CJCE, 2e ch., 4 octobre 2007, n° C-217/06
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Timmermans
Avocat général :
M. Poiares Maduro
Juges :
MM. Kuris, Schiemann, Bay Larsen, Bonichot
Avocats :
Mes Mollica, Fiorentino
LA COUR (deuxième chambre),
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, la commune de Stintino ayant attribué directement à Maresar Soc. Cons. arl (ci-après "Maresar"), par la convention n° 7-91, du 2 octobre 1991 (ci-après la "convention"), et par les actes additionnels liés à cette convention, le marché public de travaux ayant pour objet la réalisation des ouvrages mentionnés dans la décision n° 48 du conseil communal de Stintino, du 14 décembre 1989, notamment "l'élaboration du projet et la construction des ouvrages pour l'adaptation technologique et structurelle, le réaménagement et l'achèvement des réseaux de distribution d'eau et d'égouttage, du réseau routier, des structures et de l'équipement dans le secteur du logement, des pôles touristiques situés à l'extérieur et sur le territoire de la commune de Stintino, y compris l'assainissement et la dépollution de la côte et de ses centres touristiques", sans avoir recours à la procédure d'adjudication prévue par la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5), et, en particulier, sans publier aucun avis au Journal officiel des Communautés européennes, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive, et en particulier des articles 3 et 12 de celle-ci.
Le cadre juridique
2 La législation applicable à l'adjudication en cause est la directive 71-305 dans sa version antérieure aux modifications apportées par la directive 89-440-CEE du Conseil, du 18 juillet 1989 (JO L 210, p. 1).
3 Aux termes de l'article 1er, sous a), de la directive 71-305:
"les 'marchés publics de travaux' sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un entrepreneur - personne physique ou morale - d'une part et, d'autre part, un pouvoir adjudicateur défini sous b) et qui ont pour objet une des activités visées à l'article 2 de la directive du Conseil du 26 juillet 1971, concernant la suppression des restrictions à la libre prestation de services dans le domaine des marchés publics de travaux et à l'attribution de marchés publics de travaux par l'intermédiaire d'agences ou de succursales".
4 L'article 3, paragraphe 1, de cette directive définit le contrat de concession comme "un contrat présentant les mêmes caractères que ceux visés à l'article 1er sous a), à l'exception du fait que la contrepartie des travaux à effectuer consiste, soit uniquement dans le droit d'exploiter l'ouvrage, soit dans ce droit assorti d'un prix".
5 Ce même article 3, paragraphe 1, précise, en outre, que les dispositions de la directive 71-305 ne sont pas applicables aux contrats de concession.
6 Aux termes de l'article 12 de la directive 71-305:
"Les pouvoirs adjudicateurs, désireux de passer un marché public de travaux [...] font connaître leur intention au moyen d'un avis.
Cet avis est envoyé à l'Office des publications officielles des Communautés européennes et il est publié in extenso au Journal officiel des Communautés européennes [...]"
7 L'article 7, paragraphe 1, de cette directive énonce:
"Les dispositions des titres II, III et IV ainsi que celles de l'article 9 sont appliquées, dans les conditions prévues à l'article 5, aux marchés publics de travaux dont le montant estimé égale ou dépasse 1 000 000 d'unités de compte."
La procédure précontentieuse
8 La convention, conclue entre la commune de Stintino et Maresar sans publicité ni mise en concurrence, a été suivie, durant la période 1992-2001, de la passation, entre les mêmes parties, de onze actes additionnels qui confient à Maresar la réalisation d'ouvrages déterminés relevant de la convention, ainsi que celle de toutes les activités technico-administratives nécessaires jusqu'à la réception des travaux. Le prix de chacune de ces interventions est fixé dans ces actes.
9 Après avoir reçu une plainte, la Commission, estimant que la convention constituait un marché public de travaux dont l'attribution directe en dehors de toute procédure de mise en concurrence enfreint la réglementation communautaire relative aux marchés publics, a transmis à la République italienne une lettre de mise en demeure le 30 mars 2004 à laquelle celle-ci a répondu par lettre du 30 juin 2004.
10 Les explications fournies dans cette réponse n'ayant pas été considérées comme satisfaisantes par la Commission, celle-ci a, le 13 octobre 2004, adressé à la République italienne un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la notification de celui-ci. La République italienne a répondu à cet avis motivé par lettre du 3 janvier 2005.
11 Considérant que les mesures nécessaires n'avaient pas été prises par les autorités italiennes, la Commission a introduit le présent recours.
Sur le recours
12 La Commission constate que, dans leur réponse à l'avis motivé, les autorités italiennes ne contestent plus le fait que la convention doit être considérée comme un marché public.
13 Elle considère que les autorités italiennes ont reconnu l'infraction commise en ce qui concerne les ouvrages déjà pratiquement achevés et un bassin de régulation hydraulique qui, à la date à laquelle elles ont envoyé leur réponse, était réalisé à 30 %.
14 La Commission fait toutefois valoir que le bassin de régulation hydraulique fait l'objet d'un seul des onze actes additionnels et considère que les autorités italiennes ne fournissent aucune information au sujet de l'état d'avancement des travaux faisant l'objet des autres actes additionnels portant sur des travaux qui, au total, représentent, pour la période 1992-2001, environ 16 millions d'euros. Elle estime, en outre, que ces travaux ne concernent qu'une partie des interventions susceptibles de s'inscrire dans le cadre de la convention qui semble avoir été conclue pour une durée indéterminée.
15 La Commission en déduit que, même si il a été mis un terme aux relations avec Maresar "en ce qui concerne la réalisation des infrastructures qui s'inscrivent dans le cadre de la convention, principal objet de contestation, et que les autorités italiennes ont procédé à la publication d'appels d'offres pour la sélection d'adjudicataires", aucun élément ne lui a été transmis et, notamment, aucune décision officielle de la commune de Stintino de nature à confirmer que la convention a cessé de produire des effets juridiques.
16 À cet égard, la convention n° 7-91, décrite au point 1, conclue le 2 octobre 1991 entre la commune de Stintino et Maresar, ensemble les onze actes additionnels qui confient à Maresar la réalisation d'ouvrages déterminés relevant de la convention, ainsi que celle de toutes les activités technico-administratives nécessaires jusqu'à la réception des travaux, a été passée par un pouvoir adjudicateur, la commune de Stintino, contre le paiement d'un prix supporté par celui-ci. Elle doit, par suite, conformément à l'article 1er, sous a), de la directive 71-305, être analysée comme un marché de travaux. Le Gouvernement italien ne le conteste d'ailleurs plus.
17 Ainsi, c'est à bon droit que la Commission a estimé que ledit marché qui dépassait le seuil fixé par la directive 71-305 aurait dû faire l'objet de la publication d'un avis au Journal officiel des Communautés européennes prescrit par l'article 12 de cette directive et a, en conséquence, émis un avis motivé à l'encontre de la République italienne à l'effet de faire cesser le manquement constitué par l'attribution dudit marché à Maresar, par la commune de Stintino, sans procédure de mise en concurrence.
18 Il revient donc à la Cour de déterminer si, à la date pertinente pour apprécier le manquement, c'est-à-dire à l'issue du délai fixé dans l'avis motivé (voir en ce sens, arrêts du 14 septembre 2004, Commission/Espagne, C-168-03, Rec. p. I-8227, point 24, et du 27 octobre 2005, Commission/Luxembourg, C-23-05, Rec. p. I-9535, point 9), les mesures nécessaires pour faire cesser ce manquement avaient été prises par le Gouvernement italien.
19 En l'espèce, compte tenu des éléments apportés par le Gouvernement italien, au moment de l'expiration du délai fixé dans l'avis motivé, l'exécution de la convention irrégulière ne se poursuivait plus que pour la réalisation finale d'un ouvrage, le bassin de régulation hydraulique, prévu par l'acte additionnel n° 10. D'autres ouvrages étaient terminés. Par ailleurs, la Commission ne démontre pas que les affirmations du Gouvernement italien selon lesquelles la commune de Stintino avait retiré à Maresar les autres prestations qui avaient été confiées à cette société par la convention seraient erronées.
20 Le Gouvernement italien ne conteste plus que la commune de Stintino a manqué à ses obligations en passant la convention sans mise en concurrence. Il soutient toutefois, en premier lieu, que le recours est dépourvu d'objet dans la mesure où le marché litigieux avait, à la date d'expiration du délai fixé dans l'avis motivé, épuisé presque tous ses effets. À cette date, en tenant compte de la fin de la réalisation du bassin de régulation hydraulique, les travaux en cause auraient été achevés à hauteur de 82 %. Ainsi, il n'aurait plus été possible, matériellement, de se conformer à l'avis motivé.
21 Toutefois, s'il est vrai que, en matière de passation des marchés publics, la Cour a jugé qu'un recours en manquement est irrecevable si, à la date d'expiration du délai fixé dans l'avis motivé, le contrat en question avait déjà épuisé tous ses effets (voir, en ce sens, arrêts du 31 mars 1992, Commission/Italie, C-362-90, Rec. p. I-2353, points 11 et 13, et du 2 juin 2005, Commission/Grèce, C-394-02, Rec. p. I-4713, point 18), en l'espèce, la Cour ne peut que constater que la convention était, à cette date, en cours d'exécution, les travaux n'étant pas complètement achevés. Le marché n'avait donc pas épuisé tous ses effets.
22 En second lieu, pour démontrer qu'il n'avait pas été possible légalement de se conformer à l'avis motivé, les autorités italiennes soutiennent qu'elles ne pouvaient pas résilier l'acte additionnel concernant la réalisation du bassin de régulation compte tenu de la confiance légitime qui avait pu naître dans le chef de Maresar, en raison de la durée du rapport contractuel qui s'était déroulé sur une période de plus de dix ans avant l'introduction de la procédure précontentieuse.
23 Toutefois, le comportement d'une autorité nationale chargée d'appliquer le droit communautaire, qui est en contradiction avec ce dernier, ne saurait fonder, dans le chef d'un opérateur économique, une confiance légitime à bénéficier d'un traitement contraire au droit communautaire (voir arrêts du 26 avril 1988, Krücken, C-316-86, Rec. p. 2213, point 24, et du 1er avril 1993, Lageder e.a., C-31-91 à C-44-91, Rec. p. I-1761, point 38).
24 La circonstance que la convention litigieuse a été signée il y a plus de dix ans est sans incidence sur son caractère irrégulier au regard du droit communautaire et, par suite, sur l'impossibilité pour elle de faire naître une confiance légitime dans le chef de Maresar (voir en ce sens arrêt du 24 septembre 1998, Commission/France, C-35-97, Rec. p. I-5325, point 45).
25 Il résulte de ce qui précède que, en ayant laissé se poursuivre l'exécution d'au moins une des opérations confiées par la commune de Stintino à Maresar aux termes de la convention et des actes additionnels conclus postérieurement par ces mêmes parties, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 71-305, et en particulier des articles 3 et 12 de celle-ci.
Sur les dépens
26 En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, LA COUR (deuxième chambre), déclare et arrête:
1) En ayant laissé se poursuivre l'exécution d'au moins une des opérations confiées par la commune de Stintino à la société Maresar Soc. Cons. arl aux termes de la convention n° 7-91 signée le 2 octobre 1991 et des actes additionnels conclus postérieurement par ces mêmes parties, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, et en particulier des articles 3 et 12 de celle-ci.
2) La République italienne est condamnée aux dépens.