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Décisions

CA Orléans, ch. soc., 21 décembre 2006, n° 06-01995

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Saint-Ferdinand Pieroth (SARL)

Défendeur :

Boutonnet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Velly

Conseillers :

M. Lebrun, Mme Paffenhoff

Avocats :

SCP Clatz & Paty, Mes Lisfrance-Galesne, Laloum

Cons. prud'h. Tours, sect. encadr., du 2…

21 juin 2006

Résume des faits et de la procédure

M. André Boutonnet a saisi le Conseil de prud'hommes de Tours de diverses demandes à l'encontre de la SARL Ferdinand Pieroth, pour le détail desquelles il est renvoyé au jugement du 21 juin 2006, la cour se référant également à cette décision pour l'exposé de la demande reconventionnelle et des moyens initiaux.

Il a obtenu :

- 8 000 euro d'indemnité de clientèle

- 5 300 euro de dommages et intérêts pour licenciement abusif

- 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le jugement a été notifié à la société le 29 juin 2006. Elle en a fait appel le 18 juillet 2006.

Demandes et moyens des parties

Elle demande le débouté intégral et 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle reprend, pour l'essentiel, son argumentation initiale, telle que résumée au jugement.

M. Boutonnet fait appel incident pour obtenir:

- la requalification de son contrat de vendeur à domicile indépendant au contrat de VRP

- 1 329,95 euro de complément de préavis 132,69 euro de congés payés afférents

- 16 000 euro de dommages et intérêts pour licenciement abusif

- 32 000 euro d'indemnité de clientèle

- 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il reprend lui aussi, pour l'essentiel, son argumentation initiale, telle que résumée au jugement.

Motifs de la décision

Eu égard aux dates ci-dessus, les appels, principal et incident, sont recevables.

L'activité de la société est la vente de vin à des particuliers.

Elle a engagé M. Boutonnet comme VRP à temps partiel le 5 septembre 2001.

Il a donné sa démission le 2 janvier 2002.

Le 3 janvier 2002, les parties ont conclu un contrat aux termes duquel il devenait vendeur à domicile indépendant (VDI).

Enfin, le 3 novembre 2003, il est devenu VRP à temps complet.

La requalification du contrat de VDI en contrat de VRP

Le critère de distinction entre les deux statuts tient essentiellement au fait que le VDI n'est soumis à aucun lien de subordination; il gère librement l'organisation de son travail et détermine son niveau d'activité et ses objectifs, sans que l'entreprise puisse lui donner la moindre directive, même si elle peut lui fournir information et assistance.

Par ailleurs, pour apprécier la situation, il convient de se référer aux stipulations contractuelles, mais aussi et surtout aux conditions dans lesquelles l'activité a été exercée.

Or il résulte d'un document intitulé "suivi nouveaux clients" pour 2002 que M. Boutonnet avait des objectifs en chiffre d'affaires et en nombre de commandes, sans qu'il soit prouvé que leur fixation ait eu pour finalité de déterminer s'il fallait lui remettre de nouveaux coupons ou s'il avait droit à des primes.

M. Engler, responsable d'agence, fait également état, dans son rapport sur les quatre derniers mois de 2002, de ce que son action a eu pour effet de réduire le retard sur les objectifs, ce qui confirme l'existence d'objectifs au niveau de l'agence, sans distinction entre les VDI et les VRP et donc l'existence d'objectifs individuels pour y parvenir.

La seule existence de ces objectifs établit l'existence d'un lien de subordination.

En outre, si l'article 3 du contrat de VDI stipule qu'aucun secteur ne lui est confié, M. Boutonnet pouvant vendre sur l'ensemble du secteur de son agence, il résulte des mentions manuscrites initiales qu'il est rattaché à l'agence de Tours et que son secteur est composé des départements 37, 49, 41 et 79.

Ces quatre départements ne recouvrent pas tout le secteur de l'agence de Tours, puisque, quand il était VRP à temps partiel au sein de la même agence, il avait aussi le département 86. D'ailleurs, quand il est redevenu VRP à temps complet, son secteur n'a pas varié, s'agissant toujours des départements 37, 41, 49 et 79.

En conclusion, M. Boutonnet, exerçant en réalité son activité sous un lien de subordination au sein d'un secteur déterminé, était un VRP, ce qui lui donne droit à un complément de préavis dont le montant est justifié et non contesté.

Le licenciement

Il a été licencié le 12 juillet 2005, dans les termes suivants :

1. Comportement:

Le 2 juin 2005 dernier, en présence de 2 VDI en formation et d'un VDI présent depuis 2 mois, vous avez fait un scandale au motif qu'un client avait commandé à un autre vendeur, à juste titre qui plus [est]. Nous avons dû intervenir et vous demander de garder votre sang froid et de ne pas perturber la formation et la prise de rendez-vous. Cet événement conforte l'avertissement qui vous a été signifié le 12 avril dernier sur votre comportement négatif et votre esprit critique injustifiés.

Le même jour, vous nous avez reproché de vous avoir invité sur la foire de Poitiers le week-end et non pas le premier. Il vous a été répondu que le second week end était toujours plus productif. De plus, cette invitation vous a été faite dans le but de produire plus de chiffre d'affaires. En effet, votre secteur d'activité se situe sur le département 37 et non pas sur le département 86. Donc cette foire ne pouvait qu'être un plus pour vous.

Lorsque nous avons abordé votre activité en termes de chiffre d'affaires, de rendez-vous et de REC, vous n'avez fait aucune intervention sur vos résultats, il en résulte que vous n'avez aucune connaissance de votre chiffre d'affaires en 2003 et 2004 et témoigne de ce fait le peu d'intérêt que vous portez à votre activité.

A la question : "Quels sont les points positifs sur votre activité que vous souhaiteriez mettre en avant sur vos dernières semaines ? La réponse a été : " Rien", ce qui démontre une nouvelle fois, s'il en était besoin, le peu de sérieux que vous témoignez à nos relations professionnelles.

Chaque lundi, nous vous avons demandé à plusieurs reprises de respecter le schéma de prise de rendez-vous téléphonique afin d'obtenir plus de rendez-vous efficaces (éviter les absents). Vous refusez d'en tenir compte et les résultats sont hélas éloquents. Sur les semaines 17, 18 et 19, vous avez pris 50 rendez-vous (contre 90 en normal) et vous avez eu 24 % d'absents (contre 10 % en normal). Les résultats chiffrés ne peuvent être que déplorables = 6 400 euro en 3 semaines par rapport à l'objectif prévu.

2. Insuffisance de résultats : non-respect des minima de ventes, à savoir un nombre mensuel de 80 commandes (article 13 du contrat de travail):

janvier 2005 (semaine 1 à 4) = 7 368 euro en 77 commandes

février 2005 (semaine 5 à 8) = 11 930 euro en 51 commandes

mars 2005 (semaine 9 à 12) = 6 079 euro en 31 commandes

avril 2005 (semaine 13 à 17) = 8 444 euro en 29 commandes

mai 2005 (semaine 18 à 21) = 7 271 euro en 29 commandes

juin 2005 (semaine 22 à 26) = 7 703 euro en 42 commandes

campagne AC de la semaine 13 à la semaine 26 inclus

nombre de clients : 530

<emplacement tableau>

Les incidents du 12 juin 2005

La société ne produit aucune attestation pour établir que la réclamation du salarié avait causé un scandale. D'ailleurs, selon la lettre de rupture, il lui a été demandé de ne pas perturber la réunion, ce qu'il a fait. Ce grief est infondé.

Ensuite, le fait d'indiquer qu'il aurait préféré être invité un autre week end sur la foire de Poitiers ne constitue pas une faute, dès lors que ce reproche a été formulé sur un ton correct.

L'absence de motivation et de sérieux

Il n'est pas vraisemblable que M. Boutonnet ait pu ignorer son chiffre d'affaires 2003 et 2004. De toute façon, aucune attestation n'est produite.

Quant au fait de dire que, les dernières semaines, il n'avait rien de positif à dire sur son activité, il s'inscrit dans le cadre de sa liberté d'expression et ne constitue pas une critique de la société.

Les RV insuffisants et peu productifs (trop d'absents)

Les semaines 17, 18 et 19, il a pris 19 + 18 + 18 = 55 RV, et non 50.

Rien ne prouve qu'il n'ait pas suivi le schéma préconisé et le nombre d'absents n'est pas significatif pour établir une négligence, car il peut résulter d'impondérables. En outre, aucun élément de comparaison n'est produit.

L'insuffisance de résultats

Le nombre de commandes

Selon l'article 13 du contrat, M. Boutonnet devait prendre 80 commandes en quatre semaines.

S'il a été loin d'atteindre cet objectif, encore faut-il que celui-ci soit réaliste.

Or le palmarès pour les semaines 1 à 26 de 2005 prouve que ce n'était pas le cas.

En effet les VRP auraient dû prendre 80 x 26 / 4 = 520 commandes.

Seul l'un d'eux, M. Tran, l'a dépassé, avec 530 commandes. Les suivants sont à moins de 500.

Il faut en conclure que ce chiffre était peu réaliste, puisque seul un VRP exceptionnel a pu le dépasser.

En outre celui de M. Boutonnet, 259, s'il est médiocre, n'est pas parmi les plus mauvais, car, parmi ceux présents ces 26 semaines, certains avaient un chiffre inférieur.

Ce point ne sera pas retenu.

Le chiffre le nombre de commandes et la commande moyenne des semaines 13 à 26

La lettre de rupture fait état d'une non-atteinte des objectifs.

Or le contrat ne fixait des objectifs que pour le nombre de commandes, et il a été vu ci-dessus que plusieurs VRP avaient des résultats inférieurs aux siens.

Si la société était en droit de fixer unilatéralement des objectifs complémentaires à la condition qu'ils soient réalistes, elle n'a pas usé de cette faculté pour les semaines 13 à 26 en matière de chiffre d'affaires et de chiffre par commande.

Il en résulte que le motif n'est pas réel.

Au demeurant, la société ne produit pas d'éléments de comparaison pour les semaines 13 à 26, le palmarès des 26 semaines démontrant que certains collègues ayant la même qualité que lui (Ambassadeur) avaient des résultats inférieurs (Mme Andrieu, Mme Back) et M. Boutonnet a pris un congé sans solde du 11 au 22 avril 2005, ce qui a nécessairement pénalisé ses résultats au cours de la période des semaines 13 à 26.

En conclusion, aucun grief n'est fondé.

En raison de la requalification, M. Boutonnet avait plus de deux ans d'ancienneté, et la société ayant au moins onze salariés, les dommages et intérêts ne peuvent être inférieurs au salaire des six derniers mois.

Son ancienneté était inférieure à quatre ans, et il ne produit aucun élément, comme par exemple des relevés d'indemnités ASSEDIC, permettant de connaitre sa situation professionnelle ultérieure, en sorte que son préjudice n'a pas excédé le minimum soit 8 000 euro.

Il convient d'ordonner le remboursement des indemnités de chômage, dans la limite d'un mois.

L'indemnité de clientèle

Pour en bénéficier, il doit prouver qu'il a augmenté la clientèle en nombre et en valeur.

En nombre

A quelques unités près (M. Boutonnet 365, la Société 370), les parties sont d'accord sur le nombre de clients lorsque le VRP a pris le secteur.

La société indique qu'à son départ son fichier comprenait 557 clients.

L'augmentation en nombre est établie.

C'est à tort que la société soutient qu'elle résulte uniquement de ses plans de publicité et de ses offres promotionnelles. Si ces circonstances ont aidé M. Boutonnet, la part qui lui revient dans l'augmentation résulte bien de sa prospection personnelle.

En valeur

Selon les palmarès des commerciaux, le chiffre de M. Boutonnet a été de

- 17 478 euro en 2001 (à peine 4 mois)

- 77 929 euro en 2002

- 25 435 euro en 2003 (10 semaines)

- 119 348 euro en 2004

- 58 785 euro en 2005 (6 mois).

L'augmentation en valeur est établie.

Toutefois la société justifie de diverses actions promotionnelles et publicitaires qui ont contribué à l'augmentation.

C'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a évalué l'indemnité à 8 000 euro.

Les frais irrépétibles

Il est inéquitable que M. Boutonnet les supporte. Il y a lieu de confirmer les 1 000 euro et d'y ajouter 800 euro pour la procédure d'appel.

Les dépens

La société supportera les dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; Déclare recevables les appels, principal et incident ; Confirme le jugement sur les 8 000 euro d'indemnité de clientèle et sur le mal-fondé du licenciement ; L'infirmant pour le surplus, et statuant à nouveau ; Requalifie le contrat de VDI en contrat de VRP ; Condamne la SARL Saint-Ferdinand Pietroth à payer à Monsieur André Boutonnet : - 1 326,95 euro de complément de préavis - 132,69 euro de congés payés afférents - 8 000 euro de dommages et intérêts pour licenciement infondé - 800 euro complémentaires en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Ordonne le remboursement par la SARL Saint-Ferdinand Pieroth aux organismes concernés des indemnités de chômage payées à Monsieur André Boutonnet, du jour de la rupture, dans la limite d'un mois d'indemnités et Condamne cette société aux dépens d'appel.