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Décisions

CE, juge des référés, 18 février 2008, n° 312534

CONSEIL D'ÉTAT

Ordonnance de référé

PARTIES

Demandeur :

Fédération nationale de transports routiers

Défendeur :

SNCF Participations (SA), Groupe Norbert Dentressangle (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Rapporteur :

M. Philippe Martin

Avocats :

SCP Vier, Barthelemy, Matuchansky, Odent, SCP Piwnica, Molinie

CE n° 312534

18 février 2008

Vu la requête, enregistrée le 25 janvier 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la Fédération nationale de transports routiers, dont le siège est 6 rue Ampère à Paris (75017) ; la fédération requérante demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative :

1°) d'enjoindre au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi d'enjoindre aux entreprises SNCF et Norbert Dentressangle, en application des dispositions des articles L. 430-4 et L. 430-8 du Code de commerce, d'une part de lui notifier l'opération de concentration réalisée par la prise de contrôle conjoint de la société Novatrans, et d'autre part de suspendre la réalisation ou l'achèvement de cette opération jusqu'à ce que le ministre ait donné son accord ;

2°) de mettre à la charge des défendeurs la somme de 5 000 euro au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; la Fédération nationale de transports routiers (FNTR) soutient que la cession par la SNCF à la société Norbert Dentressangle de 10,48 % du capital de la société Novatrans, et la conclusion d'un pacte entre ces deux sociétés tendant à prendre conjointement le contrôle de Novatrans est une opération de concentration qui ne pouvait être menée à bien sans avoir été préalablement notifiée au ministre chargé de l'Economie et avoir reçu son accord ; qu'elle est recevable à formuler les conclusions qu'elle présente devant le juge des référés car elle y a intérêt, en sa double qualité d'organisation professionnelle chargée de défendre les intérêts des transporteurs routiers et d'actionnaire de la société Novatrans ; que la mesure sollicitée ne fait pas obstacle à l'exécution d'une décision administrative, dès lors qu'aucune décision n'a été prise par le ministre concerné ; que cette mesure, qui permettrait au ministre d'exercer les pouvoirs de contrôle, d'injonction et de sanction qui lui sont conférés par le Code de commerce, est utile et ne se heurte à aucune objection sérieuse ; qu'enfin, la mesure sollicitée est justifiée par l'urgence ; qu'en effet, un intérêt public s'attache à ce que le ministre ait connaissance de l'opération et exerce ses compétences ; que le contrôle conjoint exercé par la SNCF et la société Norbert Dentressangle lui causera un préjudice immédiat et sera difficile à corriger ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 6 février 2008, présenté pour la FNTR, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle demande en outre au juge des référés du Conseil d'Etat d'étendre l'injonction que le ministre sera tenu d'adresser en application des articles L. 430-4 à L. 430-8 du Code du commerce aux sociétés SNCF Participations SA et Groupe Norbert Dentressangle ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 février 2008, présenté pour la SNCF, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la FNTR une somme de 5 000 euro en application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; la SNCF soutient que la fédération n'est pas fondée à demander au juge des référés qu'il soit enjoint au ministre chargé de l'Economie de faire usage de ses pouvoirs en matière de contrôle des concentrations, dans la mesure où la situation en cause ne relève pas de sa compétence mais de celle la Commission européenne ; qu'en effet, cette configuration entre dans le champ d'application du règlement (CE) n° 139-2004 du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, au regard des chiffres d'affaires réalisés par les groupes SNCF et Norbert Dentressangle au cours de leur dernier exercice précédant l'opération ; qu'il n'existe pas à ce jour entre les groupes SNCF et Norbert Dentressangle un pacte d'actionnaires qui aboutirait à un contrôle conjoint sur la société Novatrans ; qu'en tout état de cause, si un tel pacte était conclu, il serait notifié à la Commission européenne, qui est l'autorité compétente en l'espèce, et sa mise en œuvre serait suspendue jusqu'à l'obtention d'une autorisation ; qu'ainsi, les conditions d'urgence et d'utilité des mesures pouvant être prises en application de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative, ne sont pas réunies ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 février 2008, présenté par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme soit mise à la charge de la FNTR au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; le ministre soutient que la requête de la FNTR, relative à une éventuelle opération de prise de contrôle conjoint de Novatrans par les groupes SNCF et Norbert Dentressangle, relève de la compétence exclusive des autorités communautaires et est irrecevable devant le juge national dès lors qu'après l'acquisition de la société britannique Christian Salvesen, autorisée par la Commission européenne le 6 décembre 2007, le groupe Norbert Dentressangle réalise moins des deux tiers de son chiffre d'affaires en France ; que la mesure sollicitée n'est pas urgente, dès lors qu'aucune concentration n'a été mise en œuvre ; qu'il n'y a pas d'utilité à solliciter une mesure que le ministre ne peut exercer ; qu'enfin, la condition relative à l'absence de contestation sérieuse n'est pas remplie ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 février 2008, présenté pour la société Groupe Norbert Dentressangle, qui conclut au rejet de la requête ; elle soutient que l'injonction sollicitée par la fédération requérante n'entre pas dans le champ des mesures de nature provisoire ou conservatoire que le juge des référés peut ordonner sur le fondement de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative, dans la mesure où cette demande le conduirait à se prononcer sur une question de fond, qui est de savoir si l'opération en cause constitue une concentration ; que le juge des référés est incompétent pour ordonner des mesures qui ne relèvent pas de la compétence du ministre français chargé de l'Economie mais de la Commission européenne ; que la Commission européenne a été informée du prochain démarrage de pourparlers visant à la possible conclusion d'un pacte d'actionnaires ; que la FNTR ne peut se prévaloir ni d'une quelconque urgence, ni d'une quelconque utilité de la mesure sollicitée ; qu'enfin, en l'absence de contrôle conjoint, une contestation sérieuse fait obstacle à la mise en œuvre de l'injonction sollicitée ;

Vu le mémoire en intervention, enregistré le 8 février 2008, présenté pour la société Charles André SA, dont le siège est situé zone industrielle de Gournier à Montélimar (26200) et la société Rhonatrans dont le siège est à Solaize (69360) ; ces sociétés s'associent aux conclusions de la requête, par les mêmes moyens ; elles soutiennent en outre qu'elles ont intérêt à ce que le juge des référés fasse droit à la requête de la FNTR, en leur qualité d'actionnaires de la société Novatrans ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 11 février 2008, présenté pour la FNTR, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que le chiffre d'affaires de la société britannique Christian Salvesen ne peut être pris en compte pour l'application du règlement (CE) n° 139-2004 à la présente concentration dès lors que celle-ci a été réalisée le 13 décembre 2007, antérieurement à l'acquisition de la société Christian Salvesen par le groupe Norbert Dentressangle, intervenue au plus tôt le 14 décembre 2007 ; que la SNCF n'a pas encore dénoué la première tentative de concentration sanctionnée par l'arrêté du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi en date du 28 janvier 2008 ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 12 février 2008, présenté par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, qui reprend les conclusions de son précédent mémoire et les mêmes moyens ; il soutient en outre que l'injonction sollicitée ne présente pas un caractère provisoire ou conservatoire et excède donc les pouvoirs du juge des référés statuant en application de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative ; que le chiffre d'affaires de la société britannique Christian Salvesen doit être pris en compte, dès lors d'une part que l'offre publique d'achat irrévocable lancée par le groupe Norbert Dentressangle sur cette société date du 2 octobre 2007 et qu'un pacte d'actionnaires n'a pas été conclu à ce jour entre la SNCF et le groupe Norbert Dentressangle, les lettres d'intention des 10 et 12 décembre 2007 n'ayant pas ce caractère ; que la contestation de la réalité de la déconcentration opérée par la SNCF préalablement à l'arrêté ministériel du 28 janvier 2008 se heurte aux termes de cet arrêté et à l'absence de compétence du ministre sur le fondement de l'article L. 430-8 du Code de commerce ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 12 février 2008, présenté pour la SNCF, qui reprend les conclusions de son précédent mémoire et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que la participation du groupe SNCF dans la société Novatrans est détenue par la société Transport et Logistiques Partenaires et non par la société SNCF Participations SA ; que la contestation de la déconcentration opérée par la SNCF repose sur une méconnaissance des textes du Code de commerce et se heurte directement aux termes de l'arrêté ministériel du 28 janvier 2008 ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 12 février 2008, présenté pour la société Groupe Norbert Dentressangle, qui reprend les conclusions de son précédent mémoire et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que, en tout état de cause, l'acquisition de la société Christian Salvesen était irrévocable bien avant la cession par la SNCF au groupe Norbert Dentressangle de 10,48 % du capital de la société Novatrans ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (CE) n° 139-2004 du 20 janvier 2004 ;

Vu le Code de commerce ;

Vu le Code de justice administrative ; Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part la Fédération nationale de transports routiers, et d'autre part la SNCF, la société Groupe Norbert Dentressangle et le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 12 février 2008 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus : - Me Vier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la FNTR ; - les représentants de la FNTR ; - Me Odent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la SNCF ; - le représentant de la SNCF ; - Me Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Groupe Norbert Dentressangle ; - le représentant de la société Groupe Norbert Dentressangle ; - les représentants du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes ... mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative " ;

Considérant que la Fédération nationale de transports routiers (FNTR), actionnaire de la société Novatrans, demande au juge des référés, sur le fondement de ces dispositions, d'enjoindre au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, faisant usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 430-8 du Code de commerce, d'enjoindre à ce titre à la SNCF et à la société Groupe Norbert Dentressangle de lui notifier l'opération de concentration résultant de l'accord des groupes SNCF et Norbert Dentressangle pour exercer un contrôle conjoint sur la société Novatrans ;

Sur l'intervention de la société Charles André SA et de la société Rhonatrans : Considérant que ces sociétés ont intérêt, en leur qualité d'actionnaires de la société Novatrans, à ce que soit prescrite la mesure sollicitée ; qu'ainsi leur intervention est recevable ;

Sur les conclusions à fin d'injonction : Considérant qu'en vertu de l'article L. 430-3 du Code de commerce, une opération de concentration doit être notifiée au ministre chargé de l'Economie avant sa réalisation ; que la réalisation effective de cette concentration ne peut intervenir, selon les termes de l'article L. 430-4 du même Code, qu'après l'accord de ce ministre ; que si une opération de concentration a été réalisée sans être notifiée, l'article L. 430-8 du Code de commerce prévoit, outre la possibilité de sanctions pécuniaires, que " le ministre enjoint sous astreinte aux parties de notifier l'opération, à moins de revenir à l'état antérieur à la concentration " ; que toutefois, comme l'indique l'article L. 430-2 du Code de commerce, cette procédure ne s'applique pas si l'opération de concentration relève du contrôle communautaire des concentrations en vertu du règlement (CE) n° 139-2004 du 20 janvier 2004, qui implique une notification des concentrations à la Commission et leur examen par celle-ci, sous réserve de la possibilité de renvoi aux autorités nationales prévue par l'article 9 de ce règlement ;

Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 511-1 et L. 521-3 du Code de justice administrative que le juge des référés, saisi d'une demande sur le fondement de cette dernière disposition, peut prescrire à des fins conservatoires toutes mesures, notamment sous la forme d'injonctions à l'égard de l'administration, à condition que ces mesures soient utiles, justifiées par l'urgence, ne fassent obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ; que cette procédure est susceptible de s'appliquer lorsque, une opération de concentration ayant été réalisée sans être notifiée, le ministre chargé de l'Economie est tenu, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 430-8 du Code de commerce, d'enjoindre la notification de l'opération ;

Considérant toutefois que la compétence des autorités nationales pour statuer sur une opération de concentration par prise de contrôle conjoint des groupes SNCF et Norbert Dentressangle sur la société Novatrans fait l'objet d'une contestation sérieuse, eu égard au montant des chiffres d'affaires des groupes concernés et à la répartition du chiffre d'affaires du groupe Norbert Dentressangle au sein de la Communauté européenne à la suite de l'acquisition de la société de droit britannique Christian Salvesen ; que d'ailleurs les groupes SNCF et Norbert Dentressangle ont informé la Commission européenne le 28 janvier 2008 de l'existence de pourparlers pouvant déboucher sur un pacte d'actionnaires et sur une notification au titre du règlement n° 139-2004 ; qu'ainsi l'injonction sollicitée au titre des pouvoirs conférés au ministre par l'article L. 430-8 du Code de commerce ne peut être prononcée ;

Considérant qu'à supposer que la FNTR entende solliciter une injonction au titre des conditions dans lesquelles le groupe SNCF a réduit sa participation dans la société Novatrans pour mettre fin à une concentration résultant de la montée antérieure de ce groupe jusqu'à 49,02 % du capital de la société Novatrans, concentration qui a donné lieu à sanction pécuniaire par arrêté du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi en date du 28 janvier 2008, l'injonction sollicitée ferait obstacle, en tout état de cause, à l'exécution de cet arrêté du 28 janvier 2008 aux termes duquel, notamment, cette concentration n'a plus à être notifiée dès lors que les actions permettant la participation à hauteur de 49,02 % ont été cédées par le groupe SNCF au mois de décembre 2007 ; Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative .

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la FNTR, qui est dans la présente instance la partie perdante, bénéficie de versements au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu de mettre à la charge de la FNTR une somme de 3 000 euro au titre des frais exposés par la SNCF ; que les conclusions présentées à ce titre par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, qui ne sont pas chiffrées, doivent être rejetées ;

Ordonne :

Article 1er : L'intervention des sociétés Charles André SA et Rhonatrans est admise.

Article 2 : La requête de la Fédération nationale de transports routiers est rejetée.

Article 3 : La Fédération nationale de transports routiers versera à la SNCF la somme de 3 000 euro au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la Fédération nationale de transports routiers, au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, à la SNCF, à la société Groupe Norbert Dentressangle, à la société Charles André SA et à la société Rhonatrans.