CA Bordeaux, 2e ch., 6 février 2007, n° 05-06917
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sofraco (SARL)
Défendeur :
Ancea (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Saint-Arroman
Conseillers :
MM. Ors, Legras
Avoués :
SCP Touton-Pineau & Figerou, SCP Gautier & Fonrouge
Avocats :
Mes Hardy, Hardouin
Le 10 janvier 2003, la société Sofraco, qui exerce l'activité de courtier en assurance, et la société Ancea qui se proposait d'exercer la même activité, ont conclu un contrat en vertu duquel la société Sofraco mettait à la disposition de la société Ancea ses produits, sa marque et son logo, tandis que la société Ancea s'engageait à lui reverser des redevances calculées selon son chiffre d'affaires et s'interdisait de négocier directement avec d'autres compagnies d'assurances.
La société Ancea avait été créée conjointement par Monsieur Emmanuel Erny et par la société Sofraco, le premier étant attributaire de 6 000 des parts et la seconde de 40 %.
Préalablement à la conclusion du contrat, Monsieur Emmanuel Erny avait effectué un stage de formation sous la direction de membres du groupe Sofraco à l'effet d'apprendre l'exercice de la profession, qu'il ignorait totalement.
Le 22 mars 2004, Monsieur Emmanuel Erny, faisant état de rapports conflictuels entre lui et la société Sofraco et aux motifs que la société Sofraco refusait de lui communiquer le contrat régissant leurs relations, ce qui faisait obstacle à la poursuite de celles-ci, proposa à la société Sofraco de racheter ses parts dans la société Ancea pour le prix de 3 050 euro.
La société Sofraco prit acte de la volonté de la société Ancea de ne plus faire partie du groupe mais refusa de céder ses parts au prix proposé, exigeant la fixation de celui-ci à trois années de commissions récurrentes et rappelant à la société Ancea quelle restait redevable envers elle de 20 % de la totalité de son chiffre d'affaires tant que la cession ne serait pas intervenue.
Puis, par lettre du 22 avril, la société Ancea notifia à la société Sofraco son intention de résilier le contrat à compter du 1er septembre 2003, date à laquelle elle avait cessé d'utiliser la marque et le logo - soutenant en outre que le contrat était nul.
La société Sofraco refusa le rachat de ses parts au prix proposé et exigea celui de 6 098 euro, outre la somme de 20 % du chiffre d'affaires jusqu'au jour de la cession effective.
Par assignation du 8 septembre 2004, la société Ancea saisit le Tribunal de commerce de Bordeaux d'une demande tendant :
- à ce que soit jugé que le contrat était un contrat de concession ;
- à ce qu'il soit constaté que la société Sofraco avait manqué à son obligation précontractuelle d'information, que ce manquement a été à l'origine d'un vice du consentement ;
- à ce que soit prononcée la nullité du contrat ;
- et à ce que la société Sofraco soit condamnée à lui verser la somme de 7 626 euro représentant les redevances déjà versées outre 3 000 euro pour résistance abusive.
Par le jugement entrepris, le tribunal a jugé que le contrat était un contrat de concession, et que l'article 330-3 du Code du commerce reprenant la loi Doubin n'avait pas été exactement appliqué mais que la nullité ne devait pas être prononcée dès lors que Monsieur Emmanuel Erny avait pu prendre connaissance de l'activité proposée au cours de son stage, avait pu mesurer les particularités du métier et les espérances qu'il pouvait faire naître.
Le tribunal a jugé ensuite qu'il n'y avait pas de vice du consentement, qu'il n'y avait pas davantage d'absence de cause comme le soutenait la société Ancea en affirmant que la marque Sofraco était sans valeur.
Le tribunal a prononcé la résiliation du contrat aux torts partagés des parties en reprochant à la société Sofraco la non remise à la société Ancea de la liste des compagnies avec lesquelles elle aurait pu librement négocier, et à la société Ancea la non remise de ses chiffres d'affaires permettant le calcul des rétrocessions pour le troisième trimestre 2003.
Le tribunal a débouté la société Sofraco de sa demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale fondée sur ce qu'un groupe de sociétés, qu'avait rejoint la société Ancea, avait, dans une carie de voeux adressée aux clients et annonçant le regroupement, indiqué "que l'adresse de Sofraco de Villenave d'Ornon, n'était plus valide".
Le tribunal a enfin ordonné l'expertise sollicitée par la société Sofraco à l'effet de déterminer la valeur des parts de la société Ancea, cette mesure étant de nature à éclairer pour vider le contentieux.
La société Sofraco a interjeté appel et déposé ses dernières conclusions le 15 septembre 2006.
La société Ancea a déposé ses dernières conclusions le 17 juillet 2006.
Vu les dites conclusions,
Motifs
Sur la nature juridique du contrat au regard de l'article 330-3 du Code du commerce
Attendu que la société Sofraco soutient que le contrat litigieux n'est pas un contrat de concession parce qu'il ne comporte pas l'obligation à la charge du concessionnaire d'acheter des produits qu'elle aurait élaborés et parce qu'il comporte à la charge de la société Ancea le paiement d'une commission, ce qui n'est pas le cas en matière de concession, et enfin parce qu'il ne comporte pas de clauses d'exclusivité ou de quasi exclusivité soit régionale soit par compagnie.
Attendu qu'il convient, sur le premier point, de constater que l'article 330-3 du Code du commerce concerne toutes les activités et pas seulement la vente de produits préalablement achetés au concédant.
Attendu qu'en l'espèce, la société Sofraco a bien mis à la disposition de la société Ancea, pour l'exercice de son activité de courtier, son nom commercial et son enseigne, ainsi que prévu par le texte.
Attendu que le seul point réellement litigieux est celui de l'exclusivité ou de la quasi-exclusivité.
Attendu que la question est abordée dans le contrat en ce qu'il prévoit " que la filiale s'interdit pendant toute la durée de la convention de négocier directement des conditions de commissions auprès des compagnies dont la liste figure en annexe ".
Attendu qu'il n'est pas contesté que la dite liste n'était pas annexée au contrat, ce qui a eu pour effet d'interdire pratiquement à la société Ancea de négocier avec quelques compagnies que ce soit.
Attendu que la société Sofraco verse aux débats sept attestations émanant de dirigeants d'autres sociétés membres du groupe Sofraco selon lesquelles ces sociétés avaient la liberté de négocier directement auprès d'autres compagnies.
Attendu cependant que dès lors qu'une clause du contrat l'interdisait à la société Ancea, celle-ci devait s'y soumettre.
Attendu qu'il ne peut être admis que ce soit par pure inadvertance que la société Sofraco n'a pas annexé la liste au contrat, alors surtout que la société Sofraco encore devant la cour, ne produit pas cette liste.
Attendu qu'il y a lieu par suite de considérer qu'il existe bien à la charge de la société Ancea une obligation d'exclusivité et que le contrat litigieux était soumis aux dispositions de l'article 330-3 du Code du commerce.
Sur la validité du contrat
Attendu qu'il est constant que la société Sofraco n'a pas remis dans les 20 jours précédant la signature du contrat le document prévu par l'article 330-3 et destiné à apporter au cocontractant du concédant les informations sur les intérêts et les exigences du contrat propose.
Attendu qu'il y a lieu, du fait de cette omission, de prononcer l'annulation du contrat sans qu'il y ait lieu de rechercher si, au cours du stage précédant la signature de celui-ci, le dirigeant de la société Ancea a pu recevoir certaines ou toutes les informations devant être fournies par le document absent.
Attendu qu'il n'y a pas lieu davantage de rechercher si le consentement du dirigeant de la société Ancea a pu être affecté par l'erreur ou si le contrat devrait être annulé pour absence de cause.
Sur les conséquences de l'annulation du contrat
Attendu qu'en suite de l'annulation du contrat, la société Sofraco doit reverser à la société Ancea les commissions reçues d'elle, soit la somme de 7 626,14 euro.
Attendu que, de même, la société Sofraco ne peut demander le paiement de redevances en vertu de ce contrat.
Attendu qu'il n'y a pas lieu de rechercher si l'annulation du contrat doit entraîner le rachat par la société Ancea de parts détenues par la société Sofraco dès lors que la société Sofraco ne s'oppose pas à cette cession.
Attendu que c'est à bon droit que le tribunal a ordonné une expertise pour fixer le prix des parts.
Attendu que les agissements reprochés par la société Sofraco à la société Ancea sous le titre de concurrence déloyale, et qui pourraient effectivement constituer des actes de parasitisme, ne peuvent donner lieu à des dommages et intérêts dès lors qu'en raison de leur ponctualité et leur très faible consistance, ils n'ont pu causer le moindre préjudice à la société Sofraco.
Attendu que l'équité justifie l'allocation à la société Ancea d'une indemnité de 1 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement en ce qu'il a dit le contrat soumis aux dispositions de la loi Doubin et que cette loi n'avait pas été respectée. Y ajoutant, prononce l'annulation de ce contrat. Confirme le jugement en ce qu'il a ordonné une expertise. Le confirme en ce qu'il a débouté la société Sofraco de ses demandes de dommages et intérêts pour concurrence déloyale. Rejette toutes autres demandes. Condamne la société Sofraco au paiement de la somme de 7 626,14 euro à la société Ancea avec intérêts de droit à compter du 8 septembre 2004 date de l'assignation. Condamne la société Sofraco à verser à la société Ancea la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La condamne aux dépens dont distraction au profit de la SCP Gautier Fonrouge.