CJCE, 6e ch., 15 mai 2003, n° C-214/00
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume d'Espagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schintgen
Avocat général :
M. Léger
Juges :
MM. Skouris, Cunha Rodrigues, Mmes Macken, Colneric
LA COUR (sixième chambre),
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 30 mai 2000, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu du l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en omettant de prendre les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions des articles 1er et 2 de la directive 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1, ci-après la "directive 89-665"), et notamment en omettant
- d'étendre le système de recours garantis par ladite directive aux décisions prises par tous les pouvoirs adjudicateurs, au sens de l'article 1er, sous b), des directives 92-50, 93-36-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1), et 93-37-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54), y compris les sociétés de droit privé créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, dotées de la personnalité juridique, dont soit l'activité est financée majoritairement par les administrations publiques ou d'autres entités de droit public, soit la gestion est soumise au contrôle de celles-ci, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par les administrations publiques ou d'autres entités de droit public,
- de permettre l'introduction de recours contre toutes les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs, y compris tous les actes de procédure, durant la procédure de passation d'un marché public, et
- de prévoir la possibilité de prendre tout type de mesures conservatoires utiles à l'égard des décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs, y compris les mesures visant à permettre la suspension d'une décision administrative, en éliminant à cet effet les difficultés et obstacles de toute nature, et notamment la nécessité d'introduire préalablement un recours contre la décision du pouvoir adjudicateur,
le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.
Cadre juridique
La réglementation communautaire
2. Il ressort des premier et deuxième considérants de la directive 89-665 que les mécanismes qui existaient à la date de son adoption, tant sur le plan national que sur le plan communautaire, pour assurer l'application effective des directives communautaires en matière de marchés publics, et notamment des directives 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5), et 77-62-CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO 1977, L 13, p. 1), ne permettaient pas toujours de veiller au respect des dispositions communautaires, en particulier à un stade où les violations pouvaient encore être corrigées.
3. Le troisième considérant de la directive 89-665 indique que "l'ouverture des marchés publics à la concurrence communautaire nécessite un accroissement substantiel des garanties de transparence et de non-discrimination et qu'il importe, pour qu'elle soit suivie d'effets concrets, qu'il existe des moyens de recours efficaces et rapides en cas de violation du droit communautaire en matière de marché public ou des règles nationales transposant ce droit".
4. Il ressort du cinquième considérant de cette directive que, "étant donné la brièveté des procédures de passation des marchés publics, les instances de recours compétentes doivent notamment être habilitées à prendre des mesures provisoires pour suspendre une telle procédure ou l'exécution de décisions éventuellement prises par le pouvoir adjudicateur" et que "la brièveté des procédures exige un traitement urgent des violations mentionnées ci-dessus".
5. L'article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 89-665 dispose:
"1. Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d'application des directives 71-305-CEE, 77-62-CEE et 92-50-CEE [...], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l'objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l'article 2 paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.
[...]
3. Les États membres assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public de fournitures ou de travaux déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par une violation alléguée [...]"
6. Aux termes de l'article 2, paragraphes 1, sous a), 3 et 4, de la directive 89-665:
"1. Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l'article 1er prévoient les pouvoirs permettant:
a) de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d'empêcher d'autres dommages d'être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou de l'exécution de toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs;
[...]
3. Les procédures de recours ne doivent pas en elles-mêmes avoir nécessairement des effets suspensifs automatiques sur les procédures de passation de marché auxquelles elles se réfèrent.
4. Les États membres peuvent prévoir que, lorsque l'instance responsable examine s'il y a lieu de prendre des mesures provisoires, celle-ci peut tenir compte des conséquences probables de ces mesures pour tous les intérêts susceptibles d'être lésés, ainsi que l'intérêt public, et décider de ne pas accorder ces mesures lorsque des conséquences négatives pourraient dépasser leurs avantages. Une décision de ne pas accorder des mesures provisoires ne porte pas préjudice aux autres droits revendiqués par la personne requérant ces mesures."
7. La directive 71-305 et la directive 77-62 ont été abrogées, respectivement, par la directive 93-37 et par la directive 93-36. Les références faites par le premier considérant et par l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 89-665 aux directives ainsi abrogées doivent s'entendre comme faites aux directives 93-37 et 93-36.
8. Aux termes de l'article 1er, sous b), de la directive 92-50, dont le contenu est en substance identique à celui de l'article 1er, sous b), des directives 93-36 et 93-37:
"sont considérés comme pouvoirs adjudicateurs' l'État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public.
Par organisme de droit public', on entend tout organisme:
- créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial
et
- ayant la personnalité juridique
et
- dont, soit l'activité est financée majoritairement par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public.
[...]"
9. L'article 1er, points 1 et 2, de la directive 93-38-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 199, p. 84), est libellé comme suit:
"Aux fins de la présente directive, on entend par:
1) pouvoirs publics': l'État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public.
Est considéré comme un organisme de droit public tout organisme:
- créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial,
- doté d'une personnalité juridique
et
- dont soit l'activité est financée majoritairement par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par l'État, les collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public;
2) entreprise publique': toute entreprise sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent. L'influence dominante est présumée lorsque les pouvoirs publics, directement ou indirectement, à l'égard de l'entreprise:
- détiennent la majorité du capital souscrit de l'entreprise
ou
- disposent de la majorité des voix attachées aux parts émises par l'entreprise
ou
- peuvent désigner plus de la moitié des membres de l'organe d'administration, de direction ou de surveillance de l'entreprise".
10. Les procédures de recours engagées à l'encontre des décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs dans le cadre de la directive 93-38 sont régies par la directive 92-13-CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 76, p. 14), dont le quatrième considérant indique que la directive 89-665 est limitée aux procédures de passation des marchés entrant dans le champ d'application des directives 71-305 et 77-62.
La réglementation nationale
11. Le champ d'application personnel de la législation espagnole en matière de marchés publics est défini à l'article 1er de la Ley 13-1995 de Contratos de las Administraciones Públicas (loi sur les marchés publics), du 18 mai 1995 (BOE n° 119, du 19 mai 1995, p. 14601, ci-après la "loi n° 13-1995"), qui inclut toutes les administrations publiques territoriales, qu'il s'agisse de l'administration de l'État ou des administrations des communautés autonomes et des collectivités locales. Cet article prévoit, à son paragraphe 3, que:
"Devront également exercer leur activité de passation des marchés conformément à la présente loi les organismes autonomes dans tous les cas et les autres entités de droit public dotées d'une personnalité juridique propre, liées à une administration publique ou dépendant d'elle, qui répondent aux critères suivants:
a) avoir été créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial
b) être des entités dont soit l'activité est financée majoritairement par les administrations publiques ou d'autres entités de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces dernières, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par les administrations publiques et d'autres entités de droit public."
12. La sixième disposition additionnelle de cette même loi, intitulée "Principes de passation des marchés dans le secteur public", est libellée comme suit:
"Les sociétés commerciales dans le capital desquelles les administrations publiques ou leurs organismes autonomes, ou des entités de droit public, détiennent une participation, directe ou indirecte, majoritaire respectent, dans leur activité de passation de marchés, les principes de publicité et de concurrence, sauf si la nature de l'opération à réaliser est incompatible avec ces principes."
13. Il convient de relever que, depuis l'introduction du présent recours, le Royaume d'Espagne a adopté, par le Real Decreto Legislativo 2-2000 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley de Contratos de las Administraciones Públicas (décret-loi royal approuvant le texte codifié de la loi sur les marchés publics), du 16 juin 2000 (BOE n° 148, du 21 juin 2000, p. 21775), une nouvelle version codifiée de la loi susmentionnée qui se limite cependant à réunir et à ordonner les dispositions antérieures, sans en modifier la substance.
14. En ce qui concerne les recours administratifs, l'article 107 de la Ley 30-1992 de Régimen Jurídico de las Administraciones Públicas y del Procedimiento Administrativo Común (loi sur le régime juridique des administrations publiques et sur la procédure administrative commune), du 26 novembre 1992, telle que modifiée par la Ley 4-1999, du 13 janvier 1999 (BOE n° 12, du 14 janvier 1999, p. 1739, ci-après la "loi n° 30-1992"), qualifie de susceptibles de recours direct "les actes de procédure, s'ils tranchent, directement ou indirectement, le fond de l'affaire, entraînent l'impossibilité de poursuivre la procédure, entraînent l'impossibilité de se défendre, ou causent des préjudices irréparables à des droits ou intérêts légitimes".
15. Pour ce qui est du recours contentieux administratif, l'article 25, paragraphe 1, de la Ley 29-1998 reguladora de la Jurisdicción Contencioso-administrativa (code de procédure de la juridiction de contentieux administratif), du 13 juillet 1998 (BOE n° 167, du 14 juillet 1998, p. 23516, ci-après la "loi n° 29-1998"), s'exprime en des termes identiques à ceux de la loi n° 30-1992, en disposant:
"Le recours de contentieux administratif est recevable à l'égard des dispositions de caractère général et des actes explicites et implicites de l'administration publique qui mettent fin à la voie administrative, qu'ils soient définitifs ou de procédure, s'ils tranchent, directement ou indirectement, le fond de l'affaire, entraînent l'impossibilité de poursuivre la procédure, entraînent l'impossibilité de se défendre ou causent des préjudices irréparables à des droits ou intérêts légitimes."
16. L'article 111 de la loi n° 30-1992, intitulé "Sursis à exécution", dispose:
"1. Sauf disposition contraire, l'introduction d'un recours ne suspendra pas l'exécution de l'acte attaqué.
2. Nonobstant les dispositions du paragraphe précédent, l'organe chargé de statuer sur le recours pourra, après une mise en balance suffisamment motivée du préjudice que la suspension causerait à l'intérêt public ou à des tiers et du préjudice causé à la partie requérante par la prise d'effet immédiate de l'acte attaqué, surseoir, d'office ou à la demande de la partie requérante, à l'exécution de l'acte contesté dans l'un de cas suivants:
a) L'exécution est susceptible de causer des préjudices irréparables ou difficilement réparables.
b) La contestation est fondée sur l'une des causes de nullité de plein droit [...]
[...]
3. À défaut pour l'organe compétent d'avoir rendu une décision expresse sur la demande de sursis à l'exécution de l'acte entrepris à l'expiration d'un délai de 30 jours à compter de l'inscription de la demande au rôle, le sursis sera réputé accordé."
17. Il ressort de l'exposé de motifs de la loi n° 29-1998 que, "[e]u égard à l'expérience acquise au cours des dernières années et à l'importance croissante que l'objet du recours de contentieux administratif a désormais, suspendre la disposition ou l'acte querellés ne peut plus être la seule mesure conservatoire possible" et que "[l]a loi a donc introduit la possibilité d'adopter n'importe quelle mesure conservatoire, y compris des mesures positives".
18. Selon l'article 129, paragraphe 1, de la loi n° 29-1998:
"Les parties intéressées pourront demander, à n'importe quel stade de la procédure, l'adoption de toutes mesures susceptibles de garantir l'efficacité du jugement qui leur sera rendu."
19. L'article 136 de cette même loi dispose:
"1. Dans les cas visés aux articles 29 et 30, la mesure conservatoire sera prise, sauf s'il apparaît à l'évidence que les situations prévues dans lesdits articles ne sont pas réunies ou que la mesure perturbe gravement les intérêts généraux ou de tiers, que le juge appréciera de façon circonstanciée.
2. Dans les cas visés au paragraphe précédent, les mesures pourront également être demandées avant l'introduction du recours, la demande étant instruite conformément aux dispositions de l'article précédent. Dans ce cas, l'intéressé devra en demander la confirmation lors de l'introduction du recours qui devra obligatoirement avoir lieu dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'adoption des mesures conservatoires [...]
Si le recours n'est pas formé, les mesures accordées seront automatiquement sans effet, et le demandeur sera tenu d'indemniser les dommages et préjudices causés par la mesure conservatoire."
20. Il convient d'ajouter que les articles 29 et 30 de la loi n° 29-1998 visent, premièrement, les cas où l'administration est tenue, en vertu d'une disposition, d'un contrat ou d'un acte, de réaliser une prestation concrète en faveur d'une ou plusieurs personnes déterminées, deuxièmement, les cas où l'administration n'exécute pas ses actes définitifs et, troisièmement, la voie de fait.
La procédure précontentieuse
21. Par lettre du 18 décembre 1991, le Gouvernement espagnol a communiqué à la Commission les textes des lois en vigueur à l'époque qui, selon lui, assuraient la transposition en droit national de la directive 89-665, à savoir la Ley reguladora de la Jurisdicción Contencioso-administrativa (code de procédure de la juridiction de contentieux administratif), du 27 décembre 1956, la Ley de Procedimiento Administrativo (loi relative à la procédure administrative), du 18 juillet 1958, la Ley de Contratos del Estado (loi relative aux marchés publics) et la Constitution espagnole.
22. En date du 21 juin 1994, les services de la Commission ont transmis au représentant permanent de l'Espagne auprès de l'Union européenne leurs premières observations sur le contenu des mesures nationales de transposition.
23. La réponse donnée par les autorités espagnoles, le 13 septembre 1994, a été considérée comme insuffisante par la Commission qui a, par conséquent, adressé au Gouvernement espagnol, le 29 mai 1996, une lettre de mise en demeure, dans laquelle elle indiquait, premièrement, que le champ d'application des mesures nationales ne coïncidait pas avec celui de la directive 89-665, deuxièmement, que, selon ces mesures, les actes dits "de procédure" ne pouvaient faire l'objet d'un recours direct que dans des cas exceptionnels et, troisièmement, que lesdites mesures n'envisageaient la possibilité de suspendre un acte administratif que si un recours avait été formé contre celui-ci.
24. Dans sa réponse, en date du 9 octobre 1996, le Gouvernement espagnol a fait valoir, sur le premier point, que la loi n° 13-1995 contenait une transcription littérale de la notion d'"organisme de droit public" visée aux directives 93-36, 93-37 et 92-50. Sur les deux autres points, il a rappelé les cas dans lesquels un acte de procédure peut faire l'objet d'un recours direct et a insisté sur l'exigence légale de former un recours au préalable pour pouvoir suspendre un acte.
25. À la suite d'une réunion qui s'est tenue au mois d'octobre 1997 entre les autorités espagnoles compétentes et les services de la Commission, les premières ont envoyé à la Commission une nouvelle lettre, en date du 30 janvier 1998, dans laquelle elles maintenaient intégralement les opinions défendues dans leur réponse du 9 octobre 1996.
26. Au cours d'une réunion tenue en octobre 1998 et dans une lettre du 14 janvier 1999, les autorités espagnoles ont confirmé leur position au sujet tant du champ d'application que des mesures provisoires. En ce qui concerne la question des actes attaquables, elles ont renvoyé à la loi n° 29-1998, qui avait partiellement modifié le régime applicable aux actes de procédure.
27. Enfin, le 2 février 1999, les autorités espagnoles ont officiellement communiqué à la Commission les lois nos 29-1998 et 4-1999. Après l'analyse de ces nouveaux textes, la Commission a conclu que le Royaume d'Espagne n'avait pas mis fin aux manquements à la directive 89-665 et lui a adressé, le 25 août 1999, un avis motivé, dans lequel elle l'invitait à adopter les mesures nécessaires pour s'y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
28. Le Gouvernement espagnol a répondu à cet avis motivé par lettre du 8 novembre 1999, dans laquelle il réfutait l'analyse de la Commission.
29. C'est dans ces conditions que la Commission a décidé d'introduire le présent recours.
Sur le fond
Sur la transposition du champ d'application personnel de la directive 89-665
Arguments des parties
30. La Commission rappelle, à titre liminaire, que, lorsqu'ils transposent les directives communautaires en droit national, les États membres sont tenus de respecter le sens des termes et des notions qui y figurent, afin de garantir l'uniformité d'interprétation et d'application des textes communautaires dans les différents États membres. Par conséquent, les autorités espagnoles seraient tenues de donner à l'expression "organisme de droit public", utilisée dans les directives 92-50, 93-36 et 93-37, le sens qu'elle a en droit communautaire.
31. À cet égard, la Commission souligne que ces directives ne font aucune mention du régime, public ou privé, sous lequel les organismes de droit public ont été constitués, ni de la forme juridique adoptée, mais s'intéressent plutôt à d'autres critères, parmi lesquels le but dans lequel les organismes en question ont été créés. En particulier, elle fait valoir que l'interprétation fonctionnelle de la notion de "pouvoir adjudicateur" et, partant, d'"organisme de droit public" adoptée dans la jurisprudence constante de la Cour implique que cette dernière notion englobe les sociétés commerciales sous contrôle public, à condition, bien entendu, qu'elles remplissent les conditions prévues à l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, des directives susmentionnées, la forme juridique des entités concernées étant dénuée de pertinence.
32. Or, la Commission soutient que, si le libellé de l'article 1er de la loi n° 13-1995 reprend presque littéralement celui des dispositions correspondantes des directives 92-50, 93-36 et 93-37, il contient cependant une différence substantielle, dans la mesure où il exclut du champ d'application de cette loi les entités de droit privé. En effet, la loi n° 13-1995 ajouterait une condition préalable liée au mode de constitution des entités concernées, qui n'est pas prévue par la législation communautaire, à savoir que l'entité soit de droit public.
33. La Commission considère que l'exclusion opérée par l'article 1er, paragraphe 3, de la loi n° 13-1995 est confirmée par la sixième disposition additionnelle de cette même loi, dont la seule raison d'être réside dans le fait que les marchés auxquels elle se réfère seraient, à défaut, totalement exclus du champ d'application de cette loi.
34. Étant exclues du champ d'application personnel de la réglementation espagnole en matière de marchés publics, les entités de droit privé ne relèveraient pas non plus des dispositions qui régissent les procédures de passation des marchés publics et, partant, du régime de recours en matière de marchés publics. Cette exclusion contreviendrait ainsi aux dispositions des directives 92-50, 93-36 et 93-37 qui en définissent le champ d'application, de même qu'aux dispositions de la directive 89-665, dans la mesure où elle empêcherait l'application des garanties procédurales prévues par cette dernière directive. La Commission en conclut que la directive 89-665 n'a pas été correctement transposée dans l'ordre juridique espagnol, puisque celui-ci ne garantit pas les moyens de recours qu'elle prévoit pour l'ensemble de son champ d'application personnel.
35. Le Gouvernement espagnol soutient, à titre principal, que ce grief est manifestement non fondé. Il fait observer que, bien que la Commission lui reproche d'avoir enfreint la directive 89-665, elle ne fait aucune allusion à celle-ci, mais au champ d'application personnel d'autres directives, à savoir les directives matérielles relatives à la passation des marchés publics. Il en déduit que, en réalité, ce que la Commission met en cause en l'espèce, c'est la transposition de l'article 1er des directives 92-50, 93-36 et 93-37 et non une transposition incorrecte de la directive 89-665 dont elle allègue la violation.
36. En effet, d'une part, la directive 89-665 ne contiendrait pas de règles régissant les procédures de passation des marchés publics et ne définirait dès lors pas le champ d'application personnel desdites règles de procédure figurant dans les directives 92-50, 93-36 et 93-37. D'autre part, elle interviendrait à un stade ultérieur, puisqu'elle exige des États membres qu'ils organisent des procédures de recours efficaces et rapides en cas d'infraction aux règles édictées par les directives régissant les procédures de passation des marchés publics. Dès lors, selon le Gouvernement espagnol, si la Cour devait accueillir ce moyen, il faudrait examiner en l'espèce si la transposition de la directive 89-665 a été correcte, alors même qu'elle ne régit pas la matière dont la Commission prétend qu'elle a été mal transposée. De l'avis du Gouvernement espagnol, la Commission aurait dû engager une procédure distincte pour pouvoir examiner si le Royaume d'Espagne a correctement transposé les directives 92-50, 93-36 et 93-37, qui, elles, contiennent des éléments et règles concrets délimitant leur champ d'application personnel.
37. À titre subsidiaire, le Gouvernement espagnol fait valoir que le champ d'application personnel des directives 92-50, 93-36 et 93-37 a été correctement transposé.
38. Ce gouvernement souligne que l'interprétation de la notion d'"organisme de droit public" n'est pas uniforme dans les différents États membres et qu'il n'est donc pas possible d'apporter une solution définitive à caractère général. Il considère dès lors que, afin de déterminer si un organisme remplit ou non les conditions qui le feraient rentrer dans le champ d'application personnel des directives en question, il faut procéder à un examen détaillé au cas par cas.
39. Le Gouvernement espagnol relève à cet égard, d'une part, que l'expression "organisme de droit public" employée dans les directives susmentionnées se réfère à une entité de droit public et que, dans l'ordre juridique espagnol, les expressions "entité de droit public" et "organisme de droit public" sont utilisées indistinctement.
40. D'autre part, il soutient que, dans les directives 92-50, 93-36 et 93-37, la notion d'"organisme de droit public" n'inclut pas les sociétés commerciales sous contrôle public et que le fait que la directive 93-38 opère une distinction entre cette notion, qui est identique dans les quatre directives, et la notion d'"entreprise publique", dont la définition correspond à celle de "société commerciale publique", démontre qu'il s'agit de deux notions distinctes.
41. Par ailleurs, le Gouvernement espagnol estime que, afin de cerner la notion d'"organisme de droit public", il faut avant tout préciser le caractère commercial ou industriel du "besoin d'intérêt général" poursuivi. Dans ce contexte, il souligne que, dans l'ordre juridique espagnol, les sociétés commerciales publiques ont en principe pour mission de répondre à des besoins d'intérêt général, ce qui explique qu'elles soient sous contrôle public. Ces besoins auraient toutefois un caractère commercial ou industriel, car, si tel n'était pas le cas, ils ne constitueraient pas l'objet d'une société commerciale.
42. En effet, selon le Gouvernement espagnol, il est difficile de contester le caractère commercial ou industriel des sociétés commerciales ou industrielles ou celui des besoins auxquels elles répondent puisqu'elles ont un tel caractère à tous égards. À cet égard, il se réfère à leur forme juridique, qui est de type privé, au régime juridique applicable à leurs activités, qui est le régime commercial, au fait que ces sociétés ont toujours pour objet une activité commerciale, ainsi qu'à leur finalité, qui réside dans un but lucratif étranger à l'intérêt général que poursuivent les associations, fondations et organismes de droit public et qui n'affecte jamais les intérêts privés des associés.
43. En réponse aux arguments du Gouvernement espagnol sur le caractère manifestement non fondé de son premier grief, la Commission relève que la directive 89-665 définit elle-même, à son article 1er, paragraphe 1, son champ d'application par référence à celui des directives 92-50, 93-36 et 93-37. Elle ajoute que, pour définir le champ d'application de la directive 89-665, le législateur communautaire aurait pu reproduire dans celle-ci les dispositions nécessaires des trois autres directives. Qu'il ne l'ait pas fait, mais ait utilisé une autre technique afin de ne pas surcharger inutilement le contenu de la directive 89-665 ne saurait être invoqué pour empêcher la Cour de contrôler la transposition de cette directive dans l'ordre juridique espagnol.
44. En ce qui concerne la prétendue distinction opérée par la directive 93-38 entre les notions d'"organisme de droit public" et d'"entreprise publique", la Commission explique que cette directive n'explicite pas la notion d'organisme de droit public, définie de la même manière dans les quatre directives en question, mais étend le champ d'application des dispositions communautaires en matière de marchés publics à certains secteurs (eau, énergie, transports et télécommunications) exclus des directives 92-50, 93-36 et 93-37, afin d'englober certaines entités ayant une activité importante dans lesdits secteurs, à savoir les entreprises publiques et celles qui bénéficient de droits exclusifs ou spéciaux délivrés par les autorités. Il conviendrait en outre de rappeler que la notion d'entreprise publique a toujours été différente de celle d'organisme de droit public, dans la mesure où les organismes de droit public sont créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général dénués de caractère industriel ou commercial tandis que les entreprises publiques agissent pour satisfaire des besoins à caractère industriel ou commercial.
45. Enfin, en ce qui concerne la thèse du Gouvernement espagnol relative à la nécessité de procéder à une analyse au cas par cas, afin de déterminer si un organisme remplit ou non les conditions d'assujettissement aux directives 92-50, 93-36 et 93-37, la Commission soutient que l'on ne saurait exclure a priori, comme le fait la réglementation espagnole, tout un groupe d'organismes, c'est-à-dire les entités de droit privé qui réunissent les trois conditions énoncées par les directives susmentionnées, du champ d'application de la directive 89-665, même si cette exclusion est soumise à un réexamen au cas par cas.
46. Cette interprétation serait par ailleurs conforme à l'économie des dispositions en question. Selon la Commission, si le législateur communautaire avait voulu lier l'absence de caractère industriel ou commercial au régime juridique de l'organisme et non à l'intérêt poursuivi par ce dernier, la formule "ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial" n'aurait pas été insérée dans le tiret correspondant aux besoins à satisfaire, mais à la ligne précédente, pour qualifier directement l'organisme.
Appréciation de la Cour
47. Il est constant que, aux termes de l'article 1er, paragraphe 3, de la loi n° 13-1995, lu en combinaison avec la sixième disposition additionnelle de cette même loi, les organismes publics ayant un statut de droit privé, une catégorie constituée dans l'ordre juridique espagnol par les sociétés commerciales sous contrôle public, sont exclus du champ d'application personnel de la réglementation espagnole relative aux procédures de passation des marchés publics et, partant, du régime de recours en matière de marchés publics.
48. Il s'ensuit que, afin de déterminer si cette exclusion constitue une transposition correcte de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 89-665, il convient de vérifier si la notion de "pouvoir adjudicateur" qui figure dans cette disposition vise uniquement les organismes régis par le droit public, ainsi que le soutient le Gouvernement espagnol, ou si des organismes ayant un statut de droit privé sont également susceptibles de relever de cette notion.
49. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu'il résulte de ses premier et deuxième considérants, la directive 89-665 vise à renforcer les mécanismes existant, tant sur le plan national que sur le plan communautaire, pour assurer l'application effective des directives en matière de passation des marchés publics de services, de fournitures et de travaux, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées. À cet effet, l'article 1er, paragraphe 1, de ladite directive impose aux États membres l'obligation de garantir que les décisions illégales des pouvoirs adjudicateurs prises dans le cadre des procédures de passation des marchés publics relevant du champ d'application des directives 92-50, 93-36 et 93-37 peuvent faire l'objet de recours efficaces et aussi rapides que possible.
50. Dès lors que la directive 89-665 s'applique aux procédures de recours engagées à l'encontre des décisions des pouvoirs adjudicateurs relevant des directives 92-50, 93-36 et 93-37, son champ d'application personnel coïncide nécessairement avec celui desdites directives.
51. Il s'ensuit que, afin de déterminer si la réglementation espagnole adoptée pour la mise en œuvre de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 89-665 assure une transposition correcte de la notion de "pouvoir adjudicateur" figurant à cet article, il convient de se référer à la définition de cette notion et, plus particulièrement, de celle d'"organisme de droit public" employée, dans des termes en substance identiques, à l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, des directives 92-50, 93-36 et 93-37.
52. La Cour a déjà précisé, à propos de l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 93-37, que, afin d'être qualifiée d'organisme de droit public au sens de cette disposition, une entité doit satisfaire aux trois conditions cumulatives qui y sont énoncées, selon lesquelles elle doit être un organisme créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, doté de la personnalité juridique et dépendant étroitement de l'État, de collectivités territoriales ou d'autres organismes de droit public (arrêt du 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., C-44-96, Rec. p. I-73, points 20 et 21).
53. En outre, la Cour a itérativement jugé que, à la lumière du double objectif d'ouverture à la concurrence et de transparence poursuivi par les directives portant coordination des procédures de passation des marchés publics, la notion d'"organisme de droit public" doit recevoir une interprétation fonctionnelle (voir, notamment, arrêts du 1er février 2001, Commission/France, C-237-99, Rec. p. I-939, points 41 à 43, et du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a., C-470-99, non encore publié au Recueil, points 51 à 53). La Cour a encore précisé que, au regard de ce double objectif, la notion d'"organisme de droit public" doit être comprise dans un sens large (arrêt du 27 février 2003, Adolf Truley, C-373-00, non encore publié au Recueil, point 43).
54. C'est dans cette perspective que, aux fins de résoudre la question de la qualification éventuelle d'organismes de droit public de différentes entités de droit privé, la Cour s'est, suivant une jurisprudence constante, uniquement bornée à vérifier si ces entités réunissaient les trois conditions cumulatives énoncées à l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, des directives 92-50, 93-36 et 93-37, en considérant que le mode de constitution de l'entité concernée était à cet égard indifférent (voir, en ce sens, notamment, arrêts Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., précité, points 6 et 29; du 10 novembre 1998, BFI Holding, C-360-96, Rec. p. I-6821, points 61 et 62, et Commission/France, précité, points 50 et 60).
55. Il ressort des principes ainsi dégagés par la jurisprudence de la Cour que le statut de droit privé d'une entité ne constitue pas un critère susceptible d'exclure sa qualification de pouvoir adjudicateur au sens de l'article 1er, sous b), des directives 92-50, 93-36 et 93-37 et, partant, de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 89-665.
56. En outre, il convient de souligner que l'effet utile tant des directives 92-50, 93-36 et 93-37 que de la directive 89-665 ne serait pas pleinement préservé si l'application de ces directives à une entité répondant aux trois conditions susmentionnées pouvait être exclue du seul fait que, conformément au droit national auquel elle est soumise, sa forme et son régime juridique relèvent du droit privé.
57. Eu égard à ces considérations, l'on ne saurait interpréter la notion d'"organisme de droit public" employée à l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, des directives 92-50, 93-36 et 93-37 en ce sens qu'il serait loisible aux États membres d'exclure d'emblée les sociétés commerciales sous contrôle public du champ d'application personnel de ces directives et, partant, de la directive 89-665.
58. Par ailleurs, il ne saurait être soutenu que cette conclusion revient à méconnaître le caractère industriel ou commercial des besoins d'intérêt général dont ces sociétés assurent la satisfaction, puisque cet élément est nécessairement pris en considération aux fins de déterminer si l'entité concernée répond ou non à la condition énoncée à l'article 1er, sous b), deuxième alinéa, premier tiret, des directives 92-50, 93-36 et 93-37.
59. Ladite conclusion n'est pas non plus infirmée par l'absence de référence expresse, dans les directives 92-50, 93-36 et 93-37, à la catégorie spécifique des "entreprises publiques", pourtant utilisée dans la directive 93-38. À cet égard, il suffit de rappeler que les procédures de recours engagées à l'encontre des décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs dans le cadre de la directive 93-38 sont régies par la directive 92-13, et non pas par la directive 89-665.
60. Il découle donc de ce qui précède que, dans la mesure où elle exclut d'emblée du champ d'application personnel de la directive 89-665 les sociétés de droit privé, la réglementation espagnole en cause en l'espèce ne constitue pas une transposition correcte de la notion de "pouvoir adjudicateur" figurant à l'article 1er, paragraphe 1, de ladite directive, telle que définie à l'article 1er, sous b), des directives 92-50, 93-36 et 93-37.
61. Dans ces conditions, il y a lieu d'accueillir le premier grief de la Commission.
Sur la transposition du champ d'application matériel de la directive 89-665
Arguments des parties
62. La Commission fait valoir que le champ d'application matériel de la directive 89-665 a été indûment réduit, dans la mesure où les dispositions espagnoles en matière de recours, à savoir les articles 107 de la loi n° 30-1992 et 25, paragraphe 1, de la loi n° 29-1998, excluent la possibilité d'attaquer certaines décisions illégales prises par les pouvoirs adjudicateurs. En particulier, elles limiteraient les possibilités de former des recours à l'encontre des actes de procédure, c'est-à-dire des actes administratifs qui ne mettent pas fin à une procédure administrative. Or, ainsi que la Cour l'aurait confirmé dans son arrêt du 28 octobre 1999, Alcatel Austria e.a. (C-81-98, Rec. p. I-7671), cette directive ne prévoirait aucune exception à cet égard.
63. À l'appui de sa thèse, la Commission invoque les articles 1er, paragraphe 1, et 2, paragraphes 1, sous b), et 8, de la directive 89-665, d'où il ressortirait que toute mesure présumée illégale doit pouvoir faire l'objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible.
64. La Commission relève que la première partie de la proposition ("toute mesure présumée illégale") doit être entendue en ce sens qu'elle vise tout type d'actes présumés illégaux, et pas uniquement les actes définitifs. Par ailleurs, la seconde partie de la proposition ("recours efficaces et [...] aussi rapides que possible") obligerait à conclure que la possibilité d'exercer un recours contre les actes de procédure est l'une des meilleures techniques pour garantir l'efficacité et la rapidité des recours, puisqu'attendre le dénouement de la procédure d'adjudication du marché est le meilleur moyen d'affaiblir, voire d'anéantir, l'efficacité et la rapidité des recours imposés par la directive 89-665.
65. À titre d'exemple, la Commission cite un arrêt du Tribunal Supremo (Espagne) du 28 novembre 1994, portant sur une procédure négociée, dans lequel la juridiction espagnole a jugé que la décision d'un pouvoir adjudicateur de demander aux entreprises qui avaient déposé des offres de fournir des documents complémentaires pour régulariser leur situation n'était pas susceptible de recours, sa régularité ne pouvant être mise en cause que dans le cadre de la procédure de révision de l'acte définitif mettant fin à la procédure négociée. Le fait de qualifier d'acte de procédure la demande de production de documents aurait ainsi pour conséquence qu'elle ne pourrait être attaquée que si l'entreprise concernée était exclue de la procédure en raison de la non-production des documents supplémentaires réclamés. Or, la Commission estime que cette entreprise, sans être exclue de ladite procédure, pourrait quand même se trouver dans une position de faiblesse par rapport aux autres entreprises qui concourent, et qu'elle devrait dès lors pouvoir former un recours à l'encontre de la demande de production de pièces complémentaires.
66. Le Gouvernement espagnol réfute ce grief en faisant valoir que la Commission n'a pas démontré l'existence d'un manquement. En effet, elle se serait bornée à exiger la suppression de la distinction entre les actes définitifs et les actes de procédure sans citer le moindre exemple permettant de constater que cette distinction tiendrait effectivement la finalité de la directive 89-665 en échec et, partant, sans démontrer que la législation espagnole pourrait empêcher cette directive d'atteindre son objectif.
67. Le Gouvernement espagnol fait valoir que la position de la Commission est fondée sur la méconnaissance de la notion d'acte de procédure. Il estime que, par définition, un acte de procédure n'entraîne pas un préjudice pour l'intéressé, mais prépare tout au plus une décision définitive qui lui sera favorable ou défavorable. Ainsi, l'acte de procédure n'impliquerait pas une prise de position mais ferait partie d'une procédure engagée en vue d'obtenir une décision. À cet égard, le Gouvernement espagnol explique que, si un acte qui a l'apparence d'un acte de procédure impliquait en lui-même une prise de position, il cesserait d'être un acte de procédure à proprement parler et serait susceptible de recours.
68. Le Gouvernement espagnol ajoute que les dispositions de droit espagnol relatives à la possibilité d'attaquer les actes de procédure qui ont été citées par la Commission ne sont pas propres à la passation des marchés publics, mais s'appliquent également à toutes les procédures. Ledit gouvernement souligne que cette technique, qui cherche à éviter que les procédures soient paralysées par des réclamations et recours successifs engagés au stade des actes préparatoires qui n'affectent pas encore définitivement les droits des intéressés, est non seulement profondément enracinée dans l'ordre juridique espagnol mais aussi commune à tous les ordres juridiques des États membres.
69. Se référant notamment à l'arrêt du 18 mars 1997, Guérin automobiles/Commission (C-282-95 P, Rec. p. I-1503), le Gouvernement espagnol souligne que cette idée est d'ailleurs reprise dans la jurisprudence communautaire elle-même. La Cour aurait également jugé que le caractère préparatoire de l'acte contre lequel le recours est dirigé est l'un des motifs d'irrecevabilité du recours en annulation, et qu'il s'agit d'un motif que la Cour peut examiner d'office (arrêt du 14 février 1989, Bossi/Commission, 346-87, Rec. p. 303).
70. Prenant comme exemple la matière des aides d'État, le Gouvernement espagnol rappelle en outre que ni les dispositions du traité relatives aux aides d'État ni le règlement (CE) n° 659-99 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE (JO L 83, p. 1), ne prévoient expressément que les actes de simple procédure qui ne produisent aucun effet définitif pour les parties intéressées ne sont pas susceptibles d'un recours distinct. Néanmoins, en principe, aucun recours ne serait recevable contre la décision de la Commission d'engager la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE, sans préjudice des moyens qui pourraient être invoqués à l'encontre de cette décision, qui est un acte de procédure, lorsque le jour sera venu d'engager un recours contre la décision finale. Le Gouvernement espagnol conclut donc qu'il n'y avait aucune raison d'inclure dans la directive 89-665 cette distinction élémentaire qui permet à tous les systèmes de recours administratifs ou juridictionnels de fonctionner.
71. Par ailleurs, il estime que la Commission n'a pas non plus avancé la moindre raison pour justifier que les critères appliqués par le Tribunal Supremo dans l'arrêt qu'elle a cité seraient contraires à l'objectif de la directive 89-665. Dans cet arrêt, le Tribunal Supremo aurait expliqué que la demande de production de documents complémentaires était un acte de procédure, puisqu'elle ne mettait pas fin à l'appel d'offres mais n'était qu'un simple préalable à la décision d'adjudication. Le Gouvernement espagnol précise encore que l'adjudication finale du marché a été contestée parce que l'entreprise adjudicataire n'avait pas fourni la documentation demandée par l'administration. Or, selon cette dernière, la documentation manquante n'était pas essentielle et son absence était un vice auquel il pouvait être remédié. Le Gouvernement espagnol ajoute que, dans une procédure négociée, qui n'est pas publique et ne comporte pas de phase d'exclusion, seul l'acte définitif d'adjudication est pertinent aux fins d'un éventuel recours, en raison de la nature même de la procédure, et qu'il n'y a dès lors pas lieu de distinguer entre les actes de procédure et les actes définitifs.
72. La Commission réplique que l'argument du Gouvernement espagnol selon lequel l'impossibilité d'exercer un recours contre les actes de procédure est une technique profondément enracinée dans l'ordre juridique espagnol et commune à tous les ordres juridiques des États membres est inadmissible, pour autant qu'il prétend interpréter les termes d'une directive en utilisant les droits nationaux. Or, le champ d'application matériel des recours visés par la directive 89-665 serait déterminé par la directive elle-même et non par des dispositions nationales. Dans le cas contraire, ladite directive ne serait pas appliquée de manière uniforme dans les différents États membres, ce qui risquerait de priver d'effet l'harmonisation recherchée sur le plan communautaire.
73. En ce qui concerne les arguments du Gouvernement espagnol tirés de la jurisprudence communautaire sur la contestation des décisions de la Commission rendues dans le domaine du droit de la concurrence et des aides d'État, la Commission souligne qu'il s'agit d'arrêts et de dispositions qui sont sans rapport avec la directive 89-665 et qui ne peuvent dès lors être utilisés pour justifier la conformité de l'ordre juridique espagnol avec cette directive. À cet égard, elle insiste sur le fait qu'un ordre juridique comporte une pluralité de règles résolvant différemment les problèmes posés suivant le secteur régi et que l'unité de l'ordre juridique ne peut aboutir à son uniformité, ni à ce que la volonté de l'interprète supplante la volonté du législateur.
Appréciation de la Cour
74. À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément aux dispositions de l'article 107 de la loi n° 30-1992 et de l'article 25, paragraphe 1, de la loi n° 29-1998, les actes de procédure ne sont susceptibles de recours administratifs et de recours contentieux administratifs que s'ils tranchent, directement ou indirectement, le fond de l'affaire, entraînent l'impossibilité de poursuivre la procédure, entraînent l'impossibilité de se défendre, ou causent des préjudices irréparables à des droits ou intérêts légitimes.
75. Il est constant que ces dispositions ont ainsi pour effet d'exclure du champ d'application matériel de la directive 89-665 les actes de procédure, à moins qu'ils remplissent l'une des conditions susmentionnées.
76. La directive 89-665 ne définissant pas expressément la portée de la notion de "décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs" figurant à son article 1er, paragraphe 1, la question de savoir si les actes de procédure qui ne répondent pas à l'une des conditions susmentionnées constituent des décisions à l'égard desquelles les États membres doivent garantir des voies de recours au sens de ladite directive doit être examinée au regard de la finalité de celle-ci et en veillant à ce qu'il ne soit pas porté atteinte à son effet utile.
77. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à son sixième considérant et à son article 1er, paragraphe 1, la directive 89-665 vise à assurer que, dans tous les États membres, des procédures adéquates permettent l'annulation des décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs en violation du droit communautaire en matière de passation des marchés publics ou des règles nationales transposant ce droit ainsi que l'indemnisation des personnes lésées par une telle violation.
78. Ainsi qu'il ressort de l'article 1er, paragraphes 1 et 3, de cette directive, les procédures de recours qu'elle vise doivent être, d'une part, efficaces et aussi rapides que possible et, d'autre part, accessibles à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par une violation alléguée.
79. À cet égard, il y a lieu de relever, d'une part, que, ainsi qu'il a été indiqué au point 74 du présent arrêt, la réglementation espagnole assure aux intéressés la possibilité de former des recours à l'encontre non seulement des actes définitifs, mais également des actes de procédure, dès lors qu'ils tranchent, directement ou indirectement, le fond de l'affaire, qu'ils entraînent l'impossibilité de poursuivre la procédure ou de se défendre, ou qu'ils causent des préjudices irréparables à des droits ou intérêts légitimes.
80. D'autre part, la Commission n'a pas établi que cette réglementation ne garantit pas une protection juridictionnelle adéquate des particuliers lésés par des violations des règles pertinentes du droit communautaire ou des règles nationales transposant ce droit.
81. Il découle de ce qui précède que le deuxième grief de la Commission doit être rejeté.
Sur la transposition du régime des mesures provisoires prévu par la directive 89-665
Arguments des parties
82. La Commission fait valoir que les dispositions nationales qui transposent dans l'ordre juridique espagnol l'article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 89-665, à savoir les articles 111 de la loi n° 30-1992 et 129 à 136 de la loi n° 29-1998, ne garantissent pas l'existence d'une procédure d'urgence, indépendante de l'introduction d'un recours, ayant pour objet de suspendre la procédure de passation des marchés publics ou l'exécution de toute décision adoptée par les pouvoirs adjudicateurs.
83. Plus particulièrement, la Commission relève que, sauf dans le cas exceptionnel de l'article 136, paragraphe 2, de la loi n° 29-1998, la réglementation espagnole ne prévoit aucune possibilité d'adopter des mesures provisoires en l'absence de recours sur le fond. Or, ainsi qu'il ressortirait du point 11 de l'arrêt du 19 septembre 1996, Commission/Grèce (C-236-95, Rec. p. I-4459), toutes les mesures provisoires doivent pouvoir être prises indépendamment de toute action préalable.
84. Par ailleurs, la Commission souligne, d'une part, que, dans le cadre des recours administratifs, la seule mesure provisoire qui peut être adoptée est le sursis à exécution. D'autre part, dans le cadre des recours contentieux administratifs, le juge des référés aurait tendance à ne pas adopter d'autres mesures que le sursis à exécution. La Commission explique que, ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante du Tribunal Supremo, les mesures provisoires ne peuvent pas porter sur le fond, car elles ne doivent pas anticiper le résultat du litige principal. Or, ce principe de la neutralité des mesures provisoires par rapport au fond du litige principal aurait pour conséquence que, contrairement à ce qu'exige l'article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 89-665, le juge des référés ne peut pas adopter toutes les mesures nécessaires pour corriger une violation.
85. Le Gouvernement espagnol ne conteste pas que tant les règles de la procédure administrative que celles du contentieux administratif ont pour effet que l'adoption d'une mesure provisoire est liée à l'introduction préalable d'un recours et ne peut en aucun cas être demandée de manière autonome.
86. En effet, s'agissant de l'article 136 de la loi n° 29-1998, le Gouvernement espagnol précise que, si, dans les cas y visés, les mesures provisoires peuvent être demandées et accordées avant même l'introduction du recours, cette disposition n'implique pas que ces mesures soient indépendantes du recours, dès lors que l'intéressé doit nécessairement engager le recours contre l'acte qu'il juge illégal dans un délai de dix jours à partir de la notification de la décision accordant les mesures sollicitées. Il doit alors demander la confirmation de celles-ci et, à défaut pour lui d'engager le recours dans le délai, les mesures provisoires sont automatiquement caduques.
87. S'agissant de la suspension par voie judiciaire, le Gouvernement espagnol souligne que la procédure de contentieux administratif ne s'introduit pas par une requête, mais par un simple acte écrit qui doit désigner l'acte entrepris ou dénoncer l'inertie de l'administration et dans lequel l'intéressé peut demander le sursis à l'exécution de l'acte entrepris sans nécessairement devoir rédiger sa requête. Ce gouvernement explique que, une fois le recours engagé, la juridiction saisie demandera à l'administration de lui transmettre le dossier administratif et que ce n'est qu'après que le requérant aura été mis en possession de celui-ci que commencera à courir le délai dans lequel il doit formuler sa requête et articuler les moyens de son recours.
88. Quant à l'absence d'une telle possibilité dans le cadre de la législation régissant la suspension par voie administrative, le Gouvernement espagnol fait valoir qu'il est tout à fait exceptionnel qu'en matière de passation de marchés publics il faille introduire un recours administratif et que, dans le cas improbable où il faudrait épuiser les voies de recours administratives, le délai prévu à l'article 111, paragraphe 3, de la loi n° 30-1992 est extrêmement bref. Il estime en effet que cette dernière disposition contient un régime particulièrement avancé en la matière, dans la mesure où elle prévoit que, si l'autorité administrative n'a pas pris de décision expresse sur la demande de sursis dans un délai de 30 jours, le sursis est réputé accordé.
89. En ce qui concerne la justification de l'obligation de former un recours contre l'acte dont l'illégalité est à l'origine de la demande de sursis à exécution, le Gouvernement espagnol relève que les mesures provisoires visées à l'article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 89-665 sont précisément dites "provisoires" parce qu'elles ont pour vocation de garantir les résultats d'un litige en créant une situation transitoire jusqu'à l'issue de celui-ci et que ladite directive part toujours de l'hypothèse que les mesures provisoires sont demandées par celui qui conteste la validité de l'acte. Il en résulterait que, réclamer pour les mesures provisoires l'indépendance absolue qu'exige la Commission n'a pas de sens, puisque, par définition, toute mesure provisoire est une mesure accessoire.
90. Par ailleurs, eu égard au fait que les recours de contentieux administratif sont introduits par une simple lettre, il serait inconcevable que, dans une interprétation finaliste de la directive 89-665, un tel mode d'introduction de ces recours puisse être considéré comme une entrave ou un obstacle puisque l'intéressé peut demander et obtenir la mesure provisoire qu'il souhaite avant de concrétiser les moyens du recours qu'il dirige contre l'acte jugé illégal.
91. Le Gouvernement espagnol invoque également les articles 242 CE et 243 CE, ainsi que l'article 83 du règlement de procédure de la Cour, d'où il ressortirait que, dans l'ordre juridique communautaire, la demande de mesures provisoires n'est pas une voie de recours autonome mais plutôt une demande accessoire du recours en annulation.
92. En ce qui concerne la conclusion tirée par la Commission de l'arrêt Commission/Grèce, précité, le Gouvernement espagnol estime que, si la déclaration isolée de la Cour au point 11 de cet arrêt devait avoir la conséquence qu'y attache la Commission, la directive 89-665 exigerait que le juge puisse adopter les mesures provisoires sans que quiconque le lui ait demandé. En outre, il soutient que, même si le mot "action" utilisé par la Cour l'a été dans un sens technique désignant un acte de procédure, cela ne signifie pas que cet arrêt confirme la thèse de la Commission. En effet, les mesures autonomes exigées par celle-ci impliqueraient également l'exercice d'une action devant une juridiction. En tout état de cause, ce gouvernement constate que, dans ledit arrêt, la Cour n'a pas eu à statuer sur le fond du manquement reproché, puisque l'État défendeur avait reconnu qu'il n'avait pas transposé dans son ordre juridique interne les dispositions de la directive 89-665 dans le délai imparti par l'avis motivé.
93. Quant à la possibilité d'adopter des mesures positives, le Gouvernement espagnol relève que, ainsi qu'il ressort de l'exposé de motifs et de l'article 129 de la loi n° 29-1998, cette loi a introduit la possibilité de demander et d'obtenir n'importe quelle mesure provisoire, y compris des mesures positives, et que c'est au juge saisi qu'il appartient de déterminer celles qui s'imposent en fonction des circonstances. Il ajoute à cet égard que le Tribunal Constitucional (Espagne) a jugé que le droit d'obtenir des mesures provisoires relève du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective. Plus particulièrement, dans un arrêt du 29 avril 1993, qui concernait un arrêté contre lequel un recours avait été engagé parce qu'il prévoyait des services minimums plus étendus qu'il n'était nécessaire, cette juridiction aurait dit pour droit que l'article 24 de la Constitution espagnole, qui consacre le droit à une protection juridictionnelle effective, permet au juge, à titre de mesure conservatoire, de reformuler tout arrêté pris en vue d'assurer des services minimums en cas de grève générale.
94. Enfin, le Gouvernement espagnol explique qu'il ne comprend pas l'argument de la Commission selon lequel l'obligation d'attaquer au fond la légalité d'un acte du pouvoir adjudicateur simultanément à l'introduction de la demande de mesures provisoires prive le système de son efficacité, puisque, selon lui, toute demande de mesures provisoires comporte un examen du fond, fût-il limité à une appréciation prima facie du problème.
Appréciation de la Cour
95. Il est constant que, à l'exception des cas visés à l'article 136, paragraphe 2, de la loi n° 29-1998, la réglementation espagnole subordonne la demande d'octroi de mesures provisoires à l'introduction préalable d'un recours au fond.
96. Afin de vérifier la conformité de cette réglementation avec la directive 89-665, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, ainsi qu'il ressort du cinquième considérant de cette directive, la brièveté des procédures de passation des marchés publics exige un traitement urgent des violations des règles pertinentes du droit communautaire ou des règles nationales transposant ce droit qui entachent ces procédures.
97. À cet effet, l'article 2, paragraphe 1, sous a), de ladite directive impose aux États membres l'obligation d'habiliter les instances de recours à prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d'empêcher d'autres dommages d'être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou l'exécution de toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs.
98. Dans l'arrêt Commission/Grèce, précité, qui portait sur la conformité avec la directive 89-665 d'une réglementation nationale qui, d'une part, limitait la protection juridictionnelle provisoire aux seules procédures de sursis à l'exécution d'un acte administratif et, d'autre part, subordonnait la mesure de sursis à l'introduction d'un recours en annulation contre l'acte attaqué, la Cour a eu l'occasion de préciser la portée des obligations découlant à cet égard de ladite directive. En particulier, elle a constaté que, en vertu de l'article 2 de cette directive, les États membres sont tenus, plus généralement, de doter leurs instances de recours du pouvoir de prendre, indépendamment de toute action préalable, toutes mesures provisoires, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de marché public en cause (arrêt Commission/Grèce, précité, point 11).
99. À cet égard, il y a lieu de relever que, si la réglementation espagnole prévoit la possibilité d'adopter des mesures provisoires à caractère positif, elle ne saurait néanmoins être considérée comme un système de protection juridictionnelle provisoire adéquat pour remédier de manière efficace aux infractions éventuellement commises par les pouvoirs adjudicateurs, dans la mesure où elle exige, en règle générale, l'introduction préalable d'un recours au fond en tant que condition pour l'adoption d'une mesure provisoire à l'encontre d'une décision du pouvoir adjudicateur.
100. Cette constatation n'est pas infirmée par le fait que, dans le cadre de la suspension par voie judiciaire, le recours peut être introduit par un simple acte écrit et que la requête introductive du recours peut être formulée postérieurement à la demande d'octroi de la mesure provisoire, dès lors que l'exigence d'accomplissement préalable d'une telle formalité ne saurait davantage être considérée comme compatible avec les prescriptions de la directive 89-665, telles que précisées dans l'arrêt Commission/Grèce, précité.
101. Il s'ensuit que le troisième grief de la Commission doit être accueilli.
102. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en omettant de prendre les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions des articles 1er et 2 de la directive 89-665, et notamment
- en omettant d'étendre le système de recours garantis par cette directive aux décisions prises par les sociétés de droit privé créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, dotées de la personnalité juridique, dont soit l'activité est financée majoritairement par les administrations publiques ou d'autres entités de droit public, soit la gestion est soumise au contrôle de celles-ci, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par les administrations publiques ou d'autres entités de droit public, et
- en soumettant, en règle générale, la possibilité de prendre des mesures conservatoires à l'égard des décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs à la nécessité d'introduire préalablement un recours contre la décision du pouvoir adjudicateur,
le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.
103. Le recours est rejeté pour le surplus.
Sur les dépens
104. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. En vertu de l'article 69, paragraphe 3, du même règlement, la Cour peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. La Commission ayant succombé sur un chef, il y a lieu de condamner celle-ci à un tiers des dépens et le Royaume d'Espagne à deux tiers des dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre)
déclare et arrête:
1) En omettant de prendre les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions des articles 1 er et 2 de la directive 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, et notamment
- en omettant d'étendre le système de recours garantis par cette directive aux décisions prises par les sociétés de droit privé créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, dotées de la personnalité juridique, dont soit l'activité est financée majoritairement par les administrations publiques ou d'autres entités de droit public, soit la gestion est soumise au contrôle de celles-ci, soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par les administrations publiques ou d'autres entités de droit public, et
- en soumettant, en règle générale, la possibilité de prendre des mesures conservatoires à l'égard des décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs à la nécessité d'introduire préalablement un recours contre la décision du pouvoir adjudicateur,
le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) La Commission des Communautés européennes est condamnée à supporter un tiers des dépens et le Royaume d'Espagne est condamné à supporter deux tiers des dépens.