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Décisions

TPICE, 4e ch. élargie, 14 juillet 1995, n° T-166/94

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Koyo Seiko Co. Ltd

Défendeur :

Conseil de l'Union européenne, Commission des Communautés européennes, Federation of European Bearing Manufacturers'Associations

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenaerts

Juges :

MM. Schintgen, García-Valdecasas, Bellamy, Mme Lindh

Avocats :

Mes Buhart, Kaplan, Rabe, Berrisch, Dietrich Ehle, Volker Schiller

TPICE n° T-166/94

14 juillet 1995

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre élargie),

Faits à l'origine du recours

1 Le présent recours en annulation est dirigé contre le règlement (CEE) n° 55-93 du Conseil, du 8 janvier 1993, instituant un droit antidumping définitif sur les importations dans la Communauté de bagues extérieures de roulements à rouleaux coniques, originaires du Japon (JO L 9, p. 7, ci-après "règlement n° 55-93" ou "règlement litigieux"). Ce règlement a été adopté sur la base des dispositions du règlement (CEE) n° 2423-88 du Conseil, du 11 juillet 1988, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 209, p. 1, ci-après "règlement n° 2423-88" ou "règlement de base"). Le 14 juillet 1992, la Commission avait adopté un règlement (CEE) n° 1994-92, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations dans la Communauté de bagues extérieures de roulements à rouleaux coniques, originaires du Japon (JO L 199, p. 8, ci-après "règlement n° 1994-92" ou "règlement provisoire").

Le produit

2 Les bagues extérieures de roulements à rouleaux coniques, appelées également cuvettes (ci-après "cuvettes"), sont un des éléments constitutifs du roulement à rouleau conique (ci-après "RRC complet").

Un RRC complet est composé des pièces suivantes :

* une bague intérieure de forme conique, faite du même matériau que la bague extérieure;

* des rouleaux coniques antifrictions, ajustés sur la bague intérieure et permettant à celle-ci de se mouvoir par rapport à la bague extérieure;

* une cage, qui maintient les rouleaux sur la bague intérieure;

* la cuvette, qui est la partie femelle dans laquelle la partie mâle, le cône (formé de la bague intérieure, des rouleaux et de la cage), est emboîtée.

3 Ces différents composants d'un RRC complet peuvent être achetés séparément. Il arrive que les utilisateurs finals d'un RRC complet, comme certains constructeurs d'automobiles, fixent les différents composants d'un RRC complet aux différentes parties d'une voiture et que le RRC complet ne soit donc assemblé qu'au moment du montage de la voiture.

Procédure administrative

4 Le 26 septembre 1990, la Federation of European Bearing Manufacturers'Associations (ci-après "FEBMA") a déposé une plainte pour dumping auprès de la Commission.

5 Au moment où la plainte qui est à l'origine du règlement litigieux a été déposée, le règlement (CEE) n° 1739-85 du Conseil, du 24 juin 1985, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certains roulements à billes et à rouleaux coniques originaires du Japon (JO L 167, p. 3, ci-après "règlement n° 1739-85"), imposait des droits antidumping de 5,5 % sur les RRC complets de la requérante et de 4,3 % sur les cônes de la requérante, qui, tous deux, relèvent du même code tarifaire NC n° 8042 2000. Ce règlement a été abrogé par le règlement (CEE) n° 2655-93 du Conseil, du 27 septembre 1993, abrogeant, avec effet rétroactif, les mesures antidumping applicables aux importations dans la Communauté de roulements à rouleaux coniques originaires du Japon (JO L 244, p. 1).

6 Le 4 janvier 1991, la Commission a publié un avis d'ouverture d'une procédure antidumping concernant les importations de cuvettes originaires du Japon (JO C 2, p. 8).

7 Cette procédure a abouti, le 14 juillet 1992, à l'adoption par la Commission du règlement provisoire, instituant un droit antidumping provisoire.

8 En réponse à une lettre de la requérante reçue le 24 juillet 1992, la Commission a précisé la manière dont elle avait calculé la marge de dumping et le préjudice.

9 Le 8 janvier 1993, le Conseil a adopté le règlement litigieux qui a été publié le 15 janvier 1993 au Journal officiel des Communautés européennes.

Procédure

10 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe de la Cour le 29 avril 1993, la requérante a introduit le présent recours.

11 Par ordonnance du 15 septembre 1993, le président de la Cour a admis l'intervention de la Commission au soutien des conclusions du Conseil.

12 Par ordonnance du président de la Cour du 1er octobre 1993, la FEBMA a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil. Par la même ordonnance, le président de la Cour, à la demande de la requérante, a exclu certaines pièces contenant des secrets d'affaires des actes de procédure signifiés à la partie intervenante.

13 Par ordonnance du 18 avril 1994, la Cour a renvoyé l'affaire devant le Tribunal de première instance en application de l'article 4 de la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993, modifiant la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom, instituant le Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 144, p. 21), et de la décision 94-149-CECA, CE du Conseil, du 7 mars 1994 (JO L 66, p. 29).

14 Le 31 mai 1994, la requérante a demandé qu'un traitement confidentiel soit réservé à ses observations relatives au mémoire en intervention du 16 mai 1994, ainsi qu'aux annexes à ces observations. Par ordonnance du 24 février 1995, le président de la quatrième chambre élargie du Tribunal a fait droit à la demande de la requérante.

15 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 du règlement de procédure, les parties ont été invitées à répondre par écrit à un certain nombre de questions avant le 16 mars 1995.

16 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 5 avril 1995.

Conclusions des parties

17 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

* annuler le règlement n 55-93 dans la mesure où il affecte la requérante;

* condamner le Conseil et la FEBMA aux dépens.

18 Le Conseil conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

* rejeter le recours;

* condamner la requérante aux dépens.

19 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

* rejeter le recours.

20 La FEBMA conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

* rejeter le recours;

* condamner la requérante aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante.

Sur le fond

21 La requérante invoque cinq moyens à l'appui de son recours. Le premier moyen est tiré d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une violation de l'article 2, paragraphe 1, du règlement de base, en ce que l'importation de cuvettes d'origine japonaise n'aurait pu causer un préjudice. Le deuxième moyen est pris de l'existence d'un détournement de pouvoir, en ce que le règlement litigieux aurait pour objet d'éviter qu'un droit antidumping soit contourné, alors que les conditions prévues par l'article 13, paragraphe 10, du règlement de base ne seraient pas réunies. Le troisième moyen est tiré d'une violation de l'article 4, paragraphe 5, du règlement de base, en ce que le Conseil n'a pris en considération, pour mesurer l'effet de l'importation des cuvettes d'origine japonaise sur l'ensemble des ventes de cuvettes communautaires, que les ventes de cuvettes communautaires en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Le quatrième moyen est pris de la violation de l'article 2, paragraphe 2, et de l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base, en ce que le Conseil n'aurait pas suffisamment tenu compte des importations de cuvettes en provenance de pays tiers autres que le Japon pour déterminer leur effet sur la production communautaire de cuvettes. Le cinquième moyen est pris d'une violation de l'article 190 du traité.

Premier moyen : erreur manifeste d'appréciation et violation de l'article 2, paragraphe 1, du règlement de base

Arguments des parties

22 La requérante soutient en substance que, en raison de l'absence d'interchangeabilité des cuvettes des différents fabricants, les institutions communautaires n'étaient pas en droit de considérer qu'il existait un marché communautaire des cuvettes différent du marché des RRC complets et que, pour cette raison, les données relatives au prix des seules cuvettes ne seraient pas pertinentes pour déterminer le préjudice subi par la production communautaire. La requérante ajoute encore qu'une diminution du prix des cuvettes n'est pas de nature à entraîner une diminution du prix des RRC complets, puisque le prix du cône, négocié et vendu séparément, aurait précisément pour effet de compenser la diminution du prix des cuvettes.

23 A cet égard, la requérante rappelle que l'article 2, paragraphe 1, du règlement de base requiert, pour qu'un droit antidumping puisse être imposé, que soit apportée la preuve que le produit qui fait l'objet d'un dumping cause un préjudice à une production établie de la Communauté. Or, en l'espèce, il serait impossible sur le plan économique d'établir que l'importation de cuvettes en provenance du Japon a pu causer un préjudice à la production communautaire et de déterminer l'ampleur de cet éventuel préjudice, puisque les cuvettes des différents fabricants ne seraient pas interchangeables.

24 La requérante en déduit qu'il n'y a pas de marché de cuvettes, celles-ci n'étant pas en concurrence entre elles. En effet, les acheteurs de cuvettes ne pourraient opérer, quant à la marque de la cuvette qu'ils achètent, un choix différent de celui qu'ils ont fait pour les cônes.

25 Elle en déduit également, en ce qui concerne le calcul de l'ampleur du préjudice, que les acheteurs de cuvettes ne choisissent pas une marque plutôt qu'une autre en fonction du prix des cuvettes, mais bien en fonction du prix des RRC complets, lequel dépend non seulement du prix des cuvettes mais également de celui des cônes.

26 Elle conclut que les institutions communautaires ont commis une erreur manifeste d'appréciation en se basant sur le prix des cuvettes et non sur celui des RRC complets pour établir l'existence et l'ampleur du préjudice, puisque seul le prix des RRC complets détermine les choix des acheteurs. La requérante fait encore remarquer que le bien-fondé de son analyse de nature économique n'est pas démenti par le fait que, sur le plan juridique, des cuvettes peuvent être vendues et facturées séparément des cônes.

27 Le Conseil, la Commission et la FEBMA estiment quant à eux que l'importation de cuvettes faisant l'objet d'un dumping cause un préjudice aux producteurs communautaires de cuvettes. En effet, ils estiment que la cuvette est un produit distinct du RRC complet, quel que soit son degré d'interchangeabilité.

28 Les institutions communautaires ont également rappelé que la question de l'interchangeabilité des cuvettes des différents producteurs n'est pas pertinente dans le cadre de cette affaire, puisque, d'une part, les cuvettes sont théoriquement et techniquement interchangeables malgré le souhait des utilisateurs de se procurer l'ensemble des composants d'un RRC complet auprès du même fabricant et que, d'autre part, les cuvettes peuvent être vendues et facturées séparément.

29 En outre, elles font valoir que les importations de cuvettes faisant l'objet d'un dumping causent un préjudice aux producteurs communautaires de cuvettes, non seulement sur le marché des cuvettes mais aussi sur celui des RRC complets. En effet, de telles importations porteraient préjudice aux producteurs de RRC complets dans la mesure où le prix des cuvettes importées permet de compenser pour les producteurs japonais le droit antidumping prélevé à l'importation de cônes. Les acheteurs de RRC complets seraient effectivement disposés à payer un prix plus élevé pour des cônes d'origine japonaise si le prix auquel ils peuvent se procurer des cuvettes d'origine japonaise fait plus que compenser cette augmentation du prix des cônes d'origine japonaise. Par conséquent, l'importation de cuvettes faisant l'objet d'un dumping causerait un préjudice aux producteurs communautaires de cuvettes et de RRC complets.

30 En ce qui concerne l'ampleur du préjudice, le Conseil concède qu'il est certes difficile à évaluer en raison du fait que les producteurs de cuvettes sont également les producteurs de RRC complets, mais il estime qu'il disposait de suffisamment de données pour y parvenir, à savoir les prix de vente des cuvettes, le volume de production et les ventes de cuvettes dans la Communauté, l'évolution des parts de marché des producteurs japonais et communautaires, ainsi que l'évolution de la rentabilité de la production communautaire des cuvettes. Le Conseil conclut donc que, même si les cuvettes ne sont pas interchangeables en fait, c'est à bon droit qu'il a fondé son analyse sur le prix des cuvettes et non sur celui des RRC complets.

31 Par ailleurs, la Commission fait observer que la requérante ne conteste pas que l'importation des cuvettes faisant l'objet d'un dumping cause un préjudice, mais qu'elle se borne à contester la manière dont la Commission a calculé le droit imposé. Or, l'estimation faite, en l'espèce, de l'ampleur du préjudice serait raisonnable en ce qu'elle se base sur le prix des cuvettes qui, faute de données plus précises fournies par la requérante, constituerait la base de calcul la plus appropriée.

Appréciation du Tribunal

32 Le Tribunal relève, tout d'abord, que les données sur la base desquelles la Commission a arrêté le règlement provisoire et le Conseil le règlement litigieux sont relatives aux cuvettes vendues et facturées séparément des autres composants du RRC complet, comme le Conseil et la Commission l'ont précisé lors de l'audience, sans être contredits par la requérante.

33 Il relève, ensuite, qu'il est constant entre les parties que la cuvette est un produit distinct pouvant faire l'objet d'une procédure antidumping distincte ° la requérante le reconnaissant expressément au point 3 de sa réplique.

34 Toutefois, la requérante soutient que, malgré cette distinction sur le plan technique entre la cuvette et le RRC complet, il n'existerait en l'espèce aucune concurrence entre les cuvettes des différents producteurs, puisqu'il serait impossible dans les faits d'assembler les cuvettes d'un producteur avec les autres composants du RRC d'un autre producteur. L'importation de cuvettes faisant l'objet d'un dumping ne pourrait dès lors pas non plus causer de préjudice différent du préjudice causé par l'importation de RRC complets faisant l'objet d'un dumping.

35 A cet égard, le Tribunal rappelle que, selon l'article 2, paragraphe 1, du règlement de base, "peut être soumis à un droit antidumping tout produit faisant l'objet d'un dumping lorsque sa mise en libre pratique dans la Communauté cause un préjudice". Il s'ensuit que les institutions communautaires ont à juste titre concentré leur analyse sur la cuvette en tant que produit distinct, dans la mesure où, au-delà de la distinction technique existant entre la cuvette et le RRC complet, les cuvettes sont vendues et facturées séparément des autres éléments composant le RRC. Il convient d'ailleurs d'ajouter que l'existence d'une concurrence entre cuvettes provenant de producteurs différents ne dépend pas simplement du degré d'interchangeabilité de celles-ci, défini comme la mesure dans laquelle une cuvette d'un producteur peut être assemblée avec les autres composants du RRC d'un autre producteur.

36 En effet, il y a lieu de relever que, au-delà de la question de l'interchangeabilité ainsi définie des cuvettes des différents producteurs, le RRC complet d'un producteur peut être remplacé par un RRC complet de même type provenant de n'importe quel autre producteur, sans affecter d'une quelconque manière l'utilité que l'acheteur en retire. Ainsi, dans la mesure où le produit dans son ensemble peut être remplacé par un autre, tout avantage dégagé sur l'un des éléments de ce produit ° élément vendu en tant que produit distinct ° est de nature à influencer le choix de l'acheteur. Lorsque cet avantage s'exprime en termes de prix, l'acheteur préférera en principe l'élément le moins cher, sans s'inquiéter par ailleurs du fait que cet élément n'est compatible qu'avec un seul type des autres éléments composant le RRC complet. La sous-cotation du prix de cet élément, en l'occurrence la cuvette, est donc bien de nature à porter préjudice aux producteurs communautaires de cuvettes.

37 Selon la requérante, le niveau des prix des cuvettes ne serait toutefois pas fiable, car il serait déterminé et compensé par le niveau des prix des autres éléments composant le RRC complet, de sorte qu'une diminution du prix de la cuvette n'impliquerait pas une diminution du prix du RRC complet.

38 A cet égard, le Tribunal constate, en premier lieu, que les parties s'accordent sur le fait que le prix de la cuvette intervient à concurrence de 31,8 à 34,8 % dans le prix de l'ensemble des éléments composant le RRC complet.

39 Il constate, en second lieu, qu'il ne ressort pas des exemples chiffrés produits, à titre confidentiel, par la requérante au point 52 de sa requête que toute diminution du prix de la cuvette impliquerait une augmentation du prix des autres composants du RRC complet et encore moins que cette augmentation compenserait l'effet de la diminution du prix de la cuvette sur le prix global du RRC complet. En revanche, les exemples présentés par la requérante montrent que le prix de cuvette le plus bas implique le prix de RRC complet le plus bas. Il y a dès lors lieu de relever que les prix des autres éléments composant le RRC complet constituent des données relativement stables et qu'ils ne compensent pas les effets préjudiciables provoqués par la concurrence existant entre les cuvettes des différents producteurs à la suite de l'importation de cuvettes japonaises faisant l'objet d'un dumping.

40 Au surplus, il y a lieu de relever que, comme le choix de l'un des éléments qui composent le RRC complet implique, ainsi que le souligne d'ailleurs la requérante, que tous les autres éléments proviennent du même producteur, les effets de la concurrence qui existe entre les cuvettes des différents producteurs se répercutent au niveau des RRC complets. Par conséquent, l'absence en fait d'assemblages de cuvettes et de cônes de producteurs différents a pour effet que l'importation de cuvettes japonaises faisant l'objet d'un dumping cause d'abord un préjudice aux cuvettes communautaires et ensuite un préjudice aux autres éléments communautaires qui composent le RRC complet.

41 Il résulte de ce qui précède que les importations de cuvettes faisant l'objet d'un dumping incontesté sont susceptibles de causer un préjudice aux producteurs communautaires de cuvettes et que les institutions communautaires n'ont pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en se basant sur le prix des cuvettes pour établir l'existence et l'ampleur du préjudice infligé aux producteurs communautaires de cuvettes.

42 Le premier moyen doit dès lors être rejeté.

Deuxième moyen : détournement de pouvoir

Arguments des parties

43 La requérante soutient que le règlement litigieux est entaché d'un détournement de pouvoir. En effet, il aurait pour objet non pas de sanctionner l'importation d'un produit qui fait l'objet d'un dumping, mais d'éviter que, par une importation partiellement séparée de cuvettes, les droits antidumping imposés sur l'importation des RRC complets par le règlement n° 1739-85 ou sur l'importation conjointe de cuvettes et de cônes RRC soient éludés. Or, la seule disposition du règlement de base prévue à cet effet, à savoir l'article 13, paragraphe 10, viserait uniquement l'assemblage sur le territoire de la Communauté, à partir de composants importés qui eux ne font pas l'objet d'un droit antidumping, de produits qui sont frappés par un droit antidumping s'ils sont importés déjà composés. Les conditions d'application de cette disposition n'étant pas remplies, le Conseil n'aurait pas pu y avoir recours.

44 Le Conseil, soutenu par les parties intervenantes, répond que l'article 13, paragraphe 10, du règlement de base est totalement étranger à la présente affaire. En l'espèce, il aurait simplement répondu à une plainte selon laquelle un produit importé, faisant l'objet d'un dumping, causait un préjudice à la production communautaire. Dès lors que le dumping et le préjudice étaient établis, il était autorisé à introduire un droit différent de celui imposé sur les RRC complets par le règlement n° 1739-85.

Appréciation du Tribunal

45 Le Tribunal constate qu'il résulte du rejet du premier moyen que, en se basant sur le prix des cuvettes considérées comme produits distincts des autres composants d'un RRC complet, les institutions communautaires n'ont pas commis d'erreur manifeste d'appréciation dans l'établissement de l'existence et de l'ampleur du préjudice infligé aux producteurs communautaires par les importations japonaises faisant l'objet de dumping. C'est donc à bon droit qu'elles ont visé les cuvettes à titre autonome en imposant un droit antidumping différent de celui imposé sur les RRC complets par le règlement n° 1739-85.

46 Il s'ensuit que l'article 13, paragraphe 10, du règlement de base ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce et que les institutions communautaires n'ont commis aucun détournement de pouvoir.

47 Le deuxième moyen avancé par la requérante doit dès lors être rejeté.

Troisième moyen : violation de l'article 4, paragraphe 5, du règlement de base

Arguments des parties

48 La requérante soutient que le Conseil a méconnu l'article 4, paragraphe 5, du règlement de base en limitant aux seules ventes de cuvettes communautaires réalisées en France, en Allemagne et au Royaume-Uni son enquête relative à l'effet des importations de cuvettes originaires du Japon sur la production de la Communauté.

49 Le Conseil répond qu'il pouvait limiter son examen de l'évolution des ventes de cuvettes communautaires dans ces seuls États membres parce que la majorité des ventes s'y effectue. Par conséquent, ces marchés seraient suffisamment représentatifs de l'ensemble du marché communautaire. L'unité du marché aurait ainsi été respectée. Le Conseil souligne aussi que la part des ventes de cuvettes en Italie et en Espagne n'a pas l'importance que lui attribue la requérante. En effet, l'Italie (10 %) et l'Espagne (8 %) ne représenteraient ensemble que 18 % du marché communautaire, alors que la France (14 %), l'Allemagne (45 %) et le Royaume-Uni (18 %) représenteraient ensemble une part de 77 %.

50 La Commission considère que le déroulement efficace et rapide de la procédure antidumping requiert qu'elle puisse limiter son examen des effets de l'importation du produit en cause à une partie du marché commun. C'est pourquoi le règlement de base l'autoriserait à ne faire porter son enquête que sur quelques États membres dès lors que ces marchés sont suffisamment représentatifs.

Appréciation du Tribunal

51 Le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que l'article 4, paragraphes 4 et 5, du règlement de base permet aux institutions communautaires d'évaluer le préjudice causé à la production de la Communauté par des importations faisant l'objet d'un dumping en examinant leur effet par rapport aux producteurs communautaires "dont les productions additionnées constituent une proportion majeure de la production communautaire totale de ces produits".

52 Il est constant entre les parties que les producteurs de France, d'Allemagne et du Royaume-Uni représentent une proportion majeure de la production communautaire totale de cuvettes, au sens de l'article 4, paragraphe 5, du règlement de base, puisqu'ils représentent 80 % de cette production (point 19 des considérants du règlement litigieux et points 63 et 66 de la requête). Toutefois, la requérante conteste le droit aux institutions communautaires de limiter leur analyse, en vue de déterminer le préjudice subi par la production communautaire, aux écarts de prix et aux ventes et parts de marché concernant une partie seulement du marché communautaire, qualifiée de représentative.

53 Le Tribunal considère que la pratique des institutions communautaires, consistant à ne retenir qu'une partie représentative du marché communautaire pour analyser l'impact d'importations faisant l'objet d'un dumping, n'est pas contraire au principe de l'unité du marché communautaire, à condition que la représentativité de l'échantillon du marché communautaire retenu soit suffisamment établie.

54 A cet égard, la requérante soutient que l'exclusion de l'Italie et de l'Espagne affecte la représentativité de l'échantillon retenu, dans la mesure où la prise en compte des ventes des producteurs communautaires en Italie et en Espagne aurait permis de réduire l'effet des importations faisant l'objet d'un dumping dans le reste de la Communauté, puisque ces États membres n'étaient pas accessibles aux importations japonaises de cuvettes pendant la période d'enquête (du 1er janvier au 31 décembre 1990; voir point 6 des considérants du règlement provisoire), en raison de l'existence de mesures nationales adoptées par ces États membres sur la base de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 288-82 du Conseil, du 5 février 1982, relatif au régime commun applicable aux importations (JO L 35, p. 1).

55 Il convient tout d'abord d'examiner si les institutions avaient l'obligation d'inclure dans l'appréciation de l'ampleur du préjudice causé par les importations de cuvettes japonaises faisant l'objet d'un dumping les marchés italien et espagnol ou si elles pouvaient limiter leur examen à la seule partie du marché communautaire qui était accessible à ces importations.

56 Il y a lieu de constater à cet égard que les mesures nationales de protection des marchés italien et espagnol prises sur la base d'une réglementation communautaire ont eu pour effet de cloisonner ces marchés et de les préserver des effets préjudiciables des importations de cuvettes japonaises faisant l'objet d'un dumping. Il s'ensuit dès lors que les marchés italien et espagnol doivent être considérés comme atypiques par rapport au marché communautaire des cuvettes dans son ensemble, ce dernier étant en principe accessible à ces importations.

57 Dès lors, suivre la thèse de la requérante reviendrait à admettre qu'une même pratique de dumping devrait être sanctionnée différemment selon que les produits qui en sont l'objet ont accès à l'ensemble du marché communautaire ou à une partie seulement de celui-ci. Dans la seconde hypothèse, il faudrait, selon la requérante, pour apprécier son importance, rapporter ce préjudice à l'ensemble du marché communautaire en ce compris la partie de celui-ci qui n'est pas accessible aux produits en cause et sur laquelle aucun préjudice ne peut être subi. Le Tribunal considère que cette thèse, en ce qu'elle aboutit à relativiser l'ampleur du préjudice subi dans la partie du marché communautaire accessible aux produits en cause en le rapportant à l'ensemble du marché communautaire, doit être rejetée parce qu'elle diminue la protection nécessaire, sur la partie accessible du marché communautaire, offerte par le règlement de base.

58 Il convient ensuite d'examiner si la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni constituent une partie représentative du marché communautaire dans son ensemble, en ce qui concerne à la fois l'analyse des écarts de prix, des ventes et des parts de marché, ce que conteste la requérante.

59 En ce qui concerne les écarts de prix, le Tribunal relève que la requérante conteste la représentativité de l'échantillon du marché communautaire retenu (point 63 de la requête), mais qu'elle n'apporte aucun indice de ce que les prix pratiqués en Italie et en Espagne par les producteurs français, allemands et britanniques seraient différents de ceux pratiqués par ces mêmes producteurs en France, en Allemagne ou au Royaume-Uni. La requérante n'a donc pas établi que les institutions communautaires ont commis une erreur manifeste en limitant leur analyse du préjudice subi par la production communautaire en termes d'écarts de prix à la France, l'Allemagne et au Royaume-Uni (point 33 des considérants du règlement provisoire).

60 En ce qui concerne les ventes et les parts de marché, le Tribunal relève que la requérante conteste également que la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni soient représentatifs du marché communautaire, au motif que les ventes réalisées en Italie et en Espagne seraient suffisamment importantes pour que leur exclusion affecte la représentativité de l'échantillon retenu.

61 A cet égard, il convient de relever que la Commission a indiqué, au point 30 des considérants du règlement provisoire, que les marchés français, allemand et britannique représentent ensemble la majorité des ventes communautaires de cuvettes RRC fabriquées dans la Communauté ainsi que de celles revendues par les fabricants japonais dans cette dernière. Le Conseil a confirmé cette affirmation au point 19 des considérants du règlement litigieux. Au point 33 de son mémoire en défense, le Conseil a également précisé que les ventes réalisées en France, en Allemagne et au Royaume-Uni représentaient 77 % de l'ensemble des ventes de cuvettes réalisées dans le marché communautaire, toutes origines confondues, alors que les ventes réalisées en Italie et en Espagne n'en représentaient que 18 %, les autres États membres se partageant les 5 % restants. Lors de l'audience, la requérante n'a pas contredit le Conseil lorsque celui-ci a affirmé que ces chiffres n'étaient pas contestés, alors même que, au stade de la réplique, elle s'était interrogée sur les sources utilisées par le Conseil et sur leur fiabilité. En outre, la requérante n'a pas fait état d'éléments établissant que ces chiffres étaient inexacts.

62 Il convient encore d'examiner si l'échantillon retenu par les institutions, qui représente donc 77 % des ventes de cuvettes dans la Communauté, toutes origines confondues, est également représentatif en ce qui concerne les ventes, dans l'ensemble de la Communauté, de cuvettes produites en France, en Allemagne et au Royaume-Uni.

63 A cet égard, en réponse à une question écrite du Tribunal, le Conseil a présenté un tableau comparatif et évolutif des ventes de cuvettes effectuées par les producteurs établis dans la Communauté (fabrication communautaire et fabrication dans des pays tiers autres que le Japon) et par ceux établis au Japon, dont les données sont reproduites ci-après. Lors de l'audience, le Conseil a précisé que les données reprises dans ce tableau, qui n'ont été ni contestées ni contredites par la requérante, représentent la totalité des ventes de cuvettes réalisées en France, en Allemagne et au Royaume-Uni par les producteurs français, allemands et britanniques ("Parts producteurs CE"), ainsi que les ventes de cuvettes en provenance du Japon réalisées dans ces trois États membres. Il convient de rappeler que toutes les données utilisées par les institutions communautaires, tant dans les règlements provisoire et litigieux que dans les actes de la présente procédure, se réfèrent, quant à la production, aux seuls producteurs établis en France, en Allemagne et au Royaume-Uni (qui représentent 80 % de la production communautaire), une approche qui n'a pas été contestée par la requérante (voir ci-dessus point 52).

<emplacement tableau>

64 Il résulte dès lors des données chiffrées qui précèdent que, pour l'année 1990 (la période d'enquête), 70,8 % de 77 % de toutes les ventes réalisées dans la Communauté ont porté sur des cuvettes fabriquées dans la Communauté par les producteurs français, allemands et britanniques et vendues par ceux-ci en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, ce qui représente 54,5 % de toutes les ventes effectuées dans la Communauté. Il s'agit ainsi de la majorité de l'ensemble des ventes de cuvettes dans la Communauté, toutes origines confondues.

65 Il convient enfin d'examiner si les ventes de cuvettes réalisées par les producteurs français, allemands et britanniques en France, en Allemagne et au Royaume-Uni représentent également la majorité de toutes les ventes effectuées par ces mêmes producteurs dans toute la Communauté. A cette fin, il y a lieu de comparer la proportion des ventes de ces producteurs dans les trois États membres cités avec la proportion de leurs ventes dans les autres États membres, et ce toujours par rapport à l'ensemble des ventes effectuées dans la Communauté.

66 A cet égard, le Tribunal constate que, à supposer même que les producteurs français, allemands et britanniques détiennent un monopole dans les autres États membres, la proportion de leurs ventes ne saurait dépasser 23 % de toutes les ventes de cuvettes dans la Communauté, soit 18 % pour l'Italie et l'Espagne et 5 % pour les autres États membres.

67 Il s'ensuit que la proportion des ventes des producteurs français, allemands et britanniques en France, en Allemagne et au Royaume-Uni (54,5 %) est nécessairement supérieure à celle de ces mêmes producteurs dans les autres États membres, y compris l'Italie et l'Espagne (23 %). Dans l'hypothèse la plus défavorable à la thèse des institutions, les ventes effectuées en France, en Allemagne et au Royaume-Uni représentent encore plus du double des ventes de ces producteurs dans le reste de la Communauté (54,5 %/23 %).

68 Par conséquent, la majorité des cuvettes vendues sur le marché communautaire et fabriquées en France, en Allemagne et au Royaume-Uni sont vendues dans ces trois États membres.

69 Il résulte de ce qui précède que les institutions communautaires ont, à juste titre, considéré que les ventes réalisées par les producteurs français, allemands et britanniques en France, en Allemagne et au Royaume-Uni représentent à la fois la majorité des ventes de cuvettes réalisées dans l'ensemble du marché communautaire toutes origines confondues, et la très grande majorité des ventes effectuées par les producteurs français, allemands et britanniques dans l'ensemble du marché communautaire.

70 Il résulte de tout ce qui précède que les institutions communautaires ont considéré à juste titre que l'échantillon retenu était représentatif du marché communautaire dans son ensemble, tant en ce qui concerne les écarts de prix que les ventes et parts de marché.

71 Il s'ensuit que le troisième moyen doit également être rejeté.

Quatrième moyen : erreur manifeste d'appréciation et violation de l'article 2, paragraphe 2, et de l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base

Arguments des parties

72 La requérante soutient qu'il ressort de la jurisprudence que l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base impose au Conseil et à la Commission, lors de la détermination du préjudice, d'examiner si le préjudice qu'ils entendent retenir découle effectivement des importations qui ont fait l'objet d'un dumping et d'écarter tout préjudice découlant d'autres facteurs (arrêt de la Cour du 11 juin 1992, Extramet Industrie/Conseil, C-358-89, Rec. p. I-3813, point 16).

73 En l'espèce, elle fait grief au Conseil de n'avoir pas suffisamment examiné, sans s'en être expliqué, si les importations de cuvettes en provenance de pays tiers autres que le Japon n'ont pu contribuer au préjudice causé à la production communautaire. Selon la requérante, ces importations auraient pu contribuer au préjudice causé à la production communautaire, puisque chaque cuvette importée dans la Communauté, qu'elle soit mise en libre pratique dans la Communauté en tant que cuvette ou qu'elle soit incorporée dans un RRC complet, prendrait nécessairement la place d'une cuvette communautaire. Elle souligne, chiffres à l'appui (voir les annexes 9 et 10 à l'annexe 3 à la requête), que des quantités importantes de RRC complets ainsi que de cuvettes ont été importées à partir de pays tiers autres que le Japon. Elle s'étonne donc que les institutions communautaires affirment sans autre précision que seules de faibles quantités de cuvettes ont été importées en provenance de ces pays tiers et qu'elles n'ont pas eu d'effet sur la rentabilité des producteurs communautaires (considérant 47 du règlement provisoire).

74 Le Conseil et la Commission répondent qu'il n'est pas exact qu'aucun examen de l'influence des importations de cuvettes en provenance des pays tiers n'a été effectué, comme se bornerait à le prétendre la requérante. Le Conseil aurait souligné que la Commission, lors de son enquête, avait constaté que les importations de cuvettes originaires de pays tiers autres que le Japon étant faibles et provenant le plus souvent de sociétés liées à des producteurs communautaires, elles n'avaient pas ou peu eu d'effet sur la rentabilité des producteurs de la Communauté (point 47 des considérants du règlement provisoire, auquel se réfère le Conseil au point 26 des considérants du règlement litigieux). Il aurait donc ainsi satisfait à l'obligation que lui impose l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base.

75 La Commission a, en outre, ajouté que, pour calculer les parts du marché communautaire des cuvettes, toutes provenances confondues, elle pouvait exclure les cuvettes communautaires qui sont exportées ainsi que les cuvettes importées de pays tiers autres que le Japon ° le plus souvent par des sociétés liées aux producteurs communautaires ° puisqu'elles ne sont destinées qu'à la fabrication de RRC complets et ne sont, dès lors, pas mises en tant que "cuvettes" en libre pratique dans la Communauté. Ce serait sur cette base qu'elle a constaté que la part de marché des "cuvettes" importées des pays tiers était peu importante.

76 Le Conseil et la Commission ont cependant expliqué lors de l'audience, à l'appui du tableau reproduit au point 22 de la réponse du Conseil aux questions écrites du Tribunal et non contesté par la requérante, que les ventes de cuvettes en provenance de pays tiers autres que le Japon, en tant que produit vendu et facturé séparément, avaient été additionnées aux ventes de cuvettes provenant des producteurs communautaires pour établir notamment le préjudice causé à la production communautaire en termes de ventes, parts de marchés et bénéfices (points 39 à 42 des considérants du règlement provisoire).

Appréciation du Tribunal

77 Le Tribunal rappelle que le point 47 des considérants du règlement provisoire, confirmé par le point 26 des considérants du règlement litigieux, déclare que, "en ce qui concerne les effets des cuvettes RRC originaires d'autres pays tiers, il ressort des informations fournies à la Commission que ces importations ne représentaient que de faibles quantités et provenaient principalement de sociétés liées aux producteurs communautaires (société mère ou filiale)". Selon la requérante, cette affirmation est cependant inexacte, puisque les importations de pays tiers autres que le Japon ne représenteraient pas de "faibles quantités", mais des quantités à tout le moins équivalentes, voire même supérieures pour l'année 1990, à celles des importations japonaises, ainsi que cela ressort des données du tableau reproduit au point 22 de la réponse du Conseil aux questions écrites du Tribunal (reproduit ci-dessus au point 63). Les institutions communautaires auraient de cette façon violé leur obligation d'examiner et de prendre en compte l'effet de tous les facteurs susceptibles d'avoir causé le préjudice subi par la production communautaire, conformément à l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base, tel qu'interprété par la Cour dans l'arrêt Extramet Industrie/Conseil, précité (point 16).

78 A cet égard, il y a lieu de relever que, lors de l'audience, le Conseil, tout comme la Commission, a reconnu que les termes "faibles quantités" étaient inexacts, puisque les quantités visées par cette expression sont du même ordre de grandeur que les quantités de cuvettes importées du Japon, comme l'illustre d'ailleurs le tableau reproduit au point 22 de la réponse du Conseil aux questions écrites du Tribunal (voir point 63 ci-dessus). Le Conseil a cependant insisté sur la nécessité d'examiner l'ensemble des affirmations contenues au point 47 des considérants du règlement provisoire et de ne pas dissocier la portée des termes "faibles quantités" des considérations relatives à l'origine de celles-ci, à savoir des sociétés liées aux producteurs communautaires.

79 Le Tribunal estime que, bien que les institutions communautaires aient admis que le point 47 des considérants du règlement provisoire est entaché d'inexactitude, son contenu doit cependant être examiné par rapport à l'ensemble du raisonnement adopté par lesdites institutions dans le cadre du règlement litigieux, afin de vérifier, d'une part, si elles ont examiné si d'autres facteurs étaient susceptibles d'avoir déterminé le préjudice constaté et, d'autre part, si elles ont pris en compte de tels facteurs.

80 En ce qui concerne la première question, le Tribunal relève que, contrairement aux allégations de la requérante, il ressort des considérants des règlements provisoire et litigieux, et plus particulièrement des données chiffrées reprises au point 41 des considérants du règlement provisoire, telles que précisées par le Conseil au point 22 de sa réponse aux questions écrites du Tribunal, que les institutions communautaires ont à tout le moins examiné si les importations de cuvettes provenant de pays tiers autres que le Japon ont pu contribuer au préjudice subi par la production communautaire, et notamment à la diminution de la part de marché de la production communautaire en France, en Allemagne et au Royaume-Uni.

81 En second lieu, il convient d'examiner si les institutions communautaires n'ont pas omis de prendre en considération, après l'avoir examiné, l'éventuel effet des importations de cuvettes provenant de pays tiers autres que le Japon sur la détermination du préjudice retenu et, plus particulièrement, si ces importations n'ont pas été de nature à rompre le lien de causalité entre, d'une part, les importations de cuvettes en provenance du Japon à des prix de dumping et, d'autre part, le préjudice subi par la production communautaire.

82 A cet égard, le Tribunal constate, d'une part, que les institutions communautaires ont déterminé le préjudice en termes de "rentabilité de tous les types du produit similaire vendus par les producteurs de la Communauté sur les mêmes marchés" (point 42 des considérants du règlement provisoire) en se basant sur des données relatives aux écarts de prix (point 33 des considérants du règlement provisoire et point 21 des considérants du règlement litigieux), aux ventes/parts de marché (points 31, 32 et 39 à 41 des considérants du règlement provisoire, points 21 et 24 des considérants du règlement litigieux et points 20 à 22 de la réponse du Conseil aux questions écrites du Tribunal) et à la production (points 34 à 38 des considérants du règlement provisoire) et, d'autre part, que la requérante n'a jamais contesté que c'est à juste titre que les institutions communautaires ont déterminé le préjudice en termes de rentabilité de la production communautaire, même si elle soutient que le préjudice retenu n'a pas été correctement déterminé et que des erreurs manifestes d'appréciation ont été commises.

83 Il convient dès lors d'analyser si ce lien de causalité, apprécié sous l'angle de la rentabilité de la production communautaire, tel qu'appréhendé par les institutions communautaires en termes d'écarts de prix, de ventes/parts de marché et de production, a été correctement établi.

84 En ce qui concerne, en premier lieu, les écarts de prix, il convient d'examiner si le préjudice subi par la production communautaire, tel que déterminé par les institutions communautaires, peut trouver son origine, en tout ou en partie, dans les écarts qui auraient été enregistrés entre les prix des cuvettes provenant de producteurs communautaires et ceux des cuvettes provenant de pays tiers autres que le Japon, selon qu'elles sont vendues et facturées séparément ou intégrées dans des RRC complets vendus par les producteurs communautaires.

85 A cet égard, il est tout d'abord constant entre les parties que les cuvettes importées de pays tiers autres que le Japon proviennent principalement de sociétés liées aux producteurs communautaires.

86 Ensuite, la requérante n'a jamais allégué ni établi que le prix de vente des cuvettes importées de pays tiers autres que le Japon, lorsqu'elles sont vendues et facturées séparément, ait été différent de celui pratiqué par les producteurs communautaires. L'identité des prix paraît en outre logique dans la mesure où des sociétés organiquement liées ne sont pas censées organiser une concurrence à ce niveau entre leurs propres produits.

87 Enfin, il convient de rappeler, en ce qui concerne les cuvettes importées des pays tiers autres que le Japon qui sont intégrées à des RRC complets vendus par les producteurs communautaires, que les institutions communautaires ont limité leur analyse du préjudice subi par la production communautaire aux seules données relatives aux cuvettes vendues et facturées séparément, comme le Conseil l'a notamment précisé à l'appui du point 22 de sa réponse aux questions écrites du Tribunal, sans être contredit par la requérante.

88 Il résulte de ce qui précède que le préjudice subi par la production communautaire, tel que déterminé par les institutions communautaires, n'a pu trouver son origine, en tout ou en partie, dans des écarts entre les prix des cuvettes provenant de producteurs communautaires et ceux des cuvettes provenant de pays tiers autres que le Japon.

89 En ce qui concerne, en second lieu, les ventes et parts de marché, il convient d'examiner si le préjudice subi par la production communautaire, tel que déterminé par les institutions communautaires, a pu éventuellement être causé en tout ou en partie par l'importance des ventes et des parts de marché des cuvettes provenant des pays tiers autres que le Japon.

90 A cet égard, le Tribunal relève, tout d'abord, que, au point 41 des considérants du règlement provisoire, la Commission affirme que "la part de marché des producteurs de la Communauté a également diminuée entre 1988 et la période d'enquête :

1988 88,8 %

1989 87,4 %

1990 85,7 %".

La Commission a en outre précisé à la requérante, dans son courrier du 25 novembre 1992 (au point 22 de l'annexe 13 à la requête), que les ventes de cuvettes provenant de pays tiers autres que le Japon ont été incluses dans l'établissement des pourcentages repris au point 41 des considérants du règlement provisoire. Le Conseil a, enfin, précisé le détail de ces chiffres dans le tableau figurant au point 22 de sa réponse aux questions écrites du Tribunal, tel qu'il est reproduit ci-dessus, au point 63.

91 Il ressort de ce tableau, dont les données n'ont pas été contestées par la requérante, que les pourcentages repris au point 41 des considérants du règlement provisoire résultent de l'addition de la première et de la deuxième ligne du tableau. Cela signifie donc que les ventes et parts de marché retenues par les institutions communautaires pour analyser l'impact des importations de cuvettes japonaises sur la détermination du préjudice causé à la production communautaire tiennent également compte des importations de cuvettes provenant de pays tiers autres que le Japon.

92 Le Tribunal constate d'ailleurs que les ventes et parts de marché des cuvettes fabriquées dans la Communauté provenant des producteurs communautaires, telles qu'elles sont indiquées à la première ligne du tableau, ont diminué dans une proportion plus importante que celle retenue par la Commission au point 41 des considérants du règlement provisoire. La perte s'élève en effet à 7,5 % dans le premier cas (de 78,3 à 70,8 %) alors qu'elle n'est que de 3,1 % dans le second cas (de 88,8 à 85,7 %), lorsque les ventes et parts de marché des cuvettes provenant de pays tiers autres que le Japon y sont ajoutées. Il s'ensuit que les institutions communautaires ont tenu compte de l'effet éventuel des importations de cuvettes de pays tiers autres que le Japon.

93 La requérante ne saurait donc affirmer que le simple accroissement des ventes et parts de marché des cuvettes provenant de pays tiers autres que le Japon (progressant de 10,5 à 14,9 %) indique que ces importations ont eu un effet sur la détermination du préjudice relevé par les institutions communautaires. En effet, à supposer même que les importations de cuvettes provenant de pays tiers autres que le Japon se soient maintenues à leur niveau de 1988 en 1989 et en 1990, soit à 10,5 % du total des ventes communautaires de cuvettes en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, le niveau des ventes de cuvettes communautaires devrait combler cette différence, soit 4,4 %, pour atteindre 75,2 % du total des ventes communautaires de cuvettes dans les trois États membres cités. La perte enregistrée par les ventes de cuvettes communautaires entre 1988 et 1990 s'élèverait dès lors à 3,1 % (de 78,3 % à 75,2 %), ce qui correspond exactement à la perte de parts de marché constatée au point 41 des considérants du règlement provisoire (voir ci-dessus point 92), ainsi qu'à l'augmentation du niveau des ventes de cuvettes provenant du Japon (qui progresse de 11,2 à 14,3 %).

94 Il s'ensuit que même l'accroissement des ventes et parts de marché des cuvettes provenant de pays tiers autres que le Japon ne permet pas d'expliquer, en tout ou en partie, le préjudice subi en termes de rentabilité par la production communautaire à la suite des importations japonaises faisant l'objet d'un dumping.

95 Le Tribunal estime, par conséquent, que les institutions communautaires ont pris en compte l'éventuel effet des ventes et parts de marché des cuvettes provenant de pays tiers autres que le Japon pour déterminer le préjudice subi par la production communautaire en termes de rentabilité, en intégrant ces ventes et parts de marché dans les ventes et parts de marché des producteurs communautaires.

96 En ce qui concerne, en troisième lieu, le préjudice affectant la production communautaire en tant que telle, il convient d'examiner s'il peut être imputé en tout ou en partie à l'importation de cuvettes provenant de sociétés établies dans des pays tiers autres que le Japon et organiquement liées aux producteurs communautaires.

97 A cet égard, le Tribunal considère que, le préjudice ayant été déterminé en termes de rentabilité des producteurs communautaires, il n'était pas déraisonnable que les institutions communautaires considèrent que l'importation de cuvettes provenant d'entreprises liées n'a pu avoir d'incidence sur la rentabilité des producteurs communautaires. En effet, ces importations ont été décidées par les producteurs communautaires eux-mêmes. Or, l'objectif ultime d'un producteur, quel qu'il soit, lorsqu'il prend des décisions relatives à la fabrication de ses produits, reste, jusqu'à preuve du contraire, l'accroissement de la rentabilité de son entreprise. Un producteur communautaire peut ainsi choisir de produire des cuvettes dans la Communauté ou d'importer des cuvettes provenant d'entreprises liées, soit pour les vendre directement et séparément sur le marché communautaire, soit pour les intégrer dans des RRC complets, dans le but de diminuer son prix de revient et d'augmenter ainsi sa rentabilité. Une décision de cette nature ne saurait se traduire par une perte de rentabilité et ne peut donc constituer une cause même accessoire du préjudice déterminé par les institutions communautaires, d'autant plus que la requérante n'a pas apporté d'éléments permettant de démontrer que les producteurs communautaires n'avaient pas pour objectif d'accroître leur rentabilité en important des cuvettes en provenance de sociétés liées.

98 Par conséquent, c'est à bon droit que les institutions communautaires ont considéré que les importations de cuvettes provenant de pays tiers autres que le Japon ne pouvaient avoir influencé la rentabilité de la production communautaire et qu'elles ne devaient donc pas être prises en compte pour la détermination du préjudice causé par les importations japonaises faisant l'objet d'un dumping.

99 Il résulte de tout ce qui précède que, si le point 47 des considérants du règlement provisoire est certes entaché d'une inexactitude en ce qu'il affirme que les importations des pays tiers autres que le Japon représentaient de "faibles quantités" et qu'il a dès lors pu induire en erreur, le raisonnement sous-jacent adopté par les institutions communautaires dans le cadre du règlement litigieux s'est révélé correct.

100 Il s'ensuit que le quatrième moyen doit être rejeté.

Cinquième moyen : violation de l'article 190 du traité

Arguments des parties

101 La requérante estime que la motivation de l'acte attaqué ne satisfait pas aux exigences de l'article 190 du traité sur trois points. D'abord, elle n'indiquerait pas les raisons pour lesquelles on pourrait conclure à l'existence d'un marché distinct des cuvettes, sur lequel les cuvettes japonaises et communautaires seraient en concurrence, en vue de déterminer le préjudice causé à la production communautaire. Ensuite, elle ne préciserait pas suffisamment pourquoi l'enquête sur l'existence d'un préjudice a été limitée aux ventes de cuvettes en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Enfin, elle ne ferait pas apparaître que les institutions ont procédé à un examen de l'effet des importations en provenance de pays tiers sur l'ampleur du préjudice retenu.

102 Le Conseil considère qu'il a satisfait aux exigences de l'article 190 du traité.

Appréciation du Tribunal

103 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir notamment l'arrêt de la Cour du 7 mai 1987, Nippon Seiko/Conseil, 258-84, Rec. p. 1923, points 27 à 29), la motivation exigée par l'article 190 du traité doit faire apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire auteur de l'acte incriminé, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et à la Cour et au Tribunal d'exercer leur contrôle.

104 En l'espèce, le Tribunal considère qu'il résulte de son examen des premier et troisième moyens que la motivation des règlements en cause a fait apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement des institutions communautaires et a permis à la requérante de connaître les justifications des règlements provisoire et litigieux afin de défendre ses droits et au Tribunal d'exercer son contrôle, tant en ce qui concerne l'existence d'une concurrence entre les cuvettes qu'en ce qui concerne la limitation à la France, à l'Allemagne et au Royaume-Uni de l'examen des effets des importations japonaises faisant l'objet du dumping.

105 En ce qui concerne l'examen de l'effet des importations en provenance de pays tiers autres que le Japon, examiné dans le cadre du quatrième moyen, le Tribunal rappelle qu'il a constaté que la formulation du point 47 des considérants du règlement provisoire est de nature à induire en erreur sur le volume des importations de cuvettes provenant de sociétés liées aux producteurs communautaires et établies dans des pays tiers autres que le Japon, mais que cette inexactitude n'a en aucune façon porté atteinte ni à la légalité du règlement litigieux ni au raisonnement sous-jacent à ce dernier. En effet, les considérants du règlement provisoire et du règlement litigieux font apparaître de façon claire et intelligible le raisonnement des institutions communautaires, de sorte que la requérante, disposant de l'ensemble des données sur lesquelles les institutions communautaires ont basé leur raisonnement et ayant participé par ailleurs activement aux différentes étapes de la procédure administrative préalable à la fixation du taux définitif du droit antidumping, n'a pas pu raisonnablement se méprendre sur le contenu de ce raisonnement.

106 Le cinquième moyen doit dès lors être rejeté.

107 Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

108 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens et le Conseil, ainsi que la partie intervenante FEBMA, ayant conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de condamner la requérante à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par le Conseil et par la FEBMA. Conformément à l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal, la Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La requérante supportera ses propres dépens, ainsi que les dépens du Conseil et de la Federation of European Bearing Manufacturers'Associations.

3) La Commission supportera ses propres dépens.