Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 6 mai 2008, n° ECEC0812905X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lafarge Ciments (SA), Vicat (SA), Simongiovanni Matériaux (SARL), Gedimat-Anchetti (SAS)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, Président du Conseil de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Mouellard

Avoués :

SCP Bernabe Chardin Cheviller, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Mira Bettan

Avocats :

Mes Winckler, Brunet, Freget, Sarre, Jegou

CA Paris n° ECEC0812905X

6 mai 2008

Saisi le 6 juin 2000 par le ministre chargé de l'Economie de pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'approvisionnement et de la distribution du ciment en Corse le Conseil de la concurrence a rendu le 12 mars 2007 une décision n° 07-D-08 contenant notamment les articles suivants :

- article 3 : il est établi que les sociétés Lafarge Ciments, Vicat et le Syndicat des négociants en matériaux de construction se sont entendus en signant un protocole d'accord le 6 mai 1999 afin de lier les membres du syndicat par un contrat d'approvisionnement exclusif, pratique prohibée par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE.

- article 4 : il est établi que les sociétés Lafarge Ciments, Vicat et le GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse se sont entendus en signant une convention de subdélégation de l'exploitation des infrastructures de stockage du port de Bastia, pratique prohibée par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE.

- article 5 : il est établi que les sociétés Gedimat-Anchetti et Simat-Simongiovanni se sont entendues sur le marché aval de la distribution du ciment à Ajaccio, pratique prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.

- article 6 : il est établi que les sociétés Lafarge Ciments et Vicat ont abusé de leur position dominante collective sur les marchés du ciment en Haute-Corse, à Ajaccio, Porto-Vecchio et Propriano en octroyant des remises anticoncurrentielles aux négociants corses pratique prohibée par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE.

- article 7 : sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

. à la société Lafarge Ciments une sanction de 17 millions d'euro ;

. à la société Vicat une sanction de 8 millions d'euro ;

. GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse une sanction de 14 000 euro ;

. au Syndicat des négociants en matériaux de construction une sanction de 15 000 euro ;

. à la société Simat-Simongiovanni une sanction de 70 000 euro ;

. à la société Gedimat-Anchetti une sanction de 150 000 euro.

LA COUR,

Vu les recours contre cette décision formés :

. le 16 avril 2007 par la société Lafarge Ciments (ci-après la société Lafarge) tendant à l'annulation et subsidiairement à la réformation de la décision,

. le 16 avril 2007 par la société Vicat, tendant à l'annulation ou subsidiairement à la reformation de la décision,

. le 18 avril 2007 par la société Gedimat-Anchetti, tendant à l'annulation et/ou la reformation de la décision ;

Vu le recours incident formé par la SARL Simongiovanni Matériaux (Simat) le 21 mai 2007, tendant à l'annulation, subsidiairement à la réformation de la décision ;

Vu le mémoire déposé le 16 mai 2007 par la société Lafarge à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 4 février 2008, par lequel cette société demande à la cour d'annuler la décision en toutes ses dispositions, subsidiairement d'annuler ou réduire le montant de la sanction pécuniaire infligée ;

Vu le mémoire déposé le 16 mai 2007 par la société Vicat à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 5 février 2008, par lequel cette société demande à la cour :

- à titre principal, d'annuler les articles 3, 4, 6 et 7 de la décision et en conséquence de la décharger de toute sanction,

- à titre subsidiaire, d'annuler les articles 3, 4, et 7 de la décision, les pratiques visées par les articles 3 et 4 remplissant les conditions du bénéfice d'une exemption individuelle en application des articles L. 420-4,1, 2° du Code de commerce et 81 § 3 du traité CE, en conséquence de la décharger de toute sanction,

- à titre très subsidiaire, de réformer l'article 7 de la décision en réduisant dans de plus justes proportions le montant de la sanction qui lui a été infligée ;

Vu le mémoire déposé le 21 mai 2007 par la société Simongiovanni Matériaux à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 5 février 2008, par lequel cette société demande à la cour :

- à titre principal, d'annuler les articles 5 et 7 de la décision attaquée pour violation de L. 420-1 du Code de commerce, en conséquence de la décharger de toute sanction,

- à titre subsidiaire, de réformer l'article 7 de la décision en ce qu'il la condamne à une sanction de 70 000 euro, en conséquence de supprimer l'amende ou de la réduire substantiellement, d'ordonner la restitution des fonds payés, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, et capitalisation dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil, pour le cas où elle aurait payé la sanction ;

Vu le mémoire déposé le 18 mai 2007 par la société Gedimat-Anchetti à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 5 février 2008, par lequel cette société demande à la cour :

- à titre principal, de réformer la décision, les éléments constitutifs d'une entente entre elle-même et la société Simat n'étant pas établis, et de la mettre hors de cause,

- à titre subsidiaire, de réformer la décision quant au montant de la sanction prononcée, hors de proportion avec la pratique retenue, de prononcer à son encontre une sanction d'un montant symbolique d'un euro et d'ordonner le remboursement des sommes versées par elle, à proportion ;

Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence, déposées le 27 novembre 2007 ;

Vu les observations écrites du ministre chargé de l'Economie, déposées le 28 novembre 2007, s'en remettant à la sagesse de la cour quant à la qualification des pratiques et au montant des sanctions ;

Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties avant l'audience ;

Ouï à l'audience publique du 11 mars 2008, en leurs observations orales, les conseils des requérantes qui ont été mis en mesure de répliquer et ont eu la parole en dernier, ainsi que la représentante du Conseil de la concurrence, celui du ministre chargé de l'Economie et le Ministère public ;

SUR CE :

- Sur la procédure

. La prescription

Considérant que les sociétés Lafarge et Vicat prétendent les faits prescrits au motif qu'aucun acte tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des faits dont le Conseil a été saisi le 6 juin 2000 n'a été accompli pendant trois ans, la demande de renseignements adressée aux parties par le rapporteur le 10 avril 2003 étant inopérante en ce qu'elle avait manifestement pour seul objet d'interrompre le délai de prescription qui venait à son terme ;

Mais considérant que le rapporteur désigné pour une affaire dispose, en application de l'article L. 450-1 du Code de commerce, du pouvoir de procéder aux enquêtes nécessaires à l'application des dispositions du livre IV dudit Code ; qu'il en résulte qu'une demande de renseignements adressée par ce rapporteur aux entreprises mises en cause quant à leur situation juridique et financière, qui tend à la recherche, à la constatation ou à la sanction des faits dénoncés dans la saisine du Conseil de la concurrence que ce rapporteur est chargé d'instruire, est un acte interruptif de prescription ;

. La durée excessive de la procédure

Considérant que, faisant valoir que le Conseil s'est prononcé plus de sept ans après la saisine du ministre et plus de huit ans après les premières enquêtes menées en septembre 1999 par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, les sociétés Lafarge et Vicat poursuivent l'annulation de la décision subsidiairement la réduction du montant de l'amende, pour violation du délai raisonnable de la procédure prévu par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; que la société Lafarge souligne que ce délai qui n'a pas servi à réunir des éléments plus précis sur les prix pratiqués avant, pendant et après les pratiques incriminées, ni pour quantifier le dommage à l'économie, est imputable à la seule négligence du Conseil et ajoute que cette durée l'a privée de la possibilité de se défendre utilement, son personnel ayant été renouvelé depuis la période considérée et l'essentiel des documents utiles, notamment les notes internes ou les lettres expliquant le choix du transport par bateaux vraquiers, comme l'objectif de 130 000 tonnes convenu avec la Someca en 1998, n'étant plus en sa possession, et ce, d'autant que les discussions avec ses partenaires locaux ont commencé dès la fin des années 1980, s'agissant de l'exploitation des installations à Bastia, et dès 1997 s'agissant de la mise en place d'une nouvelle desserte maritime, soit bien avant les premières investigations qui ont été menées dans ses locaux en septembre 1999 ; que, de son côté, la société Vicat précise qu'elle n'est plus en mesure de produire des estimations fiables des importations sur le marché en Corse à l'époque des faits ;

Considérant que la méconnaissance du délai raisonnable prescrit par la Convention invoquée - lequel doit s'apprécier au regard de l'ampleur et de la complexité de l'affaire - n'est sanctionnée que par la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi et demeure sans effet sur la validité de la procédure, à moins que les entreprises ne démontrent concrètement en quoi les délais de la procédure ont porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense ;

Qu'en l'espèce, en admettant qu'en dépit de la complexité évidente des faits qui a donné lieu à notification d'une dizaine de griefs et à des investigations multiples notamment en matière de prix, le délai pour venir à bout de la procédure devant le Conseil de la concurrence apparaisse d'ores et déjà excessif, force est de constater que les sociétés Lafarge et Vicat, qui ne précisent pas quels éléments exacts leur feraient défaut, ne démontrent pas en quoi cette durée aurait porté concrètement atteinte à l'exercice de leur défense, alors au surplus qu'ayant eu connaissance, dès les mois de juin et juillet 1999 de l'enquête en cours, notamment des visites et saisies autorisées judiciairement qui visaient expressément l'approvisionnement et la commercialisation du ciment en Corse, il leur appartenait de conserver tous les éléments s'y rapportant et qu'elles l'ont apparemment fait puisqu'elles ont été en mesure de verser aux débats de nombreux documents contemporains des pratiques qui leur sont reprochées, au soutien de leur défense ;

. Les droits de la défense

Considérant que la société Lafarge invoque une violation des droits de la défense eu égard à la multiplication des griefs notifiés lesquels, selon elle, n'ont cessé d'évoluer au cours de la procédure, ainsi qu'à l'omission de notification de certains griefs, et prétend qu'elle n'a pas été mise en mesure de se défendre sur l'appréciation du dommage à l'économie résultant des pratiques incriminées ;

Que de son côté, la société Vicat reproche au Conseil de ne pas avoir répondu à tous les moyens qu'elle avait développés et de s'être prononcé par des considérations générales, manquant ainsi à l'obligation de motiver sa décision ;

Mais considérant que la multiplicité des griefs notifiés ne saurait constituer une atteinte aux droits de la défense dès lors que la société Lafarge ne conteste pas qu'elle a été mise en mesure de présenter sa défense pour chacun d'eux, tant après la notification qu'après le dépôt du rapport ; qu'il ne peut être utilement soutenu que le Conseil aurait modifié substantiellement un grief puisque la société Lafarge elle-même précise que le Conseil a considéré ce grief comme établi dans les termes exacts de la notification effectuée et qu'elle se borne à prétendre que c'est au stade de l'appréciation de la sanction que le Conseil en aurait modifié les contours, ce point devant être examiné ci-après au titre de la pertinence des motifs en question, notamment de leur adéquation avec les pratiques retenues ; qu'il en va de même du dommage à l'économie qui, aux termes de l'article L. 464-2, alinéa 3 du Code de commerce, constitue l'un des facteurs à prendre en compte pour l'appréciation de la sanction, la requérante ne prétendant pas à cet égard que le Conseil se serait prononcé de ce chef sur des éléments qui n'auraient pas été soumis au débat contradictoire ;

Qu'enfin, en ce qui concerne la motivation, la décision contient les énonciations de fait et de droit qui en constituent le fondement et qui permettent à la cour d'en apprécier la légalité, toute autre considération quant à la pertinence de ces motifs relevant du pouvoir de réformation de la cour dans le cadre de son contrôle de pleine juridiction ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la procédure est régulière ;

- Sur le fond

Considérant que le ciment est un produit dérivé d'un produit intermédiaire, le "clinker", mélangé à d'autres substances, dont les propriétés varient selon les quantités de matières premières utilisées et les méthodes de production choisies ; qu'eu égard à ces différentes propriétés, les autorités communautaires ont mis en place un processus de normalisation des ciments courants qui a abouti en 1992 à la prénorme ENV-197-1 puis en 1995 à la pré-norme ENV-197-2, en vigueur à l'époque des faits, laquelle distingue les ciments courants selon leur composition (ciment Portland, ciment Portland composé, ciment de haut fourneau, ciment pouzzolanique et ciment au laitier et aux cendres) et les répartit en trois classes (32,5 - 42,5 - 52,5) selon la valeur minimale de résistance à la compression mesurée à 28 jours ;

Qu'il n'existe pas en Corse de cimenterie ou de centre de distribution exploité directement par les cimentiers, de sorte que tout le ciment distribué dans l'île est importé par voie maritime - via les ports de Bastia, Calvi, Ile Rousse, Ajaccio, Porto-Vecchio et Propriano - soit par navires rouliers (autrement dits "rolls", à bord desquels embarquent des camions chargés de ciment, le plus souvent conditionné en sacs), l'avantage de ce mode de transport étant qu'il ne nécessite aucune installation spécifique de stockage-ensachage, ni au port de livraison, ni chez le négociant, soit par navires vraquiers, plus économiques pour les grandes quantités et permettant d'amortir les investissements d'installations de stockage et d'ensachage nécessités sur place ; que ces deux modes de transport sont donc complémentaires, leur utilité dépendant de la quantité transportée et de la disponibilité sur place d'installations cimentières fixes ;

Considérant qu'à partir des années 60, alors que jusque-là, le ciment provenant de France continentale était transporté essentiellement par navires rouliers, les autorités locales et les négociants corses ont souhaité développer le transport en vrac ; que des silos ont été construits sur le port de Bastia tandis que, dans le sud de la Corse, les négociants créaient leurs propres infrastructures de stockage et d'ensachage du ciment ; que, par arrêté ministériel du 30 juillet 1969, l'Etat a octroyé à la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Haute-Corse une concession d'outillage public de 30 ans sur le port de Bastia, en prévoyant la possibilité pour le concessionnaire de confier à un tiers l'exploitation de l'outillage public concédé ;

Que c'est ainsi que, le 27 septembre 1994, la CCI a conclu avec les producteurs de ciments Lafarge et Vicat un "sous-traité d'exploitation d'un outillage public de stockage et d'ensachage du ciment" (soit 4 silos de stockage d'une capacité individuelle de 800 tonnes, complétés par une unité d'ensachage) pour une durée de 5 ans, renouvelable à compter du 1er septembre 1999 pour une durée minimale de 25 ans, prévoyant en son article XI une faculté de subdélégation de tout ou partie de l'exploitation des installations en cause au GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse, qui avait été constitué le 20 juin 1993 pour l'exploitation logistique des installations de réception et de distribution du ciment admis à la marque "NF liants hydrauliques" ; que, le même jour, a été signé un protocole d'accord en vertu duquel les producteurs de ciment participaient au financement du réaménagement des installations de réception, soit de stockage et d'ensachage et de distribution sur le port de Bastia, en accordant à la CCI un prêt de 15 millions de francs au taux de 7 %, remboursable en 30 annuités de 1 208 796 francs ;

Que par convention de subdélégation du 8 novembre 1994, les sociétés Lafarge et Vicat ont confié l'exploitation exclusive des installations du port de Bastia au GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse pendant 30 ans, lequel prenait en charge le paiement des annuités de remboursement du prêt susmentionné ;

Considérant que parallèlement, et depuis 1986, le transport du ciment en vrac bénéficiait d'une subvention étatique dans le cadre du "principe de continuité territoriale" ; qu'un contrat de concession de service public, devant expirer le 31 décembre 1998 avait été conclu avec la compagnie de transport Someca Transport (ci-après Someca) et l'affréteur Pittaluga pour assurer le transport de ciment en vrac entre la Corse et le continent imposant un nombre minimum de voyages par an et l'obligation de desservir l'ensemble des ports corses, moyennant une subvention d'un montant, entre 1990 et 1998 de 12 à 15 millions de francs par an et ce, jusqu'au 1er juillet 1998 ;

Qu'avant le terme de ce contrat, des études ont été menées en vue de réorganiser les filières d'approvisionnement en ciment en Corse et, finalement, le 6 juillet 1998 un contrat d'exclusivité a été signé entre Lafarge, Vicat et Someca par lequel cette dernière s'engageait à poursuivre le transport de ciment en vrac à destination de la Corse selon de nouvelles modalités (utilisation d'un seul navire, le Capo Rosso, dont la capacité était portée à 1 500 tonnes, remplissage maximal, et non à la carte, des cuves à ciment diminution du nombre de rotations), les cimentiers garantissant en contrepartie un quota minimum annuel de remplissage des cuves de 130 000 tonnes ; que ces nouvelles dispositions ont eu pour effet de ramener le prix du transport par tonne de ciment à 153 F (Vicat) ou 178,50 F (Lafarge) au lieu de 245 F sous le régime précédent, ces économies permettant de compenser partiellement la perte de la subvention publique de 120 F par tonne ;

Que c'est dans ces conditions que la structure du marché du transport de ciment s'est profondément modifiée au cours de cette période, le transport roulier diminuant substantiellement voire disparaissant au profit du transport en vrac par le navire de Someca (85 % du total du trafic dans les années 80 contre 99 % en 1998) ;

. Sur les pratiques

Sur le marché pertinent

Considérant qu'eu égard aux caractéristiques structurelles du marché du ciment en Corse (consommation locale faible, clientèle fractionnée, impossibilité pour les navires vraquiers classiques de plus de 3 000 tonnes d'accoster sur les ports corses en raison des tirants d'eau et de la longueur des quais, absence d'infrastructures d'accueil pour les cimentiers étrangers, norme NF exigeant le stockage et l'ensachage dans des établissements agréés par l'AFNOR, de fait réservés aux sociétés Lafarge Ciments et Vicat), l'offre émane essentiellement des producteurs de ciments Lafarge et Vicat (93,7 % de 1999 à 2001), le surplus provenant des tonnages d'origine étrangère transportés par navires rouliers ;

Que ces importations de ciment en provenance d'autres Etats membres, essentiellement d'Italie (en particulier de Sardaigne) et de Grèce, apparues en 1995, sont réalisées par des transporteurs étrangers et concernent donc principalement du ciment en sacs, bénéficiant de la norme européenne ENV-197-1 mais pas de la norme AFNOR NF P 15-300 "'Liants hydrauliques", s'agissant des marques suivantes :

- Intertitan Emporiki Diethenis (Grèce)

- Ceme.Co Porto Torres (Sardaigne)

- Capolinio Sassari (Sardaigne)

- Nueva Capolino Sassari (Sardaigne)

- Cemento Pisano Orciano Pisano (Italie) ;

Que la demande émane essentiellement des négociants-grossistes (82 millions d'euro de chiffre d'affaires en 1998), seuls aptes à procéder sur place à l'ensachage ou au stockage indispensables pour le ciment en vrac qui représente 97 % du ciment transporté de France continentale vers le territoire corse ; qu'à l'exception des négociants Corse Carrelage et Baticash à Bastia, Pierreti à Propriano, Padrona et Ceccaldi à Ajaccio, ces distributeurs se sont regroupés le 30 octobre 1997 au sein du Syndicat des négociants en matériaux de construction, ayant pour objet la défense des intérêts matériels et moraux de ses membres ainsi que l'étude en commun de tous les sujets se rapportant à l'exercice de la profession de négociants et distributeurs de matériaux sur le territoire corse ;

Considérant que les parties ne discutent pas les motifs par lesquels le Conseil a considéré, en premier lieu, que le marché pertinent est celui des ciments courants, sans qu'il soit besoin de segmenter le marché en fonction des caractéristiques des ciments vendus en Corse, la concurrence entre producteurs de ciments français, italiens ou grecs s'exerçant sur les mêmes types de produits, en second lieu, qu'en raison des caractéristiques géographiques du territoire corse (relief accidenté-réseau routier sinueux) et des spécificités du ciment (produit pondéreux et semi-périssable qui ne peut être transporté sans surcoût significatif sur une distance supérieure à 30-80 km), ce marché se divise naturellement en zones de 50 à 100 kilomètres autour des grands ports de l'île cités ci-avant ;

Qu'enfin, les pratiques ont concerné le marché amont de l'approvisionnent en gros et le marché aval de détail du ciment en Corse ;

Sur les pratiques imputées aux sociétés Lafarge et Vicat,

. Sur le grief d'entente entre Lafarge, Vicat et le GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse au moyen de la subdélégation du 8 novembre 1994

Considérant que, par cette convention, conclue pour une durée de trente ans devant s'achever le 30 août 2024, les cimentiers Lafarge et Vicat - qui avaient financé, par le biais d'un prêt consenti à la CCI, le réaménagement des installations dans le cadre de la restructuration du port en contrepartie de la concession d'exploitation des installations en cause - ont concédé à leur tour l'exploitation exclusive des installations de stockage et d'ensachage du ciment sur le port de Bastia au GIE Groupement Logistique Ciments Haute-Corse, contre paiement par celui-ci à la CCI, à la fois, de la redevance d'usage convenue dans le sous-traité d'exploitation du 27 septembre 1994 et des annuités de remboursement du prêt, d'un montant de 1 208 796 francs ;

Considérant que le GIE, qui constituait un intermédiaire obligé pour les négociants installés en Haute-Corse ne disposant pas d'installations alternatives sur le port de Bastia, regroupait la quasi-totalité des négociants de Haute-Corse ; qu'en pratique, ses adhérents venaient s'approvisionner sur le port comme à une usine ou à un dépôt de ciment décentralisé, chaque enlèvement de ciment donnant lieu à facturation au négociant par le GIE de sa propre prestation de stockage et d'ensachage, et par les cimentiers concernés du prix du produit rendu au port de Bastia, les cimentiers se chargeant aussi de la gestion des stocks ;

Or considérant qu'en vertu de l'article 1er de cette convention, le GIE s'est également engagé, en qualité de porte-fort, "en contrepartie de l'octroi de l'exploitation exclusive des installations de ciments", "à ce que ses membres s'approvisionnent exclusivement auprès de Ciments Lafarge et Vicat, pour les gammes des catégories de produits transitant ou ayant transité par les installations faisant l'objet du présent contrat cet engagement d'approvisionnement exclusif constitu[ant] une condition essentielle sans laquelle Lafarge et Vicat n'accepteraient pas d'octroyer l'exclusivité de l'exploitation des installations " ;

Considérant que cette clause, dont les termes sont, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, exempts d'ambiguïté, met à la charge de l'ensemble des négociants de Haute-Corse une obligation d'approvisionnement exclusif auprès de Lafarge et Vicat, pendant une durée de trente ans, pour toutes les gammes transitant ou ayant transité par les silos - soit principalement les gammes 42,5 et 52,5 qui représentent la majeure partie du ciment vendu en Corse - et leur interdit donc tout approvisionnement alternatif s'agissant de ces gammes ;

Qu'elle est d'autant plus contraignante pour ces négociants que le GIE était simultanément tenu au paiement des échéances du prêt accordé par Vicat et Lafarge, cette circonstance expliquant les interventions du GIE auprès de ses adhérents en vue de la faire respecter (notamment envers Brico-Balagne et ETM, relatées aux points 54 à 59 de la décision), et privant de pertinence l'argument des requérantes selon lequel elles sont étrangères à ces pressions, qui relèvent des seules relations du GIE avec ses adhérents ;

Considérant que cette clause, qui induit une restriction de la liberté d'approvisionnement des négociants majeure, tant par son champ que par sa durée a donc un objet anticoncurrentiel et ce, indépendamment des contrats administratifs précédemment conclus avec la CCI, qui n'excluaient pas au contraire le maintien d'une concurrence sur le marché de la fourniture de ciment ; qu'il n'importe qu'elle n'ait pas été appliquée strictement, comme le font valoir les requérantes en se fondant sur le tableau reproduit au point 20 de la décision, selon lequel quelques entreprises en Haute-Corse ont néanmoins persisté à recourir à un approvisionnement importé ; que d'ailleurs, ce tableau confirme les appréciations du Conseil selon lesquelles la clause a déployé des effets anticoncurrentiels en ce qu'elle a réduit sensiblement les débouchés des autres fournisseurs de ciment grecs ou italiens, les quantités importées par les négociants via les ports de Haute-Corse étant demeurées minimes (6 % en 1997, 8 % en 1998 et 4,5 % en 1999, année à partir de laquelle la pratique dont s'agit s'est cumulée avec celle examinée ci-dessous) et essentiellement destinées à des revendeurs non spécialisés (Corse Carrelage, Baticash) ;

Considérant enfin que les requérantes ne sauraient utilement revendiquer pour cette pratique le bénéfice de l'exemption prévue aux articles 81 § 3 du traité CE et L. 420-4, 2° du Code de commerce dès lors, d'une part, qu'ainsi qu'il vient d'être vu, la clause dont s'agit leur donnait la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause, en particulier en cantonnant au minimum l'approvisionnement par rolls en provenance d'Italie ou de Grèce qui, quoique limité, était susceptible de se développer davantage et d'exercer une pression concurrentielle significative, notamment sur les prix et, d'autre part, qu'elles n'expliquent pas en quoi cette restriction de concurrence était indispensable pour atteindre les objectifs de progrès économique qu'elles invoquent à savoir le réaménagement des installations de Bastia dont le financement était au final entièrement pris en charge par le GIE, la rationalisation des infrastructures du port de Bastia eu égard aux opérations de nettoyage des silos à effectuer en cas de stockage de ciments différents, dénuée de lien avec l'interdiction de tout approvisionnement par transport roulier ou de l'utilisation de dispositifs de stockage distincts, le respect de la traçabilité des produits et de la norme AFNOR, que l'approvisionnement en transport roulier ne compromet pas nécessairement et qui demeure d'un intérêt secondaire dès lors que le respect de la norme AFNOR n'est imposé que pour les marchés publics, et les économies de coût pour les négociants, alors que les ciments étrangers sont vendus à des prix nettement plus bas (- 20 %) ; que, de toute façon, le Conseil objecte avec pertinence que ces gains d'efficience, à les supposer établis, ne seraient pas suffisants pour contrebalancer les effets d'une restriction de concurrence aussi grave et longue ;

Considérant qu'il suit de là que c'est par de justes motifs que la cour adopte que le Conseil a déclaré ce grief établi ; que toutefois, il résulte des documents produits, par la société Lafarge notamment, que, de nouvelles dispositions ayant été adoptées avec la CCI de Bastia, la convention de subdélégation est devenue caduque à compter du 31 décembre 2004, de sorte que la durée effective de la pratique a été de dix ans et non de douze ans ;

. Sur le grief d'entente entre Lafarge, Vicat et le Syndicat des négociants en matériaux de construction au moyen du protocole du 6 mai 1999

Considérant que les sociétés Lafarge et Vicat, qui avaient conclu, le 6 juillet 1998, une "convention maritime" pour une durée de 5 ans avec Someca - par laquelle elles attribuaient à cette dernière l'exclusivité du transport de leur trafic de marchandises depuis le continent vers la Corse, sur la base d'une prévision de marché de 130 000 tonnes annuelles dont elles garantissaient l'obtention sous peine du paiement d'une indemnité de 153 F par tonne manquante - ont, le 6 mai 1999, après plusieurs mois de négociations, conclu avec le Syndicat des négociants en matériaux de construction un protocole d'accord d'une durée de quatre ans, renouvelable par tacite reconduction, par lequel ce dernier prenait "acte de l'engagement global minimum annuel de 130 000 tonnes de ciment en provenance du port de Nice, par l'utilisation de moyens logistiques exclusifs de la Someca", incluant le paiement par les producteurs d'une indemnité par tonne manquante, et s'engageait ''à favoriser dans le respect et les limites des contraintes réglementaires l'acquisition et les moyens de stockages par ses membres ", cependant que les producteurs, de leur côté, s'engageaient "à déclarer auprès du Syndicat des négociants les tonnages de ciments en sacs ou vrac/roll enlevés dans leurs sites industriels à destination de la région Corse, afin de permettre la comptabilisation de ces tonnages dans les 130 000 tonnes prévues" ; qu'il était aussi précisé que "les producteurs ont signé avec chaque négociant "stockiste-ensacheur " disposant de capacité de stockage sur pied (minimum 5001) adapté à la norme ciments et optimisant le transport par bateau vraquier, un contrat de dépôt" et que "la rémunération de ce dépôt est convenue au cas par cas en fonction des services rendus par le négociant et de sa capacité de stockage", qu'enfin, "les producteurs informeront leurs éventuels nouveaux clients ne disposant pas d'installations de stockage et d'ensachage conforme aux normes AFNOR que la commercialisation de surproduit se fera notamment par l'intermédiaire de négociants stockistes ensacheurs"... ;

Or considérant que, selon les données retenues par le Conseil au terme d'une motivation circonstanciée que la cour fait sienne, le volume total de ciment acheté par les négociants corses était en 1997 de 130 000 tonnes, qu'il a été en 1998 de 132 000 tonnes environ et qu'il était estimé à 135 000 tonnes pour l'année 1999, de sorte que le minimum garanti de 130 000 tonnes représentait lors de la conclusion du protocole plus de 90 % du marché en cause, ce qui avait pour conséquence évidente de restreindre d'autant les possibilités d'importation en provenance de Grèce ou d'Italie ;

Considérant qu'ainsi, et même si l'expression ne figure pas expressément dans le protocole, cet engagement du syndicat caractérisait un engagement d'approvisionnement exclusif auprès de Lafarge et Vicat, puisqu'il couvrait la quasi-totalité des besoins de ses adhérents ; que d'ailleurs, le Conseil a relevé (points 162 a 166) les échanges de courriers qui ont précédé la signature du protocole et qui attestent de l'intention des parties, à l'origine, de signer des contrats d'approvisionnement exclusif individuels, assortis de remises, auxquels elles ont renoncé en raison des risques qu'ils présentaient au regard du droit de la concurrence, qui s'est reportée sur un contrat collectif, moins explicite ("le syndicat prend acte"), et prévoyant certains avantages commerciaux au profit des négociants "stockistes-ensacheurs" qui assureraient des prestations de stockage et de mise en sac au profit de nouveaux clients de Lafarge et Vicat ne disposant pas d'installations conformes ; qu'il n'importe pour la qualification de l'entente que le protocole ne contienne pas de formule le rendant juridiquement contraignant envers les adhérents dès lors que ces derniers étaient disposés à l'appliquer, nombre d'entre eux ayant d'ailleurs signé individuellement des contrats de dépôt avec les cimentiers ;

Que les requérantes ne peuvent utilement soutenir que l'objectif de 130 000 tonnes correspondait au tonnage nécessaire à l'équilibre économique du navire, dès lors qu'elles s'engageaient simultanément à signaler au syndicat toute vente hors navire Someca effectuée à partir de leurs sites industriels à destination de la région Corse, "afin de permettre la comptabilisation de ces tonnages dans les 130 000 tonnes prévues", cette stipulation démontrant au contraire que c'était uniquement le montant du marché qui était visé, ce qu'au reste le syndicat a confirmé dans ses observations devant le Conseil en admettant que ''à l'origine, ce chiffre de 130 000 tonnes a été fixé par référence à ce qui correspondait à la consommation totale de la Corse en ciment en 1997" ;

Qu'au demeurant, le Conseil a relevé qu'au cours de la période considérée, soit de 1999 à 2002, date à laquelle le protocole a été dénoncé, les importations de ciments étrangers sont demeurées faibles, et n'ont crû que du fait des utilisateurs finals et non des négociants stockistes-ensacheurs adhérents du syndicat signataire ; que le tableau reproduit au point 20 de la décision, qui contredit les allégations des requérantes quant aux importations effectuées après la mise en place de la desserte Someca, révèle d'ailleurs que les importations des négociants en Corse, qui avaient atteint 8,2 % en 1998 sont redescendues à 4,8 % en 1999 ;

Considérant que ce protocole, par lequel les négociants s'engageaient à s'approvisionner en ciment Lafarge et Vicat pour la totalité de leurs besoins et acceptaient de ne stocker et de n'ensacher que du ciment Lafarge ou Vicat, est venu anéantir ce qui subsistait de concurrence possible sur le marché, notamment en provenance d'Italie ou de Grèce, seuls quelques négociants isolés non membres du syndicat, d'ailleurs, comme l'entreprise Pierretti à Propriano ayant continué à acheter auprès de fournisseurs étrangers ; qu'ayant pour objet et pour effet de confisquer la quasi-totalité du marché de la fourniture de ciment en Corse au profit des sociétés Lafarge et Vicat, il ne peut bénéficier de l'exemption prévue aux articles 81 § 3 du traité CE et L. 420-4,2° du Code de commerce ;

Considérant qu'il suit de là que c'est à juste titre que le Conseil a retenu ce grief à l'encontre des sociétés Lafarge et Vicat, mais seulement pour une période de trois ans et non de quatre ans, le protocole ayant été dénoncé fin 2002 ;

. Sur le grief d'abus de position dominante collective de Lafarge et Vicat par octroi de remises fidélisantes de décembre 1997 à mars 1998 puis de juillet à septembre 1998

Considérant que, pour constater l'existence d'une domination collective sur un marché, il est nécessaire d'examiner les liens ou facteurs de corrélation économiques entre les entreprises concernées et, en particulier, de vérifier s'il existe des liens économiques entre ces entreprises qui leur permettent d'agir ensemble indépendamment de leurs concurrents, de leurs clients et des consommateurs ; que, si la seule circonstance que des entreprises soient liées par des accords, comme c'est le cas en l'espèce, ne constitue pas, en soi, un élément suffisant à asseoir une telle constatation, en revanche, la mise en œuvre de ces accords peut avoir pour conséquence que ces entreprises se sont liées quant à leur comportement sur un marché déterminé de telle sorte qu'elles se présentent sur ce marché comme une entité collective à l'égard de leurs concurrents, de leurs partenaires commerciaux et des consommateurs ; que la constatation de l'existence d'une position dominante collective peut donc résulter de la nature et des termes d'un ou de plusieurs accords ainsi que de leur mise en œuvre et, partant, des liens ou facteurs de corrélation entre entreprises qui en résultent, étant précisé toutefois que l'existence de tels accords ou d'autres liens juridiques n'est pas une condition indispensable à une telle constatation, qui pourrait résulter d'autres facteurs de corrélation relevant d'une appréciation économique et, notamment, d'une appréciation de la structure du marché en cause ;

Considérant qu'en l'espèce, le Conseil a, à suffisance de droit et par des motifs pertinents qui ne sont pas utilement discutés par les requérantes et que la cour adopte, caractérisé, à la fois, tant les liens qui unissent les sociétés Lafarge et Vicat qui résultent des nombreux contrats conclus conjointement cités ci-avant dont la mise en œuvre à l'égard de leurs clients, de leurs concurrents et des consommateurs traduit que ces deux entreprises se présentaient sur le marché de l'approvisionnement en gros de la Corse en ciment comme une entité collective pratiquant une stratégie commune (constatation que n'invalident pas les variations réciproques de leurs parts de marché), que la structure du marché en cause qui rend possible une telle domination collective, soit un marché duopolistique dont la transparence permet à chacun des membres du duopole de connaître, de manière suffisamment précise et immédiate, l'évolution du comportement de l'autre sur ce marché, les capacités de représailles de chacun d'entre eux les incitant à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune sur le marché, et l'impossibilité pour les concurrents (dont la part de marché en l'espèce est inférieure à 10 % et qui se heurtent aux barrières à l'entrée résultant de la norme AFNOR et des capacités du transport par rolls limitées par les clauses d'exclusivité liant leurs clients éventuels) comme pour les partenaires commerciaux, tenus par les engagements d'exclusivité déjà consentis, et les utilisateurs finals, trop peu nombreux pour contester efficacement cette domination, de remettre en cause les résultats attendus de la ligne d'action commune ;

Considérant, sur l'abus, que c'est également à juste titre et au terme d'une analyse précise des éléments du dossier que la décision retient que tant Vicat que Lafarge ont, entre décembre 1997 et mars 1998, puis de juillet à septembre 1999, accordé aux négociants membres du syndicat les plus susceptibles de faire jouer la concurrence, des remises ciblées (50 F la tonne sous forme d'avoir au mois le mois), dénuées de justification économique, dont le seul objet était de "lutter contre les importations" en récompensant a posteriori ceux qui n'avaient pas importé de ciments étrangers ou qui avaient fortement réduit ces importations, et que ces remises, dont l'objet était clairement anticoncurrentiel et dont l'effet était démultiplié par les volumes concernés, ne pouvaient être efficacement contrebalancées par les fournisseurs étrangers, cantonnés à un rôle d'offreurs marginaux ; qu'il n'importe pour la caractérisation de la pratique que l'attribution de ces remises, dont l'objet était expressément de récompenser les ''négociants n'ayant pas acheté de ciments d'importation sur le mois considéré" (point 38) n'ait pas été effectuée strictement et que quelques négociants, comme Meoni, Brico Balagne et ETM, aient perçu cette remise exceptionnelle bien qu'ils eussent continué à importer partie de leur consommation de ciments, d'autant que le tableau reproduit au point 20 de la décision révèle que, pour ce qui est d'ETM, ce négociant avait réduit ses importations de ciment étranger de plus de 60 % entre 1997 et 1998 et que, de même, l'entreprise Castelli à Porto-Vecchio, à qui Vicat prétend avoir accordé la remise en 1997 et 1998, avait cessé toute importation en 1998 ;

Qu'ainsi, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le Conseil a décidé que ce grief est établi à l'encontre des requérantes, étant encore observé qu'aucun lien de causalité n'unit cette pratique avec les gains d'efficacité invoqués par Vicat à savoir "la contribution au fonctionnement d'un système d'approvisionnement régulier et continu de la Corse dans lequel Vicat avait massivement investi" ;

Considérant enfin que les sociétés Lafarge et Vicat ne contestent pas les motifs par lesquels le Conseil a retenu que les pratiques dont s'agit ont affecté le commerce intracommunautaire, de sorte qu'elles sont également prohibées par les articles 81 et 82 du traité CE :

Sur les recours des sociétés Simongiovanni Matériaux et Gedimat-Anchetti

Considérant, sur le grief d'entente entre les sociétés Anchetti et Simat pour lutter contre les importations de ciment grec, que le Conseil a considéré comme établi que les négociants Anchetti et Simat, détenant ensemble 65 % du marché de détail du ciment à Ajaccio, se sont entendus pour effectuer une proposition de prix commune auprès de la société SBA, filiale des sociétés Colas et Mocchi, pour la dissuader de s'approvisionner en ciments grecs (de type 42,5, HPR et 52,5 PM);

Considérant toutefois que ce raisonnement ne peut être suivi dès lors que l'unique document sur lequel se fonde le Conseil pour ce faire (décrit au point 103) ne permet pas à lui-seul, de démontrer l'entente en cause, s'agissant d'une feuille à en-tête de la société Anchetti, qui certes a été saisie dans les locaux de la société Simat, mais dont l'auteur et le sens demeurent inconnus, les mentions qu'il comporte (plusieurs relevés manuscrits de prix pour les catégories 42,5, HPR, et PM, suivis de "Proposition Anchetti/Simat", et de "Demande de Colas", visant enfin "Accord éventuel Marras", sachant que M. Marras était le dirigeant de la société Mocchi), ne pouvant être interprétées sans équivoque et alors au surplus que les chiffres qui y sont portés ne correspondent à aucun des prix relevés au cours de l'enquête, serait-ce au titre d'une offre effectivement formulée par l'une ou l'autre des entreprises ; qu'il suit de là que ces deux requérantes, dont la culpabilité n'est pas démontrée, doivent être mises hors de cause ;

. Sur les sanctions

Considérant qu'aux termes de l'article L. 464-2, alinéa 3, du Code de commerce en sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 16 mai 2001, applicable en la cause, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné, et de façon motivée pour chaque sanction, le montant maximum de la sanction étant, pour une entreprise, de 5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalise en France au cours du dernier exercice clos ;

Considérant qu'il est constant qu'au moment où les pratiques ont été mises en œuvre, la concurrence en Corse sur le marché de gros de l'approvisionnement en ciment était déjà sérieusement altérée pour les raisons suivantes :

- barrières à l'entrée liées à la nécessité du transport maritime et au respect de la norme NF, le processus de normalisation européenne n'ayant pas encore déployé son plein effet,

- déséquilibre concurrentiel préexistant du fait de la subvention publique bénéficiant aux seuls operateurs nationaux, supprimée afin de respecter la réglementation européenne relative aux aides d'Etat,

- intégration dans le périmètre des activités des cimentiers Lafarge et Vicat des installations de stockage et d'ensachage de Bastia, concédée par la CCI de Bastia,

- accords d'exclusivité passés par ces deux cimentiers avec le transporteur Someca ;

Que cette situation était la conséquence des deux crises graves qui ont successivement affecté le marché de l'approvisionnement en gros du ciment en Corse soit la menace de la disparition des installations de stockage et d'ensachage du port de Bastia et la suppression de la subvention publique du transport maritime pour l'île, qui ont pu être surmontées grâce à l'intervention, encouragée voire voulue par les pouvoirs publics des deux cimentiers Lafarge et Vicat, lesquels ont obtenu en contrepartie l'exclusivité de l'exploitation des installations de réception maintenues grâce à eux à Bastia et du transport par le navire qu'ils avaient affrété, soit le contrôle de deux infrastructures d'un intérêt majeur pour le marché de l'approvisionnement du ciment en Corse ;

Que les sociétés Lafarge et Vicat ont profité de cette position privilégiée pour mettre en œuvre des pratiques d'ententes qui, horizontales entre elles, devenaient verticales dès lors qu'y étaient associés, d'un côté, le GIE regroupant les négociants de Haute-Corse, de l'autre, le Syndicat des négociants en matériaux de construction, avec la circonstance que les accords d'exclusivité consentis par le GIE et le syndicat ont eu pour effet supplémentaire de limiter entre leurs membres la concurrence par les prix qui aurait pu s'instituer du fait des prix plus bas des ciments importés, et se sont appuyées sur la domination qu'elles étaient ainsi parvenues à s'octroyer pour accorder des remises fidélisantes aux négociants réputés ne pas importer de ciment étranger ; qu'en agissant ainsi, allant au-delà de ce qui était justifié par les investissements qu'elles avaient consentis, elles ont cherché à verrouiller totalement le marché, à seule fin de tirer le maximum de profit des risques qu'elles avaient pris, ce qui caractérise la gravité des pratiques qui leur sont imputées ;

Que cependant, il doit être relevé à leur décharge que l'avantage concurrentiel dont elles bénéficiaient préalablement en contrepartie de leurs investissements laissait peu de place à la concurrence étrangère, de sorte que le dommage à l'économie n'a pu être que limité, étant observé d'ailleurs que le dossier contient peu de données concrètes sur l'état effectif du marché corse après 1999 alors que les requérantes prétendent que les importations de ciment se sont amplement développées à partir de 2000 ;

Qu'au demeurant, si le Conseil a relevé que les prix des concurrents étrangers - pour du ciment ne bénéficiant d'ailleurs pas de la norme NF - étaient inférieurs de 20 % aux prix moyens pratiqués par Lafarge et Vicat en Corse du Sud, lesquels étaient encore inférieurs de 30 % à ceux que les cimentiers eux-mêmes ont pratiqué en Haute-Corse entre 1997 et 1999, là où l'intégration de la chaîne "production-transport-stockage-ensachage" sous leur contrôle était la plus accomplie, les requérantes persistent à soutenir, sans être contredites, que les prix qu'elles ont pratiqués sur le marché corse, hors transport, étaient inférieurs à ceux qu'elles pratiquaient simultanément en France continentale, sans que les raisons de cette situation paradoxale aient pu être expliquées ;

Qu'en tenant compte de ces éléments, et également de la dimension du marché affecté et de sa valeur (10 millions d'euro), de la durée des pratiques, légèrement moins longue que ce que la décision retient (10 ans pour la subdélégation en Haute-Corse, 3 ans pour le protocole avec le syndicat et six mois pour les remises, dont l'attribution n'a pas été strictement limitée aux négociants "fidèles"), des rôles respectifs des requérantes et de leurs chiffres d'affaires en France pour l'exercice 2005 (398 808 millions d'euro pour la société Vicat et 881 592 millions d'euro pour la société Lafarge), la cour estime que le principe de proportionnalité commande de réduire les sanctions prononcées, en prononçant contre la société Lafarge une sanction de 10 millions d'euro et contre la société Vicat une sanction de 4,5 millions d'euro ;

Considérant enfin que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées au titre de l'exécution de la décision, lesdites sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification de l'arrêt, valant mise en demeure ; qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur la demande des sociétés Simongiovanni Matériaux et Gedimat-Anchetti tendant à cette restitution ;

Par ces motifs, Sur les recours des sociétés Lafarge Ciments et Vicat : - réforme la décision n° 07-D-08 rendue le 12 mars 2007 par le Conseil de la concurrence, en son article 7, en ce qu'il inflige des sanctions pécuniaires de 17 millions d'euro à la société Lafarge Ciments et de 8 millions d'euro à la société Vicat ; - et statuant à nouveau, prononce contre la société Lafarge Ciments une sanction pécuniaire de 10 millions d'euro, et contre la société Vicat une sanction pécuniaire de 4,5 millions d'euro ; - condamne ces sociétés aux dépens ; Sur les recours des sociétés Gedimat-Anchetti et Simongiovanni Matériaux-Simat : - réforme la décision n° 07-D-08 rendue le 12 mars 2007 par le Conseil de la concurrence, en ses articles 5 et 7 ; - et, statuant à nouveau, dit qu'il n'est pas établi que ces entreprises aient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et qu'il n'y a donc pas lieu au prononcé de sanctions pécuniaires à leur encontre ; - condamne le Trésor Public aux dépens ; Vu l'article 48-1 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 modifié par le décret n° 2005-1668 du 27 décembre 2005, dit que sur les diligences de la directrice du greffe de la Cour d'appel de Paris, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, au Conseil de la concurrence et au ministre chargé de l'Economie.