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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 3 décembre 2007, n° 06-02117

REIMS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Inter-Farine (GIE)

Défendeur :

Georget (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Maunand

Conseillers :

M. Mansion, Mme Hussenet

Avoués :

SCP Thoma-Le Runigo-Delaveau-Gaudeaux, Me Pierangeli

Avocats :

SCP George Chassagnon, SCP Lemoult-Griviau

T. com. Troyes, du 10 juill. 2006

10 juillet 2006

Monsieur Rémi Georget et son épouse, née Myriam Guitteau ont signé le 21 décembre 2000 avec la société Inter-Farine 2 contrats portant respectivement pour le premier, sur un prêt de 315 000 F, stipulé remboursable en 8 années au maximum, soit au plus tard le 21 décembre 2008, moyennant un taux d'intérêts de 6,5 % l'an, et destiné à leur permettre l'acquisition d'un fonds de boulangerie-pâtisserie, le second étant un contrat d'approvisionnement exclusif pour une durée de cinq années renouvelables.

Le prêt a été remboursé par anticipation le 21 avril 2005, date à laquelle les époux Georget ont entendu mettre fin à leurs relations contractuelles avec la société Inter-Farine.

Par exploit du 18 août 2005, cette dernière les a assignés par devant le Tribunal de commerce de Troyes, à l'effet de les voir condamner au paiement de la somme principale de 26 057,08 euro au titre du contrat de fournitures, outre des dommages et intérêts pour résistance abusive et application de la clause pénale, et 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Etaient encore requis le prononcé de l'exécution provisoire et la condamnation des défendeurs aux dépens.

Aux termes de leurs dernières conclusions, la société Inter-Farine a renoncé à sa demande de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive, et porté le montant de sa réclamation principale à 25 936 euro avec intérêts au taux de 3,08 % l'an à compter de la mise en demeure du 26 juillet 2005; Monsieur et Madame Georget se sont opposés à l'ensemble des prétentions adverses, demandant reconventionnellement au tribunal de dire et juger illégal le paiement des intérêts au taux de 8,5 % sur le prêt de 315 000 F, et d'ordonner et, conséquence la répétition des intérêts indûment perçus, sous astreinte de 150 euro par jour de retard à compter de la signification du jugement.

Ils faisaient valoir que les deux contrats étalent liés, le contrat de prêt ayant été consenti en considération de l'engagement de l'emprunteur de se fournir exclusivement auprès du prêteur pendant toute la durée du remboursement, de sorte que ledit prêt ayant été soldé par anticipation le 20 avril 2005, le contrat d'approvisionnement exclusif s'était trouvé dépourvu de cause. Ils faisaient encore valoir au soutien de leur demande reconventionnelle que l'article L. 511-5 du Code monétaire et financier interdisait à toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de prêt.

La société Inter-Farine considérait à l'inverse que les deux contrats étaient bien distincts, l'extinction du premier n'entraînant pas celle du second, et répondait sur la question de la légalité des intérêts perçus au titre du prêt que l'exercice illégal de la profession de banquier ne portant atteinte qu'à l'intérêt général et à celui de la profession, il n'est pas de nature à annuler les contrats conclus entre les parties.

C'est dans ces conditions que par jugement rendu le 10 juillet 2006, le Tribunal de commerce de Troyes, retenant que les deux contrats litigieux étaient effectivement indissociablement liés, a rejeté la demande principale formée par la société Inter-Farine, de même que la demande reconventionnelle présentée par Monsieur et Madame Georget, reprenant à son compte sur ce point les moyens développés par la société susnommée, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et a partagé les dépens par moitié.

La société GIE Inter-Farine a relevé appel de cette décision par déclaration du 1er août 2006.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 10 octobre 2007, elle poursuit l'infirmation du jugement entrepris en ses dispositions lui faisant grief, et demande à la cour, statuant à nouveau, de :

- condamner les époux Georget à lui payer la somme de 25 936 euro à titre d'indemnité de rupture du contrat d'approvisionnement, avec intérêts au taux de 3,08 % l'an à compter de la mise en demeure du 26 juillet 2005;

- confirmer la décision en ce qu'elle a débouté Monsieur et Madame Georget de leur demande de remboursement des intérêts du contrat de prêt;

- condamner les époux Georget aux entiers dépens avec pour ceux d'appel, faculté de recouvrement direct au profit de la SCP d'avoués Thoma Le Runigo Delaveau Gaudeaux.

Elle rappelle qu'était insérée au contrat d'approvisionnement une clause stipulant qu'en cas de non respect total ou partiel, volontaire ou involontaire, par Monsieur et Madame Georget de l'une quelconque de leurs obligations, la société Inter-Farine serait en droit de leur réclamer, sans formalité particulière, outre le remboursement immédiat des sommes prêtées, le paiement, à titre d'indemnité de rupture unilatérale, d'une somme correspondant à six mois de fourniture.

Elle conteste ensuite le caractère indivisible des deux contrats, retenu par les premiers juges, faisant valoir que les conventions n'étalent pas soumises aux mêmes conditions de temps, et qu'il n'existait pas d'interdépendance entre leurs objets respectifs.

Elle souligne encore que la réalité de la cause d'une convention s'apprécie au jour de sa formation, et qu'en l'espèce, il ne peut être soutenu que le contrat d'approvisionnement était dépourvu de cause au moment de sa conclusion.

De leur côté, Monsieur et Madame Georget, dans leurs dernières écritures notifiées le 25 mai 2007, demandent à la cour de :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Inter-Farine de ses prétentions;

- subsidiairement, dans l'hypothèse où il serait fait droit dans son principe à la réclamation au titre de la clause pénale, réduire le montant alloué de ce chef à 1 euro;

en tout état de cause;

- dire et juger illégale la stipulation d'un intérêt de 6,5 % en remboursement du prêt, et d'ordonner la répétition de l'indu de ce chef sous astreinte de 150 euro par jour de retard passé un délai de huit jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société Inter-Farine au paiement d'une somme de 3 000 euro à titre dommages et intérêts pour procédure abusive, d'une autre, de 2 000 euro, au titre des frais irrépétibles, de la condamner, enfin, aux entiers dépens, avec pour ceux d'appel, faculté de recouvrement direct accordée à Maître Estelle Pierangeli, avoué.

Ils exposent que le prêt consenti le 21 décembre 2000 par la société Inter-Farine stipulait la faculté de remboursements par anticipation sans pénalité, et incluait la mention expresse suivante : " d'autre part, le prêt de la somme de 315 000 F a été consenti par le préteur en considération de l'engagement de l'acquéreur de se fournir exclusivement auprès de lui pendant toute la durée du remboursement ". Ils ajoutent qu'un acte complémentaire précisant les modalités de cet engagement d'approvisionnement exclusif a été par la suite soumis à leur signature, qu'ils n'en ont reçu aucun exemplaire, et qu'il apparaît que ce document est en contradiction avec l'accord initial.

Ils rappellent que les premiers juges, faisant application des règles d'interprétation des conventions telles que définies par les articles 1134 et 1156 et 1162 du Code civil, ont pertinemment conclu à l'indivisibilité des deux contrats.

Concernant leur propre demande relative à l'illicéité de la stipulation d'intérêts dans le contrat de prêt, ils font valoir que lorsqu'un tel contrat, consenti par un non-professionnel du crédit, n'est toutefois assorti d'aucun intérêt, il est effectivement admis que l'opération financière qui en constitue l'objet n'est qu'un élément de la relation fournisseur-distributeur et doit être exclu du champ de l'application de la loi bancaire, mais qu'a contrario, dès qu'un intérêt est stipulé, le prêt devient à titre onéreux et entre dans le champ d'application du Code monétaire et financier.

Sur ce, LA COUR :

Sur la demande de la société Inter-Farine au titre de la rupture du contrat d'approvisionnement :

Attendu qu'il appert des pièces produites que Monsieur et Madame Georget ont signé le 21 décembre 2000 avec le GIE Inter-Farine un contrat de prêt portant sur un principal de 315 000 F, et expressément stipulé consenti par le prêteur " en considération de l'engagement de l'acquéreur de se fournir exclusivement auprès de lui pendant toute la durée du remboursement ";

Qu'un deuxième document contractuel, daté du même jour, et signé des mêmes parties, précise les modalités d'approvisionnement, prévoyant la possibilité d'un renouvellement au terme des cinq années de durée initiale, "pour le capital restant dû";

Qu'il est constant par ailleurs que les emprunteurs se sont libérés de leur dette par anticipation, ainsi qu'ils avaient la faculté de le faire, sans encourir aucune sanction, les parties n'étant pas contraires sur ce point;

Mais attendu qu'ainsi que l'ont pertinemment relevé les premiers juges, les deux contrats étaient manifestement liés, l'obligation de chaque partie étant la cause de l'obligation de l'autre, quand bien même la réciprocité des engagements serait plus clairement définie dans le premier acte que dans le second, venu le compléter;

Que, par suite, la fin du contrat de prêt résultant du remboursement par anticipation a nécessairement entraîné la fin concomitante du contrat d'approvisionnement exclusif;

Qu'il en résulte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté le demande de la société Inter-Farine, aucune faute constitutive d'une rupture abusive et unilatérale du contrat d'approvisionnement ne pouvant être reprochée aux époux Georget, susceptible de voir mettre en œuvre la clause pénale;

Sur la demande des époux Georget au titre de la stimulation d'intérêts :

Attendu qu'il est constant que l'exercice illégal de la profession de banquier ne portant atteinte qu'à l'intérêt général et à celui de la profession, la nullité du contrat de prêt, dont les stipulations relatives à un taux d'intérêt ne constituent qu'un élément, n'est pas encourue;

Qu'aucune distinction n'est opérée en effet selon que le prêt est assorti ou pas d'un intérêt;

Que c'est dés lors à bon droit que le tribunal de commerce a rejeté la demande formée de ce chef par Monsieur et Madame Georget;

Sur la demande de dommages et intérêts des époux Georget :

Attendu que l'appel interjeté par le GIE Inter-Farine ne s'analyse pas en un abus de droit, contrairement à ce que soutiennent les époux Georget, qui seront en conséquence déboutés de leur réclamation;

Sur les frais et dépens de première instance et d'appel :

Attendu que la confirmation de la décision de première instance s'impose, s'agissant des frais irrépétibles et des dépens;

Qu'en revanche, l'équité commande de mettre à la charge du GIE, qui succombe en son appel, les dépens y afférents, et de le condamner au surplus au paiement d'une indemnité de 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris; Y ajoutant : Déboute Monsieur Rémi Georget et son épouse, née Myriam Guitteau de leur demande de dommages et intérêts pour appel abusif; Condamne la société GIE Inter-Farine à leur verser la somme de 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Déboute le GIE Inter-Farine de sa demande du même chef; Le condamne aux dépens d'appel, et admet Maître Estelle Pierangeli au bénéfice de l'article 699 du Code précité.