CJCE, 3e ch., 28 octobre 2004, n° C-148/03
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nürnberger Allgemeine Versicherungs AG
Défendeur :
Portbridge Transport International BV
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Rosas
Avocat général :
M. Tizzano
Juges :
M. Schintgen, Mme Colneric
Avocats :
Mes Demuth, Kienzle, Beard
LA COUR (troisième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 20 et 57, paragraphe 2, sous a), de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32, ci-après la "Convention de Bruxelles"), telle que modifiée par la Convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77), par la Convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), par la Convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1) et par la Convention du 29 novembre 1996 relative à l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède (JO 1997, C 15, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant la société Nürnberger Allgemeine Versicherungs AG (ci-après "Nürnberger") à la société Portbridge Transport International BV (ci-après "Portbridge"), au sujet d'une demande de réparation du préjudice subi par Nürnberger en raison de la perte de marchandises qui auraient dû être acheminées par Portbridge au Royaume-Uni.
Le cadre juridique
3 Aux termes de l'article 57, paragraphes 1 et 2, sous a), de la Convention de Bruxelles:
"1. La présente Convention n'affecte pas les conventions auxquelles les États contractants sont ou seront parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance ou l'exécution des décisions.
2. En vue d'assurer son interprétation uniforme, le paragraphe 1 est appliqué de la manière suivante:
a) la présente Convention ne fait pas obstacle à ce qu'un tribunal d'un État contractant partie à une Convention relative à une matière particulière puisse fonder sa compétence sur une telle Convention, même si le défendeur est domicilié sur le territoire d'un État contractant non partie à une telle Convention. Le tribunal saisi applique, en tout cas, l'article 20 de la présente Convention."
4 L'article 20, premier alinéa, de la Convention de Bruxelles dispose:
"Lorsque le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant est attrait devant une juridiction d'un autre État contractant et ne comparaît pas, le juge se déclare d'office incompétent si sa compétence n'est pas fondée aux termes de la présente Convention."
5 La Convention relative au contrat de transport international de marchandises par route, signée à Genève le 19 mai 1956 (ci-après la "CMR"), s'applique, conformément à son article 1er, "à tout contrat de transport de marchandises par route à titre onéreux au moyen de véhicules, lorsque le lieu de la prise en charge de la marchandise et le lieu prévu pour la livraison, tels qu'ils sont indiqués au contrat, sont situés dans deux pays différents dont un au moins est un pays contractant, [...] quels que soient le domicile et la nationalité des parties".
6 Aux termes de l'article 31, paragraphe 1, de la CMR:
"Pour tous litiges auxquels donnent lieu les transports soumis à la présente Convention, le demandeur peut saisir, en dehors des juridictions des pays contractants désignées d'un commun accord par les parties, les juridictions du pays sur le territoire duquel:
a) le défendeur a sa résidence habituelle, son siège principal ou la succursale ou l'agence par l'intermédiaire de laquelle le contrat de transport a été conclu, ou
b) le lieu de la prise en charge de la marchandise ou celui prévu pour la livraison est situé,
et ne peut saisir que ces juridictions."
7 Tant la République fédérale d'Allemagne que le Royaume des Pays-Bas sont parties à la CMR.
Le litige au principal et la question préjudicielle
8 Nürnberger est une société d'assurance-transport de droit allemand. Elle réclame à Portbridge, société de transport de droit néerlandais, des indemnités en raison de la perte, en juin 2000, de marchandises prises en charge par cette dernière à Vöhringen (Allemagne) et qui auraient dû être acheminées au Royaume-Uni.
9 Le transport en cause au principal est soumis aux dispositions de la CMR. Conformément à l'article 31, paragraphe 1, sous b), de cette Convention, la juridiction saisie, à savoir le Landgericht Memmingen (Allemagne), serait compétente dès lors que le lieu de prise en charge des marchandises à transporter est situé dans le ressort de celle-ci. Portbridge a cependant contesté la compétence internationale de cette juridiction et ne s'est pas prononcée sur le fond.
10 Le Landgericht Memmingen a, dans un jugement incident, rejeté sa compétence internationale et rejeté, comme irrecevable, le recours de Nürnberger. Il a estimé que, nonobstant les règles de compétence prévues à l'article 31 de la CMR, il convenait, conformément à l'article 57, paragraphe 2, sous a), deuxième phrase, de la Convention de Bruxelles, d'appliquer l'article 20 de ladite Convention en cas de non-comparution du défendeur ou de refus de celui-ci de se prononcer sur le fond. Cette disposition exigerait que, dans ces circonstances, le juge saisi se déclare d'office incompétent si sa compétence n'était pas fondée aux termes de la Convention de Bruxelles.
11 Nürnberger a interjeté appel de ce jugement devant l'Oberlandesgericht München, en faisant valoir que les dispositions en matière de compétence prévues à l'article 31, paragraphe 1, de la CMR priment les dispositions générales en matière de compétence de la Convention de Bruxelles, même lorsque le défendeur ne s'est pas prononcé sur le fond, mais s'est limité à contester la compétence internationale de la juridiction saisie.
12 C'est dans ces conditions que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"Convient-il également de donner priorité aux dispositions en matière de compétence d'autres conventions par rapport aux dispositions générales en matière de compétence de la Convention de Bruxelles lorsque le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant à la Convention de Bruxelles est attrait devant une juridiction d'un autre État contractant et que, dans la procédure devant cette juridiction, il ne se prononce pas sur le fond?"
Sur la question préjudicielle
13 Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 57, paragraphe 2, sous a), de la Convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens que la juridiction d'un État contractant, devant laquelle est attrait le défendeur domicilié sur le territoire d'un autre État contractant, peut fonder sa compétence sur une Convention spéciale à laquelle est également partie le premier État et qui comporte des règles spécifiques sur la compétence judiciaire, en excluant l'application de la Convention de Bruxelles, même lorsque le défendeur, dans le cadre de la procédure en cause, ne se prononce pas sur le fond.
14 À cet égard, il y a lieu de relever que l'article 57 introduit une exception à la règle générale selon laquelle la Convention de Bruxelles prime les autres conventions signées par les États contractants en matière de compétence judiciaire, de reconnaissance et d'exécution des décisions. L'objectif de cette exception consiste à faire respecter les règles de compétence prévues par des conventions spéciales, ces règles ayant été édictées en tenant compte des spécificités des matières qu'elles concernent (voir arrêt du 6 décembre 1994, Tatry, C-406-92, Rec. p. I-5439, point 24).
15 Portbridge soutient néanmoins que les règles de compétence énoncées à l'article 31, paragraphe 1, de la CMR doivent être écartées et doivent laisser place à l'application de la Convention de Bruxelles en vertu de l'article 57, paragraphe 2, sous a), deuxième phrase, de celle-ci, aux termes duquel "[l]e tribunal saisi applique, en tout cas, l'article 20 de la présente Convention".
16 Il y a lieu de rappeler que cet article 20 prévoit que, lorsque le défendeur est attrait devant une juridiction d'un autre État contractant et ne comparaît pas, le juge se déclare d'office incompétent si sa compétence n'est pas fondée aux termes de la Convention de Bruxelles.
17 Or, en l'occurrence, la compétence du juge doit être considérée comme fondée sur la Convention de Bruxelles, étant donné que l'article 57 de cette même Convention prévoit précisément que les règles de compétence prévues par des conventions spéciales ne sont pas affectées par ladite Convention.
18 Dans ces conditions, en vérifiant d'office sa compétence au regard de ladite Convention, la juridiction d'un État contractant, devant laquelle le défendeur, domicilié dans un autre État contractant, est attrait et ne comparaît pas, doit tenir compte des règles de compétence prévues par des conventions spéciales auxquelles le premier État contractant est également partie.
19 Il en est également ainsi lorsque, comme en l'occurrence, le défendeur, tout en ne se prononçant pas sur le fond, conteste formellement la compétence internationale de la juridiction nationale saisie.
20 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que l'article 57, paragraphe 2, sous a), de la Convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens que la juridiction d'un État contractant, devant laquelle est attrait le défendeur domicilié sur le territoire d'un autre État contractant, peut fonder sa compétence sur une Convention spéciale à laquelle est également partie le premier État et qui comporte des règles spécifiques sur la compétence judiciaire, même lorsque le défendeur, dans le cadre de la procédure en cause, ne se prononce pas sur le fond.
Sur les dépens
21 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (troisième chambre) dit pour droit:
L'article 57, paragraphe 2, sous a), de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la Convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, par la Convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique, par la Convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise et par la Convention du 29 novembre 1996 relative à l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède, doit être interprété en ce sens que la juridiction d'un État contractant, devant laquelle est attrait le défendeur domicilié sur le territoire d'un autre État contractant, peut fonder sa compétence sur une Convention spéciale à laquelle est également partie le premier État et qui comporte des règles spécifiques sur la compétence judiciaire, même lorsque le défendeur, dans le cadre de la procédure en cause, ne se prononce pas sur le fond.