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Décisions

CJCE, 2e ch., 30 mai 2002, n° C-358/00

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Buchhändler-Vereinigung GmbH

Défendeur :

Saur Verlag GmbH & Co. KG, Die Deutsche Bibliothek

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Colneric

Avocat général :

Mme Stix-Hackl

Juges :

MM. Schintgen, Skouris

CJCE n° C-358/00

30 mai 2002

LA COUR (deuxième chambre),

1. Par ordonnance du 2 août 2000, parvenue à la Cour le 27 septembre suivant, l'Oberlandesgericht Düsseldorf a posé, en application de l'article 234 CE, une question préjudicielle sur l'interprétation des articles 1er et 8 de la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), telle que modifiée par la directive 97-52-CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997 (JO L 328, p. 1).

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Buchhändler-Vereinigung GmbH (ci-après "Buchhändler-Vereinigung") à Saur Verlag GmbH & Co. KG (ci-après "Saur Verlag") et à la Deutsche Bibliothek au sujet du projet de conclusion par cette dernière d'un contrat de concession de services publics portant sur la reproduction et la diffusion de la bibliographie nationale allemande sous une forme imprimée et sur CD-ROM.

La réglementation communautaire

3. Le huitième considérant de la directive 92-50 est libellé comme suit :

"considérant que la prestation de services n'est couverte par la présente directive que dans la mesure où elle est fondée sur des marchés; que la prestation de services sur d'autres bases, telles que des dispositions législatives ou réglementaires ou des contrats d'emploi, n'est pas couverte".

4. L'article 1er de la directive 92-50 dispose :

"Aux fins de la présente directive :

a) les marchés publics de services sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur, à l'exclusion :

[...]"

5. Aux termes de l'article 8 de la même directive :

"Les marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe I A sont passés conformément aux dispositions des titres III à VI."

6. L'annexe I A de la directive 92-50 vise, sous la catégorie 15, les "[s]ervices de publication et d'impression sur la base d'une redevance ou sur une base contractuelle".

Le litige au principal et la question préjudicielle

7. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que la Deutsche Bibliothek, qui est un organisme public fédéral doté de la personnalité juridique, a notamment pour mission, en vertu du Gesetz über die Deutsche Bibliothek (loi relative à la bibliothèque nationale allemande), d'établir la bibliographie nationale allemande, à savoir effectuer une recension des ouvrages imprimés en langue allemande, qui est complétée chaque année. Elle est également tenue de reproduire et de vendre les catalogues bibliographiques qu'elle doit établir.

8. Le 3 mars 2000, la Deutsche Bibliothek a publié un avis de marché restreint relatif à la reproduction et à la diffusion, sous une forme imprimée et sur CD-ROM, de la bibliographie nationale allemande. Cet avis prévoit, parmi les principales obligations contractuelles, que la Deutsche Bibliothek établit les répertoires bibliographiques et les met à la disposition de l'entreprise sélectionnée, à laquelle est conféré le droit exclusif de reproduction et de diffusion de la bibliographie nationale allemande, sous une forme imprimée et sur CD-ROM. Il précise que ladite entreprise procède à ses frais à la reproduction et à la diffusion de ladite bibliographie et doit également, pour chaque exemplaire vendu, verser à la Deutsche Bibliothek une redevance établie sur la base du chiffre de vente de l'édition. En outre, cette dernière se réserve un droit de contrôle et de regard sur la reproduction et la diffusion de la bibliographie.

9. La Deutsche Bibliothek envisageait d'attribuer le marché à la société Buchhändler-Vereinigung. La société Saur Verlag s'y est opposée, par la voie d'un recours au titre du Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen (loi contre les restrictions de concurrence, ci-après le "GWB"), en invoquant la violation des dispositions régissant la passation des marchés publics.

10. Par ordonnance du 26 mai 2000, la deuxième chambre fédérale de contrôle de la passation des marchés publics a statué sur le recours de Saur Verlag, interdisant à la Deutsche Bibliothek d'attribuer le marché à Buchhändler-Vereinigung sur la base de son évaluation antérieure et lui ordonnant de procéder à un nouvel examen des offres des deux soumissionnaires, en tenant compte des conclusions de la chambre saisie, et de faire savoir à ces derniers, au plus tard dix jours ouvrables avant la passation du marché, quel serait l'adjudicataire de celui-ci.

11. Buchhändler-Vereinigung a fait appel de cette ordonnance devant la juridiction de renvoi, en faisant valoir que le recours de Saur Verlag est irrecevable, dans la mesure où le marché en cause ne relève pas des dispositions applicables aux marchés publics, mais a pour objet une concession de services.

12. Dans son ordonnance de renvoi, l'Oberlandesgericht Düsseldorf considère que la réponse à la question de savoir si un contrat d'édition, tel que celui en cause au principal, se rattache aux marchés régis par les dispositions du droit allemand relatives à la passation des marchés publics, à savoir les articles 97 à 129 du GWB, dépend essentiellement de la question de savoir si un tel contrat relève du champ d'application de la directive 92-50.

13. La juridiction de renvoi constate que ledit contrat constitue une concession de services publics. À cet égard, elle se fonde sur le fait que ce contrat implique le transfert du droit d'exploiter une prestation particulière à l'entreprise privée, qui supporte le risque inhérent à cette exploitation; elle ajoute que la prestation de cette entreprise n'est pas rémunérée par la Deutsche Bibliothek par le paiement d'un prix déterminé, mais qu'une redevance doit au contraire être versée à cette dernière par l'entreprise elle-même. En outre, selon la juridiction de renvoi, le service concédé est fourni dans l'intérêt général, puisque l'activité de la Deutsche Bibliothek relève, par sa nature, son objet et les règles sur lesquelles elle se fonde, du domaine de responsabilité de l'État et qu'elle est déléguée à une entreprise privée sous réserve d'un droit de regard et de contrôle de l'adjudicateur.

14. La juridiction de renvoi conclut donc que l'appel dont elle est saisie ne peut être accueilli que si les concessions de services relèvent du champ d'application de la directive 92-50. Cette juridiction indique qu'elle a connaissance du fait que la Cour a été saisie d'une demande préjudicielle portant sur cette question, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress (C-324-98, Rec. p. I-10745), affaire qui était encore pendante devant la Cour à la date de l'ordonnance de renvoi.

15. Or, eu égard aux dispositions combinées de l'article 8 de la directive 92-50 et de la catégorie 15 de l'annexe I A de celle-ci, qui mentionne les "[s]ervices de publication et d'impression sur la base d'une redevance ou sur une base contractuelle", la juridiction de renvoi s'interroge sur le point de savoir si les concessions de services publics, à supposer même qu'elles ne relèvent pas, de manière générale, de la directive 92-50, sont en tout état de cause soumises au droit des marchés publics lorsqu'elles ont pour objet la "publication" et l'"impression".

16. Dans ces conditions, l'Oberlandesgericht Düsseldorf a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

"La directive [92-50, telle que modifiée par la directive 97-52,] est-elle également applicable à un contrat :

a) par lequel le pouvoir adjudicateur accorde à l'adjudicataire le droit exclusif d'édition (droit de reproduction et de diffusion) d'une bibliographie qu'il a élaborée - en l'occurrence la bibliographie nationale allemande -,

b) qui contraint l'adjudicataire à reproduire et à distribuer la bibliographie à ses frais et à verser au pouvoir adjudicateur, pour chaque exemplaire vendu, une redevance établie sur la base du chiffre de vente de l'édition, et

c) dans lequel le pouvoir adjudicateur se réserve un droit de contrôle et de regard sur la reproduction et la diffusion de la bibliographie ?"

Appréciation de la Cour

17. Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si un contrat de concession de services publics d'édition est exclu du champ d'application de la directive 92-50, alors même qu'il est visé, en raison de son objet spécifique, à l'annexe I A de cette directive, à laquelle renvoie l'article 8 de celle-ci.

18. Considérant que la réponse à la question préjudicielle peut être clairement déduite de sa jurisprudence, la Cour a, conformément à l'article 104, paragraphe 3, du règlement de procédure, informé la juridiction de renvoi qu'elle se proposait de statuer par voie d'ordonnance motivée et invité les intéressés visés à l'article 20 du statut CE de la Cour de justice à présenter leurs observations éventuelles à ce sujet.

19. Dans les observations qu'elles ont présentées au titre de l'article 104, paragraphe 3, du règlement de procédure, Buchhändler-Vereinigung, la Deutsche Bibliothek et la Commission n'ont émis aucune objection quant à l'intention de la Cour de statuer par voie d'ordonnance motivée.

20. En premier lieu, il importe de constater, à l'instar de la juridiction de renvoi, qu'un contrat ayant pour objet les prestations mentionnées au point 8 de la présente ordonnance est susceptible d'être visé par la directive 92-50.

21. En second lieu, il convient de rappeler que, aux points 39 et 40 de l'arrêt Telaustria et Telefonadress, précité, qui concernait un contrat de concession portant sur la fabrication et la publication d'annuaires téléphoniques, la Cour a tout d'abord constaté que ce contrat avait pour objet spécifique des prestations relevant de différentes catégories de l'annexe XVI A de la directive 93-38-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 199, p. 84), et qu'il était donc visé par celle-ci.

22. Ensuite, afin de déterminer si un tel contrat est visé par la définition des "contrats à titre onéreux conclus par écrit", figurant à l'article 1er, point 4, de la directive 93-38, la Cour a retracé l'historique des directives régissant la matière des marchés publics de services, et notamment de la directive 92-50.

23. En particulier, au point 46 de l'arrêt Telaustria et Telefonadress, précité, la Cour a relevé que, tant dans sa proposition de directive 91-C 23-01 du Conseil, du 13 décembre 1990, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO 1991, C 23, p. 1), que dans sa proposition modifiée de directive 91-C 250-05 du Conseil, du 28 août 1991, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO C 250, p. 4), lesquelles ont abouti à l'adoption de la directive 92-50, qui vise les marchés publics de services en général, la Commission avait expressément proposé d'inclure la "concession de service public" dans le champ d'application de cette directive.

24. Au point 47 de l'arrêt Telaustria et Telefonadress, précité, la Cour a indiqué, d'une part, que, cette inclusion étant justifiée par l'intention de "garantir la cohésion des procédures de passation", la Commission avait précisé, au dixième considérant de la proposition de directive du 13 décembre 1990, qu'il "importe que les concessions de service public soient couvertes par la présente directive de la même façon que la directive 71-305-CEE s'applique aux concessions de travaux publics". La Cour a précisé, d'autre part, que, bien que la mention de la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5), ait été retirée du dixième considérant de la proposition de directive du 28 août 1991, cette dernière avait toutefois expressément conservé l'objectif de "cohérence des procédures de passation" dans ledit considérant.

25. Cependant, ainsi que la Cour l'a relevé au point 48 de l'arrêt Telaustria et Telefonadress, précité, au cours du processus législatif, le Conseil a supprimé toute référence aux concessions de services publics, notamment en raison des différences existant entre États membres en ce qui concerne la délégation de la gestion des services publics ainsi que les modalités de cette délégation, lesquelles pourraient créer une situation de très grand déséquilibre dans l'ouverture de ces marchés de concession (voir document n° 4444-92 ADD 1, du 25 février 1992, point 6, intitulé "Motivation du Conseil" et joint à la position commune de la même date).

26. Enfin, à la lumière de ces éléments, que la Cour a par la suite mis en parallèle avec l'évolution du champ d'application des directives en matière de marchés publics de travaux, cette dernière a jugé, au point 57 de l'arrêt Telaustria et Telefonadress, précité, que les contrats de concession de service public ne relèvent pas du champ d'application de la directive 93-38 et ne sont dès lors pas inclus dans la notion de "contrats à titre onéreux conclus par écrit" figurant l'article 1er, point 4, de ladite directive.

27. La Cour en a conclu, au point 58, second tiret, de l'arrêt Telaustria et Telefonadress, précité, que, bien qu'il soit visé par la directive 93-38, un contrat tel que celui en cause dans l'affaire ayant donné lieu audit arrêt, dont la contrepartie consiste en un droit d'exploitation, en vue de la rétribution de l'adjudicataire, de la propre prestation de celui-ci, est, au stade actuel du droit communautaire, exclu du champ d'application de cette directive.

28. Bien que l'arrêt Telaustria et Telefonadress, précité, ait été rendu à propos d'un contrat ayant pour objet des services relevant de l'un des secteurs spécifiques régis par la directive 93-38, il peut être clairement déduit de cet arrêt que les concessions de services publics sont exclues non seulement du champ d'application de cette directive mais également du champ d'application de la directive 92-50, qui a vocation à s'appliquer aux services en général.

29. Eu égard tant au fait qu'aucune disposition spécifique relative aux concessions de services publics ne figure dans la directive 92-50 qu'à l'historique de l'adoption de celle-ci, tel qu'il a été rappelé par la Cour aux points 46 à 48 de l'arrêt Telaustria et Telefonadress, précité, il y a lieu de conclure que c'est sciemment que le législateur communautaire a décidé d'exclure de telles concessions du champ d'application de cette directive. L'interprétation de la notion de "contrats à titre onéreux conclus par écrit", visée à l'article 1er, point 4, de la directive 93-38, qui a été retenue dans ledit arrêt, vaut donc tout autant pour la notion identique figurant à l'article 1er de la directive 92-50.

30. Il convient donc de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi qu'un contrat de concession de services publics d'édition est, au stade actuel du droit communautaire, exclu du champ d'application de la directive 92-50, alors même qu'il est visé, en raison de son objet spécifique, à l'annexe I A de cette directive, à laquelle renvoie l'article 8 de celle-ci.

Sur les dépens

31. Les frais exposés par les Gouvernements français, italien, néerlandais et autrichien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par l'Oberlandesgericht Düsseldorf, par ordonnance du 2 août 2000, dit pour droit :

Un contrat de concession de services publics d'édition est, au stade actuel du droit communautaire, exclu du champ d'application de la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, telle que modifiée par la directive 97-52-CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1997, alors même qu'il est visé, en raison de son objet spécifique, à l'annexe I A de cette directive, à laquelle renvoie l'article 8 de celle-ci.