CJCE, 2e ch., 11 octobre 2007, n° C-237/05
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République hellénique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Timmermans
Avocat général :
M. Mengozzi
Juges :
MM. Arestis, Bay Larsen, Schintgen, Kuris
LA COUR (deuxième chambre),
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en raison de la pratique suivie par les autorités compétentes lors des opérations d'établissement et de collecte des demandes et des déclarations des producteurs de céréales et autres dans le cadre du système intégré de gestion et de contrôle pour l'année 2001, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions de la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), telle que modifiée par la directive 97-52-CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997 (JO L 328, p. 1, ci-après la "directive 92-50"), notamment en vertu des articles 3, paragraphe 2, 7, 11, paragraphe 1, et 15, paragraphe 2, de cette directive ainsi qu'en vertu du principe général de transparence.
Le cadre juridique
La directive 92-50
2 Aux termes de l'article 1er, sous a), de la directive 92-50, "les 'marchés publics de services' sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur", à l'exclusion des contrats énumérés à cette même disposition, sous i) à ix).
3 L'article 3, paragraphes 1 et 2, de ladite directive dispose :
"1. Pour passer leurs marchés publics de services ou pour organiser un concours, les pouvoirs adjudicateurs appliquent des procédures adaptées aux dispositions de la présente directive.
2. Les pouvoirs adjudicateurs veillent à ce qu'il n'y ait pas de discrimination entre les différents prestataires de services."
4 Aux termes de l'article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 92-50 :
"1. a) La présente directive s'applique :
- [...] aux marchés publics de services ayant pour objet des services figurant à l'annexe I B, [...] passés par les pouvoirs adjudicateurs visés à l'article 1er point b), lorsque la valeur estimée hors taxe sur la valeur ajoutée (TVA) égale ou dépasse 200 000 écus,
- aux marchés publics de services ayant pour objet des services figurant à l'annexe I A, [...] :
i) passés par les pouvoirs adjudicateurs désignés à l'annexe I de la directive 93-36-CEE, lorsque la valeur estimée hors TVA égale ou dépasse l'équivalent en écus de 130 000 droits de tirage spéciaux (DTS);
ii) passés par les pouvoirs adjudicateurs désignés à l'article 1er point b) autres que ceux mentionnés à l'annexe I de la directive 93-36-CEE et dont la valeur estimée hors TVA égale ou dépasse l'équivalent en écus de 200 000 DTS."
5 Aux termes de l'article 8 de la directive 92-50, "[l]es marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe I A sont passés conformément aux dispositions des titres III à VI" de cette même directive.
6 L'article 9 de ladite directive énonce :
"Les marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe I B sont passés conformément aux articles 14 et 16."
7 L'article 11, paragraphe 1, de la même directive prévoit que, pour passer leurs marchés publics de services, les pouvoirs adjudicateurs appliquent les procédures ouvertes, restreintes ou négociées telles que définies à l'article 1er, sous d), e) et f), de cette directive.
8 Aux termes de l'article 15, paragraphe 2, de la directive 92-50 :
"Les pouvoirs adjudicateurs désireux de passer un marché public de services en recourant à une procédure ouverte, restreinte ou, dans les conditions prévues à l'article 11, à une procédure négociée font connaître leur intention au moyen d'un avis."
Le règlement (CEE) nº 3508-92
9 Il ressort des troisième et quatrième considérants du règlement (CEE) n° 3508-92 du Conseil, du 27 novembre 1992, établissant un système intégré de gestion et de contrôle relatif à certains régimes d'aides communautaires (JO L 355, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1593-2000 du Conseil, du 17 juillet 2000 (JO L 182, p. 4, ci-après le "règlement n° 3508-92"), que, dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune et dans le souci d'adapter les mécanismes de gestion et de contrôle à la nouvelle situation ainsi que de renforcer l'efficacité et la rentabilité de ceux-ci, il s'avère nécessaire de créer un nouveau système intégré de gestion et de contrôle relatif à certains régimes d'aides communautaires couvrant les régimes de soutien financier dans le secteur des cultures arables et dans ceux de la viande bovine, ovine et caprine (ci-après le "SIGC").
10 L'article 2 du règlement n° 3508-92 dispose :
"Le [SIGC] comprend les éléments suivants :
a) une base de données informatisée;
b) un système d'identification des parcelles agricoles;
c) un système d'identification et d'enregistrement des animaux;
d) des demandes d'aides;
e) un système intégré de contrôle."
11 Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, dudit règlement :
"Dans la base de données informatisée sont enregistrées, pour chaque exploitation agricole, les données provenant des demandes d'aides. Cette base de données doit notamment permettre de consulter d'une façon directe et immédiate, auprès de l'autorité compétente de l'État membre, les données relatives au moins aux trois dernières années civiles et/ou campagnes consécutives."
12 L'article 4 du même règlement prévoit :
"Le système d'identification des parcelles agricoles est constitué sur la base de plans et de documents cadastraux et d'autres références cartographiques. Les techniques utilisées s'appuient sur un système d'information géographique informatisé comprenant de préférence une couverture d'ortho-imagerie aérienne ou spatiale, avec des normes homogènes garantissant une précision au moins équivalente à celle de la cartographie à une échelle de 1:10 000."
13 Aux termes de l'article 6, paragraphe 1, du règlement n° 3508-92 :
"Pour être admis au bénéfice d'un ou de plusieurs régimes communautaires soumis aux dispositions du présent règlement, chaque exploitant présente, pour chaque année, une demande d'aides 'surfaces' indiquant :
- les parcelles agricoles, y compris les superficies fourragères, les parcelles agricoles faisant l'objet d'une mesure de retrait de terres arables et celles qui ont été mises en jachère,
- le cas échéant, toute autre information nécessaire prévue soit par les règlements relatifs aux régimes communautaires, soit par l'État membre concerné."
14 L'article 7 dudit règlement est libellé comme suit :
"Le [SIGC] porte sur l'ensemble des demandes d'aides présentées, notamment en ce qui concerne les contrôles administratifs, les contrôles sur place et, le cas échéant, les vérifications par télédétection aérienne ou spatiale."
Les antécédents du litige et la procédure précontentieuse
15 La Commission a été saisie d'une plainte relative à la prétendue illégalité, au regard de la directive 92-50, d'un accord-cadre et des contrats d'exécution de celui-ci portant sur la prestation de certains services dans le cadre de la mise en œuvre du SIGC en Grèce au titre de l'année 2001.
16 Ledit accord-cadre a été conclu le 20 février 2001 entre le ministère de l'Intérieur, de la Fonction publique et de la Décentralisation, le ministère de l'Agriculture, l'union des administrations préfectorales de Grèce et la confédération panhellénique des unions de coopératives agricoles (ci-après l'"accord-cadre").
17 L'accord-cadre portait sur la coordination, par ladite confédération, des services suivants, dont l'exécution était confiée aux membres de cette dernière, à savoir les unions locales de coopératives agricoles (ci-après les "UCA") :
- informer les agriculteurs de l'adoption des nouveaux formulaires de demande et de déclaration des exploitations et des cultures agricoles, qui serviront à alimenter la nouvelle base de données dans le cadre du SIGC;
- apporter leur aide en vue d'assurer l'enregistrement correct et en temps utile des données fournies par les agriculteurs sur les formulaires appropriés. Ce service comprend notamment la fourniture d'une assistance technique aux agriculteurs pour l'identification des surfaces cultivées et boisées sur des ortho-photographies, des photographies aériennes ou des cartes topographiques;
- collecter les formulaires et les soumettre, sur papier ou par voie électronique, à l'administration préfectorale compétente.
18 L'accord-cadre prévoyait, à cet effet, la passation de contrats d'exécution entre les administrations préfectorales et les UCA au niveau de chaque nome. Par la suite, de tels contrats ont effectivement été passés (ci-après les "contrats litigieux").
19 Par lettre du 18 décembre 2002, la Commission a mis la République hellénique en demeure de présenter ses observations sur le grief tiré de ce qu'elle n'aurait pas respecté les dispositions de la directive 92-50, notamment l'article 3, paragraphe 2, de celle-ci, ainsi que le principe de non-discrimination, en attribuant, directement et sans publicité préalable, la prestation des services concernés aux UCA.
20 Considérant que les observations présentées en réponse à ladite lettre par la République hellénique étaient insuffisantes, la Commission a, le 19 décembre 2003, émis un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour se conformer audit avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
21 La réponse du Gouvernement hellénique à l'avis motivé n'ayant pas convaincu la Commission, cette dernière a décidé d'introduire le présent recours.
Sur la recevabilité du recours
22 La République hellénique soulève une exception d'irrecevabilité à l'encontre du recours de la Commission, tirée du défaut d'intérêt à agir de cette dernière et de l'absence d'objet de ce recours.
23 À cet égard, ledit État membre soutient, en premier lieu, qu'il a pris les mesures nécessaires pour mettre fin au prétendu manquement et que celui-ci n'existait plus à l'expiration du délai imparti dans l'avis motivé pour se conformer à celui-ci, puisque :
- au cours de l'année 2003, il n'y a pas eu d'attributions directes des services en cause et la possibilité de soumissionner a également été donnée à des entités autres que les UCA;
- les autorités helléniques se sont engagées, par la déclaration officielle n° 5767 du secrétaire général du ministère de l'Agriculture, du 6 novembre 2003, "à recourir, si nécessaire, à des appels à la concurrence pour l'attribution des marchés de services concernés, à condition naturellement que ces services relèvent, entièrement ou en partie, de l'annexe I A de la directive 92-50".
24 En second lieu, la République hellénique fait valoir que, à l'expiration du délai qui lui avait été imparti pour se conformer à l'avis motivé, le manquement allégué, portant sur la seule année 2001, avait cessé d'exister et avait épuisé tous ses effets.
25 La Commission rétorque qu'une constatation du manquement reproché est nécessaire puisque l'application efficace et correcte de la directive 92-50, tant dans le présent litige relatif à l'année 2001 qu'à l'avenir, n'est nullement assurée.
26 Tout d'abord, la déclaration nº 5767 serait non seulement insuffisante, dès lors qu'elle n'est pas juridiquement contraignante, mais également vague en raison de l'emploi de l'expression "si nécessaire".
27 Ensuite, le désaccord persistant entre la République hellénique et la Commission au sujet du caractère unique des contrats litigieux ainsi qu'à propos de l'inclusion des services concernés dans l'annexe I A de la directive 92-50 serait loin d'être théorique et impliquerait un risque de récidive de la part dudit État membre.
28 Enfin, rien ne garantirait que la directive 92-50 sera correctement appliquée à l'avenir dès lors que, au cours des années postérieures à 2001, lesdits services auraient également été attribués directement aux UCA.
29 À cet égard, il importe de rappeler que, en matière de passation des marchés publics, la Cour a jugé qu'un recours en manquement est irrecevable si, à la date d'expiration du délai fixé dans l'avis motivé, le contrat en question avait déjà épuisé tous ses effets (arrêts du 31 mars 1992, Commission/Italie, C-362-90, Rec. p. I-2353, points 11 et 13, ainsi que du 2 juin 2005, Commission/Grèce, C-394-02, Rec. p. I-4713, point 18).
30 Partant, il y a lieu de vérifier si, à la date d'expiration du délai fixé dans l'avis motivé, à savoir le 19 février 2004, les contrats litigieux étaient, à tout le moins en partie, encore en cours d'exécution ou si, au contraire, les travaux d'assistance pour lesquels ces contrats avaient été conclus étaient à cette date déjà achevés dans leur totalité de sorte que ces derniers avaient épuisé tous leurs effets.
31 En l'espèce, le manquement reproché par la Commission, tel qu'il ressort expressément des conclusions de la requête introductive d'instance, concerne les services d'assistance fournis par les UCA dans le cadre de la mise en œuvre du SIGC pour la seule année 2001, tels que ces services sont précisés dans les contrats litigieux conclus, au titre de cette même année, pour l'exécution de l'accord-cadre. Lors de l'audience, la Commission a confirmé que son recours se limite à cette seule année 2001.
32 Les travaux d'assistance prévus par les contrats litigieux portent sur la préparation des demandes d'aides présentées par les exploitants en vue de l'enregistrement des données figurant dans celles-ci dans la base de données du SIGC, conformément à l'article 3, paragraphe 1, du règlement nº 3508-92. Ces demandes doivent être présentées chaque année afin de pouvoir donner lieu au versement des aides pour l'année concernée. Il s'agit donc essentiellement de services qui se rapportent à un exercice annuel clôturé par le paiement des aides accordées.
33 À cet égard, il convient de relever que l'article 5, paragraphe 1, de l'accord-cadre, disposition figurant également dans les contrats litigieux, prévoit que ceux-ci entrent en vigueur le jour de leur signature et cessent de l'être lorsque la totalité des aides financières ont été versées aux agriculteurs qui en ont fait la demande.
34 Or, la Commission n'a pas été en mesure de réfuter la thèse de la République hellénique dont le représentant a affirmé, lors de l'audience, que le versement des aides au titre de l'année 2001 avait été entièrement effectué au cours de l'année suivante, c'est-à-dire bien avant l'expiration du délai fixé dans l'avis motivé.
35 En l'absence d'indications contraires émanant de la Commission, il doit donc être constaté que, à la date d'expiration du délai fixé dans l'avis motivé, l'accord-cadre et les contrats litigieux relatifs à l'exécution de celui-ci pour l'année 2001 avaient déjà épuisé tous leurs effets.
36 La Commission a soutenu, lors de l'audience, que, contrairement à l'infraction en cause dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Commission/Italie, précité, le manquement faisant l'objet du présent litige, à savoir l'attribution directe et sans publicité préalable des services d'assistance concernés aux UCA, s'est reproduit au cours des années postérieures à 2001, soit avant l'introduction du présent recours.
37 À cet égard, il importe de constater que la Commission n'a pas été en mesure de réfuter les indications de la République hellénique selon lesquelles, au cours desdites années, ces services d'assistance ont été fournis dans le cadre d'une procédure radicalement différente de celle qui avait été suivie pour l'année 2001.
38 En particulier, la Commission n'a pas pu mettre en cause l'affirmation du représentant du Gouvernement hellénique qui, lors de l'audience, a soutenu, sur le fondement de documents concordants produits par ce gouvernement en réponse à une question posée à cet effet par la Cour, que, lors des années postérieures à 2001, aucune rémunération n'était prévue dans le budget de l'État en contrepartie des services d'assistance rendus par les UCA, ces derniers recevant désormais un paiement de chaque agriculteur à raison du service fourni à ce dernier.
39 Il en découle que, eu égard aux éléments présentés devant la Cour, la Commission n'a pas pu démontrer à suffisance de droit que le manquement reproché par la Commission à la République hellénique au titre de l'année 2001 s'est répété au cours des années ultérieures.
40 Enfin, quant à l'argument de la Commission selon lequel son recours serait recevable en raison de la persistance d'un conflit entre celle-ci et la République hellénique relatif à l'interprétation, au vu des caractéristiques spécifiques des marchés publics en cause, de la directive 92-50, il suffit de constater que cette seule circonstance ne saurait être de nature à rendre ce recours recevable.
41 Dans ces conditions, le recours de la Commission doit être rejeté comme irrecevable.
Sur les dépens
42 En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La République hellénique ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, LA COUR (deuxième chambre) déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.