CA Orléans, ch. com., 15 mars 2007, n° 06-01009
ORLÉANS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Association A votre service
Défendeur :
Al Hayat (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Remery
Conseillers :
Mme Magdeleine, M. Garner
Avoués :
SCP Laval-Lueger, Me Garnier
Avocats :
SCP Deprez-Dian-Guignot, Me Ferreira Dos Santos
Exposé du litige
La cour statue sur l'appel d'un jugement du Tribunal de grande instance de Tours rendu le 2 mars 2006, interjeté par l'Association A votre service (AVS), suivant déclaration du 3 avril 2006, enregistrée sous le n° 1009-2006.
Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions des parties signifiées et déposées les :
* 23 janvier 2007 (par la SARL Al Hayat),
* 23 janvier 2007 (par l'association AVS).
Dans le présent arrêt, il sera seulement rappelé que l'association AVS a, suivant ses statuts, pour objet, notamment, d'orienter la communauté musulmane de France vers la consommation de produits licites et met en œuvre à cette fin, selon les documents qu'elle publie, divers services permettant de s'assurer, par des contrôles, d'un abattage rituel d'animaux conforme aux normes islamiques et, par voie de conséquence, de la garantie halât de la viande. Elle est titulaire, sous les numéros d'enregistrement 03 3 203 391(marque déposée le 9 janvier 2003) et 03 3 213 611 (marque déposée le 6 mars 2003) des marques nominative " AVS à votre service " et semi-figurative comprenant, outre cette dénomination, son inclusion dans un logo en couleur en forme de losange stylisé, pour désigner tous produits et services des classes 29, 42 et 43 couvrant notamment tous produits de boucherie et charcuterie. Elle conclut également avec les boucheries qu'elle agrée un contrat autorisant, après son contrôle, le boucher agréé à vendre ses produits sous les marques AVS et à mentionner que son commerce est contrôlé par l'association AVS, une licence de marque lui étant alors accordée.
De son côté, la SARL Al Hayat exploite à Tours une boucherie, à l'enseigne Boucherie orientale et a diffusé, à la fin de l'année 2004, un calendrier des heures de prières pour la période du Ramadan reproduisant la marque semi figurative décrite ci-dessus, alors qu'aucun contrat dit d'agrément pour les boucheries n'avait été conclu entre elle et l'association AVS.
Après avoir mis la société Al Hayat en demeure de cesser l'emploi de sa marque, l'association AVS l'a assignée, par acte d'huissier de justice du 7 janvier 2005, devant le Tribunal de grande instance de Tours en contrefaçon et parasitisme, mais l'ensemble de ses demandes a été rejetée par le jugement déféré, qui, sur la demande reconventionnelle de la société Al Hayat, a annulé les marques en cause, les analysant en des marques collectives de certification pour lesquelles aucun règlement déterminant les conditions auxquelles serait subordonné leur usage n'a été déposé.
L'association AVS a relevé appel.
En cause d'appel, chaque partie a présenté, plus précisément, les demandes et moyens qui seront exposés et discutés dans les motifs ci-après.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 31 janvier 2007, ainsi que les avoués des parties en ont été avisés.
Par note conjointe du Président et du greffier adressée la veille de la date du présent arrêt, les avoués des parties ont été également avisés que le prononcé de l'arrêt était avancé à cette date.
Motifs de l'arrêt
Attendu-que, devant la cour d'appel, la société Al Hayat ne reprend pas ses fins de non-recevoir déduites d'une contestation de la titularité des deux marques litigieuses et de l'absence de reproduction matérielle de la marque n° 03 3 213 611 sur le calendrier distribué à sa clientèle, dont le tribunal a justement retenu qu'il s'agissait d'une contre-vérité, cette marque étant intégralement reproduite sur ce document, même si elle y a été intégrée dans le dessin plus large du contour d'une porte monumentale;
Qu'en revanche, elle reprend son analyse, que conteste l'association appelante, des marque AVS en marques collectives de certification au sens de l'article L. 715-2 du Code de la propriété intellectuelle qui seraient nulles en l'absence du dépôt de leur règlement d'usage ;
Qu'il résulte de l'ensemble des documents versés aux débats, y compris par l'association AVS elle-même, que bien que les marques litigieuses aient été déposées à titre de marques individuelles, elles sont exploitées à la manière de marques collectives et, en outre, assurent une fonction de garantie de qualité pour le consommateur susceptible de s'y référer, en ce sens qu'elles lui indiquent que les produits marqués, comme les boucheries qui les vendent, présentent des caractéristiques particulières ; qu'en effet, l'association AVS, qui elle même ne vend pas de produits de boucherie ou de charcuterie Halâl, se présente comme un organisme indépendant de contrôle, dont l'apposition de la marque sur les bêtes abattues atteste d'un sacrifice conforme au rite, étant d'ailleurs fait référence, dans la documentation produite (pièce n° 2, intitulée "contrôle strict de la viande Halâl"), au label AVS ; que le modèle de "contrat d'agrément pour les boucheries" indique clairement, dans un préambule, que l'estampille AVS, qui a fait l'objet de dépôt de marques, certifie auprès des consommateurs la viande contrôlée par l'association et est un gage de licéité alimentaire auprès de la communauté musulmane ; que la finalité des marques AVS n'est donc pas seulement, pour des bouchers, de signaler, dans un but d'intérêt privé, leur appartenance collective à un groupement pour promouvoir leurs produits, comme le ferait une marque collective simple ou ordinaire, elle est aussi d'attester, grâce à l'indépendance revendiquée par l'association, que la viande qu'ils vendent présentent des caractéristiques particulières recherchées - celle, essentiellement, de provenir d'animaux abattus rituellement, peu important que d'autres animaux non marqués AVS puissent l'avoir été - ayant fait l'objet d'un contrôle par l'organisme indépendant titulaire de la ou des marques en cause ; que même si l'association AVS s'en défend adroitement dans ses conclusions, ses marques sont bien exploitées dans le but de protéger l'intérêt des consommateurs, peu important également qu'il s'agisse des consommateurs musulmans, et non pas de tous les consommateurs de viande ; qu'en p. 14 de ses conclusions (en bas), elle indique elle-même " que le sigle A VS est... une garantie pour le consommateur du respect des préceptes de la religion, dès lors que la marque est apposée " ; qu'autrement dit, les marques collectives en cause impliquent une garantie réelle concernant les produits qui justifient la qualification de marques de certification qui leur a été reconnue par le premier juge;
Et attendu qu'aux termes de l'article L. 715-2.2° du Code de la propriété intellectuelle, le dépôt d'une marque collective de certification doit, pour être valable, comprendre un règlement, dit règlement d'usage, déterminant lès conditions auxquelles est subordonné l'usage de la marque, document dont le dépôt, en l'espèce, est inexistant - mais pas le document lui-même puisque l'association, en p. 18 de ses conclusions, fait elle-même état des "exigences contraignantes du règlement d'usage et du cahier des charges", ce qui conforte les motifs qui précèdent - ce qui suffit à justifier l'annulation des marques et la confirmation du jugement entrepris de ce chef, sous réserve de la publicité obligatoire d'une telle décision d'annulation ;
Attendu qu'à titre subsidiaire, l'association AVS fonde sa demande sur l'existence d'actes de parasitisme, dont les conséquences pourraient être réparées sur le fondement de la responsabilité civile quasi délictuelle : que, cependant, l'action en concurrence pour agissements parasitaires, si les marques n'avaient pas été annulées, n'aurait pu être fondée que sur des faits distincts de ceux de contrefaçon des marques que, dès lors, les marques ayant été annulées, l'association AVS doit invoquer les mêmes faits distincts, sous peine, si l'on retenait ceux qui étaient constitutifs de la contrefaçon de marque, de rétablir, par une autre voie, le-droit privatif de propriété qui a été anéanti ; que l'examen des conclusions de l'association AVS (p. 18 et 19) montre, cependant, que la demande fondée sur le parasitisme, sous couvert de formules générales, ne fait que reprendre les mêmes faits, savoir se faire passer pour un boucher agréé en faisant seulement un usage indu de la marque et en l'affichant ostensiblement que la demande subsidiaire sera donc également écartée ;
Sur les demandes accessoires :
Attendu que l'association AVS supportera les dépens d'appel, mais sans être tenue, eu égard à l'équité, d'aucune somme en remboursement des frais hors dépens exposés par la société AI Hayat ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort : Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, y compris en ce qu'il a rejeté la demande de l'Association A votre service fondée sur l'existence d'actes de parasitisme; Y ajoutant, dit que le jugement confirmé arrêt sera inscrit au Registre national des marques tenu par l'Institut national de la propriété industrielle, en tant qu'il annule les deux marques dont les références figurent au dispositif de ce jugement et en-tête de l'exposé du litige précédant les motifs du présent arrêt ; Rejette toutes autres demandes des parties ; Condamne l'Association A votre service aux dépens d'appel ; Accorde à Me Garnier, titulaire d'un office d'avoué près la Cour d'appel d'Orléans, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.