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Décisions

Conseil Conc., 2 juillet 2008, n° 08-D-15

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de rénovation de chaufferies en Saône-et-Loire

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Mouzon, par Mme Aubert, vice-présidente, présidente de séance, , Mmes Béhar-Touchais, Mader-Saussaye, ainsi que MM. Combe, Flichy, Ripotot, membres.

Conseil Conc. n° 08-D-15

2 juillet 2008

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu la lettre enregistrée le 18 janvier 2006, sous le numéro 06/0008 F, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques ayant pu affecter l'attribution de marchés de rénovation de chaufferies organisés en 2003 et 2004 par l'OPAC de Saône-et-Loire ; Vu la décision du président du Conseil de la concurrence du 27 février 2008 disposant que l'affaire fera l'objet d'une décision du Conseil sans établissement préalable d'un rapport ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les observations présentées par la société Cochet et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les entreprises Badet, Boisseau et Cochet entendues lors de la séance du 27 mai 2008, les entreprises Bouillot et Sallès assistant à la séance ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Par lettre du 12 janvier 2006, enregistrée sous le numéro 06/0008 F, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence, en application de l'article L. 462-5 du Code du commerce, de pratiques ayant pu affecter l'attribution de marchés de rénovation de chaufferies organisés en 2003 et 2004 par l'office public d'aménagement et de construction de Saône-et-Loire (ci-après l'" OPAC ").

2. L'OPAC gère des bâtiments à usage d'habitation équipés de chaudières fonctionnant au gaz, à l'électricité ou au fuel.

3. Pour la réalisation des travaux de rénovation de ces chaufferies, l'OPAC lance, en principe tous les ans, des appels publics à la concurrence.

4. Les activités de construction et de rénovation de chaufferies nécessitent des savoir-faire spécifiques, notamment l'expérience de travaux lourds sur métal. Des qualifications précises sont demandées aux entreprises lors des procédures d'appels d'offres et, au sein même d'une entreprise spécialisée dans les systèmes de chauffage et climatisation, seuls quelques agents sont habilités à intervenir pour ce type de travaux.

5. Les travaux de construction et de rénovation de chaufferies doivent être réalisés hors " saison de chauffe ", c'est-à-dire généralement entre mai et septembre. L'OPAC impose donc les dates des travaux qui impliquent une mobilisation intensive de personnels dans des délais restreints.

6. La quasi-totalité des entreprises présentes dans le département de Saône-et-Loire sont actives au niveau infra-départemental à savoir, d'une manière générale, dans un rayon compris entre 20 et 50 km autour de leur centre d'activité (l'entreprise Sallès réalise, par exemple, 95 % de son chiffre d'affaires dans un rayon de 25 km). Des chantiers plus éloignés poseraient des problèmes de faisabilité, compte tenu des délais d'intervention requis ou des frais de transport et d'hébergement induits.

7. Des sociétés de dimension nationale, comme Dalkya ou Elyo, peuvent ponctuellement répondre à des appels d'offres concernant des travaux de rénovation générale. Cependant, elles n'ont pas de production propre dans le domaine de la construction et de la rénovation de chaufferies et sous-traitent ce type de travaux aux entreprises locales.

8. En Saône-et-Loire, les intervenants sont ainsi presque tous des PME locales et cinq d'entre elles sont concernées par la présente affaire :

- la société Badet, située à Montceau-les-Mines, qui emploie à l'heure actuelle environ 50 personnes et réalise le chiffre d'affaires le plus important ;

- l'entreprise Boisseau, située à Saint-Romain-sous-Gourdon, qui emploie à l'heure actuelle 4 personnes ;

- la société Bouillot, située à Montceau-les-Mines, qui emploie 19 personnes ;

- la société Cochet, dont le siège social était situé avant le 31 octobre 2007 au Creusot, et qui a été rachetée en 2000 par la holding " Financière Arcole " (Tremblay en France). Elle n'a plus de salarié et n'exerce plus d'activité depuis février 2007 ;

- la socété Sallès, qui est située à Sanvignes-les-Mines et emploie 26 personnes.

9. Le chiffre d'affaires au cours des années 2002 à 2007 varie pour les entreprises Boisseau et Bouillot entre environ 343 000 euro et 1 480 000 euro, pour les trois autres entre environ 930 000 euro et 6 000 000 euro. Toutefois, Cochet en raison des changements intervenus n'a réalisé, en 2007, qu'un chiffre d'affaires de 241 044 euro.

10. Les conditions dans lesquelles se sont déroulés les appels d'offres lancés en 2003 et 2004 par l'OPAC, puis les faits et pratiques révélés au cours de l'enquête et de l'instruction sont exposés ci-après.

A. LE MARCHÉ 2003

1. DÉROULEMENT DE L'APPEL D'OFFRES

11. En janvier 2003, l'OPAC a lancé un appel d'offres restreint pour la réalisation de travaux de rénovation de chaufferies. L'opération était estimée à un montant total de 621 000 euro HT. La durée prévue était de quatre mois, les travaux devant commencer en mai.

12. Ce marché se décomposait en quatre lots, chacun correspondant à un secteur géographique donné et concernant deux à quatre chaufferies. La date limite de réception des candidatures était fixée au 7 février 2003.

13. Les entreprises pouvaient présenter une candidature pour un ou plusieurs lots. Elles devaient disposer d'une qualification Qualibat 531 ou équivalente.

14. Le 13 février 2003, la commission d'appel d'offres s'est réunie pour procéder à l'ouverture des plis des onze candidatures reçues. Elle a écarté quatre d'entre elles, dont l'une parce que le candidat avait une structure insuffisante pour tenir les délais sur les quatre secteurs en même temps.

15. Les sept candidatures retenues ont été les suivantes :

- Baudras (sur les lots 1 à 4),

- Marchand (lots 1 à 4),

- Le groupement Sallès/Boisseau (lot 1),

- Bouillot (lot 2),

- Quesada (lot 3),

- Le groupement Badet/Sallès/Cochet/Bouillot (lot 3),

- Le groupement Badet/Boisseau (lot 4).

16. Chaque groupement ou entreprise retenu a été destinataire du dossier de consultation, la date limite de réception des offres étant fixée au 20 mars 2003. Selon les dispositions du règlement de consultation, l'offre économiquement la plus avantageuse devait être déterminée sur la base des critères de valeur technique de l'offre (coefficient 3), de prix (coefficient 2) et de service après-vente (coefficient 1).

17. Réunie le 27 mars suivant, la commission d'appel d'offres a constaté que, sur les sept candidats admis, seuls quatre, dont trois groupements, avaient finalement fait une offre et qu'une seule offre avait été remise pour chacun des lots.

<emplacement tableau>

18. La commission a décidé de procéder à une vérification détaillée et de se réunir à nouveau le 10 avril 2003 pour procéder à l'attribution des lots. A l'issue de cette nouvelle réunion, au vu du rapport d'analyse, elle a décidé d'attribuer les lots 1 et 2 et de déclarer les lots 3 et 4 infructueux, dès lors que les montants proposés étaient sensiblement supérieurs à l'estimation du donneur d'ordre.

19. Il a alors été décidé que les lots 3 et 4 feraient l'objet d'une procédure négociée dans le cadre de laquelle la totalité des candidats admis le 13 février seraient de nouveau consultés, ce qui impliquait quatre nouvelles consultations pour le lot 3 et trois pour le lot 4.

20. Les nouvelles offres devaient parvenir à l'OPAC avant le 28 avril 2003. Comme à l'occasion de la précédente consultation, une seule offre par lot a été remise :

21. Les offres des groupements Badet/Sallès/Cochet/Bouillot et Badet/Boisseau avaient été revues à la baisse par rapport à celles examinées le 27 mars (- 3,7 % et - 7,2 % respectivement pour les lots 3 et 4) et les lots concernés ont été attribués.

<emplacement tableau>

22. Sur la question de savoir pourquoi elles n'avaient pas remis d'offres, les entreprises Baudras (dont le siège social est à Nevers), Marchand (Paray le Monial) et Quesada (Le Creusot) ont mentionné l'éloignement des lots concernés par rapport à leur siège, le volume des travaux requis ou leur charge de travail déjà trop importante.

23. Le tableau ci-dessous récapitule les attributaires de tous les lots :

<emplacement tableau>

2. LA RÉALISATION EFFECTIVE DES TRAVAUX

24. Certains lots ayant été attribués à un groupement d'entreprises, une répartition des travaux entre les membres de ces groupements a été effectuée. Par ailleurs, en dehors des attributaires, des entreprises sont intervenues en qualité de sous-traitant.

25. Le tableau ci-après détaille les entreprises qui sont effectivement intervenues sur chacun des chantiers pour le marché 2003 :

<emplacement tableau>

B. LE MARCHÉ 2004

1. DÉROULEMENT DE L'APPEL D'OFFRES

26. Début 2004, l'OPAC a lancé un nouveau marché pour des travaux similaires dans diverses cités du département. Contrairement au marché précédent, la procédure choisie a été celle l'appel d'offres ouvert, dans le but de toucher le maximum d'entreprises susceptibles de s'intéresser au marché. Le montant total estimé des travaux s'élevait à 1 245 000 euro HT. Leur durée prévue était de cinq mois et ceux-ci devaient commencer en mai.

27. Les candidats pouvaient soumissionner à un, à plusieurs, ou à l'ensemble des lots. Si des groupements momentanés d'entreprises étaient constitués, ils devaient l'être lot par lot et non pour un ensemble de lots.

28. Le marché a été décomposé en six lots, correspondant à un secteur géographique, chacun concernant de deux à quatre chaufferies.

29. La date limite de réception des offres était le 1er mars 2004. Contrairement au marché 2003, pour lequel étaient requises des qualifications de moindre niveau (Qualibat 531 ou équivalentes), les entreprises devaient disposer de certificats de qualification Qualibat 5 312 ou équivalente (pour les lots 1 et 5) et Qualibat 5 313 ou équivalente (pour les lots 2, 3, 4, et 6).

30. Le 11 mars 2004, la commission d'appel d'offres s'est réunie afin de procéder à l'ouverture des plis. Au cours de cette réunion, il a été décidé de ne pas ouvrir l'offre des entreprises Quesada (pour le lot 1), Sallès (pour le lot 2) et du groupement Sallès/Boisseau (pour le lot 4), pour défaut de qualification Qualibat suffisante.

31. Selon les dispositions du règlement de consultation, l'offre économiquement la plus avantageuse devait être déterminée selon des critères de qualité de la prestation (coefficient 3), de prix (coefficient 2) et de service après-vente (coefficient 1).

32. Lors d'une nouvelle réunion tenue le 25 mars 2004, la commission d'appel d'offres a décidé de déclarer fructueux le marché - le résultat global de l'appel d'offres étant inférieur à l'estimation - et d'attribuer les lots de la façon suivante (le nom des attributaires est indiqué en caractères gras) :

<emplacement tableau>

2. LA RÉALISATION EFFECTIVE DES TRAVAUX

33. Comme pour le marché 2003, certains lots ayant été attribués à un groupement d'entreprises, une répartition des travaux entre les membres des groupements a été effectuée. Ces partages avaient parfois été déterminés dès la phase des études, chaque partenaire ayant sélectionné la chaufferie qui l'intéressait et procédé au chiffrage de sa prestation.

34. Outre les attributaires, d'autres entreprises sont intervenues en sous-traitance. Le tableau ci-après montre quelles entreprises sont effectivement intervenues sur chacun des chantiers.

C. LES ÉLÉMENTS RELEVÉS

1. EN CE QUI CONCERNE LE MARCHÉ 2003

a) Les documents faisant état d'une pré-attribution des lots et d'échanges d'informations entre les entreprises

35. Lors d'opérations de visites et de saisies du 4 novembre 2004, les services d'enquête ont saisi divers documents au sein des sociétés Badet, Bouillot, Cochet et Sallès.

Les pièces saisies au sein de l'entreprise Badet

Le document coté 932 (1)

36. Il s'agit d'une télécopie datée du 22 janvier 2003, soit près de deux semaines avant la date limite de réception des offres (fixée au 7 février), adressée à M. X..., de la société Badet, par M. Y..., de l'entreprise Bouillot. M. Y... communique à M. X... l'avis d'appel public à la concurrence du marché OPAC 2003 et fait part de son intérêt pour les lots 1 et 2 de ce marché en ces termes : " Suite à notre conversation téléphonique, veuillez trouver copie appel d'offre concernant les chaufferies OPAC. Nous pensons demander les dossiers secteur 1 et 2. "

37. L'avis d'appel public transmis est également annoté à la main. Ainsi, en face du secteur 1, sont mentionnés les noms manuscrits de Sallès et Boisseau, celui de Bouillot en face du secteur 2, " grpt ZUP " en face du secteur 3 et Badet SA -Boisseau en face du secteur 4. Par ailleurs, une croix est portée devant les mots " secteur 1 " et " secteur 4 ", dernier lot en marge duquel est mentionné " Tennis + Terrasse + [illisible] Rue Foch ".

38. A propos de ce document, le représentant de la société Badet, lors de son audition du 6 décembre 2007, a indiqué : " Le fax est daté du 22 janvier 2003 mais je ne peux vous donner de date précise concernant les annotations manuscrites. A droite de la mention " secteur 3 ", il faut lire " groupement Zup ", qui je pense fait référence à notre groupement de 2000 (puisque le chantier de 2000 concernait la ZUP). A gauche, il faut lire " tennis + terrasse ", les autres mots sont illisibles mais doivent correspondre à des dénominations de chaufferies. "

Le document coté 933

39. Ce document correspond à des notes manuscrites de M. X.... En face de la mention de chacun des quatre lots est porté le nom de l'attributaire.

40. Bien que ce document ne soit pas daté et que le représentant de la société Badet n'ait pu donner aux enquêteurs et au rapporteur de précisions sur ce point, les mentions " Grpt conjoint " et " non solidaire " qui y figurent indiquent qu'il s'agit d'un document de travail destiné à préparer les réponses en groupements, rédigé antérieurement à l'attribution des lots par l'OPAC.

Les pièces saisies au sein de l'entreprise Bouillot

Le document coté 217

41. Ce document correspond à l'original de la télécopie datée du 22 janvier 2003 décrite ci-dessus au paragraphe 36 adressée par M. Y..., président de la société Bouillot, à M. X....

42. A propos de ce document, M. Y... a déclaré aux enquêteurs : " J'ai adressé cette télécopie à Robert Badet dans le but de l'informer de la publicité pour le marché lancé par l'OPAC, car il me semble me souvenir qu'il ne l'avait pas vue. Je l'informe à cette occasion que je suis moi-même intéressé par les lots 1 et 2 du dit marché, par choix et possibilité de réalisation. Cette démarche ne s'inscrivait pas dans une volonté de groupement. ". Lors de son audition du 5 décembre 2007 par le rapporteur, il a précisé : " Je ne sais plus de M. X... ou de moi qui avait initialement appelé l'autre en premier. Quand j'ai adressé cette télécopie à M. X..., je n'avais pas connaissance de l'importance des travaux. Ce n'est que lorsque j'ai pris connaissance du contenu de ceux-ci que je me suis aperçu que je pouvais difficilement répondre seul. " Agenda 2003 du président de la société Bouillot coté 224 à 276

43. L'agenda 2003 de M. Y... mentionne à plusieurs reprises le nom de " Badet ". A ce sujet, il a expliqué aux enquêteurs : " Les mentions "Badet/chaufferies" ou "badet/papiers" ou "tel Badet" qui sont notamment indiquées en pages cotées 9, 11, 23, 36 correspondent à des rencontres ou des coups de fil à l'entreprise Badet certainement dans le but de se répartir les lots du marché de l'OPAC, puis dans le cadre de notre groupement pour le lot 3. Par ailleurs, j'ai des clients qui s'appellent également Badet et qui n'ont rien à voir avec la société du même nom. "

44. Lors de son audition du 5 décembre 2007, M. Y... a alors déclaré : " Il s'agissait essentiellement d'appels dans le cadre de la réponse en groupement. "

Les pièces saisies au sein de l'entreprise Cochet

Le document manuscrit coté 1111

45. Ce document est daté du 24 avril 2003 et a donc été rédigé lors de la phase de négociation des lots 3 et 4 du marché 2003 qui avaient été déclarés infructueux lors de la première consultation. Il montre une répartition des travaux du lot 3 entre les sociétés Badet (une chaufferie pour 110 000 euro), Cochet (deux chaufferies pour 104 000 euro) et Sallès (une chaufferie pour 53 000 euro) qui se grouperont ensuite avec l'entreprise Bouillot qui n'apparaît pas sur ce document, pour déposer l'offre.

Le document coté 1113

46. Ce document manuscrit n'est pas daté. Il contient les noms des entreprises qui ont remis des offres ou même qui ont été attributaires en ce qui concerne les lots 1, 2 et 4. Plusieurs éléments montrent qu'il a été rédigé avant l'attribution définitive du marché 2003 par l'OPAC, c'est-à-dire avant le 28 avril 2003.

47. Un post-it placé sur lui porte la mention " 14/4 ", qui a été modifiée par rapport à la mention d'origine " 14/2 ". Or, la première réunion de la commission d'appel d'offres s'est tenue le 14 février 2003. Elle a conclu au caractère infructueux du marché et l'indication " infructueux " est d'ailleurs également mentionnée sur le post-it.

48. Ainsi que le note le rapport d'enquête, par comparaison avec la réalisation effective des travaux, on s'aperçoit que les indications concernant la répartition des lots mentionnées dans le document ont été largement respectées, mais pas totalement :

- pour le lot 1, le groupement Sallès (pour la chaufferie de Sanvignes) et Boisseau (pour la chaufferie de Ciry le Noble) ont exécuté les travaux. En revanche, la société Marchand n'a pas répondu contrairement à ce qui est mentionné dans le document ;

- pour le lot 4, Badet, qui au début avait prévu de répondre seul, ainsi qu'il est indiqué sur le document, a finalement répondu en groupement avec Boisseau qui a exécuté les travaux sur l'une des quatre chaufferies du lot ;

- pour le lot 2, la société Bouillot a bien été seule déclarée attributaire.

49. A propos de ce document, un représentant de la société Cochet a déclaré :

" Je suis bien l'auteur de ce document qui concerne le marché de l'OPAC lancé en 2003, mais je ne saurai dire exactement à quel moment j'ai pris ces notes - avant ou après les résultats de l'appel d'offres - mais je pense en fait que c'est entre les deux tours, c'est-à-dire entre la remise des premières offres et la phase de négociations ".

Le document coté 1115

50. Ce document est à nouveau une photocopie annotée de l'avis d'appel public à la concurrence pour le marché de 2003.

51. Les mentions manuscrites y sont portées, premièrement, en haut du document, les mentions " secteur 3 ", " groupement Badet Cochet Bouillot Sallès ", " Badet mandataire " " -> justif à transmettre ", deuxièmement, en face des différents secteurs énumérés dans l'avis d'appel public, dans la marge de gauche, la mention du nombre des chaufferies concernées et à droite du nom des lots :

- les mots " Badet + Boisseau ", " Marchand ", en vis-à-vis du secteur 1, les mots " Badet + Boisseau " étant entourés,

- le mot " Bouillot ", en vis-à-vis du secteur 2,

- les mots " Le Creusot [illisible] " en vis-à-vis des secteurs 3 et 4.

52. Ce document, bien que non daté, a été rédigé avant l'attribution du marché, ainsi que l'a reconnu un représentant de la société Cochet : " Ces notes portées sur l'avis d'appel à la concurrence du marché lancé par l'OPAC en 2003 ont été prises dans le cadre d'une rencontre avec les autres membres du groupement qui m'ont indiqué sur quel lot et dans quelles conditions (groupement ou pas) ils allaient répondre. "

Les pièces saisies dans l'entreprise Sallès

Le document coté 1639

53. Ce document est daté du 28 janvier 2003 et reproduit également l'avis d'appel public à la concurrence accompagné des noms de sociétés en face de chaque secteur ainsi que des prix :

- à gauche de l'indication secteur 1, est mentionné " Marchand, Boisseau, Badet " et à droite " 140 000 euro " ;

- à gauche de l'indication secteur 2, est mentionné " Bouillot " et à droite " 94 000 euro " ;

- à gauche de l'indication secteur 3, est mentionné " gpt à 4 " et le mot " Cochet " est rayé puis à droite " 237 000 euro " ;

- à gauche de l'indication secteur 4, est mentionné " Badet " avec, à droite "Chagny 149 000 euro ".

Le même document comporte en marge d'autres mentions : " faire acte de candidature " suivie en dessous de la date " 22/01/03 ", de numéros de téléphone suivis de la mention " allo Boisseau, pour gpt avec Boisseau ", enfin en bas de page la mention encadrée " réunion Badet mardi 28/01/03 début 14h00. "

54. A propos de ce document, le représentant de la société Sallès a déclaré : " que ce sont des notes qu'il a prises lors de la réunion avec ses confrères en vue de la constitution des groupements pour répondre à l'appel d'offres lancé par l'OPAC de Saône-et-Loire. La société Marchand, bien que son nom apparaisse sur ce document, ne fait pas partie de l'entente. "

b) La constitution de groupements

55. Ainsi qu'il a déjà été mentionné, une seule offre a été reçue pour chacun des lots du marché 2003. Or, sur ces quatre offres, trois ont été faites en groupement, à savoir, Sallès/Boisseau pour le lot 1, Badet/Sallès/Cochet/Bouillot pour le lot 3 et Badet/Boisseau pour le lot 4.

56. En ce qui concerne la réalisation effective des travaux, une répartition au sein des groupements a été effectuée chaufferie par chaufferie. Ainsi, l'entreprise Boisseau a réalisé les travaux de rénovation de deux chaufferies du lot 1 tandis que la société Sallès réalisait les travaux de la dernière chaufferie. Pour le lot 3, l'entreprise Cochet a réalisé les travaux de deux chaufferies tandis que les sociétés Badet et Sallès exécutaient les prestations sur une chaufferie chacune. Pour le lot 4, la société Badet a réalisé les travaux de trois chaufferies et la société Boisseau les travaux d'une.

57. Au total, tous lots confondus, Badet a réalisé des travaux pour un montant de 216 530 euro (hors intervention des sous-traitants), Boisseau pour un montant de 117 707 euro, Bouillot pour un montant de 99 116 euro, Cochet pour un montant de 102 000 euro et Sallès pour un montant de 101 536 euro.

58. D'une manière générale, les entreprises ont mis en avant des contraintes de plan de charge et de délais d'exécution des travaux pour justifier la constitution de groupements. Ainsi, les représentants des sociétés Badet et Sallès ont déclaré que la constitution de groupements permettait de répondre à des volumes d'affaires importants. Le représentant de la société Sallès a ainsi indiqué qu'" étant donné la période des travaux, l'été, où certains de mes personnels sont en congés, la durée brève de réalisation et les volumes concernés, la réponse en groupement est (...) souvent appropriée. " Dans le même sens, le représentant de la société Bouillot a indiqué " seuls, nous ne pouvons pas réaliser certains types de travaux. Les réponses en groupement permettent " d'accroître " les effectifs et donc de renforcer la crédibilité d'une candidature. L'inconvénient est, certes, que cela débouche parfois sur une seule réponse. " Les responsables des entreprises Boisseau et Bouillot ont également avancé que l'OPAC faisait des lots de dimension trop importante pour que ces sociétés puissent répondre seules.

59. La plupart des représentants des sociétés ont par ailleurs indiqué que, bien que la date des travaux à exécuter, à savoir la période estivale, soit connue, les résultats des appels d'offres arrivent généralement assez tardivement, vers mai ou juin, ce qui fait peser une incertitude dans un contexte où le plan de charge des entreprises est déjà en majeure partie rempli. Enfin, ils ont souligné que leurs capacités, notamment en personnel, étaient réduites. Ainsi, le représentant de Badet a déclaré : " au maximum, nous pouvons réaliser des travaux sur cinq/six chaufferies de grande taille en même temps dans la période d'été. " Toutefois, le représentant de la plus petite entreprise, Boisseau, a indiqué : " je pouvais, avec l'entreprise de mon fils, en 2003 - 2004, effectuer des travaux sur deux chaufferies en même temps (une équipe de deux personnes par chaufferie). En 2003, nous avons réalisé des travaux sur trois chaufferies mais il ne faut pas trois mois pour réaliser des travaux sur une chaufferie : il faut trois semaines pour réaliser des travaux sur une chaufferie moyenne et un mois environ pour les plus importantes. " De même, le représentant de Sallès a souligné que son entreprise " peut mettre deux équipes de deux personnes environ pour exécuter des travaux de rénovation/réparation de chaufferies. Tout dépend de la technicité des chaufferies concernées mais j'estime que nous pouvons réaliser au maximum des travaux sur trois chaufferies de technicité moyenne en même temps ".

60. S'agissant du lot 3, pour lequel les quatre sociétés Badet, Bouillot, Cochet et Sallès ont créé un groupement, le représentant de Badet a déclaré : " Le groupement (...) avait été mis sur place en 2000, à l'occasion du " marché du siècle ", un marché qui, de mémoire, dépassait les 10 millions de FF HT, ce qui, pour des entreprises comme les nôtres, et à une époque où les carnets de commande étaient moins remplis qu'aujourd'hui, était colossal. Il n'y avait pas d'autres solutions que celle du groupement pour y répondre. Ce marché a cependant été annulé et certains des membres du groupement ont d'ailleurs connu des problèmes de charge de travail ". Ces propos ont été confirmés par le représentant de Bouillot et celui de Sallès ; ils ont indiqué que le groupement avait été reconstitué en 2003 pour retrouver un certain volume d'affaires, aucun marché n'ayant été lancé entre 2000 et 2003.

61. Bien que membre de ce groupement à quatre sur le lot 3, l'entreprise Bouillot n'a cependant exécuté aucune prestation sur le secteur. Pour le justifier, son représentant a indiqué : " La société Bouillot a remis une offre en groupement pour ce lot car elle faisait partie de ce groupement depuis 2000. Je n'avais pas les moyens matériels et humains de réaliser des travaux sur ces chaufferies à cette période, ces chaufferies se situant par ailleurs au Creusot, ville distante de 20 kilomètres de mon siège. Je rappelle que les travaux devaient être réalisés dans un laps de temps très court. (...) Je reconnais que j'aurais pu me retirer du groupement mais je ne l'ai pas fait. Je n'ai pas d'explication particulière à apporter sur ce point. ". Le représentant de Badet a indiqué quant à lui : " Il me semble que la société Bouillot, généralement, n'intervient pas sur la région du Creusot mais plutôt autour de son siège, à Montceau les Mines. Elle a obtenu le lot 2, à Montceau les Mines, donc, sans doute, était moins intéressée à intervenir au Creusot. "

2. EN CE QUI CONCERNE LE MARCHÉ 2004

a) Les documents faisant état d'une pré-attribution des lots et d'échanges d'informations entre les entreprises

62. Comme pour le marché de 2003, lors de l'enquête, ont été saisis divers documents relatifs au marché 2004, notamment au sein des sociétés Bouillot et Sallès.

Les pièces saisies au sein de l'entreprise Bouillot

Le document manuscrit coté 164

63. Ce document contient les mentions suivantes :

" - lot 4 Groupt Sallès Boisseau à couvrir (par Badet et Bouillot ) ;

- lot 3 Bdu et Chagny Group Badet Boisseau Bouillot ;

- lot 2 Le Creusot couverture Bouillot Sallès ;

- lot 2 Groupt Sallès Bouillot. "

64. Aucune date ne figure sur ce document mais, au vu des renseignements qui y sont portés, il a été rédigé antérieurement à la remise des offres, ainsi que l'a confirmé le représentant de l'entreprise Bouillot :

" ... bien qu'il a été saisi dans le bureau de M. Z... (chargé d'affaires) c'est moi qui en suis l'auteur. La mention portée au crayon sur la seconde ligne se lit "à couvrir (par Badet et Bouillot)". Par là même, j'ai bien voulu dire que je devais faire une offre de couverture pour le groupement identifié. Ces notes ont été prises lors d'une réunion à laquelle ont participé les gens qui devaient répondre aux différents lots. Je ne me souviens plus de la date à laquelle s'est tenue cette réunion, mais elle s'est tenue dans les locaux de l'entreprise Badet. Il me semble me souvenir que les 2 frères Badet ont participé à ladite réunion. A cette occasion, nous avons discuté, pour l'ensemble du marché lancé par l'OPAC, de la répartition des travaux. Je ne me souviens plus exactement qui a été à l'initiative de cette réunion. Il y a trop de travail donc nous devons bien nous le répartir. (...) Je ne peux vous donner la date précise de rédaction de ces notes. Elles ont en tout cas été rédigées entre la publication de l'appel d'offres et la remise de l'offre. "

Le document coté 324

65. Ce document correspond à la première page du règlement de consultation. En face de la composition des secteurs 2, 3 et 4, on constate l'apposition des notes manuscrites suivantes :

En face du secteur 2 " Badet Boisseau (couverture Bouillot Boisseau) Couvert

GRT

Sallès

Bouillot "

En face du secteur 3 : " Badet (Sallès couverture)

Bouillot (Groupt Badet Bouillot Boisseau)

Bouillot

Badet "

En face du secteur 4 : " grpt Salles Boisseau

(Bouillot) Bouillot

Couverture seul

Badet "

66. Concernant ces notes, le représentant de Bouillot, après en avoir confirmé la retranscription ci-dessus, a précisé : " Ces notes ont été portées en vue des réponses à l'appel d'offres et sont donc antérieures à l'attribution. "

67. Le représentant de Boisseau, auquel ce document a également été présenté lors de son audition du 18 décembre 2007, a indiqué : " Je n'ai jamais eu de contact avec la société Bouillot. Je remarque qu'en face de la mention " Blanzy, Félix Clerc DEF " [4ème chaufferie du secteur 3], il est fait mention du nom de Badet, alors que c'est moi qui ai réalisé les travaux pour cette chaufferie. J'ai transmis mes prix à Badet et à Sallès mais je n'ai jamais fait d'offres de couverture. Une fois, et une fois seulement, les groupements constitués, nous nous répartissons les chaufferies à l'intérieur du lot. "

Le document coté 277 à 319

68. Ce document correspond à l'agenda 2004 du président de Bouillot à propos duquel ce dernier a indiqué :

" Le nom de Badet apparaît de nouveau à plusieurs reprises (...), s'agissant de rendez- vous en début d'année. Ces rencontres ou appels doivent concerner les marchés des chaufferies de l'OPAC 71. "

Les pièces saisies au sein de l'entreprise Sallès

Le document coté 1694 à 1790

69. Ce document correspond à l'agenda 2004 d'un dirigeant de Sallès. Il porte à plusieurs reprises l'indication " Chez Badet ". Pour s'en expliquer, celui-ci a déclaré : " ... qu'il ne sait pas si les mentions du nom "Chez Badet" (par exemple le 18.02.2004, 02.03.2004, 12.03. 15.03.2004, 27.04.2004, 04.05.2004, 09.06.2004) portées dans son agenda correspondent ou non à des rendez-vous avec une personne de cette entreprise, si c'est dans le cadre des marchés de l'OPAC ou s'il s'agit d'un client. "

Le document coté 1835 à 1885

70. Un dossier de 49 pages intitulé " Lot n° 4 Badet - Bouillot " se compose de six groupes de documents dénommés respectivement " Toulon Badet ", " Toulon Bouillot ", " Palinges Badet ", " Sanvignes Badet ", " Palinges Bouillot " et " Sanvignes Bouillot ". Tous sont constitués d'une page de calculs manuscrits et de son équivalent exact, ou bien à quelques euro près, dactylographié.

71. Une comparaison de l'offre officielle adressée à l'OPAC par l'entreprise Bouillot avec les études manuscrites ou dactylographiées la concernant montre qu'elles sont similaires ou ne présentent que quelques euro d'écart (par exemple, 7,11 euro pour Palinges, 28,25 euro d'écart pour Toulon).

72. Il convient de rappeler que, concernant le lot 4, l'OPAC n'avait reçu que les offres indépendantes de Bouillot et Badet et que bien qu'attributaire, cette dernière a fait réaliser la quasi-totalité des travaux par l'entreprise Sallès.

73. A propos de ce dossier, les représentants de la société Sallès, ont déclaré : " ... qu'il s'agit d'études de prix pour le lot 4 du marché de l'OPAC 2004 ; que ces études ont été communiquées aux entreprises Badet et Bouillot afin qu'elles fassent leurs propres réponses, en les modifiant ou non. Ceci devait leur éviter de perdre du temps (...). Nous ne savons pas, après, les prix que Badet et Bouillot ont proposé à l'OPAC. Comme nous avions procédé à ce gros travail de chiffrage, Badet, qui a été déclaré attributaire du lot, nous a par la suite demandé d'intervenir pour lui en tant que sous-traitant. "

Le document coté 1886

74. Ce document, non daté, fait mention, pour chaque chaufferie composant le lot 4 (" Toulon ", " Palinges " et " Sanvignes ") de divers montants en vis-à-vis des noms des sociétés Sallès, Badet, Bouillot.

75. A propos de ce document, les représentants de la société Sallès ont indiqué de manière explicite :

" c'est bien le récapitulatif des études que nous avons faites pour le lot 4 du marché 2004 de l'OPAC s'agissant de chaufferies dans notre zone privilégiée d'activité c'est nous qui aurions dû être attributaire et les autres sociétés devaient nous couvrir avec, approximativement, les montants indiqués. "

Le document coté 1887

76. Ce document reproduit un courrier adressé à l'OPAC (demande des dossiers de consultation pour les lots 2, 3 et 4). De manière manuscrite, à gauche de l'identification des lots, sont notés les groupements d'entreprises ou les entreprises qui répondront au marché (mentions " couv " ou " couvert ") et à droite ceux ou celles qui réaliseront effectivement les travaux. L'un des dirigeants de Sallès a indiqué être l'auteur de ces notes manuscrites qui correspondent à la répartition du marché visé dans l'objet du courrier.

77. Lors de son audition en date du 11 décembre 2007, il a indiqué que les mentions manuscrites portées en bas du document se lisaient de la manière suivante :

A gauche de la mention du lot 2 :

" Badet

Boisseau

Couvert Bouillot

" Bouillot Boisseau "

A gauche de la mention du lot 3 :

" gpt Badet Boisseau Bouillot

couv Sallès Bouillot "

A gauche de la mention du lot 4 :

" réponse Sallès+ Boisseau

Couv Bouillot

" Badet Boisseau gpt "

Le document coté 1890

78. Ce document contient des notes manuscrites datées du 2 mars 2004, donc avant l'attribution du marché. Ces notes portent sur les lots 2, 3 et 4 et indiquent les entreprises ou groupements devant faire des " dossiers couverture ".

79. A propos de ce document, les représentants de la société Sallès ont indiqué de manière explicite : " nous reconnaissons qu'il s'agit des ententes préalables en vue de l'élaboration des réponses au marché de l'OPAC lancé en 2004. "

Les documents cotés 1895 à 1912 et 1940 à 1957

80. Ces documents correspondent, s'agissant des pièces cotées de 1895 à 1912 à une offre dactylographiée pour le lot 4, avec la mention " Badet " manuscrite en première page, et, s'agissant des pièces cotées de 1940 à 1957, à une offre dactylographiée pour le lot 4, avec la mention " Bouillot " manuscrite en première page.

81. A propos de ces documents, les représentants de la société Sallès ont indiqué : " Ce sont des documents qui nous ont été remis en mains propres par les entreprises Badet et [Bouillot] lors d'une de nos rencontres. "

Le document coté 1958

82. Ce document, outre les détails de prix en fournitures, sous-traitance et main d'œuvre pour chacune des chaufferies du lot 4, contient des notes indiquant pour les lots 2, 3 et 4 les noms des groupements attributaires (soulignés) ainsi que ceux des entreprises devant remettre des offres de couverture.

83. Ces mentions manuscrites sont les suivantes :

" lot 4

gpt Sallès Boisseau

couverture Bouillot seul

Badet seul

Lot 3 gpt Bouillot Badet Boisseau

couverture Sallès seul

Lot 2 Badet Boisseau

Couverture gpt Bouillot + Sallès "

84. Un représentant de Sallès a indiqué à propos de ce document : " Je suis l'auteur des mentions portées au crayon ; ces notes concernent aussi la répartition des travaux du marché de l'OPAC 2004. "

85. Il convient de noter que le représentant de l'entreprise Boisseau, à qui ce document a été présenté, a indiqué :

" Je n'ai jamais fait d'offres de couverture et je n'ai pas participé ni ne suis au courant de réunions ayant pour objet la répartition de marchés ou la réalisation d'offres de couverture. Je donnais mes devis au mandataire du groupement. "

Le document coté 1991 à 2024

86. Ce document correspond à l'offre dactylographiée pour le lot 3 qui compose notamment un dossier intitulé " Lot n° 3 ".

87. Le représentant de la société Sallès a précisé à son sujet : " cette offre devait servir à couvrir celle de l'entreprise intéressée par les travaux du lot 3. "

b) Le recours à la sous-traitance sur le lot 4

88. On constate que sur le lot 4, bien qu'éliminée par l'OPAC pour un problème de qualification, la société Sallès a exécuté la majorité des travaux en sous-traitance.

89. Lors de son audition en date du 11 décembre 2007, son représentant a indiqué : " Concernant la qualification, le " certificat Qualibat 5312 ou équivalent " était requis. Nous n'avions pas ce certificat mais étant donné que la société Sallès avait effectué des travaux l'année précédente, nous ne pensions pas être disqualifiés. (...) Badet a fait appel à Sallès parce que, sans doute, il devait être " juste " au niveau des délais à respecter. Badet s'est occupé sur le lot 4 de la partie " régulation et raccordement électrique. J'ai accepté d'être le sous-traitant de Badet compte tenu du fait que l'entreprise avait été écartée par l'OPAC. " Le représentant de la société Badet, quant à lui, a précisé, le 6 décembre 2007 : " L'entreprise Sallès avait été disqualifiée par le maître de l'ouvrage pour ce lot. Je n'en connaissais pas la raison. Le maître de l'ouvrage nous a alors demandé si nous pouvions honorer ce marché. Nous avons répondu que nous pouvions l'honorer qu'à une condition, celle de recourir à la sous-traitance. Les travaux du lot 4 ont été sous-traités à l'entreprise Sallès avec l'autorisation du maître de l'ouvrage. Les travaux de mise en œuvre tuyauterie/chaufferies ont été réalisés majoritairement par Sallès, l'entreprise Badet assurant la coordination, la supervision technique et la mise au point des chantiers. "

3. LES DÉCLARATIONS DE CERTAINES ENTREPRISES CONCERNANT LES MARCHÉS 2003 ET 2004

a) Les déclarations du représentant de la société Bouillot

90. Le représentant de la société Bouillot a déclaré aux enquêteurs : " Je ne nie pas qu'en 2003 et 2004, il y eu une entente locale pour répondre aux marchés de chaufferies de l'OPAC de Saône et Loire, mais ce n'est pas une coutume. Nous avons dû en arriver là car individuellement nous ne sommes pas capables de répondre. Mon entreprise n'est pas capable d'assumer plus de 3 chaufferies sur la période juin- septembre. D'un côté, nous ne sommes pas en mesure de répondre sur tous les lots mais d'un autre, nous souhaitons avoir une part du travail, d'où cette répartition locale du marché pour que chacun y trouve son compte et puisse réaliser le travail. "

b) Les déclarations des représentants de la société Sallès

91. Les représentants de Sallès ont indiqué aux enquêteurs : " Nous reconnaissons que pour les appels d'offres lancés par l'OPAC de Saône et Loire concernant la rénovation de chaufferie, notamment en 2003 et 2004, nous organisons des groupements afin de nous répartir les marchés mais nous n'empêchons personne d'autre (sociétés du département ou hors du département d'ailleurs) de répondre aux appels d'offres, contrairement à ce qui semble nous être reproché dans l'ordonnance de visite et de saisie du 22 octobre 2004 (...). Cette répartition du marché concerne les 4 ou 5 sociétés locales du secteur à savoir nous, Badet, Cochet, Bouillot et Boisseau. Cette démarche est induite par le fait que les lots sont importants et que nous devions réaliser les travaux dans les délais impartis très stricts. Dans la perspective de la répartition des lots nous nous réunissons. Les lots sont constitués par l'OPAC en tenant compte des implantations géographiques des chaufferies, chacun d'entre nous s'intéresse donc plus particulièrement à certains lots en fonction de son propre lieu d'installation dans le département. Mais je le répète une nouvelle fois, nous n'empêchons personne de répondre aux appels d'offres de l'OPAC. Par ailleurs, en dehors des marchés de l'OPAC, importants et contraints dans le temps, les 5 sociétés locales du secteur sont plutôt concurrentes. "

92. Lors de son audition en date du 11 décembre 2007, le représentant de Sallès a confirmé cette déclaration en ajoutant les précisions suivantes : " ... je n'ai rien à ajouter à cette déclaration. Cependant, je tiens à faire état des éléments qui suivent. Notre état d'esprit était de conserver un volume d'activité suffisant pour nos entreprises sans pour autant éliminer la concurrence et en profiter pour augmenter les prix. Nous savions qu'il existait des concurrents potentiels. Nos prix ont été étudiés en fonction de ce potentiel de concurrence et je n'ai pas l'impression que nous avons profité financièrement de la situation plus que de raison. Nos marges n'ont pas connu de hausses particulièrement sensibles. Le marché des chaufferies représente moins de 10 % de notre chiffre d'affaires.

Je rappelle également que le contexte de l'époque, dans les années 2000-2004, était assez incertain pour la société Sallès. En effet, le marché de l'OPAC de 2000 avait été signé mais non exécuté. De plus, un autre marché important, qui ne concernait pas l'OPAC mais une société immobilière de Franche-Comté, de rénovation de logements aux "houillères de Blanzy", en 2003, avait également été "gelé". Nous étions donc dans une situation difficile. "

D. LES GRIEFS NOTIFIÉS

93. Sur la base des constatations qui précèdent, les griefs suivants ont été notifiés :

- aux entreprises Badet, Boisseau, Bouillot, Cochet et Sallès, de s'être réparti avant le dépôt des offres les lots du marché relatif à des travaux de construction et de rénovation de chaufferies lancé par l'OPAC de Saône-et-Loire en 2003 ;

- aux entreprises Badet, Boisseau, Bouillot, et Sallès, de s'être réparti avant le dépôt des offres les lots du marché relatif à des travaux de construction et de rénovation de chaufferies lancé par l'OPAC de Saône-et-Loire en 2004.

II. Discussion

A. SUR LES PRATIQUES

94. Chaque marché public passé selon une procédure d'appel d'offres constitue un marché pertinent. Ce marché résulte de la confrontation d'une demande du maître d'ouvrage et des propositions faites par les candidats qui répondent à l'appel d'offres.

95. A de multiples reprises, le Conseil de la concurrence et la cour d'appel de Paris ont rappelé, en matière de marchés publics sur appels d'offres, qu'il est établi que des entreprises ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée, soit qu'elles sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations antérieurement à la date où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être.

96. Ces pratiques peuvent avoir pour objet de fixer les niveaux de prix auxquels seront faites les soumissions ou de désigner à l'avance les futurs attributaires en les faisant apparaître comme les moins-disants.

97. En l'espèce, les éléments relevés aux paragraphes 35 à 92 de la présente décision démontrent l'existence d'une entente entre les entreprises Badet, Boisseau, Bouillot, Cochet et Sallès qui se sont réparti les lots constitués lors des appels d'offres de 2003 et de 2004 à l'exception de Cochet pour ce dernier marché.

98. La preuve de l'existence de l'entente résulte des documents analysés ci-dessus et des déclarations faites par les représentants des entreprises.

99. Il convient de rappeler qu'un document régulièrement saisi, quel que soit le lieu où il l'a été, est opposable à l'entreprise qui l'a rédigé, à celle qui l'a reçu et à celles qui y sont mentionnées et peut être utilisé comme preuve d'une concertation ou d'un échange d'informations entre entreprises, le cas échéant par le rapprochement avec d'autres indices concordants.

100. Par ailleurs, la preuve de l'antériorité de la concertation par rapport au dépôt de l'offre peut être déduite, à défaut de date certaine apposée sur un document, de l'analyse de son contenu et du rapprochement de celui-ci avec des éléments extrinsèques, et notamment avec le résultat des appels d'offres.

S'agissant du marché 2003

101. La preuve de l'entente résulte :

- de l'échange, le 22 janvier 2003, préalable au dépôt des offres, de télécopies entre Badet et Bouillot qui reproduisent l'avis de l'appel public à la concurrence, avec indication par Bouillot qu'il est intéressé par les lots 1 et 2 et dont l'un est annoté des noms des entreprises finalement attributaires des lots (paragraphes 36, 37 et 41) ; de même, deux documents reproduisant l'avis de l'appel public à la concurrence ont été saisis l'un chez Cochet indiquant le groupement à constituer pour le troisième lot, l'autre chez Sallès annoté du nom des entreprises et de prix (voir ci-dessus les paragraphes 50, 51 et 53) ; ces documents qui mentionnent également des contacts téléphoniques et l'existence de réunions montrent que les entreprises se sont concertées pour se répartir les lots du marché et fixer les prix ;

- des autres documents trouvés dans chacune de ces quatre entreprises confirmant ces échanges et cette concertation (voir ci-dessus les paragraphes 39, 45 et 46) ;

- des déclarations faites par les représentants des entreprises Badet, Bouillot, Cochet et Sallès auxquels il a été demandé de s'expliquer sur les documents saisis dans leur entreprise et qui ont reconnu l'existence de cette entente en vue de la répartition des lots de l'appel d'offres ;

- si aucun document n'a été saisi chez Boisseau, ni aucun document émanant de Boisseau dans les autres entreprises, la mention de cette entreprise sur certains documents comme futur attributaire de lots en groupement n'a pu se faire sans son accord et démontre sa participation à l'entente. D'ailleurs le document saisi chez Sallès montre que des contacts téléphoniques ont eu lieu avec cette entreprise (paragraphe 53) qui n'a pas été disculpée par les représentants des autres entreprises en cause, comme cela a été le cas pour la société Marchand (voir ci- dessus les paragraphes 54, 90 et 91).

102. Le recours des entreprises Badet, Boisseau, Bouillot, Cochet et Sallès à la constitution de groupements a eu, en l'espèce, pour effet de faciliter la répartition des lots convenue au préalable entre les entreprises et également de diminuer de manière artificielle le nombre des entreprises candidates.

103. Les déclarations des représentants de la société Sallès, déjà citées au paragraphe 91, sont à ce titre éclairantes : " nous organisons des groupements afin de nous répartir les marchés. "

104. Le comportement adopté par les entreprises a non seulement supprimé toute concurrence entre elles mais fait obstacle à la candidature d'une entreprise extérieure à l'entente car une seule offre a été reçue et trois d'entre elles ont été faites par des groupements.

105. La société Cochet avance à cet égard que plusieurs entreprises autres que celles du groupement Badet/Sallès/Cochet/Bouillot (lot 3) ont présenté des candidatures, de sorte que l'issue de l'appel d'offres serait restée incertaine pour chacun des candidats. Cependant, sur les quatre lots composant le marché, le maître d'ouvrage a bel et bien été privé de toute proposition alternative, au stade des offres, y compris dans le cadre de la procédure négociée lancée à la suite de la décision de déclarer infructueux les lots 3 et 4, en dépit de la nouvelle consultation des entreprises qui s'étaient initialement portées candidates. Comme les représentants des sociétés Baudras (Nevers), Marchand (Paray le Monial) et Quesada (Le Creusot) l'ont indiqué, soit les travaux concernés étaient trop éloignés de leur base, soit le volume des lots ou leurs charges de travail étaient trop importants. Il ressort ainsi du dossier que ces entreprises ne constituaient que des alternatives peu crédibles ou n'auraient pu raisonnablement déposer une offre qu'en s'associant avec une autre entreprise, mais l'entente a rendu irréalisable ces possibilités d'alliance.

106. Certes, les contraintes en termes de plan de charge et de délais d'exécution des travaux auraient pu expliquer la constitution de certains groupements. Elles ont cependant, en l'espèce, fait l'objet d'appréciations nuancées par les entreprises Boisseau et Sallès (voir ci-dessus le paragraphe 59). Elles ne sont toutefois en l'occurrence pas recevables, puisqu'il est établi que les groupements ont été constitués dans un contexte d'entente pour la répartition du marché, qu'ils ont facilitée tout en ayant un effet anticoncurrentiel supplémentaire en rendant impossible, en fait, la participation d'autres compétiteurs.

S'agissant du marché 2004

107. La preuve de l'entente résulte des pièces saisies chez Bouillot et Sallès qui montrent, comme pour le marché précédent, l'échange d'informations préalable au dépôt des offres entre les entreprises Badet, Boisseau, Bouillot, Sallès concernant l'attribution des lots 2, 3 et 4 du marché à l'une, ou à plusieurs d'entre elles regroupées. Certains de ces documents présentent la particularité de désigner à propos de différents lots l'une de ces entreprises retenue pour faire des offres de couverture, cette stratégie ayant été largement respectée lors du dépôt des offres (voir ci-dessus les paragraphes 65, 77 et 83).

108. La pratique de répartition préalable des lots mise en œuvre trouve une illustration significative pour le lot 4 : la société Sallès a fait l'étude et devait bénéficier des couvertures apportées d'une part par Badet et d'autre part par Bouillot, auxquels elle a fourni des chiffrages à cet effet ; puis, le groupement qu'elle a formé avec Boisseau a été éliminé par l'OPAC pour un problème de qualification, mais elle a finalement pu, par le biais de sous-traitance, réaliser les travaux prévus dans les projets.

109. Les déclarations des dirigeants des sociétés Bouillot et Sallès auxquels ont été soumis les documents saisis dans leurs entreprises ont confirmé l'existence d'une répartition préalable entre les entreprises des lots 2, 3 et 4 de l'appel d'offres lancé en 2004. En particulier, le dirigeant de Sallès a souligné que les chaufferies du lot 4 faisaient partie de sa zone privilégiée d'activité et devaient lui revenir. L'entreprise Boisseau apparaît sur différents documents comme membre d'un groupement et a été désignée dans certains documents comme devant, seule ou en groupement, faire des offres de couverture (voir ci-dessus paragraphes 65 et 76). Le représentant de cette entreprise a admis avoir transmis ses études de prix à Badet et à Sallès mais il a contesté avoir effectivement fait des offres de couverture, ce que confirment les résultats de l'appel d'offres (paragraphe 32). Cependant, si les discussions entre membres de l'entente ont effectivement conduit à ce que l'entreprise Boisseau n'ait pas à faire d'offre de couverture, il n'en demeure pas moins que cette entreprise a participé à l'entente qui, grâce aux offres de couverture déposées, lui a permis en groupement avec Badet pour le lot 2 puis avec Badet et Bouillot pour le lot 3 de remporter ces lots. D'ailleurs, les déclarations des autres entreprises, qui ne la disculpent pas, portent aussi bien sur le marché 2003 que sur le marché 2004 (voir les paragraphes 90 et 91).

110. Là encore, comme pour le précédent marché, des groupements ont été constitués pour consacrer la répartition des lots convenue entre les entreprises, le succès de l'offre du groupement retenu pour un lot étant renforcé par le dépôt d'offres de couverture par les entreprises ayant fait le choix d'un autre lot.

111. Il résulte de ce qui précède que les entreprises Badet, Boisseau, Bouillot, Cochet et Sallès se sont entendues pour répartir entre elles les lots de l'appel d'offres lancé en 2003 par l'OPAC et que, à l'exception de l'entreprise Cochet, elles se sont à nouveau entendues pour répartir entre elles les lots de l'appel d'offres lancé l'année suivante par l'OPAC. Elles ont ainsi enfreint l'article L. 420-1 du Code de commerce.

B. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES

112. Les pratiques ci-dessus décrites sont imputables aux sociétés Badet, Bouillot et Sallès ainsi qu'à l'entreprise en nom propre Boisseau, qui n'ont pas subi de modification posant un problème d'imputation.

113. Le capital de la société Cochet SAS, a été acquis en 2000 par la holding " Financière Arcole " dont le siège social est situé 28 rue Marcel Paul, 93297 Tremblay en France Cedex. En février 2007, le fonds de commerce de la société Cochet SAS a été cédé à une société indépendante du groupe, Cochet Bourgogne. Il ne peut ainsi être fait application de la jurisprudence Aalborg (arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 7 janvier 2004, Aalborg/Commission, C-204-00P, Rec. P. I-123) selon laquelle, même si la société auteur des pratiques anticoncurrentielles subsiste juridiquement, l'infraction peut être imputée à la société qui a repris son activité, dès lors que ces deux entreprises font partie du même groupe et forment une même entité économique.

114. La personnalité juridique de la société Cochet SAS, renommée Cochet Île-de-France depuis le 18 décembre 2007, subsiste toujours au sein de Financière Arcole, ainsi que l'a confirmé son président, M. A..., lors de son audition. Elle doit dès lors assumer la responsabilité des pratiques qu'elle a mises en œuvre.

C. SUR LES SANCTIONS

115. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code du commerce : " Le Conseil de la concurrence peut (...) infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions soit en cas de non-respect des engagements qu'il a acceptés.

Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction.

Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euro. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante.

Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'il précise. Il peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne intéressée. "

116. Aux termes de l'article L. 464-5 du Code de commerce, " le Conseil, lorsqu'il statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 peut prononcer les mesures prévues au I de l'article L. 464-2. Toutefois, la sanction pécuniaire ne peut excéder 750 000 euro pour chacun des auteurs des pratiques prohibées ".

1. SUR LA GRAVITÉ DES PRATIQUES ET L'IMPORTANCE DU DOMMAGE À L'ÉCONOMIE

117. Ainsi que le rappelle régulièrement le Conseil dans sa pratique décisionnelle, les ententes commises à l'occasion d'appels d'offres sont d'une nature particulièrement grave puisqu'elles limitent l'intensité de la pression concurrentielle à laquelle auraient été soumises les entreprises si elles s'étaient déterminées de manière indépendante. L'entente a porté préjudice à une personne publique, à savoir l'OPAC de Saône-et-Loire, chargée d'une mission d'intérêt public et, de jurisprudence constante, la tromperie de l'acheteur public porte une atteinte grave à l'ordre public économique.

118. Le Conseil a également souvent souligné que les pratiques d'ententes horizontales sur les prix sont graves par nature puisqu'elles ont pour objet et pour effet de faire directement obstacle à la libre formation des prix sur le marché. De même, le Conseil considère que les pratiques de concertation générale, d'échanges d'informations, de dépôt d'offres de couverture en vue de la répartition du marché comptent parmi les pratiques les plus graves. De plus, les entreprises membres des ententes en cause dans la présente affaire constituent la quasi-totalité des sociétés actives dans la zone concernée par l'appel d'offres, à savoir Montceau les Mines/Le Creusot. Certes, elles ont été confrontées au cours des années qui ont précédé les marchés litigieux à des difficultés inattendues. Elles ont dû faire face à l'annulation d'un marché de l'OPAC en 2000 concernant treize chaufferies dans la région et n'ont été appelées à soumissionner à un nouvel appel d'offres qu'en 2003 alors que des travaux de construction et rénovation de chaufferies sont en principe commandés chaque année par l'établissement public qui gère un nombre important de bâtiments. Cependant, ces circonstances ne justifient pas que les entreprises se soient livrées à des pratiques anticoncurrentielles même si elles expliquent l'attitude " défensive " à l'origine de ces pratiques.

119. Il convient néanmoins de tenir compte du fait que les entreprises, toutes petites ou moyennes, ont à l'exception de Boisseau admis avoir eu un comportement anticoncurrentiel et ont immédiatement cessé leurs pratiques après l'intervention de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, allant même, pour certaines d'entre elles, jusqu'à s'interdire de faire toute offre sous forme de groupement.

120. S'agissant du dommage à l'économie, en matière d'ententes dans le cadre d'appels d'offres, la jurisprudence constante de la cour d'appel de Paris rappelle que " le dommage causé à l'économie est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence " (13 janvier 1998, Fougerolle Ballot).

121. La cour d'appel, dans l'arrêt du 12 décembre 2000 (SOGEA Sud-Est) précise que " ces pratiques anticoncurrentielles qui caractérisent un dommage à l'économie sont répréhensibles du seul fait de leur existence, en ce qu'elles constituent une tromperie sur la réalité de la concurrence dont elles faussent le libre jeu, nonobstant la circonstance que l'échange d'informations entre entreprises sur le prix a été suivie d'une adjudication inférieure aux estimations du maître d'œuvre (...) ".

122. Pour apprécier le dommage à l'économie, le Conseil tient aussi compte du montant du marché.

123. En l'espèce, les pratiques se sont déroulées sur deux années, en 2003 et 2004. Le montant global des sommes allouées au titre des deux appels d'offres concernés était relativement élevé, à savoir respectivement environ 640 000 euro HT en 2003 et 1 129 000 euro HT en 2004.

124. S'il apparaît difficile d'estimer le renchérissement du coût payé par la collectivité du fait de ces pratiques, il convient cependant de noter que, pour un lot du marché 2003, l'offre retenue a été sensiblement supérieure aux estimations du maître de l'ouvrage (+ 8,4 % pour le lot 3) et que celui-ci avait déjà préalablement dû relancer la procédure pour deux lots après avoir constaté que les offres étaient nettement supérieures à ses estimations. En 2004, les offres gagnantes étaient en revanche toutes inférieures aux estimations. Néanmoins, si les offres ont été inférieures, pour un certains nombre de lots, elles auraient pu l'être encore davantage si la concurrence avait joué.

2. SUR LA SITUATION INDIVIDUELLE DES ENTREPRISES

a) Badet

125. Il ressort des faits exposés aux paragraphes 35 à 92 et analysés aux paragraphes 94 à 111 de la présente décision que cette entreprise, de loin la plus importante des cinq concernées, a joué un rôle important dans la répartition des lots des marchés de 2003 et 2004.

126. Les chiffres d'affaires (en euro) de cette entreprise sont mentionnés dans le tableau suivant :

Année CA HT

2002 : 5 331 835

2003 : 4 563 542

2004 : 5 296 132

2005 : 5 213 563

2006 : 6 036 064

2007 : 5 025 321

Le montant maximum de la sanction s'élève à 603 600 euro.

127. Compte tenu des éléments généraux et individuels indiqués ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 30 180 euro.

b) Boisseau

128. L'entreprise Boisseau, qui est une très petite structure, semble avoir été entraînée dans les pratiques en raison de ses compétences spécifiques. Le représentant de Boisseau a ainsi indiqué " Je n'ai jamais fait d'offres de couverture et je n'ai pas participé ni ne suis au courant de réunions ayant pour objet la répartition de marchés ou la réalisation d'offres de couverture. " (voir paragraphe 85).

129. Néanmoins, même si elle n'en a pas pris l'initiative, les éléments du dossier montrent qu'elle a participé au mécanisme d'entente. Elle a d'ailleurs tiré un grand profit de l'exécution de ces marchés (paragraphe 57).

130. Les chiffres d'affaires de cette entreprise sont mentionnés dans le tableau suivant :

Année CA HT

2002 : 343 723

2003 : 480 456

2004 : 390 277

2005 : 420 425

2006 : 495 255

Le montant maximum de la sanction s'élève à 49 500 euro.

131. Compte tenu des éléments généraux et individuels indiqués ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 2 100 euro.

c) Bouillot

132. Il ressort que cette entreprise a joué un rôle important dans la répartition des lots des marchés de 2003 et 2004.

133. Les chiffres d'affaires de cette entreprise sont mentionnés dans le tableau suivant :

Année CA HT

2002 : 1 333 269

2003 : 1 165 005

2004 : 1 430 054

2005 : 1 393 167

2006 : 1 432 829

2007 : 1 313 689

Le montant maximum de la sanction s'élève à 143 280 euro.

134. Compte tenu des éléments généraux et individuels indiqués ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 7 160 euro.

d) Cochet

135. La société Cochet n'est impliquée que dans l'entente mise en place dans le cadre du marché lancé par l'OPAC en 2003. En outre, il convient de prendre en considération la réduction importante du chiffre d'affaires de cette société qui a cessé toute activité.

136. Les chiffres d'affaires de cette entreprise sont mentionnés dans le tableau suivant :

Année CA HT

2002 : 3 998 874

2003 : 1 839 145

2004 : 1 334 577

2005 : 1 209 877

2006 : 1 204 652

2007 : 241 044

Le montant maximum de la sanction s'élève à 399 880 euro.

137. Compte tenu des éléments généraux et individuels indiqués ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 4 500 euro.

e) Sallès

138. Comme pour les sociétés Badet et Bouillot, il ressort que cette entreprise a joué un rôle important dans la répartition des lots des marchés de 2003 et 2004.

139. Les chiffres d'affaires de cette entreprise sont mentionnés dans le tableau suivant :

Année CA HT

2002 : 1 382 463

2003 : 930 740

2004 : 1 177 217

2005 : 1 319 602

2006 : 1 779 776

2007 : 1 754 268

Le montant maximum de la sanction s'élève à 177 970 euro.

140. Compte tenu des éléments généraux et individuels indiqués ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 8 900 euro.

3. SUR L'OBLIGATION DE PUBLICATION

141. Afin d'informer de la présente décision les opérateurs actifs dans le domaine de la rénovation de chaufferies, ainsi que les gestionnaires d'immeubles, et de les inciter à la vigilance à l'égard de pratiques telles que celles condamnées, il y a lieu d'ordonner la publication dans le " Journal de Saône-et-Loire " du résumé de cette décision figurant ci-dessous :

" Les sociétés Badet, Boisseau, Bouillot, Cochet et Sallès, spécialisées dans les systèmes de chauffage et de climatisation, ont pris part à des ententes anticoncurrentielles interdites par l'article L. 420-1 du Code de commerce et ont été sanctionnées de ce fait par le Conseil de la concurrence.

Les éléments recueillis au cours de l'enquête et de l'instruction ont permis de démontrer que les entreprises Badet, Boisseau, Bouillot, Cochet et Sallès se sont, en échangeant des informations, réparti les lots d'un marché lancé en 2003 par l'OPAC de Saône-et-Loire pour la rénovation de chaufferies. Les sociétés Badet, Boisseau, Bouillot et Sallès se sont également réparti les lots d'un marché lancé par l'OPAC en 2004, par le biais notamment du dépôt d'offres de couverture.

La répartition des marchés, antérieurement à la remise des offres, a eu pour effet de fausser la fixation des prix par le jeu du marché et de tromper le maître d'ouvrage sur la réalité et l'intensité réelle de la concurrence.

En conséquence, le Conseil de la concurrence a infligé les sanctions pécuniaires suivantes :

- à la société Badet une sanction de 30 180 euro ;

- à la société Boisseau une sanction de 2 100 euro ;

- à la société Bouillot une sanction de 7 160 euro ;

- la société Cochet une sanction de 4 500 euro ;

- à la société Sallès une sanction de 8 900 euro.

Le texte intégral de la décision du Conseil de la concurrence est accessible sur le site www.conseil-concurrence.fr "

Décision

Article 1er : Il est établi que les sociétés Badet, Boisseau, Bouillot, Cochet et Sallès ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

- à la société Badet une sanction de 30 180 euro ;

- à la société Boisseau une sanction de 2 100 euro ;

- à la société Bouillot une sanction de 7 160 euro ;

- à la société Cochet une sanction de 4 500 euro ;

- à la société Sallès une sanction de 8 900 euro.

Article 3 : Les sociétés mentionnées à l'article 2 feront publier à leurs frais communs au prorata des sanctions pécuniaires qui leur sont infligées, dans les trois mois suivant la notification de la présente décision, le texte figurant au paragraphe 141 de celle-ci, en en respectant la mise en forme, dans " Journal de Saône-et-Loire ". Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à 5 mm sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : " Décision n° 08-D-15 du 2 juillet 2008 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques mises en œuvre par les entreprises Badet, Boisseau, Bouillot, Cochet et Sallès. " Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Paris si un tel recours est exercé. La société Badet adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, copie de cette publication, dès sa parution.

Note

1 La numérotation des documents fait référence à leur cote informatique.