TPICE, 2e ch., 13 décembre 2000, n° T-69/99
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Danish Satellite TV
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pirrung
Juges :
MM. Potocki, Meij
Avocats :
Mes Hordies, Maqua
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),
Cadre juridique du litige
1. Sur le fondement de l'article 57, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, article 47, paragraphe 2, CE) et de l'article 66 du traité CE (devenu article 55 CE), a été adoptée la directive 89-552-CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle (JO L 298, p. 23). Cette directive a été modifiée par la directive 97-36-CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 202, p. 60).
2. L'article 2 bis de la directive 89-552, modifiée, dispose, en ses paragraphes 1 et 2:
"1. Les États membres assurent la liberté de réception et n'entravent pas la retransmission sur leur territoire d'émissions télévisées en provenance d'autres États membres pour des raisons qui relèvent des domaines coordonnés par la présente directive.
2. Les États membres peuvent déroger provisoirement au paragraphe 1, si les conditions suivantes sont remplies:
a) une émission télévisée en provenance d'un autre État membre enfreint d'une manière manifeste, sérieuse et grave l'article 22, paragraphe 1 ou 2 et/ou l'article 22 bis;
b) au cours des douze mois précédents, l'organisme de radiodiffusion télévisuelle a déjà enfreint, deux fois au moins, les dispositions visées au point a);
c) l'État membre concerné a notifié par écrit à l'organisme de radiodiffusion télévisuelle et à la Commission les violations alléguées et les mesures qu'il a l'intention de prendre au cas où une telle violation surviendrait de nouveau;
d) les consultations avec l'État membre de transmission et la Commission n'ont pas abouti à un règlement amiable, dans un délai de quinze jours à compter de la notification prévue au point c), et la violation alléguée persiste.
La Commission statue, dans un délai de deux mois à compter de la notification des mesures prises par l'État membre, sur la compatibilité de ces dernières avec le droit communautaire. En cas de décision négative, il sera demandé à l'État membre de mettre fin d'urgence aux mesures en question."
3. Aux termes de l'article 22 de la directive 89-552, modifiée:
"1. Les États membres prennent les mesures appropriées pour que les émissions des organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de leur compétence ne comportent aucun programme susceptible de nuire gravement à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, notamment des programmes comprenant des scènes de pornographie ou de violence gratuite.
2. Les mesures visées au paragraphe 1 s'étendent également aux autres programmes qui sont susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, sauf s'il est assuré, par le choix de l'heure de l'émission ou par toute mesure technique, que les mineurs se trouvant dans le champ de diffusion ne sont normalement pas susceptibles de voir ou d'entendre ces émissions."
Antécédents du litige
4. Danish Satellite TV (DSTV) A/S est une société de télévision relevant du droit danois. DSTV retransmet par satellite l'émission de télévision "Eurotica Rendez-vous" à l'intention des téléspectateurs de plusieurs États membres, dont le Royaume-Uni.
5. Par lettres du 9 janvier 1998, les autorités britanniques ont informé la Commission et DSTV qu'elles estimaient que les émissions de cette dernière avaient violé manifestement, sérieusement et gravement l'article 22 de la directive 89-552, modifiée, et cela de façon régulière et au moins à deux occasions, au cours des douze mois écoulés.
6. Après plusieurs échanges d'observations avec DSTV, le Gouvernement britannique a adopté, le 30 juillet 1998, en vertu de l'article 177 du Broadcasting Act 1990, le Foreign Satellite Service Proscription Order 1998 (ci-après l'"Arrêté").
7. L'Arrêté devait entrer en vigueur le 20 août 1998, sauf vote négatif du Parlement britannique, auquel il avait été soumis. Le 17 août 1998, DSTV a sollicité de la High Court of Justice (England & Wales) (ci-après la "High Court") le droit d'introduire une action judiciaire contre l'Arrêté. Le 19 août 1998, l'audience a été reportée au 9 septembre 1998 et le sursis à l'exécution de l'Arrêté a été prononcé. Le 9 septembre 1998, DSTV a été autorisée à contester l'Arrêté. Après levée du sursis à exécution, le 10 septembre 1998, l'Arrêté est entré en vigueur à cette date.
8. L'Arrêté consiste, en substance, à ériger en infraction, notamment, la fourniture de matériel ou de biens se rattachant à l'émission "Eurotica Rendez-vous", la publicité pour cette émission et l'indication de ses heures de diffusion.
9. Par lettre du 15 septembre 1998, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord a informé la Commission de l'adoption de l'Arrêté.
10. Par acte qualifié de décision, édicté le 22 décembre 1998 (ci-après l'"acte attaqué"), la Commission, considérant que les mesures adoptées par l'État membre intéressé n'étaient pas discriminatoires et qu'elles étaient adaptées à l'objectif de la protection des mineurs, a constaté, à l'article 1er, leur compatibilité avec le droit communautaire.
11. Selon son article 2, l'acte attaqué est adressé au Royaume-Uni.
12. L'acte attaqué a été ensuite notifié à DSTV, le 28 décembre 1998.
13. Par arrêt du 12 février 1999, la High Court a rejeté l'action de DSTV et écarté sa demande subsidiaire tendant à la saisine à titre préjudiciel de la Cour de justice, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE). La High Court n'a pas autorisé DSTV à contester l'arrêt devant la Court of Appeal. La demande présentée en ce sens par DSTV devant la Court of Appeal a été rejetée par celle-ci.
Procédure
14. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 mars 1999, DSTV a introduit le présent recours en annulation.
15. Par ordonnance du 1er octobre 1999, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord a été admis à intervenir au litige au soutien des conclusions de la Commission.
16. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience du 28 septembre 2000.
Conclusions des parties
17. DSTV conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler l'acte attaqué;
- condamner la Commission à l'ensemble des dépens.
18. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- déclarer le recours irrecevable ou, à tout le moins, non fondé;
- condamner DSTV aux dépens.
19. La partie intervenante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- déclarer le recours irrecevable;
- subsidiairement, rejeter le recours;
- en toute hypothèse, condamner la requérante aux dépens.
Sur la recevabilité
Arguments des parties
20. La requérante s'estime directement concernée par l'acte attaqué, au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, quatrième alinéa, CE), en tant qu'il valide l'Arrêté, lequel, à défaut de cette validation, aurait dû être rétracté. L'acte attaqué n'exigeant plus aucune mesure d'exécution étatique pour son application à DSTV, aucune mesure nationale de caractère discrétionnaire ne s'interposerait entre DSTV et l'acte attaqué.
21. La Cour aurait considéré à maintes reprises qu'un particulier est concerné directement par une décision de la Commission adressée à un État membre et validant des mesures adoptées par celui-ci (arrêt de la Cour du 1er juillet 1965, Toepfer et Getreide-Import/Commission, 106-63 et 107-63, Rec. p. 525, 533).
22. La Cour aurait même estimé qu'une décision d'autorisation adressée à un État membre concernait directement un requérant privé, dès lors que les services nationaux compétents avaient fait savoir à ce dernier qu'ils rejetteraient sa demande de licence d'importation, dès qu'ils y auraient été autorisés par la Commission sur le fondement de l'article 115 du traité CE (devenu article 134 CE) (arrêt de la Cour du 23 novembre 1971, Bock/Commission, 62-70, Rec. p. 897, points 7 et 8).
23. La Commission et la partie intervenante objectent en substance que l'acte attaqué ne concerne pas directement DSTV, dès lors qu'il se borne à confirmer a posteriori que les autorités britanniques ont exercé leur pouvoir discrétionnaire en conformité avec la directive 89-552, modifiée. L'acte attaqué ne validerait pas, comme dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Toepfer et Getreide-Import/Commission, précité, une mesure nationale et ne saurait davantage être assimilé à une décision d'autorisation préalable de dispositions internes, telles que celles en cause dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Bock/Commission, précité.
Appréciation du Tribunal
24. Il convient de rappeler que, pour concerner directement un requérant privé, au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, l'acte communautaire entrepris doit produire directement des effets sur la situation juridique de l'intéressé et sa mise en œuvre doit revêtir un caractère purement automatique et découler de la seule réglementation communautaire, sans application d'autres règles intermédiaires (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission, C-386-96 P, Rec. p. I-2309, point 43).
25. Or, ainsi qu'il ressort de l'exposé des faits du litige, l'Arrêté a une existence juridique autonome par rapport à l'acte attaqué. L'Arrêté est entré en vigueur et a produit des effets juridiques dès le 10 septembre 1998, alors que l'acte attaqué n'a été adopté que le 22 décembre suivant.
26. En effet, selon les termes mêmes de l'article 2 bis, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 89-552, modifiée, la Commission statue, dans un délai de deux mois à compter de la notification des "mesures prises par l'État membre", sur leur compatibilité avec le droit communautaire. De plus, en cas d'appréciation négative de la part de la Commission, il est demandé à l'État membre de "mettre fin d'urgence aux mesures en question".
27. L'acte attaqué se bornant ainsi purement et simplement à constater a posteriori la compatibilité avec le droit communautaire de l'Arrêté, adopté, de façon autonome, par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, DSTV ne saurait se prévaloir des arrêts Toepfer et Getreide-Import/Commission et Bock/Commission, précités, au soutien de l'argumentation selon laquelle sa position juridique est directement affectée par ledit acte.
28. Contrairement à ce qui avait été le cas dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Toepfer et Getreide-Import/Commission, précité, la Commission n'a pas, en l'occurrence, autorisé rétroactivement l'État membre concerné à maintenir une mesure nationale. En conséquence, l'acte attaqué ne s'est pas substitué à celle-ci et ne l'a donc pas validée rétroactivement.
29. À la différence de la situation dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Bock/Commission, précité, la Commission n'a pas non plus donné, en l'espèce, à l'État membre intéressé l'autorisation préalable d'adopter des dispositions nationales et celles-ci n'ont donc pas été prises aux fins de la mise en œuvre de l'acte attaqué.
30. Dans ces conditions, DSTV ne peut pas être concernée directement, au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, par l'acte attaqué et n'est donc pas recevable à en demander l'annulation.
31. Il y a lieu de relever que la requérante n'est pas pour autant privée de protection juridictionnelle. En effet, comme il ressort des faits de la cause, DSTV a pu utilement déférer l'Arrêté à la High Court.
32. Il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent que le recours doit être rejeté comme irrecevable.
Sur les dépens
33. En vertu de l'article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
34. En vertu de l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Il s'ensuit que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) La requérante supportera ses propres dépens, ainsi que ceux exposés par la Commission.
3) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord supportera ses propres dépens.