CJCE, 26 mai 1981, n° 157-80
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Hoge Raad der Nederlanden
Défendeur :
Rinkau
LA COUR,
1 Par arrêt du 17 juin 1980, parvenu à la Cour le 3 juillet 1980, le Hoge Raad des Pays-Bas a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution de décisions en matière civile et commerciale (ci-après : la convention), deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article II du protocole annexé à la convention (ci-après : le protocole).
2 Cité devant le juge de police de l'Arrondissementsrechtbank de Zutphen (Pays-Bas) pour avoir circulé aux Pays-Bas dans un véhicule équipé d'une installation radioélectrique d'émission sans être titulaire de l'autorisation requise à cet effet, M. S. Rinkau, domicilié en République fédérale d'Allemagne, ne comparut pas à l'audience. Son avocat demanda à être autorisé à le défendre. Le juge de police, sur avis contraire du Ministère public, estima qu'il y avait lieu de faire bénéficier le prévenu du droit reconnu à l'article II, alinéa 1, du protocole et autorisa son avocat à le défendre. M. Rinkau fut condamné par défaut à une amende ou, subsidiairement, à un emprisonnement d'un jour en cas de non-paiement, ainsi qu'à la confiscation de l'installation radioélectrique.
3 Sur appel du Ministère public, le Gerechtshof d'Arnhem considéra, dans un arrêt interlocutoire du 28 août 1979, que l'article II du protocole s'appliquait à toutes les affaires pénales où il était question de poursuite pour infraction involontaire, mais que l'infraction reprochée au prévenu ne constituait pas une infraction involontaire. Elle décida en conséquence de ne pas autoriser l'avocat du prévenu à le défendre en son absence et confirma, sur le fond, le 11 septembre 1979, le jugement de première instance.
4 M. Rinkau introduisit à l'encontre de ces deux arrêts un pourvoi en cassation. Il invoquait la violation de l'article II du protocole. Avant de statuer plus avant, le Hoge Raad a décidé de poser à la Cour les questions d'interprétation suivantes :
1. Faut-il entendre par infraction involontaire au sens de l'article II, alinéa 1, du protocole précité toute infraction dont la définition légale n'exige pas l'existence d'une intention délictueuse se rapportant à l'un des éléments de cette définition, ou faut-il attribuer à cette expression une signification plus restreinte, en ce sens qu'elle vise uniquement les infractions dont la définition légale fait, de quelque façon que ce soit, référencé à la notion d'imprudence ou de négligence (culpa) de l'auteur ?
2. Lorsque les conditions énoncées à l'article II du protocole précité sont remplies, le pouvoir reconnu 'au prévenu' par cet article est-il illimité, ou bien appartient-il seulement au prévenu pour autant que celui-ci doit se défendre contre une action civile engagée dans le cadre de l'affaire pénale en question, ou du moins au prévenu dont les intérêts civils sont concernés par la décision dans l'affaire pénale ?
Considérations générales
5 Le protocole fait, aux termes de l'article 65 de la convention, partie intégrante de celle-ci. Le champ d'application de cette convention, défini en son article 1, est limité aux matières civiles et commerciales. Il convient dès lors, en premier lieu, de s'interroger sur la raison de l'insertion dans une convention en matière civile et commerciale d'une règle de procédure pénale, telle que l'article II du protocole selon lequel :
"Sans préjudice de dispositions nationales plus favorables, les personnes domiciliées dans un état contractant et poursuivies pour une infraction involontaire devant les juridictions répressives d'un autre Etat contractant dont elles ne sont pas les nationaux peuvent se faire défendre par les personnes habilitées à cette fin, même si elles ne comparaissent pas personnellement.
Toutefois, la juridiction saisie peut ordonner la comparution personnelle ; si celle-ci n'a pas eu lieu, la décision rendue sur l'action civile sans que la personne en cause ait eu la possibilité de se faire défendre pourra ne pas être reconnue ni exécutée dans les autres états contractants."
6 Dans le rapport soumis aux Gouvernements en même temps que le projet de convention (JO C 59 du 5.3.1979, p. 1), cette extension au domaine pénal est justifiée par les conséquences en matière civile ou commerciale qui peuvent découler du jugement d'une juridiction répressive, conséquences qui relèvent, quant à elles, du domaine d'application de la convention.
7 Le premier alinéa de l'article II du protocole apparait comme la transposition dans la convention de l'article II du protocole annexé au traité entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg sur la compétence judiciaire, sur la faillite, sur l'autorité et l'exécution de décisions judiciaires, des sentences arbitrales et des actes authentiques. Cette disposition prévoit en effet que :
"Sans préjudice de dispositions nationales plus favorables, les ressortissants de l'un des trois pays, domiciliés dans leurs pays, peuvent comparaitre devant les juridictions des deux autres pays par un fondé de pouvoir spécial lorsqu'ils y sont poursuivis du chef d'une infraction autre qu'une infraction intentionnelle."
Dans son rapport, la Commission chargée de l'élaboration du projet de traité Benelux expliqua qu'il était, selon elle, 'essentiel' que le prévenu 'puisse exercer sa défense des la phase répressive', sans devoir comparaitre en personne.
8 La même justification se retrouve dans le rapport relatif à la convention de Bruxelles en ce qui concerne l'article II du protocole annexé à la convention. La convention ne reconnait cependant ce droit qu'aux prévenus poursuivis pour une 'infraction involontaire'. Ce concept n'est pas autrement défini ou précisé dans la convention. Le rapport cité souligne cependant que cette notion 'couvre les accidents de roulage' qui apparaissent ainsi comme un domaine d'application particulièrement important de l'article II du protocole.
9 Il faut encore relever que le droit de se faire défendre sans comparaitre, reconnu au prévenu, ne porte pas atteinte, ainsi que le souligne expressément la disposition en cause, au pouvoir du juge d'ordonner la comparution personnelle. Si, en dépit d'un tel ordre, le prévenu ne comparait pas, le juge a la possibilité de rendre son jugement sans autoriser l'avocat du prévenu à le défendre. La conséquence de cette absence de défense sera que, aux termes du deuxième alinéa de l'article II du protocole, la décision rendue sur l'action civile pourra ne pas être reconnue ni exécutée dans les autres Etats contractants.
10 C'est à la lumière de ces différentes considérations qu'il convient de répondre aux questions formulées par le Hoge Raad des Pays-Bas.
Sur la notion d'' infraction involontaire '
11 Même si la notion d'infraction involontaire n'a pas été définie dans le cadre de la convention, il faut, toutefois, en vue d'assurer, dans la mesure du possible, l'égalité et l'uniformité des droits et obligations qui découlent de la convention pour les Etats contractants et les personnes intéressées, la considérer comme une notion autonome qu'il y a lieu de préciser en se référant, d'une part, aux objectifs et au système de la convention et, d'autre part, aux principes généraux de l'ensemble des systèmes de droit nationaux. Cela s'impose d'autant plus lorsqu'il existe, comme c'est le cas, des différences de terminologie entre les versions linguistiques de la convention.
12 Il a déjà été fait mention en ce qui concerne les objectifs poursuivis par la convention de sa volonté de couvrir, en faisant appel à la notion d'infraction involontaire, les infractions donnant lieu à des accidents de roulage. A cette indication vient s'ajouter, sur un plan plus général, le fait qu'en limitant le droit de se faire défendre reconnu aux auteurs de certaines infractions, la convention cherche, manifestement, à exclure du bénéfice de se faire défendre sans comparaitre personnellement les personnes poursuivies pour des infractions dont la gravité le justifie.
13 Il est des lors nécessaire de rechercher s'il existe dans l'ensemble des droits nationaux des Etats contractants un critère de classification qui permette de distinguer entre les infractions selon leur gravité et dont l'application aboutisse notamment à ranger dans la catégorie des infractions moins graves, sinon la totalité du moins la majorité des infractions donnant lieu à des accidents de roulage.
14 Les droits nationaux de la plupart des Etats contractants connaissent sous des formes diverses une distinction entre infraction intentionnelle et non intentionnelle. Cette distinction, même si elle aboutit à l'élaboration de catégories d'infractions dont le contenu peut varier substantiellement d'un système juridique à l'autre, permet pourtant d'atteindre les objectifs cités ci-dessus.
15 En effet, si les infractions dites intentionnelles requièrent pour être punissables l'intention de l'auteur de commettre l'acte interdit, les infractions non intentionnelles, quant àelles, peuvent trouver leur origine dans l'imprudence, dans la négligence, voire dans la simple violation objective d'une disposition légale. Il apparait ainsi que, d'une part, par leur nature même les infractions non intentionnelles présentent, en règle générale, un degré de gravité moindre et que, d'autre part, elles couvrent la plupart des infractions donnant lieu à des accidents de roulage, infractions dues le plus souvent à l'imprudence, à la négligence, ou à la violation purement matérielle d'une disposition légale.
16 Il convient, dès lors, de répondre à la première question du Hoge Raad que, par infraction involontaire au sens de l'article II du protocole annexé à la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution de décisions en matière civile et commerciale, il y a lieu d'entendre toute infraction dont la définition légale n'exige pas, expressément ou par la nature même du délit qu'elle définit, l'existence dans le chef du prévenu de l'intention de commettre l'action ou l'omission pénalement sanctionnée.
Sur la seconde question
17 Dans sa seconde question, le Hoge Raad demande si le droit reconnu au prévenu par l'article II du protocole trouve à s'appliquer dans toutes les procédures pénales, dans celles qui concernent les intérêts civils du prévenu ou uniquement dans celles où le juge répressif est également amené à statuer sur une action civile.
18 Dans ses observations, le Gouvernement néerlandais souligne que le champ d'application de la convention est limité aux matières civiles et commerciales. Selon lui, c'est en tenant compte de ces limites que l'article II du protocole, ainsi que le démontre son deuxième alinéa, doit être interprété. Il en conclut que le droit reconnu au prévenu au premier alinéa ne trouve à s'appliquer que lorsque le juge répressif statue en même temps sur l'action civile.
19 La Commission ne conteste pas que l'objectif de l'article II du protocole est d'établir une règle de procédure pénale dans la mesure où une procédure pénale peut avoir des conséquences sur les intérêts civils du prévenu. Considérant, cependant, qu'une règle de procédure pénale favorable au prévenu doit s'interpréter largement et au vu des difficultés qu'il y aurait, selon elle, à apprécier si une procédure pénale est ou non susceptible de concerner les intérêts civils du prévenu, la Commission considère que le droit reconnu au prévenu à l'article II du protocole s'applique dans toute procédure pénale.
20 S'il n'est pas expressément prévu au premier alinéa de l'article II du protocole que le droit qui est reconnu au prévenu ne s'applique qu'à l'occasion de procédures pénales ou la responsabilité civile du prévenu découlant des faits constitutifs de l'infraction pour laquelle il est poursuivi est retenue ou susceptible d'être ultérieurement mise en cause, on ne saurait pour autant ignorer que tel est l'objectif qui a mené à l'insertion de la disposition en cause dans ce protocole. Cet objectif s'oppose à ce que le droit de se défendre sans comparaitre soit étendu à d'autres procédures pénales que celles où le prévenu est exposé à une action civile dans les conditions ci-dessus indiquées.
21 Il convient donc de répondre à la seconde question du Hoge Raad que le droit de se faire défendre sans comparaitre, reconnu au prévenu par l'article II du protocole annexe à la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, s'étend à toute procédure pénale relative à une infraction involontaire pour autant que la responsabilité civile du prévenu découlant des faits constitutifs de l'infraction pour laquelle il est poursuivi est retenue ou susceptible d'être ultérieurement mise en cause.
Sur les dépens
22 Les frais exposés par le Gouvernement des Pays-Bas et la Commission qui ont soumis des observations à la Cour ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad par arrêt du 17 juin 1980, dit pour droit :
1) par infraction involontaire au sens de l'article II du protocole annexé à la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution de décisions en matière civile et commerciale, il y a lieu d'entendre toute infraction dont la définition légale n'exige pas, expressément ou par la nature même du délit qu'elle définit, l'existence dans le chef du prévenu de l'intention de commettre l'action ou l'omission pénalement sanctionnée.
2) le droit de se faire défendre sans comparaitre, reconnu au prévenu par l'article II du protocole annexé à la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, s'étend à toute procédure pénale relative à une infraction involontaire pour autant que la responsabilité civile du prévenu découlant des faits constitutifs de l'infraction pour laquelle il est poursuivi est retenue ou susceptible d'être ultérieurement mise en cause.