verticaux conclus pour une durée de deux ans suivant le lancement d'un nouveau produit ou service, sauf restriction caractérisée : " (...) les restrictions verticales liées à l'ouverture de nouveaux produits ou de nouveaux marchés géographiques ne restreignent généralement pas la concurrence. Cette remarque vaut pour les deux années qui suivent la date de première mise sur le marché du produit, et quelle que soit la part de marché de l'entreprise.(...)".

La contrepartie de l'accord de partenariat

131. Le partenariat exclusif répond à une logique économique pour toutes les parties concernées.

Pour les producteurs

132. Les syndicats de producteurs interrogés au cours de l'instruction ont manifesté leur soutien à l'accord négocié et soulignent que France Télévisions est le premier opérateur qui les rémunère pour une diffusion en non linéaire. Ainsi, l'Union Syndicale de la Production Audiovisuelle (USPA) a déclaré que : " les montants proposés par Orange sont raisonnables et on considère de ce fait que le modèle d'exclusivité n'est pas antiéconomique. La construction d'exclusivité n'est pas naturelle, mais pour l'instant nous n'avons pas d'autres propositions. Les sommes sont telles que les offres prennent sens ".

133. Le Syndicat des Producteurs Indépendants (SPI) a insisté sur le sous-financement dont souffrent les producteurs et considère que l'offre de France Télévisions est équitable : " nous assistons aujourd'hui à une évolution majeure du secteur audiovisuel. Le comportement du consommateur est profondément modifié par l'arrivée du tout numérique, par les possibilités de téléchargement sur tout support et sur mobile par exemple. Le secteur est en pleine mutation. Dans ce contexte, tous les diffuseurs n'appréhendent pas cette révolution de la même manière, notamment dans la rémunération des droits. Pour certains d'entre eux, les diffusions numériques (vod, catch up) nouvelles ne justifient pas de rémunération spécifique. Demain, cela pourrait représenter l'essentiel des modes de consommation de nos programmes et devrait donc pouvoir constituer l'essentiel de notre rémunération. Pour l'instant seule France Télévisions accepte de rémunérer spécifiquement ces nouveaux modes de diffusion.[...] Nous considérons que le contrat conclu entre France Télécom et France Télévisions nous est favorable. France Télévisions a trouvé ailleurs les ressources dont il ne disposait pas pour financer ses programmes ".

Pour France Télévisions et France Télécom

134. Il convient de noter que l'exclusivité confère au partenariat un équilibre économique qui satisfait non seulement les producteurs mais aussi les parties à l'accord. L'exclusivité consentie à France Télécom permet à France Télévisions, d'une part, de bénéficier du financement des investissements représentés par l'acquisition des droits, des coûts techniques et des coûts de promotion et, d'autre part, de partager des revenus équitables avec les producteurs. France Télévisions valorise mieux le service de télévision de rattrapage en le confiant en exclusivité qu'en concurrence entre différents opérateurs. L'exclusivité permet à France Télévisions de trouver des sources de financement nouvelles et de développer un service innovant. Quant à France Télécom, compte tenu du retour sur investissement " incertain dans le domaine de la télévision de rattrapage en raison de la nouveauté du service ", l'exclusivité lui permet de pallier l'incertitude sur la profitabilité de son investissement. France Télécom a accepté de rémunérer les producteurs, d'investir dans le développement technique et commercial de ce service à la condition que ce service lui permette de différencier son offre de celle de ses concurrents.

Pour les consommateurs

135. La saisissante considère que l'accord ne réserve aucune part équitable du progrès économique aux consommateurs dans la mesure où les clients des autres opérateurs ne peuvent bénéficier du même service que les abonnés d'Orange, alors même que les programmes concernés ont été financés en partie par la redevance.

136. France Télévisions et France Télécom font valoir le contraire, en soulignant que le consommateur, sans être abonné aux services d'Orange, a accès à l'offre de télévision de rattrapage de France Télévisions sur son site Internet. France Télécom précise que ces personnes peuvent même regarder la télévision de rattrapage sur leur téléviseur, en connectant leur ordinateur au poste de télévision par une " manipulation simple ", possible sur " tout type de téléviseur ".

137. Mais sans méconnaître les inconvénients liés à l'exclusivité, qui prive les clients des autres opérateurs de télécommunications de l'accès " en catch up TV " aux programmes faisant l'objet du partenariat pendant deux ans, on ne peut que constater qu'elle permet dans un premier temps l'émergence d'un service innovant que les partenaires sont les premiers à proposer.

138. De plus, les possibilités de visionnage des programmes concernés " en catch up TV " sur le site internet de France Télévisions atténuent l'atteinte au consommateur dénoncée par la saisissante puisque tous les consommateurs, quel que soit leur fournisseur d'accès à Internet, auront accès au service de catch up TV mis à disposition sur le site francetvod.fr.

139. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les justifications techniques de l'exclusivité au regard des amortissements des investissements, qu'il n'est, à ce jour, pas possible de valider compte tenu de l'incertitude pesant sur le succès futur de l'offre France Télécom, il résulte de ce qui précède qu'aucun élément suffisamment probant ne vient, en l'état, étayer le reproche d'objet anticoncurrentiel de la pratique.

Les effets de l'exclusivité sur la concurrence

140. La saisissante estime que le partenariat bride toute concurrence en interdisant aux concurrents potentiels de France Télécom d'accéder au marché aval de la diffusion en télévision de rattrapage des chaînes du groupe France Télévisions. En privant les concurrents du groupe France Télécom de contenus " clés ", l'accord aurait un fort effet d'exclusion de ces opérateurs.

141. Mais l'effet potentiel d'éviction du partenariat litigieux ne serait démontré que s'il était établi que les émissions qui en font l'objet présentaient une attractivité telle que leur absence dans l'offre des opérateurs ADSL concurrents détournerait leurs clients vers les services proposés par France Télécom.

142. Or, aucune étude ne permet à ce jour d'étayer une telle affirmation, compte tenu du caractère extrêmement récent de ce service et du dynamisme de la constitution des offres multiservices.

143. En tout état de cause, il n'appartient pas au Conseil, dont les missions ne peuvent se confondre avec celles d'un régulateur sectoriel, de se prononcer ex ante, à ce stade du développement des services de télévision de rattrapage, sur le modèle économique devant lier les producteurs, les diffuseurs, et les opérateurs de télécommunications. Une instruction au fond, qui devrait nécessairement s'appuyer sur des éléments factuels concernant l'attractivité des services de télévision de rattrapage, et ses effets éventuels de migration des consommateurs vers l'offre de France Télécom, n'est pas justifiée alors même que l'accord signé n'est pas entré en vigueur.

144. En conclusion, il ressort de ce qui précède que les faits dénoncés par la saisine ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants de nature à caractériser, en l'état actuel du marché, l'existence de pratiques qui auraient pour objet ou pour effet d'entraver le libre jeu de la concurrence au sens des dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et des articles 81 et 82 du traité CE.

145. Il convient, en conséquence, de faire application des dispositions de l'article L. 462-8 du Code de commerce et, par voie de conséquence, de rejeter la demande de mesures conservatoires.

146. Mais il est important de souligner qu'un tel rejet ne fait nullement obstacle à ce que l'association saisissante ou des entreprises du secteur, dans le cas où elles feraient état d'éléments nouveaux provenant de l'observation ultérieure du marché, saisissent ultérieurement le Conseil.

DÉCISION

Article 1er : La saisine au fond enregistrée sous le numéro 07/0069 F est rejetée.

Article 2 : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 07/0070M est rejetée.