Cass. crim., 14 mai 2008, n° 07-86.055
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Farge (faisant fonction)
Rapporteur :
Mme Agostini
Avocat général :
M. Charpenel
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, Me Odent
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par F Philippe, L Xavier, S Michel, K Idrissa, F Edouard, F Benno, d'une part, la société Q, la société P, la société P, la société F, la société D, civilement responsables, d'autre part, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 18 mai 2007, qui, dans la procédure suivie contre les premiers du chef de publicité illicite en faveur d'une boisson alcoolique, a, sur renvoi après cassation, prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I - Sur la recevabilité du pourvoi de Michel S et de la société P :
Attendu que la déclaration de pourvoi a été faite au nom des demandeurs par un avocat au barreau de Paris, qui n'a pas justifié du pouvoir spécial exigé par l'article 576 du Code de procédure pénale ;
II - Sur les pourvois d'Idrissa K, d'Edouard F, de Benno F et des sociétés F et D :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
III - Sur les autres pourvois :
Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 121-3 du Code pénal, L. 3323-4 du Code de la santé publique, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que les images publicitaires affichées sur les abris de bus portant sur la boisson alcoolique ont été diffusées en violation des dispositions légales, a condamné solidairement Philippe F et la société Q, Xavier L et la société Princesse, Michel S et la société P au paiement d'une somme de 50 000 euro à titre de dommages-intérêts au profit de l'ANPA, et au paiement d'une somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
"aux motifs que sur la publicité illicite, l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique dispose que " la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit ; (L n° 2005-157 du 23 février 2005, article 21) cette publicité peut comporter des références aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d'origine telles que définies à l'article L. 115-1 du Code de la consommation ou aux indications géographiques telles que définies dans les conventions et traités internationaux régulièrement ratifiés ; elle peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ; le conditionnement ne peut être reproduit que s'il est conforme aux dispositions précédentes ; toute publicité en faveur de boissons alcooliques, à l'exception des circulaires commerciales destinées aux personnes agissant à titre professionnel ou faisant l'objet d'envois nominatifs ainsi que les affichettes, tarifs, menus ou objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, doit être assortie d'un message de caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé " ; qu'il résulte de ce texte que la publicité de boissons alcoolisées est autorisée, mais strictement encadrée afin d'éviter qu'elle soit incitative à la consommation d'alcool pour répondre efficacement à la légitime préoccupation de santé publique du législateur ; que, si les affiches litigieuses respectent effectivement les mentions énumérées dans l'article susvisé sans en ajouter, il n'en demeure pas moins que ce texte enseigne que son objet est de réglementer la publicité des boissons alcooliques pour exclure de cette dernière toute combinaison, présentation ou création de nature à offrir au produit alcoolique la stimulation de sa vente notamment par les moyens d'évocation symbolique ou simplement d'esthétique ; que cela résulte d'évidence de ce que ladite publicité, lorsque elle est autorisée, est strictement " limitée " aux indications énumérées à l'exclusion de toute connotation attractive ; qu'à cet égard, la cour observe que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que cependant, en l'occurrence, la cour constate que chacune des affiches relevée par l'huissier de justice, le 5 novembre 2002, sur les abris de bus de Paris gérés par Jean-Claude D ajoute aux simples caractéristiques de la bouteille d'Absolut vodka qui seules doivent permettre à toute personne, sans qu'elle soit incitée à consommer, d'exercer son discernement à l'égard de l'information objective qui lui est donnée ; que la cour constate en effet que chacune de ces affiches fait appel à une symbolique parfaitement mise en page ; que les ronds lumineux blancs symbolisent la nuit, le croissant blanc est censé représenter également la nuit, la couronne dorée et blanche identique à celle représentée sur la porte d'entrée de la discothèque " Le Q " renvoie à la traduction française de reine, le boa rouge représente le " french cancan ", la crête verte et la queue d'un iguane symbolisent " L'Iguane café " ; que, par ailleurs, l'association de la marque de vodka avec un établissement de nuit telle que " Absolut Q " ou " Absolut C " est très suggestive en permettant une assimilation entre la boisson alcoolique et l'établissement de nuit particulièrement mis en valeur ; que ces éléments, qui ont été combinés dans une création esthétique de qualité, sont évidemment destinés à donner de la boisson Absolut vodka une image liée à la séduction exercée par les établissements de nuit où elle peut être consommée, éléments qui sont étrangers aux stricts mentions énumérées par la loi ; qu'en conséquence, la cour constate que les éléments constitutifs de l'infraction sont réunis tant matériellement qu'intentionnellement, les dépositaires ayant participé volontairement à la campagne publicitaire qu'ils ont jugé avantageuse pour eux ; que dès lors, les responsabilités résultant de la constatation des éléments constitutifs de l'infraction doivent être établis ; que sur l'imputabilité des faits, il y a lieu d'observer que le délit de publicité illicite prévu réprimé par les articles L. 3323-4 et L. 3351-7 du Code de la santé publique, n'exige pas nécessairement une participation à l'élaboration de la publicité illicite, mais seulement une participation intentionnelle à sa réalisation ; que dès lors, il convient de constater que les dépositaires d'Absolut vodka, mis en cause, ont autorisé la société T, agissant pour le compte d'Absolut vodka à réaliser les affiches litigieuses qui mettent en scène dans une combinaison d'éléments suggestifs leurs enseignes et leurs références commerciales ; qu'en autorisant ainsi l'utilisation du nom de leur établissement en vue de la réalisation d'une publicité qui devait les mentionner comme dépositaires d'Absolut vodka, ils ont bien volontairement participé à l'opération de publicité illicite dont il connaissait nécessairement la teneur du fait notamment de l'association de la marque Absolut vodka et de tel ou tel établissement de nuit qui est précisément l'un des éléments matériels constitutifs du délit tel que ci-avant démontré ; qu'il s'ensuit que le dommage résultant de la campagne de publicité litigieuse doit être réparé ; que sur le dommage de l'ANPA résultant de la campagne publicitaire susvisée, l'association nationale de la prévention de l'alcoolisme a été reconnue d'utilité publique en 1880 et agréée d'éducation populaire depuis 1974 ; qu'elle a pour but de promouvoir et de contribuer à une politique globale de prévention des risques et des conséquences de l'alcoolisation et des pratiques addictives par tous les moyens en son pouvoir ; que la cour constate que l'ANPA joue un rôle important dans la lutte contre le fléau qu'est l'alcoolisme, notamment en veillant au respect de la loi, or, il n'est pas sérieusement contestable que le message publicitaire litigieux, en attirant les regards sur la boisson Absolut vodka n'a eu d'autre objectif que de développer l'achat de cet alcool par le consommateur en faisant appel à son imagination et à son désir en promouvant, en même temps, les établissements de nuit de la capitale ; que l'impact ainsi obtenu est indéniablement contraire à celui recherché par l'ANPA dans le cadre de ses activités ; que cette association, dont tous les efforts, notamment financiers, tendent à mettre en garde le public contre l'abus des boissons alcooliques, a subi un préjudice certain résultant directement de la faute constituée par les éléments du délit de publicité illicite dont la relaxe prononcée sur l'action publique est aujourd'hui définitive ; que toutefois, l'ANPA ne justifie pas sa demande à hauteur de 160 000 euro que la cour considère excessive ; que la cour considère qu'il y a lieu d'évaluer ce préjudice à 50 000 euro ;
"1°) alors que l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique dispose que " la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit " ; que la cour d'appel ne peut, sans se contredire, énoncer que " les affiches litigieuses respectent effectivement les mentions énumérées dans l'article susvisé sans en ajouter " et énoncer tout à la fois que " chacune des affiches relevée par l'huissier de justice, le 5 novembre 2002, sur les abris de bus de Paris gérés par Jean-Claude D ajoute " ;
"2°) alors qu'il résulte de l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique que la publicité pour une boisson alcoolisée comportant les mentions des noms et adresses des dépositaires est autorisée ; qu'il s'ensuit que la loi autorise l'indication des références commerciales des dépositaires ; que les prévenus soulevaient, dans leurs conclusions régulièrement déposées, que la représentation d'un croissant et d'une couronne sont les logos du " Q " et du " C", et constituent les enseignes et références commerciales de ces dépositaires ; qu'en se référant au croissant et à la couronne pour estimer que ces éléments constituaient une création artistique destinée à séduire les consommateurs, la cour d'appel qui n'a pas recherché si ces éléments n'étaient pas les noms et références commerciales des dépositaires, n'a pas légalement justifié sa décision ;
"3°) alors que l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique autorise la mention du nom du dépositaire sans limitation aucune concernant ce nom ; qu'il s'ensuit que le nom du dépositaire " Q " est licitement apposée sur une publicité pour une boisson alcoolisée ; qu'en énonçant que la traduction française de " Q " est " reine " pour en déduire que cet élément constituait une création artistique destinée à séduire les consommateurs, la cour d'appel a ajouté au texte de loi ;
"4°) alors que l'infraction prévue à l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique est une infraction intentionnelle ; qu'il s'ensuit que la personne doit avoir participé en toute connaissance de cause à la réalisation illicite de la publicité ; qu'en se bornant à énoncer que les prévenus ont autorisé l'utilisation du nom de leur établissement en vue de la réalisation d'une publicité qui devait les mentionner comme dépositaires pour en déduire qu'ils ont volontairement participé à l'opération de publicité illicite, la cour d'appel n'a pas établi l'intention des prévenus de participer à une publicité illicite dès lors que la mention du nom et de l'adresse d'un dépositaire dans une publicité pour une boisson alcoolisée est expressément autorisée par la loi ;
"5°) alors que les prévenus invoquaient la mise hors de cause de la société P et de Michel S, son gérant, dès lors que cette société était l'actionnaire de la société P et que seule cette dernière exploitait le club privé le Castel ; que la cour d'appel s'est abstenue de répondre à cet argument péremptoire" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'a été constatée l'apposition sur des panneaux publicitaires d'abribus d'affiches vantant la boisson alcoolique Absolut vodka, qui représentaient une bouteille de cette marque, sur un fond noir éclairé d'une ou plusieurs taches lumineuses, rondes ou en forme de croissant de lune, agrémentées d'accessoires évocateurs de la discothèque ou du bar de nuit dans lesquels cet alcool était servi, tels qu'un boa de plumes oranges pour le F, une couronne pour le club privé Castel, une crête d'iguane pour le café I, le titre de l'affiche étant une association de la marque de vodka et du nom de l'établissement, tels que : "Absolut les Bains", "Absolut Colette", "Absolut Queen", "Absolut Castel" ;
Attendu que l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme (ANPA) a notamment fait citer, du chef de publicité illicite en faveur d'une boisson alcoolique, les dirigeants des sociétés exploitant les établissements commerciaux dont les noms figuraient sur les affiches, ainsi que, en qualité de civilement responsables, les personnes morales dont les prévenus étaient les préposés ; que le tribunal correctionnel a relaxé tous les prévenus et que seule la partie civile a interjeté appel ;
Attendu que, pour dire les éléments constitutifs du délit de publicité illicite réunis, l'arrêt retient que les éléments décoratifs des affiches, et notamment ceux qui associent la boisson concernée et le nom ou les références visuelles des établissements de nuit où elle peut être consommée, ont été combinés dans une création esthétique destinée à donner de cet alcool une image liée à la séduction exercée par lesdits établissements, et que de tels éléments sont étrangers aux strictes mentions autorisées par l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique ; que les juges ajoutent que les dépositaires ont volontairement participé à l'opération de publicité dont ils connaissaient nécessairement le caractère illicite résultant de l'association de la boisson et de leur établissement ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
I - Sur le pourvoi de Michel S et de la société P :
Le déclare irrecevable ;
II - Sur les autres pourvois :
Les rejette ;
Fixe à 3 000 euro la somme que Philippe F, la société Q, Xavier L, la société P, Michel S et la société P devront payer à l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale.