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Décisions

TPICE, 3e ch., 9 juillet 2008, n° T-429/04

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Trubowest Handel GmbH, Viktor Makarov

Défendeur :

Conseil de l'Union européenne, Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jaeger

Juges :

Mme Tiili, M. Czúcz

Avocats :

Mes Adamantopoulos, Petritsi, Berrisch

TPICE n° T-429/04

9 juillet 2008

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

Faits à l'origine du litige

1 Par décision non publiée du 25 novembre 1994 (affaire IV/35.304), adoptée notamment sur la base de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), la Commission a décidé de procéder à une enquête portant sur l'existence éventuelle de pratiques anticoncurrentielles concernant les tubes en acier au carbone, susceptibles de violer l'article 53 de l'accord sur l'Espace économique européen ainsi que l'article 81 CE.

2 À la suite de cette enquête, la Commission a décidé, le 20 janvier 1999, d'engager la procédure administrative dans l'affaire IV/E-1/35.860-B - Tubes d'acier sans soudure, à l'issue de laquelle elle a adopté, le 8 décembre 1999, la décision 2003-382-CE, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] (Affaire IV/E-1/35.860-B - Tubes d'acier sans soudure) (JO 2003, L 140, p. 1, ci-après la " décision sur l'entente ").

3 Aux termes de l'article 1er, paragraphe 1, de la décision sur l'entente, les huit entreprises destinataires de celle-ci " ont enfreint les dispositions de l'article 81, paragraphe 1, [CE], en participant [...] à un accord prévoyant, entre autres, le respect de leur marché national respectif pour les tubes [Oil Country Tubular Goods] filetés standard et les [tuyaux de transport 'projet'] sans soudure ". L'article 1er, paragraphe 2, de la décision sur l'entente dispose que l'infraction a duré de 1990 à 1995 pour Mannesmannröhren-Werke AG, Vallourec SA, Dalmine SpA, Sumitomo Metal Industries Ltd, Nippon Steel Corp., Kawasaki Steel Corp. et NKK Corp. S'agissant de British Steel Ltd, il est indiqué que l'infraction a duré de 1990 à février 1994. Ces entreprises se sont vu imposer à ce titre des amendes d'un montant allant, selon les cas, de 8,1 à 13,5 millions d'euro.

4 La décision sur l'entente a fait l'objet du communiqué de presse IP/99/957 de la Commission le 8 décembre 1999 et a été publiée au Journal officiel de l'Union européenne le 6 juin 2003.

5 Le 8 juillet 2004, le Tribunal a, dans l'arrêt JFE Engineering e.a./Commission (T-67-00, T-68-00, T-71-00 et T-78-00, Rec. p. II-2501), d'une part, annulé l'article 1er, paragraphe 2, de la décision sur l'entente dans la mesure où la Commission a constaté à tort que quatre des entreprises visées dans ledit article avaient participé à l'entente avant le 1er janvier 1991 et au-delà du 30 juin 1994 et, d'autre part, réduit le montant de l'amende infligée par la Commission à ces entreprises.

6 Par ailleurs, à la suite d'une plainte déposée par le comité de défense de l'industrie des tubes sans soudure en acier de l'Union européenne le 19 juillet 1996, la Commission, en application du règlement (CE) n° 384-96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), modifié par le règlement (CE) n° 2331-96 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO L 317, p. 1), a publié, le 31 août 1996, un avis d'ouverture d'une procédure antidumping concernant les importations de certains tubes et tuyaux sans soudure, en fer ou en acier non allié, originaires de Russie, de la République tchèque, de Roumanie et de Slovaquie (JO C 253, p. 26).

7 Le 29 mai 1997, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 981-97, instituant des droits antidumping provisoires sur les importations de certains tuyaux et tubes sans soudure, en fer ou en acier non allié, originaires de Russie, de la République tchèque, de Roumanie et de la République slovaque (JO L 141, p. 36).

8 Le 17 novembre 1997, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 2320-97 instituant des droits antidumping définitifs sur les importations de certains tubes et tuyaux sans soudure, en fer ou en acier non allié, originaires de Hongrie, de Pologne, de Russie, de la République tchèque, de Roumanie et de la République slovaque, abrogeant le règlement (CEE) n° 1189-93 et clôturant la procédure concernant les importations en provenance de la République de Croatie (JO L 322, p. 1, ci-après le " règlement définitif ").

9 Le 16 juillet 2004, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 1322-2004 modifiant le règlement définitif (JO L 246, p. 10). Aux termes de l'article 1er de ce règlement est ajouté au règlement définitif un article 8, en vertu duquel l'article 1er du règlement définitif, lequel institue des droits antidumping sur les importations qu'il vise, n'est plus applicable à partir du 21 juillet 2004.

10 Trubowest Handel GmbH (ci-après " Trubowest ") est une société allemande importatrice, dans la Communauté, de tubes et de tuyaux sans soudure originaires de Russie. Trubowest, dont M. Viktor Makarov est le gérant depuis 1997, a débuté ses activités d'importation desdits produits au mois de janvier 1999 et les a cessées au mois d'octobre 1999. Trubowest et M. Makarov sont les requérants.

11 Par ailleurs, M. Makarov était également le gérant, à compter de 1992, de la société Truboimpex Handel GmbH (ci-après " Truboimpex ") dont l'activité commerciale consistait à importer, notamment en son nom propre, dans la Communauté, à compter de 1996, des tubes et des tuyaux sans soudure originaires de Russie.

12 Le 15 octobre 1999, l'Amtsgericht Kleve (tribunal cantonal de Clèves, Allemagne) a délivré un mandat d'arrêt, notamment à l'encontre de M. Makarov au motif qu'il était " fortement soupçonné d'avoir fourni aux autorités fiscales, à Cologne et Emmerich, au cours des années 1997 à 1999, des données inexactes et incomplètes concernant d'importants faits fiscaux, ces déclarations constituant 36 infractions distinctes, et d'avoir ainsi diminué les impôts, afin d'obtenir pour [lui] et pour d'autres personnes des avantages fiscaux injustifiés, ce qui a permis d'éluder dans une large mesure les droits à l'importation ". En outre, il est indiqué dans ledit mandat d'arrêt que " [à] cette occasion, les [tubes et tuyaux originaires de Russie importés par Truboimpex et Trubowest] ont fait l'objet de fausses déclarations en vue de contourner les dispositions [du règlement définitif] ".

13 En application de ce mandat d'arrêt, M. Makarov a été mis en détention du 27 octobre au 12 novembre 1999. À compter de sa libération, M. Makarov s'est vu imposer des mesures restrictives à sa liberté d'aller et venir en vertu desquelles il était notamment tenu de se présenter, jusqu'au 31 janvier 2000, trois fois par semaine au bureau de police compétent et ne pouvait pas se déplacer à l'étranger sans autorisation préalable (ci-après les " mesures restrictives de liberté ").

14 À compter du 27 octobre 1999, le Hauptzollamt Emmerich (bureau principal des douanes de Emmerich, Allemagne), devenu par la suite le Hauptzollamt Duisburg (bureau principal des douanes de Duisbourg, Allemagne), a notifié aux requérants des avis de recouvrement a posteriori visant à obtenir le paiement de droits antidumping se rapportant aux importations effectuées par Truboimpex et Trubowest pendant la période allant du mois de décembre 1997 au mois d'octobre 1999. Les autorités douanières allemandes estimaient, en substance, que les importations des requérants n'avaient pas, à tort, été classées sous les codes de la nomenclature communautaire de tubes et de tuyaux sans soudure faisant l'objet du règlement définitif. Dans ce cadre, les comptes bancaires de Trubowest et de M. Makarov ont été saisis.

15 Selon les autorités douanières allemandes, Truboimpex et Trubowest étaient ainsi redevables, au titre des droits antidumping impayés, de, respectivement, 1 575 181,86 euro et 729 538,78 euro, soit un montant total de 2 304 720,64 euro de droits antidumping impayés pour ces deux sociétés. De plus, M. Makarov était tenu responsable, en sa qualité de gérant de Trubowest et de Truboimpex, du règlement du montant total des sommes dues par ces deux sociétés.

16 À compter des 16 et 17 novembre 1999, les requérants ont contesté, conformément à l'article 243 du règlement (CEE) n° 2913-92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le Code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci-après le " CDC ") et au droit national applicable, auprès du Hauptzollamt Emmerich, les avis de recouvrement a posteriori de droits antidumping émis à l'encontre de Trubowest et de M. Makarov. Le 15 décembre 2000, les requérants ont introduit un recours auprès du Finanzgericht Düsseldorf (Tribunal des finances de Düsseldorf, Allemagne) demandant la suspension des avis de recouvrement qui étaient immédiatement exécutoires. Le 30 octobre 2001, le Finanzgericht Düsseldorf a rejeté la demande des requérants. Le 29 août 2003, les requérants ont déposé leurs conclusions devant le Hauptzollamt Duisburg aux termes desquelles ils ont soutenu, en substance, que les autorités douanières avaient, à tort, considéré que leurs importations tombaient dans le champ d'application du règlement définitif.

17 Le 19 juin 2000, le Staatsanwaltschaft Kleve (parquet de Clèves) a adopté un acte de mise en accusation (Anklageschrift) à l'encontre de M. Makarov, en raison des fausses déclarations en douane relatives aux importations de Trubowest et de Truboimpex. Dans cet acte d'accusation, le Staatsanwaltschaft Kleve a estimé, en substance, qu'un montant total de 4 376 250,25 de marks allemands, soit 2 237 541,22 euro, était dû au titre des droits de douane éludés résultant des importations de Trubowest et de Truboimpex.

18 Le 14 novembre 2002, le Landgericht Kleve (tribunal régional de Clèves) a suspendu la procédure pénale pendante à l'encontre de M. Makarov dans l'attente de l'issue de la procédure fiscale dont il faisait l'objet.

19 Le 15 décembre 2004, les requérants ont conclu une transaction avec le Hauptzollamt Duisburg mettant fin au litige les opposant aux autorités douanières allemandes.

20 Cette transaction prévoit notamment ce qui suit :

" Préambule

[...]

Par le biais du présent exposé des faits, les parties entendent régler de manière définitive le différend qui les oppose concernant la légalité des avis d'imposition litigieux. Les parties reconnaissent que le présent exposé conjoint des faits ne résout pas le différend qui les oppose sur le point de savoir quels sont les tubes d'acier qui relèvent ou ne relèvent pas du droit antidumping.

[...]

En vertu de ce qui précède, les parties conviennent ce qui suit :

(1.)

Les avis d'imposition et déclarations de responsabilité [...] concernant des droits antidumping d'un montant de 2 304 734,45 euro, seront réglés par versement de la somme totale de 460 000 euro par [les requérants notamment]. Les parties conviennent qu'une partie seulement de la somme de 435 125,21 euro perçue à ce jour par le Hauptzollamt Duisburg, à hauteur de 343 644,15 euro, sera déduite de la somme due de 460 000 euro.

[...]

(3.)

La signature du présent accord entraînera l'arrêt immédiat de toutes les mesures d'exécution engagées contre Trubowest, ainsi que contre [M. Makarov notamment].

[...]

(5.)

[Les requérants] renoncent par la présente à faire valoir de nouvelles prétentions contre l'administration des douanes, par exemple en vue d'obtenir des dommages et intérêts pour les faits sur lesquels porte le présent exposé conjoint des faits. Ils renoncent par ailleurs à engager d'autres recours juridictionnels contre l'administration des douanes.

Cependant, les parties conservent la possibilité de faire valoir des prétentions de cette nature contre des tiers, en particulier les recours en réparation mentionnés [...] contre la Commission et le Conseil [...] en vertu de l'article 288 [CE]. "

21 Le 2 mai 2005, le Landgericht Kleve a rendu une ordonnance (Beschluss) mettant fin, conformément à l'article 153a du Strafprozessordnung-StPO (Code de procédure pénale allemand), à la procédure pénale pendante à l'encontre de M. Makarov sous condition du paiement par ce dernier d'une amende de 18 000 euro. Le Landgericht Kleve indique dans ladite ordonnance qu'il est pris en considération que " [M. Makarov] déclare que son accord [à ce qu'il soit mis fin à la procédure pénale] n'entraîne pas une reconnaissance de culpabilité, mais qu'il est donné en raison de considérations procédurales et économiques ".

Procédure et conclusions des parties

22 Par requête déposée le 25 octobre 2004, les requérants ont introduit le présent recours en indemnité.

23 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 de son règlement de procédure, a invité les parties à déposer certains documents et à répondre par écrit à des questions. Les parties ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.

24 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 22 novembre 2007.

25 Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :

- condamner la Communauté, conformément à l'article 288, deuxième alinéa, CE, à réparer les dommages subis en raison de l'adoption de mesures antidumping définitives instituées par le règlement définitif, en octroyant :

- 118 058,46 euro à Trubowest à titre de dommages et intérêts, augmentés des intérêts moratoires sur cette somme, au taux annuel de 8 % ; cette somme correspondrait au montant effectivement payé par Trubowest à la suite des différents avis de recouvrement des droits antidumping pris par les autorités douanières allemandes à l'encontre des requérants et constituerait un manque à gagner pour Trubowest ;

- 397 916,91 euro à M. Makarov à titre de dommages et intérêts, augmentés des intérêts moratoires sur cette somme, au taux annuel de 8 % ; cette somme correspondrait, pour 277 939,37 euro, au montant total des sommes dont M. Makarov se serait effectivement acquitté à la suite des différents avis de recouvrement des droits antidumping, pour 63 448,54 euro à l'absence de salaires versés par Trubowest à M. Makarov et, pour 56 529 euro, aux frais d'avocat exposés au titre des procédures qui les ont opposés aux autorités douanières allemandes ;

- 128 000 euro à Trubowest, au titre de son manque à gagner, augmentés des intérêts moratoires sur cette somme à un taux annuel de 8 %, ou, à titre subsidiaire, une somme octroyée à Trubowest au titre des dommages et intérêts, à convenir entre les parties à la suite d'un arrêt interlocutoire du Tribunal ;

- 150 000 euro à M. Makarov pour le dédommager du préjudice moral qu'il aurait subi, augmentés des intérêts moratoires sur cette somme à un taux annuel de 8 % ;

- condamner le Conseil et la Commission aux dépens.

26 Le Conseil et la Commission concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours ;

- condamner les requérants aux dépens.

Sur la recevabilité

I - Observations liminaires

27 Le Conseil et la Commission soulèvent l'irrecevabilité des demandes d'indemnisation des requérants à l'égard, d'une part, des montants de 118 058,46 euro et de 277 939,37 euro réclamés respectivement par Trubowest et M. Makarov, correspondant aux sommes saisies par les autorités douanières allemandes au titre des droits antidumping acquittés en application du règlement définitif (ci-après les " demandes d'indemnisation au titre des droits antidumping acquittés ") et, d'autre part, du montant de 56 529 euro correspondant aux frais d'avocat déboursés dans le cadre des procédures qu'ils ont menées au niveau national et dont M. Makarov s'est acquitté.

28 À cet égard, le Conseil et la Commission font valoir, premièrement, que les demandes d'indemnisation au titre des droits antidumping acquittés sont prescrites. Deuxièmement, ils soutiennent que le Tribunal n'est compétent pour statuer ni sur les demandes d'indemnisation au titre des droits antidumping acquittés ni sur la demande d'indemnisation d'un montant de 56 529 euro au titre des frais d'avocat engagés dans le cadre des procédures que les requérantes ont menées au niveau national et dont M. Makarov s'est acquitté. Troisièmement, la Commission estime que le recours est irrecevable dans la mesure où les requérants cherchent, au moyen d'un recours en indemnité, à obtenir l'annulation des effets juridiques du règlement définitif.

29 Les requérants rétorquent, d'une part, que le Tribunal est compétent pour connaître des deux demandes d'indemnisation susvisées et, d'autre part, que leurs demandes d'indemnisation au titre des droits antidumping acquittés sont recevables, car elles ne sont pas prescrites et ne constituent pas une voie détournée pour obtenir l'annulation du règlement définitif.

30 À la lumière de ce qui précède, le Tribunal estime qu'il convient d'examiner, à titre préalable, la question de sa compétence eu égard, d'une part, aux demandes d'indemnisation au titre des droits antidumping acquittés et, d'autre part, à la demande d'indemnisation au titre des frais d'avocat engagés au niveau national.

II - Sur la recevabilité des demandes d'indemnisation au titre des droits antidumping acquittés

A - Arguments des parties

31 Le Conseil et la Commission font observer, premièrement, que les demandes d'indemnisation au titre des droits antidumping acquittés correspondent aux montants des droits antidumping prétendument acquittés par les requérants en application du règlement définitif. Or, ils font valoir, à cet égard, que, conformément aux arrêts de la Cour du 13 mars 1992, Vreugdenhil/Commission (C-282-90, Rec. p. I-1937, point 12), et du Tribunal du 18 septembre 1995, Nölle/Conseil et Commission (T-167-94, Rec. p. II-2589, points 35 à 37), le Tribunal n'est pas compétent pour accorder l'indemnisation demandée qui consiste en une demande de remboursement des droits antidumping que les requérants ont acquittés et pour laquelle seules les juridictions nationales sont compétentes. En outre, le Conseil et la Commission estiment, en réponse aux questions écrites posées par le Tribunal, que les solutions retenues par le Tribunal dans son ordonnance du 5 février 2007, Sinara Handel/Conseil et Commission (T-91-05, Rec. p. II-245, ci-après l'" ordonnance Sinara ", point 64), quant à l'irrecevabilité du recours sont transposables à la présente affaire.

32 Deuxièmement, le Conseil et la Commission estiment que la voie de recours appropriée pour contester la perception des droits antidumping acquittés par les requérants est un recours dirigé contre les avis de recouvrement devant les juridictions nationales compétentes dans le contexte duquel ces dernières auraient pu saisir la Cour d'une question préjudicielle relative à la légalité du règlement définitif, permettant ainsi aux requérants, dans l'hypothèse où le règlement définitif serait déclaré illégal, d'obtenir des juridictions nationales le remboursement des droits antidumping qu'ils ont acquittés. Or, le Conseil fait remarquer, à cet égard, que ce sont les requérants eux-mêmes qui ont mis fin aux recours nationaux qu'ils avaient engagés en concluant la transaction.

33 Troisièmement, le Conseil et la Commission font valoir que, contrairement à ce qu'affirment les requérants, les juridictions communautaires ne sont pas compétentes pour connaître des fautes qu'auraient commises les autorités allemandes dans l'application du règlement définitif. Dès lors, les arguments des requérants selon lesquels ils auraient épuisé les voies de recours nationales seraient hors de propos.

34 Quatrièmement, le Conseil et la Commission font valoir que l'argument des requérants selon lequel les voies de recours nationales doivent assurer une protection efficace n'est pas pertinent, puisque le droit allemand permet le remboursement des droits antidumping perçus, ce que les requérants ont d'ailleurs recherché en formant des recours contre les avis de recouvrement émis par les autorités douanières allemandes. En outre, le Conseil estime que la transaction ne fait pas naître une compétence des juridictions communautaires là où une telle compétence n'existait pas précédemment.

35 Les requérants estiment que cette argumentation n'est pas fondée. Premièrement, ils font valoir que, conformément aux arrêts de la Cour du 26 février 1986, Krohn/Commission (175-84, Rec. p. 753), et du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission (C-104-89 et C-37-90, Rec. p. I-3061), les juridictions communautaires ont une compétence exclusive pour réparer les dommages causés par les mesures prises par un organisme national en application d'une réglementation communautaire. À cet égard, les requérants estiment que, contrairement à ce qu'affirment le Conseil et la Commission, les dommages qu'ils ont subis résultent non de l'illégalité des décisions prises par les autorités douanières allemandes, mais de celle du comportement du Conseil et de la Commission lors de l'adoption du règlement définitif sur la base duquel des droits antidumping leur ont été imposés par les autorités douanières allemandes qui ne disposaient d'aucune marge d'appréciation dans l'exécution du règlement définitif.

36 Ensuite, les requérants soutiennent que le Conseil et la Commission font, à tort, référence à l'arrêt Vreugdenhil/Commission, point 31 supra, pour considérer que seules les juridictions nationales sont compétentes dans la mesure où, en l'espèce, d'une part, il n'est pas établi que les autorités allemandes ont imposé à tort des droits antidumping et, d'autre part, le règlement définitif n'a jamais été déclaré illégal. De plus, les requérants considèrent que, contrairement à ce qu'affirment le Conseil et la Commission, la question de la compétence du Tribunal peut être liée à celle de l'épuisement des voies de recours comme il résulte de l'arrêt Nölle/Conseil et Commission, point 31 supra (point 35). À cet égard, ils estiment que l'exigence d'épuisement des voies de recours internes ne doit jamais faire obstacle à la recevabilité d'un recours, en particulier dans les cas où la compétence exclusive des juridictions communautaires est établie.

37 De plus, les requérants font valoir, notamment en réponse aux questions écrites posées par le Tribunal que, à la différence des faits ayant donné lieu à l'ordonnance Sinara, point 31 supra, ils ne disposent plus, après avoir conclu la transaction, de voies de recours au niveau national et qu'il est donc impossible que la Cour examine la légalité du règlement définitif dans le cadre d'un renvoi préjudiciel. Ils font observer qu'ils ne devraient pas être pénalisés par le fait qu'ils ont conclu une transaction mettant fin aux procédures menées à leur égard. En outre, ils font valoir que les montants pour lesquels ils demandent à être indemnisés font partie de la somme de 460 000 euro dont ils restent redevables au titre de la transaction.

38 Deuxièmement, les requérants font valoir que, contrairement à ce qu'affirment la Commission et le Conseil, les voies de recours nationales dont ils disposaient au moment de la mise en œuvre du règlement définitif n'étaient pas de nature à assurer leur protection d'une manière efficace. D'abord, ils font valoir que, en 1999, lorsqu'ils ont exercé leurs recours contre les avis de recouvrement des autorités douanières allemandes, ils n'avaient pas connaissance de l'entente et, à la différence des faits ayant donné lieu à l'ordonnance Sinara, point 31 supra, ils ne pouvaient donc pas soulever l'illégalité du règlement définitif dans le délai de trois ans prévu par l'article 236, paragraphe 2, du CDC.

39 Ensuite, les requérants soutiennent que, en 2003, après la publication de la décision sur l'entente au Journal officiel de l'Union européenne, la question de l'illégalité du règlement définitif a été soulevée devant l'autorité allemande compétente. Toutefois, ils considèrent que, dans la mesure où la question centrale du différend qui les opposait aux autorités douanières allemandes était celle du classement des produits qu'ils importaient, il ne peut leur être reproché d'avoir conclu la transaction après une pression intense, notamment du gouvernement russe et de la Commission. Ils estiment ainsi que l'argument du Conseil et de la Commission selon lequel ils auraient dû maintenir leurs recours de telle manière que les juridictions nationales allemandes renvoient la question de la légalité du règlement définitif devant la Cour ne reflète que des possibilités théoriques, qui ne se sont pas concrétisées et qui n'auraient pu effectivement se concrétiser.

40 Troisièmement, les requérants estiment que, à la différence des faits ayant donné lieu à l'ordonnance Sinara, point 31 supra, le Tribunal est compétent pour statuer sur leurs demandes d'indemnisation au titre des droits antidumping dont ils se sont acquittés dans la mesure où ils ont subi un préjudice résultant du fait que les sommes demandées ont fait l'objet de mesures de saisie. Ils considèrent, en conséquence, que leurs demandes ne constituent pas des demandes en remboursement des droits antidumping acquittés. De plus, ils font valoir que le montant des indemnisations qu'ils réclament n'est pas égal au montant initialement réclamé par les autorités douanières allemandes et dont ils doivent s'acquitter.

B - Appréciation du Tribunal

41 Le Conseil et la Commission soutiennent, en substance, que les présentes demandes d'indemnisation constituent, en réalité, des demandes de remboursement des droits antidumping que les requérants ont acquittés auprès des autorités douanières allemandes en application du règlement définitif. Or, le Tribunal serait incompétent pour connaître de telles demandes.

42 À cet égard, tout d'abord, il convient de souligner que, comme le Tribunal l'a relevé dans l'ordonnance Sinara, point 31 supra (point 46), en vertu de l'article 236, paragraphe 2, du CDC, " [l]e remboursement ou la remise des droits à l'importation [...] est accordé sur demande déposée auprès du bureau de douane concerné avant l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la date de la communication desdits droits au débiteur ". En outre, l'article 243, paragraphe 1, premier alinéa, du CDC prévoit que " [t]oute personne a le droit d'exercer un recours contre les décisions prises par les autorités douanières qui ont trait à l'application de la réglementation douanière et qui la concernent directement et individuellement ". Le troisième alinéa de cette même disposition indique que " [l]e recours doit être introduit dans l'État membre où la décision a été prise ". Enfin, aux termes de l'article 245 du CDC, " [l]es dispositions relatives à la mise en œuvre de la procédure de recours sont arrêtées par les États membres ".

43 Il y a donc lieu de constater que le droit communautaire secondaire applicable a expressément prévu la voie de droit ouverte à un débiteur de droits à l'importation qui estime avoir indûment fait l'objet de l'imposition de tels droits de la part des autorités douanières. Cette voie s'exerce au niveau national, selon la procédure de recours mise en place par l'État membre en cause en conformité avec les principes posés aux articles 243 à 246 du CDC. Dans le cadre d'un tel recours, ce débiteur peut, en outre, solliciter de la part de la juridiction compétente saisie du litige un renvoi en appréciation de validité de la disposition communautaire sur le fondement de laquelle a été adoptée la décision d'imposition des droits, conformément à l'article 234, premier alinéa, sous b), CE (ordonnance Sinara, point 31 supra, point 47).

44 À l'occasion d'un recours en indemnité introduit à la suite d'un arrêt rendu dans le cadre d'un tel renvoi préjudiciel en appréciation de validité, la Cour a jugé que les juridictions nationales étaient seules compétentes pour connaître d'une action en répétition de montants indûment perçus par un organisme national sur la base d'une réglementation communautaire déclarée par la suite non valide (arrêt Vreugdenhil/Commission, point 31 supra, point 12, et ordonnance Sinara, point 31 supra, point 48).

45 En l'espèce, il est vrai que, à l'instar de ce que le Tribunal a relevé dans l'ordonnance Sinara, point 31 supra (point 49), formellement, les requérants qualifient, dans la requête, de " manque à gagner " les dommages pour lesquels ils demandent une réparation au titre des droits antidumping dont ils se sont acquittés. Or, le Tribunal a déjà jugé que le recours d'un requérant visant à la réparation d'un préjudice commercial, correspondant au manque à gagner lié à la suspension de ses exportations vers la Communauté ainsi qu'au coût du rétablissement de sa position sur le marché communautaire, du fait d'une faute de la Commission ayant conduit à l'institution de mesures provisoires contre les importations de ses produits, se distinguait d'une demande visant à l'abrogation des droits antidumping et compensateurs provisoires institués sur les importations de ses produits dans la Communauté et à la libération des montants déposés, le cas échéant, au titre de ces droits provisoires et que, ainsi, un tel recours devait être considéré comme recevable (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 24 octobre 2000, Fresh Marine/Commission, T-178-98, Rec. p. II-3331, point 46, et ordonnance Sinara, point 31 supra, point 49).

46 Toutefois, il convient également de constater que, d'une part, les requérants indiquent expressément dans la requête et dans la réplique, que leurs demandes consistent en des demandes de " dommages et intérêts " correspondant aux sommes qui ont été perçues à la suite des différents ordres de recouvrement émis par les autorités douanières allemandes ou encore qu'ils demandent une réparation au titre du " préjudice " découlant des droits antidumping dont ils se sont effectivement acquittés. D'autre part, il ressort des pièces fournies par les requérants que l'indemnisation d'un montant de 118 058,46 euro qu'ils demandent correspond au montant précis des droits antidumping que les autorités douanières ont recouvrés auprès de Trubowest. De plus, les requérants demandent, au titre des droits antidumping dont M. Makarov s'est acquitté, une indemnisation de 277 939,37 euro qui est supérieure de 8 702,96 euro à la somme de 269 236,41 euro dont il ressort d'une annexe de la requête que M. Makarov s'est acquitté au seul titre des droits antidumping imposés. À cet égard, les requérants affirment toutefois dans leurs écritures que cette somme de 8 702,96 euro résulte des frais d'exécution forcée des autorités allemandes liés au recouvrement des droits antidumping qu'ils ont dû également supporter et que, en tout état de cause, les requérants ne demandent à titre de dommages intérêts que le montant qui a été retenu comme étant définitivement dû au titre des droits antidumping.

47 Il s'ensuit que, à l'instar de ce que le Tribunal a décidé, dans l'ordonnance Sinara, point 31 supra (point 51), au-delà de la dénomination purement formelle de " manque à gagner " attribuée au dommage allégué, lesdits dommages, tels qu'ils sont identifiés et calculés par les requérants, doivent en réalité être considérés comme découlant immédiatement, nécessairement et exclusivement de sommes dues au titre des droits antidumping imposés, de sorte que les demandes des requérants à cet égard consistent, en définitive, en des demandes de remboursement des droits qu'ils ont payés de manière prétendument indue.

48 Or, conformément à l'arrêt Vreugdenhil/Commission, point 31 supra (point 12), une telle demande de remboursement relève de la compétence exclusive des juridictions nationales. Dès lors, les arguments soulevés par les requérants selon lesquels le Tribunal serait compétent pour connaître de leurs demandes d'indemnisation à cet égard ne sauraient prospérer.

49 En premier lieu, il convient de rejeter les arguments des requérants exposés dans leur réponse aux questions écrites posées par le Tribunal et dans leurs écritures selon lesquels leurs demandes d'indemnisation ne sauraient être assimilées à des demandes en remboursement des droits antidumping en raison du fait que, d'une part, à la différence des faits ayant donné lieu à l'ordonnance Sinara, point 31 supra, les droits antidumping pour lesquels ils demandent une indemnisation n'ont pas été librement acquittés, mais ont été saisis et, d'autre part, leurs demandes ne concernent que la partie des droits antidumping dont ils se sont acquittés et non la totalité des droits antidumping initialement réclamés par les autorités douanières allemandes. En effet, il suffit, à cet égard, de relever que, dès lors que les indemnisations demandées ont pour objet d'obtenir le remboursement de droits antidumping versés en application du règlement définitif, le fait que ces droits aient été soit librement acquittés par les requérants, soit saisis par les autorités douanières allemandes, ou bien encore qu'ils ne constituent qu'une partie du montant total des droits antidumping initialement réclamés par les autorités douanières allemandes, est sans aucune influence sur la nature même des indemnisations demandées, à savoir qu'elles visent à obtenir le remboursement des droits antidumping versés en application du règlement définitif.

50 En deuxième lieu, est non fondé l'argument des requérants selon lequel il ne peut être conclu sur la base de l'arrêt Vreugdenhil/Commission, point 31 supra, que le Tribunal est incompétent en l'espèce, dès lors que, d'une part, le règlement définitif n'a pas été déclaré invalide par la Cour dans le cadre d'un recours préjudiciel alors qu'un tel recours est devenu impossible en raison de la transaction et, d'autre part, qu'il n'a pas été établi que les autorités douanières allemandes avaient commis une erreur en appliquant le règlement définitif.

51 En effet, à supposer même que le Tribunal, dans le cadre de l'examen des conditions d'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, constate que le règlement définitif est entaché d'illégalité, cette circonstance ne saurait conduire à conférer au Tribunal la compétence pour connaître d'une demande de remboursement des sommes perçues par les autorités douanières sur la base de ce règlement (ordonnance Sinara, point 31 supra, point 53).

52 D'une part, il y a lieu de rappeler, à cet égard, que, aux termes de l'article 2, paragraphe 1, sous b), de chacune des deux décisions relatives au système des ressources propres des Communautés européennes successivement applicables s'agissant des faits de l'espèce, à savoir la décision 94-728-CE, Euratom du Conseil, du 31 octobre 1994 (JO L 293, p. 9), puis, à compter du 1er janvier 2002, la décision 2000-597-CE, Euratom du Conseil, du 29 septembre 2000 (JO L 253, p. 42), constituent des ressources propres inscrites au budget des Communautés les recettes provenant " des droits du tarif douanier commun et des autres droits établis ou à établir par les institutions des Communautés sur les échanges avec les pays non membres " (ordonnance Sinara, point 31 supra, point 54).

53 L'article 8, paragraphe 1, desdites décisions prévoit, en outre, notamment, que les ressources propres des Communautés visées à l'article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de ces mêmes décisions sont perçues par les États membres conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, qui sont, le cas échéant, adaptées aux exigences de la réglementation communautaire (ordonnance Sinara, point 31 supra, point 55).

54 Ainsi, la circonstance que la compétence relative à la perception des ressources propres des Communautés, au titre desquelles figurent les droits antidumping, appartient aux autorités nationales justifie que les litiges relatifs à la restitution de droits à l'importation perçus pour le compte de la Communauté relèvent de la compétence des juridictions internes et doivent être tranchés par celles-ci dans le cadre de la procédure de recours mise en place par l'État membre concerné en conformité avec les principes posés aux articles 243 à 246 du CDC (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 mai 1976, Roquette Frères/Commission, 26-74, Rec. p. 677, point 11, et ordonnance Sinara, point 31 supra, point 56).

55 À cet égard, il convient d'ailleurs de relever que, dans le cadre de la procédure prévue à l'article 11, paragraphe 8, du règlement n° 2331-96, laquelle permet à un importateur de demander le remboursement de droits perçus lorsqu'il est démontré que la marge de dumping sur laquelle les droits ont été acquittés a été éliminée ou réduite à un niveau inférieur au niveau du droit en vigueur, bien que la demande de remboursement en cause soit soumise par l'importateur à la Commission via l'État membre sur le territoire duquel les produits ont été mis en libre pratique, dans l'hypothèse où la Commission décide qu'il y a lieu d'accéder à ladite demande, le remboursement ainsi autorisé doit normalement être effectué par les États membres dans les 90 jours à compter de la décision de la Commission, conformément au dernier alinéa de cette disposition (ordonnance Sinara, point 31 supra, point 57).

56 D'autre part, et à la différence des faits ayant donné lieu à l'ordonnance Sinara, point 31 supra (point 58), dans laquelle le Tribunal a constaté que la requérante avait introduit une demande en remboursement devant les juridictions nationales au titre de l'article 236 du CDC qui avait été partiellement rejetée et qui faisait l'objet d'une procédure d'appel pendante devant les juridictions nationales au moment où le Tribunal statuait, il convient de constater que, en l'espèce, il ressort des écritures des requérants et des documents qu'ils ont fournis qu'ils ont contesté, sur la base de l'article 243 du CDC, les différents avis de recouvrement émis à leur égard devant les autorités nationales compétentes, mais que, en concluant la transaction, ils ont mis un terme à ces recours et ont ainsi renoncé à ce que les juridictions nationales, lesquelles auraient été amenées à soumettre à la Cour la question de la validité du règlement définitif, statuent sur leurs demandes de remboursement des droits antidumping dont ils s'étaient acquittés.

57 En effet, il convient de rappeler, à cet égard, que, selon la jurisprudence, dans le cas où un particulier s'estime lésé par l'application d'un acte normatif communautaire qu'il considère comme illégal, il dispose de la possibilité, lorsque la mise en œuvre de l'acte est confiée aux autorités nationales, de contester, à l'occasion de cette mise en œuvre, la validité de l'acte devant une juridiction nationale dans le cadre d'un litige l'opposant à l'autorité nationale. Cette juridiction peut, ou même doit, dans les conditions de l'article 234 CE, saisir la Cour d'une question portant sur la validité de l'acte communautaire en cause (arrêt de la Cour du 12 avril 1984, Unifrex/Conseil et Commission, 281-82, Rec. p. 1969, point 11 ; arrêt Nölle/Conseil et Commission, point 31 supra, point 35, et ordonnance Sinara, point 31 supra, point 60).

58 Il est vrai que, aux termes de l'arrêt du 15 février 2001, Nachi Europe (C-239-99, Rec. p. I-1197, points 35 à 37), la Cour a jugé que le principe général qui assure au demandeur le droit, dans le cadre d'un recours formé selon le droit national contre le rejet de sa demande, d'exciper de l'illégalité d'un acte communautaire qui sert de fondement à la décision nationale prise à son égard ne s'opposait nullement à ce qu'un règlement devienne définitif pour un particulier, à l'égard duquel il devait être regardé comme une décision individuelle et dont il aurait pu sans aucun doute en demander l'annulation en vertu de l'article 230 CE, ce qui empêche ce particulier d'exciper devant la juridiction nationale de l'illégalité de ce règlement (voir, en ce qui concerne une décision de la Commission, arrêt de la Cour du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf, C-188-92, Rec. p. I-833, points 24 et 25). Selon la Cour, une telle conclusion s'applique aux règlements instituant des droits antidumping, en raison de leur double nature, laquelle résulte de ce que les règlements instituant un droit antidumping, bien qu'ils aient, par leur nature et leur portée, un caractère normatif, sont de nature à concerner directement et individuellement, notamment, celles des entreprises productrices et exportatrices qui peuvent démontrer qu'elles ont été identifiées dans les actes de la Commission ou du Conseil ou concernées par les enquêtes préparatoires (arrêt de la Cour du 21 février 1984, Allied Corporation e.a./Commission, 239-82 et 275-82, Rec. p. 1005, point 12), ou encore ceux des importateurs dont les prix de revente des marchandises en cause sont à la base de la construction du prix à l'exportation, en cas d'association entre l'exportateur et l'importateur (arrêt de la Cour du 11 juillet 1990, Neotype Techmashexport/Commission et Conseil, C-305-86 et C-160-87, Rec. p. I-2945, point 19, et ordonnance Sinara, point 31 supra, point 61).

59 Toutefois, force est de constater que, en l'espèce, il n'apparaît pas que les requérants soient visés par l'une de ces hypothèses. En effet, d'une part, ils ne sont aucunement identifiés dans le règlement n° 981-97 ni dans le règlement définitif comme des entreprises productrices et exportatrices et, en tant qu'entreprises importatrices, ils ne sauraient avoir été concernés par les enquêtes préparatoires à ce titre. D'autre part, il ne ressort pas de ces règlements que les prix de revente pratiqués par les requérants aient été à la base de la construction du prix à l'exportation, à supposer même qu'ils aient été associés à un exportateur.

60 Dès lors, sans même qu'il y ait lieu de déterminer si la circonstance que les requérants ne sont pas recevables à exciper de l'illégalité du règlement définitif justifierait qu'ils soient recevables à introduire le présent recours, il y a lieu de constater qu'ils ne sauraient être considérés comme directement et individuellement concernés par le règlement définitif, de sorte qu'ils n'auraient pas été considérés comme irrecevables à exciper de son illégalité dans le cadre d'un litige national par application de la jurisprudence issue de l'arrêt Nachi Europe, point 58 supra (points 35 à 37), et de l'ordonnance Sinara, point 31 supra (point 63).

61 Ainsi, de la même manière que le Tribunal a relevé dans l'ordonnance Sinara, point 31 supra (point 64), qu'il n'était pas à exclure que la juridiction nationale devant laquelle un recours était pendant procède à un renvoi préjudiciel, il ne pouvait aucunement être exclu que, en l'espèce, ayant des doutes quant à la validité du règlement définitif pour les motifs invoqués par les requérants, à savoir l'absence de prise en considération de l'incidence de l'entente dans le cadre de la procédure antidumping, la juridiction nationale aurait pu, si les requérants avaient maintenu leur recours devant les juridictions nationales, procéder à un renvoi préjudiciel en appréciation de la validité dudit règlement devant la Cour qui, le cas échéant, aurait déclaré ce dernier invalide.

62 Or, dans cette hypothèse, il convient de rappeler qu'un arrêt de la Cour constatant l'invalidité d'un texte communautaire impose à l'ensemble des juridictions des États membres de considérer cet acte comme invalide (arrêt de la Cour du 13 mai 1981, International Chemical Corporation, 66-80, Rec. p. 1191, points 12 et 13), et oblige l'auteur de l'acte invalidé à le modifier ou à l'abroger (arrêt de la Cour du 19 octobre 1977, Ruckdeschel e.a., 117-76 et 16-77, Rec. p. 1753). En outre, il appartient, en premier lieu, aux autorités nationales de tirer les conséquences, dans leur ordre juridique, de la déclaration d'une telle invalidité (arrêt de la Cour du 30 octobre 1975, Rey Soda, 23-75, Rec. p. 1279, point 51), ce qui aurait eu pour conséquence que les droits antidumping payés n'auraient plus légalement été dus et auraient dû, en principe, faire l'objet d'un remboursement par les autorités douanières (ordonnance Sinara, point 31 supra, point 65).

63 À cet égard, il convient donc de constater que le fait que les juridictions nationales n'ont pas eu l'opportunité de saisir la Cour afin d'apprécier la légalité du règlement définitif dans la mesure où les requérants ont mis un terme aux recours qu'ils avaient engagés au niveau national en concluant la transaction n'est toutefois pas de nature à conférer une compétence au Tribunal pour statuer sur leurs demandes d'indemnisation au titre des droits antidumping acquittés.

64 En troisième lieu, il convient de rejeter les arguments des requérants selon lesquels le Tribunal serait compétent, en l'espèce, au motif qu'ils ne disposaient pas de voies de recours nationales de nature à assurer une protection efficace de leurs droits lors de l'exécution du règlement définitif.

65 En effet, les requérants font valoir, premièrement, qu'ils n'ont pas pu demander devant les juridictions nationales le remboursement des droits antidumping sur le fondement de l'illégalité du règlement définitif au titre de l'article 236 du CDC en raison du comportement fautif du Conseil et de la Commission dans la mesure où, d'une part, ils n'avaient pas connaissance dudit comportement fautif lorsqu'ils ont exercé leurs voies de recours sur la base de l'article 243 du CDC et, d'autre part, qu'ils n'auraient pas pu exercer un recours sur la base de l'article 236 du CDC dans la mesure où ils n'ont eu connaissance de l'existence de l'entente que trois ans après que les recours ont été engagés.

66 Or, il y a lieu de relever que, en réponse aux questions du Tribunal posées lors de l'audience, les requérants ont expressément reconnu qu'ils auraient pu, conformément aux dispositions applicables du droit allemand et comme le soutient le Conseil par ailleurs, soulever l'illégalité du règlement définitif dans le cadre des recours qu'ils avaient engagés devant les autorités nationales allemandes, mais qu'ils n'ont soulevé cette question que dans le cadre de leurs négociations avec les autorités douanières allemandes ayant abouti à la transaction, seule la question du classement des importations étant importante à leurs yeux dans le cadre des recours exercés. À cet égard, force est en effet de relever, comme il ressort de leurs conclusions déposées le 29 août 2003 devant le Hauptzollamt Duisburg, fournies en annexe à la réplique, que les requérants n'ont pas critiqué l'illégalité du règlement définitif alors même que la décision sur l'entente avait été publiée le 6 juin 2003, soit plus de deux mois et demi avant le dépôt desdites conclusions. En outre, il peut être relevé que le fait que les requérants ont exercé leurs recours sur le fondement de l'article 243 du CDC et non sur celui de l'article 236 du CDC est sans influence dès lors que, en maintenant leurs recours, les requérants auraient pu, dans le cadre d'un renvoi préjudiciel à la Cour ordonné par les juridictions nationales, conformément à la jurisprudence citée au point 62 ci-dessus, demander à ce que la question de la légalité du règlement définitif soit examinée.

67 Partant, il y a lieu de constater que les requérants reconnaissent eux-mêmes qu'ils disposaient, en l'espèce, dans le cadre des recours nationaux qu'ils avaient engagés, d'une voie de recours efficace leur permettant de contester le paiement des droits antidumping en soulevant l'illégalité du règlement définitif, mais qu'ils y ont mis un terme en concluant la transaction.

68 Deuxièmement, l'argument des requérants selon lequel, en substance, ils n'auraient pas mis un terme de leur plein gré aux voies de recours nationales qu'ils avaient engagées est manifestement non fondé. Il convient d'abord de constater, à cet égard, que les requérants ne rapportent aucune preuve à l'appui de leur affirmation selon laquelle ils ont été soumis à une pression de la part des autorités communautaires ou russes afin de conclure la transaction ou encore que les pressions auxquelles ils auraient été soumis étaient telles qu'ils ont été contraints de conclure la transaction. En effet, les requérants ne fournissent à l'appui de leur affirmation que des courriers échangés entre les autorités russes, communautaires et allemandes qui traitent, en substance, de questions relatives au classement des importations de tubes et de tuyaux sans toutefois qu'il en ressorte que les requérants ont été contraints par lesdites autorités, de quelque manière que ce soit, de mettre un terme aux procédures nationales engagées. Ensuite, il y a lieu de relever que, en toute hypothèse, les requérants semblent se contredire à cet égard, dès lors qu'ils paraissent se prévaloir du fait qu'ils ont eux-mêmes cherché à conclure la transaction afin de minimiser leurs dommages. En effet, les requérants indiquent, notamment à cet égard, que " [Trubowest] est finalement parvenue à atténuer sa perte, avec la transaction, puisque, au lieu de devoir payer la totalité des sommes résultant des injonctions fiscales émises à la suite du non-paiement des droits, elle a accepté de payer un montant moins élevé, quoique encore substantiel ". Enfin, il y a lieu de constater que les requérants n'apportent aucune preuve que la procédure pénale menée à l'encontre de M. Makarov ne leur avait pas laissé d'autre choix que de conclure la transaction ou encore que ladite procédure pénale était manifestement abusive.

69 En quatrième lieu, il convient de rejeter l'argument des requérants selon lequel, dans la mesure où les dommages qu'ils ont subis trouvent leur origine dans le comportement fautif du Conseil et de la Commission, le juge communautaire bénéficie d'une compétence exclusive pour connaître du présent recours, sans qu'ils aient à satisfaire à l'exigence d'épuisement des voies de recours nationales.

70 Il est vrai que, selon une jurisprudence constante, les dispositions combinées des articles 235 CE et 288 CE donnent compétence exclusive au juge communautaire pour statuer sur les recours en indemnisation d'un dommage imputable aux Communautés (arrêt Vreugdenhil/Commission, point 31 supra, point 14, et arrêt du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481-93 et T-484-93, Rec. p. II-2941, point 72). Ce principe gouverne la répartition des compétences entre le juge national et le juge communautaire pour réparer les dommages subis par les particuliers du fait du comportement des autorités nationales et communautaires. Toutefois, il ne saurait dispenser le juge communautaire de vérifier la véritable nature du recours porté devant lui au seul motif que la faute alléguée serait imputable aux institutions communautaires (ordonnance Sinara, point 31 supra, point 79).

71 Or, en l'espèce, comme cela a été relevé au point 47 ci-dessus, il convient de rappeler que le recours des requérants vise à obtenir le remboursement des droits antidumping acquittés auprès des autorités douanières nationales. Ainsi, à supposer même que la faute alléguée par les requérants soit imputable à la Communauté, il n'en demeure pas moins que, conformément aux arrêts Vreugdenhil/Commission, point 31 supra (point 12), et Nölle/Conseil et Commission, point 31 supra (point 35), une telle demande relevait de la compétence des juridictions nationales, lesquelles avaient la faculté et même l'obligation, dans les conditions visées à l'article 234, troisième alinéa, CE, d'interroger la Cour à titre préjudiciel en vue d'obtenir une décision quant à la validité du règlement définitif.

72 Il résulte de tout ce qui précède que, dans la mesure où les demandes d'indemnisation des requérants doivent être considérées comme des demandes en remboursement des droits antidumping dont ils se sont acquittés, le Tribunal ne dispose pas de la compétence pour en connaître.

73 Il y a donc lieu de déclarer irrecevables ces demandes d'indemnisation, sans même qu'il soit nécessaire d'examiner si, comme le font valoir par ailleurs le Conseil et la Commission, lesdites demandes sont prescrites ou si elles constituent en réalité une voie détournée pour obtenir l'annulation du règlement définitif.

74 En outre, dans la mesure où le Tribunal n'est pas compétent pour connaître de ces demandes d'indemnisation, il convient de rejeter la demande des requérants que leur soient accordés des intérêts moratoires à ce titre.

III - Sur la recevabilité de la demande d'indemnisation au titre des frais d'avocat engagés au niveau national

A - Arguments des parties

75 Le Conseil et la Commission font valoir que, conformément à l'arrêt Nölle/Conseil et Commission, point 31 supra (points 35 à 37), les frais d'avocat engagés au niveau national par les requérants pour contester la perception des droits antidumping constituent des frais accessoires au litige principal, car ils se rapportent exclusivement à la procédure qui les a opposés aux autorités allemandes. Partant, ils estiment que le Tribunal n'est pas compétent pour statuer sur cette demande qui est accessoire à la demande d'indemnisation des droits antidumping acquittés.

76 Les requérants rétorquent que les frais d'avocat engagés au niveau national d'un montant total de 56 529 euro ne sont pas accessoires à leur demande d'indemnisation faite au titre de droits antidumping, mais que, à la différence des faits ayant donné lieu à l'ordonnance Sinara, point 31 supra, ils résultent des frais liés aux mesures d'imposition de droits et aux mesures restrictives de liberté. Par ailleurs, dans la mesure où ces frais seraient restés à leur charge en vertu de la transaction, ils constitueraient un préjudice dont la réparation pourrait être demandée.

B - Appréciation du Tribunal

77 Selon la jurisprudence, lorsque l'action en indemnité devant le juge communautaire peut se trouver, dans certains cas, subordonnée à l'épuisement préalable des voies de recours internes qui sont ouvertes pour contester la validité d'une décision communautaire, les litiges relevant de la compétence des juridictions nationales doivent être tranchés par celles-ci en application de leur droit national, dans la mesure où le droit communautaire n'a pas disposé de la matière, et que, à défaut de dispositions communautaires sur ce point, il appartient aux autorités nationales de régler toutes questions accessoires ayant trait au litige principal (arrêts Roquette Frères/Commission, point 54 supra, point 12, et Nölle/Conseil et Commission, point 31 supra, point 36).

78 Ainsi, il ressort de cette jurisprudence que la question du remboursement des dépens engagés dans le cadre d'une procédure nationale, qui est une question accessoire par rapport au litige principal, relève de la compétence exclusive du juge national, ce dernier devant, en l'absence de mesures d'harmonisation communautaires en ce domaine, trancher une telle question en application des dispositions du droit national applicable (voir, en ce sens, arrêt Nölle/Conseil et Commission, point 31 supra, point 37).

79 En l'espèce, il ressort clairement d'une annexe de la réplique que l'indemnisation demandée par les requérants correspond aux honoraires d'avocat engagés de septembre 2002 à septembre 2004 dans le cadre des procédures nationales opposant les requérants aux autorités douanières allemandes. À cet égard, il peut d'ailleurs être noté que les requérants reconnaissent dans leurs écritures que la somme demandée à titre d'indemnisation a été engagée en relation avec " le très long différend [avec les autorités douanières allemandes qui] concernait le classement des tuyaux et des tubes filetés et filetables " et qu'" il ne concernait pas la légalité du règlement [définitif] ".

80 Il y a ainsi lieu de constater que le remboursement des frais d'avocat demandé est accessoire au litige principal qui opposait les requérants aux autorités douanières allemandes. Or, comme cela a été constaté aux points 47 et 48 ci-dessus, le litige principal portait sur le remboursement des droits antidumping et relevait de la seule compétence des juridictions nationales, et non de celle des juridictions communautaires.

81 L'argument que les requérants soulèvent à cet égard selon lequel, en substance, le Tribunal est compétent pour les dédommager de ces frais dans la mesure où ils résultent directement et exclusivement des mesures restrictives prises à leur égard par les autorités douanières allemandes ne saurait prospérer. En effet, il suffit de constater, à cet égard, que le fait que ces frais d'avocat ont dû être engagés en raison des recours qu'ils ont entrepris afin de contester les mesures prises à leur égard par les autorités douanières allemandes ne modifie pas l'appréciation selon laquelle lesdits frais sont accessoires au litige principal et, partant, que seules les juridictions nationales avaient compétence pour en connaître. En outre, il convient de relever que, comme cela est indiqué dans la transaction, les requérants ont renoncé à demander le remboursement de leurs frais d'avocat tout en se réservant le droit de demander réparation à cet égard dans le cadre du présent recours. Or, le fait que les requérants ont, dans le cadre de la transaction, renoncé à demander le remboursement de ces sommes devant les juridictions nationales, n'est pas de nature à conférer au Tribunal une compétence en la matière, dont il ne dispose pas, conformément à ce qui été exposé au point 78 ci-dessus.

82 Partant, il y a lieu de déclarer irrecevable la demande d'indemnisation des requérants au titre des frais d'avocat engagés au niveau national et de rejeter leur demande d'intérêts moratoires à ce titre dès lors qu'aucune indemnisation ne saurait leur être octroyée.

Sur le fond

I - Observations liminaires

83 Il convient d'examiner le bien-fondé des demandes d'indemnisation des requérants au titre, d'une part, des préjudices matériels qui consisteraient en un manque à gagner pour Trubowest et en une perte de salaires pour M. Makarov respectivement évalués à 128 000 euro et à 63 448,54 euro et, d'autre part, du préjudice moral dont M. Makarov aurait souffert et que les requérants évaluent à 150 000 euro.

84 Ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de l'article 288, deuxième alinéa, CE, pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d'un ensemble de conditions, à savoir l'illégalité du comportement reproché à l'institution, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêts de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26-81, Rec. p. 3057, point 16, et du Tribunal du 14 décembre 2005, Beamglow/Parlement e.a., T-383-00, Rec. p. II-5459, point 95).

85 Dès lors que l'une des trois conditions d'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté n'est pas remplie, les prétentions indemnitaires doivent être rejetées, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si les deux autres conditions sont réunies (arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T-170-00, Rec. p. II-515, point 37 ; voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C-146-91, Rec. p. I-4199, point 81). Par ailleurs, le juge communautaire n'est pas tenu d'examiner ces conditions dans un ordre déterminé (arrêt de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C-257-98 P, Rec. p. I-5251, points 13 à 15).

86 À la lumière de ce qui précède, le Tribunal estime opportun d'examiner, d'emblée, la question de savoir si les requérants ont établi qu'il existait un lien de causalité entre le prétendu comportement fautif du Conseil et de la Commission et les préjudices matériels et le préjudice moral allégués par les requérants.

II - Sur le lien de causalité entre le comportement prétendument fautif du Conseil et de la Commission et les préjudices allégués

A - Arguments des parties

87 En premier lieu, les requérants soutiennent que les préjudices matériels et le préjudice moral qu'ils allèguent découlent directement de l'application du règlement définitif. À cet égard, ils estiment en effet que, si le Conseil et la Commission avaient pris en considération l'existence de l'entente dans le cadre de la procédure antidumping, l'issue de l'enquête antidumping aurait pu être différente et les droits antidumping n'auraient pas été imposés ou auraient été imposés d'une manière différente. Les requérants font valoir, en effet, que, en l'absence de comportement fautif des institutions, ils auraient continué à importer dans la Communauté leurs produits sans avoir à s'acquitter de droits antidumping et être soumis à des mesures restrictives, telles que la saisie de leurs comptes, l'emprisonnement de M. Makarov ou l'adoption d'avis de recouvrement a posteriori des droits antidumping.

88 Premièrement, à cet égard, les requérants soutiennent que le comportement fautif du Conseil et de la Commission est la cause directe de leur préjudice, dès lors que les autorités allemandes ne disposaient d'aucune marge d'appréciation dans l'application du règlement définitif.

89 Deuxièmement, les requérants soutiennent qu'il n'existe aucune preuve qu'ils ont opéré de manière délibérée un classement erroné de leurs importations et que la question du classement était vraiment difficile, comme le litige qu'ils ont eu avec les autorités douanières allemandes le montrerait.

90 De plus, ils font valoir que, contrairement à ce qu'affirment le Conseil et la Commission, le lien de causalité entre leur comportement fautif et les préjudices allégués n'a pas été rompu en raison de leur propre comportement. À cet égard, les requérants font valoir que, s'ils avaient eu des doutes sur le classement de leurs importations, ils auraient demandé un renseignement tarifaire contraignant. Or, les requérants prétendent qu'ils n'avaient aucune raison de douter de leur classement des importations, compte tenu des contrôles externes et des avis d'experts indépendants qu'ils avaient reçus confirmant la justesse de leur classement des importations qu'ils réalisaient. À cet égard, ils soulignent, d'abord, que le Hauptzollamt Köln-West (bureau principal des douanes de Cologne-Ouest) a procédé à un contrôle des importations faites par Truboimpex sans qu'aucune objection soit soulevée à cet égard. Ensuite, ils joignent une déclaration du fondé de pouvoir de Truboimpex qui attesterait qu'un agent des douanes a confirmé aux requérants que Truboimpex avait correctement classé ses importations. En outre, un avis d'expert de l'Oberfinanzdirektion Cottbus (direction régionale des finances de Cottbus), daté du 5 août 1998, aurait confirmé que Truboimpex avait correctement classé ses importations. Par ailleurs, une expertise indépendante de l'organisation mondiale des douanes, en date de mars 2001, aurait conclu que le classement de leurs importations était correct.

91 Enfin, les requérants font observer que le litige sur le classement est indépendant de la légalité du règlement définitif. Ils estiment, en effet, que, contrairement à ce qu'affirment le Conseil et la Commission, le lien de causalité ne saurait être rompu par l'incertitude laissée par la transaction sur la question de savoir si les importations tombaient dans le champ d'application du règlement définitif, car ce n'est pas délibérément que cette question n'a pas été tranchée. Ils font remarquer, à cet égard, que la Commission a dû accepter la transaction, car les autorités allemandes n'auraient jamais consenti à transiger autrement. Ils rappellent également que la transaction prévoit que celle-ci est conclue sans préjudice du présent recours.

92 En deuxième lieu, les requérants font valoir que leurs préjudices sont d'ordre matériel et moral.

93 Premièrement, concernant les préjudices matériels, les requérants font valoir que Trubowest a enregistré un manque à gagner de 128 000 euro, correspondant aux bénéfices, qui auraient été réalisés à compter du 27 octobre 1999 jusqu'au jour du dépôt de la requête, que Trubowest n'aurait pas subi si elle n'avait pas dû cesser ses activités en raison de l'imposition des droits antidumping prévus par le règlement définitif. Toutefois, compte tenu de la difficulté d'évaluer un tel préjudice, les requérants demandent au Tribunal, à titre subsidiaire, de statuer sur la question du préjudice dans un arrêt interlocutoire et de laisser aux parties le soin d'évaluer l'étendue exacte du préjudice.

94 De plus, les requérants font valoir que M. Makarov a enregistré un manque à gagner d'un montant de 63 448,54 euro du fait qu'il n'a pas reçu de salaires en tant que gérant de Trubowest, à compter du 27 octobre 1999 jusqu'au jour du dépôt de la requête, car Trubowest a dû cesser ses activités à la suite des mesures prises par les autorités allemandes à son égard en raison du non-paiement des droits antidumping.

95 Deuxièmement, les requérants font valoir que M. Makarov a subi un préjudice moral à trois égards pour lesquels il est en droit d'obtenir une indemnisation tant au regard des dispositions du droit allemand que du droit communautaire et qu'ils évaluent à 150 000 euro. Tout d'abord, les requérants estiment que M. Makarov a subi un préjudice moral en raison des mesures restrictives de liberté dont il a fait l'objet. Ensuite, ils font valoir que M. Makarov a subi une atteinte à son bien-être physique et mental du fait qu'il a été soumis à un stress psychologique énorme résultant des mesures restrictives de liberté dont il a fait l'objet et des procédures fiscales et pénales auxquelles il a dû faire face. Enfin, les requérants soutiennent que M. Makarov a subi une atteinte à sa réputation d'hommes d'affaires performant, honorable et respecté tant dans la presse que dans le milieu professionnel dans lequel il évoluait aussi bien en raison des mesures restrictives de liberté prises à son égard que des procédures pénales et fiscales dont il a fait l'objet.

96 En troisième lieu, les requérants considèrent que l'argument du Conseil selon lequel le lien de causalité n'est pas suffisamment direct dans la mesure où les préjudices subis se seraient également produits en cas de comportement légal de la part des institutions est inopérant dès lors qu'il serait établi, conformément à l'arrêt Fresh Marine/Commission, point 45 supra, qu'il existe un lien suffisamment direct entre le comportement fautif du Conseil et de la Commission et les préjudices allégués.

97 Le Conseil et la Commission rétorquent, en substance, qu'il n'existe pas de lien de causalité suffisamment direct entre leur prétendu comportement fautif et les préjudices allégués, car celui-ci a été rompu du fait du comportement même des requérants ou de celui des autorités nationales.

B - Appréciation du Tribunal

98 Les requérants soutiennent, en substance, qu'il existe un lien direct entre le comportement fautif du Conseil et de la Commission et les préjudices matériels et le préjudice moral qu'ils ont subis. En effet, ils considèrent que, si l'existence de l'entente avait été prise en considération dans le cadre de la procédure d'adoption du règlement définitif, le règlement définitif n'aurait pas été adopté ou aurait été adopté de manière différente. Partant, d'une part, ils estiment qu'ils n'auraient subi aucun préjudice matériel dans la mesure où Trubowest n'aurait pas été contrainte de cesser ses activités et où M. Makarov aurait alors continué à percevoir le salaire versé par Trubowest. D'autre part, ils considèrent que M. Makarov n'aurait souffert d'aucun préjudice moral, car aucune mesure restrictive de liberté n'aurait été prise à son égard et il n'aurait alors souffert d'aucune atteinte à son bien-être physique et mental ainsi qu'à sa réputation.

99 Selon la jurisprudence, le préjudice allégué doit découler de façon suffisamment directe du comportement reproché, ce dernier devant constituer la cause déterminante du préjudice, alors qu'il n'y a pas d'obligation de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, d'une situation illégale (arrêts de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier frères e.a./Conseil, 64-76, 113-76, 167-78, 239-78, 27-79, 28-79 et 45-79, Rec. p. 3091, point 21, et du Tribunal du 10 mai 2006, Galileo International Technology e.a./Commission, T-279-03, Rec. p. II-1291, point 130, et la jurisprudence citée).

100 De plus, lors de l'examen du lien de causalité devant exister entre le comportement reproché à l'institution communautaire et le préjudice allégué par la personne lésée, il y a lieu de vérifier si cette dernière, au risque de devoir supporter le dommage elle-même, avait fait preuve, en justiciable averti, d'une diligence raisonnable pour éviter le préjudice ou en limiter la portée (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 4 février 1975, Compagnie Continentale France/Conseil, 169-73, Rec. p. 117, points 22 et 23 ; Mulder e.a./Conseil et Commission, point 35 supra, point 33, et arrêt Fresh Marine/Commission, point 45 supra, point 121).

101 Par conséquent, même si le comportement incriminé de l'institution communautaire a contribué à la réalisation du préjudice allégué, ce lien de causalité peut être rompu par un comportement négligent de la personne lésée, dès lors que ce dernier s'avère constituer la cause déterminante du préjudice.

102 En outre, la Cour a considéré que, dans l'hypothèse où le préjudice allégué trouvait son origine immédiate dans des mesures prises par les autorités nationales, la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée lorsque ce n'était pas la prise de position de la Commission, mais seulement la décision de l'organisme national l'entérinant qui pouvait être considéré comme faisant grief à la requérante (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 27 mars 1980, Sucrimex et Westzucker/Commission, 133-79, Rec. p. 1299, point 23).

103 Enfin, il appartient à la partie requérante d'apporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le comportement reproché et le préjudice invoqué (voir arrêt du Tribunal du 30 septembre 1998, Coldiretti e.a./Conseil et Commission, T-149-96, Rec. p. II-3841, point 101, et la jurisprudence citée).

104 À titre liminaire, il y a lieu de relever, d'une part, que les requérants affirment que, comme cela ressort du préambule de la transaction et de l'ordonnance du Landgericht Kleve du 2 mai 2005, la question de savoir s'ils ont classé leurs importations de manière erronée et de manière délibérée ou non n'a pas été tranchée par les autorités et les juridictions nationales et, d'autre part, que cette question n'est pas pertinente dans le cadre du présent litige.

105 De plus, les requérants développent une argumentation contradictoire quant à la question de savoir si les autorités douanières leur ont, à tort ou non, imposé des droits antidumping en application du règlement définitif eu égard à la nature de leurs importations. En effet, à plusieurs reprises, les requérants soutiennent dans leurs écritures que " [d]'après les faits et les éléments de preuve disponibles, il ne semble pas que les autorités allemandes aient jamais commis une erreur dans le classement des tuyaux [importés]" ou encore que " les autorités allemandes ont fait une application correcte du règlement [définitif] ", et, partant, que leurs importations tombaient dans le champ d'application du règlement définitif. Toutefois, ils soutiennent également dans leurs écritures que leurs importations n'auraient pas dû être soumises à des droits antidumping, ou encore que, si les autorités douanières allemandes considéraient que leurs importations " auraient dû être classées comme des tuyaux non filetés et non filetables ", ils estiment en revanche que leurs importations " devaient être classées comme filetés et/ou filetables ".

106 Il ressort, en outre, des pièces fournies par les requérants qu'ils ont fait valoir devant les autorités nationales allemandes que ces dernières avaient commis une erreur dans le classement de leurs importations. Par ailleurs, les requérants reconnaissent que " [l]a question du classement, comme les faits le démontrent, était vraiment difficile ", mais que, compte tenu des avis d'experts qu'ils avaient reçus préalablement à l'importation de leurs marchandises, " les requérants avaient déjà la preuve que leur classement [des importations qu'ils réalisaient] était correct ".

107 À la lumière de ce qui précède, le Tribunal estime opportun d'examiner s'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre le prétendu comportement fautif du Conseil et de la Commission et les préjudices allégués aussi bien dans l'hypothèse où le règlement définitif ne couvrait pas leurs importations que dans l'hypothèse contraire.

108 En premier lieu, à supposer que le règlement définitif ne couvrait pas les importations des requérants et que ces derniers n'auraient donc pas commis d'erreur dans le classement de leurs importations, il y aurait alors lieu de constater que les préjudices allégués par les requérants ne sont imputables qu'aux seules autorités douanières allemandes dans la mesure où celles-ci auraient soumis lesdites importations à des droits antidumping alors même qu'elles ne tombaient pas dans le champ d'application du règlement définitif.

109 En effet, dans la mesure où les requérants demandent une indemnisation au titre, d'une part, des préjudices matériels résultant du fait que Trubowest aurait été conduit à cesser son activité en raison de l'imposition a posteriori de droits antidumping prévus par le règlement définitif et que M. Makarov n'aurait plus reçu de salaires dans ces conditions et, d'autre part, du préjudice moral que M. Makarov aurait subi en raison des mesures prises par les autorités douanières à son égard en raison du fait que les requérants ne s'étaient pas acquittés desdits droits, il conviendrait alors de constater que les préjudices allégués résulteraient directement non du prétendu comportement fautif du Conseil et de la Commission commis dans le cadre de l'adoption du règlement définitif, mais du fait que les autorités douanières allemandes auraient, à tort, considéré que les requérants étaient redevables des droits antidumping en application du règlement définitif et que les mesures qui ont été prises tant par les autorités douanières que par les autorités pénales à l'encontre des requérants étaient injustifiées.

110 Partant, dans une telle hypothèse, il y aurait lieu de conclure que la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée dans la mesure où les préjudices allégués seraient exclusivement imputables aux autorités douanières et pénales allemandes et non au comportement prétendument fautif du Conseil et de la Commission.

111 Les arguments soulevés par les requérants à cet égard ne sauraient prospérer.

112 Tout d'abord, concernant l'argument des requérants selon lequel la question de savoir si leurs importations tombaient dans le champ d'application du règlement définitif n'est pas pertinente dans le cadre de la présente procédure, dès lors que, en l'absence d'un comportement fautif du Conseil et de la Commission, il ne saurait être exclu que le règlement définitif n'aurait pas été adopté ou aurait été différent, il convient de relever que les requérants font, en réalité, valoir une conception du lien de causalité différente de celle prévalant en droit communautaire. Un tel argument repose, en effet, sur la conception selon laquelle il suffirait, pour que ce lien existe, de constater que, comme les requérants le prétendent, " [s]i la Commission et le Conseil avaient agi régulièrement, il n'y aurait pas eu de préjudice " ou encore que " [e]n l'absence de l'acte illégal, l'issue des événements aurait été différente ".

113 Or, une conception aussi large du lien de causalité ne correspond pas à celle dégagée par la jurisprudence citée aux points 99 et 102 ci-dessus qui exclut, en particulier, que la responsabilité de la Communauté puisse être engagée pour les dommages qui trouvent leur cause directe dans le comportement prétendument fautif d'un tiers, à savoir en l'espèce l'erreur éventuelle, d'une part, des autorités douanières allemandes consistant à appliquer les droits antidumping aux importations des requérants et, d'autre part, des autorités pénales allemandes consistant à imposer des mesures restrictives de liberté à M. Makarov, mais qui ne sont que la conséquence éloignée du prétendu comportement fautif du Conseil et de la Commission.

114 S'agissant ensuite de l'argument des requérants selon lequel l'erreur des autorités douanières allemandes engage la responsabilité de la Communauté dans la mesure où celles-ci ne disposaient d'aucune marge d'appréciation dans le cadre de l'application du règlement définitif et qu'ils n'auraient pas obtenu une indemnisation adéquate devant les juridictions nationales, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la question de la réparation par un organisme national des dommages causés aux personnes privées par les organismes et les agents des États membres soit du fait d'une violation du droit communautaire, soit par une action ou une omission contraire au droit national à l'occasion de l'application du droit communautaire, ne relève pas de l'article 288 CE et doit être appréciée par les juridictions nationales en fonction du droit national de l'État membre concerné (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Granaria, 101-78, Rec. p. 623). En l'espèce, il convient donc de relever que le Tribunal ne saurait être compétent, et la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée, en raison des conséquences de l'erreur éventuelle que les autorités douanières allemandes auraient commise en considérant que les importations de Trubowest tombaient dans le champ d'application du règlement définitif.

115 Concernant, enfin, l'argument soulevé par les requérants lors de l'audience, en réponse aux questions du Tribunal, selon lequel, en substance, les autorités nationales ne sont pas seules responsables d'une erreur dans le classement de leurs importations dans la mesure où la Commission avait connaissance du litige impliquant les requérants et que le Conseil aurait pu préciser le champ d'application du règlement définitif, celui-ci est non fondé. En effet, comme cela ressort de la jurisprudence citée au point 44 ci-dessus, les litiges relatifs à la perception des droits antidumping pour le compte de la Communauté relèvent de la compétence des juridictions nationales et doivent être tranchés dans le cadre des procédures de recours mises en place par l'État concerné en conformité avec les principes posés aux articles 243 à 246 du CDC. Partant, le fait que le Conseil et la Commission ont eu connaissance de l'existence du litige concernant le recouvrement des droits antidumping imposés aux requérants est sans influence sur la conclusion que les requérants ne pouvaient demander une indemnisation au titre de l'éventuelle erreur dans le classement que les autorités douanières auraient commise que devant les juridictions nationales.

116 En second lieu, à supposer que le règlement définitif couvrait les importations des requérants et que ces derniers n'auraient pas, par conséquent, correctement classé leurs importations, il y aurait alors lieu de constater que c'est leur propre comportement qui serait la cause déterminante des préjudices qu'ils allèguent, et non le prétendu comportement fautif du Conseil et de la Commission. En effet, si les requérants avaient correctement classé leurs importations et s'ils s'étaient acquittés des droits antidumping prévus par le règlement définitif dès le début de leurs importations, d'une part, les comptes de Trubowest n'auraient pas été saisis et cette société n'aurait pas eu à faire face au paiement a posteriori d'un montant cumulé de droits antidumping tel qu'elle aurait été dans l'incapacité de poursuivre toute activité commerciale. D'autre part, M. Makarov n'aurait fait l'objet ni de mesures coercitives ni de poursuites de la part des autorités nationales allemandes qui, comme les requérants le prétendent, auraient porté atteinte à son bien-être physique et mental ainsi qu'à sa réputation.

117 Partant, en telle hypothèse, il y aurait lieu de conclure que la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée.

118 Les arguments des requérants à cet égard ne sauraient modifier cette conclusion.

119 Premièrement, il convient de relever que l'argument selon lequel il n'existe pas de preuves que les requérants ont délibérément procédé à un classement erroné de leurs importations afin de se soustraire au paiement des droits antidumping est inopérant dès lors que la cause déterminante de leur préjudice découlerait de leur propre comportement, qu'il ait été délibéré ou non.

120 Deuxièmement, l'argument des requérants selon lequel le lien de causalité entre le prétendu comportement fautif du Conseil et de la Commission et leurs préjudices n'aurait pas été rompu en raison de leur propre comportement dès lors qu'ils n'avaient aucune raison de se douter que le classement des importations qu'ils avaient réalisé était erroné doit être écarté.

121 En effet, quand bien même le Conseil et la Commission auraient eu un comportement fautif dans le cadre de l'adoption du règlement définitif consistant à ne pas prendre en considération l'existence de l'entente, ce prétendu comportement fautif ne saurait être regardé comme la cause déterminante des préjudices allégués des requérants qui résulteraient alors des mesures douanières et pénales que les autorités allemandes ont prises afin de faire appliquer le règlement définitif et qui auraient alors été disproportionnées, compte tenu de la diligence dont les requérants auraient fait preuve, et qui seraient à l'origine de leur préjudice matériel et moral. En effet, dans l'hypothèse où les requérants n'auraient pas dû être soupçonnés d'avoir délibérément cherché à échapper au paiement de leurs droits antidumping, ils n'auraient pas dû alors faire l'objet de mesures douanières et pénales coercitives ayant entraîné les dommages pour lesquels ils demandent une indemnisation.

122 Le Tribunal constate que, dans cette dernière hypothèse, à supposer même que le prétendu comportement fautif du Conseil et de la Commission puisse être considéré comme ayant contribué à la réalisation des dommages allégués, il y aurait lieu, en tout état de cause, de constater que ce lien de causalité a été rompu par le comportement des requérants qui n'ont pas fait preuve, eu égard aux circonstances de l'espèce, d'une diligence raisonnable pour éviter lesdits dommages, conformément à la jurisprudence citée au point 100 ci-dessus.

123 À cet égard, il convient d'abord de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dès lors qu'il a lui-même des doutes sur l'exactitude du classement tarifaire des marchandises en question, l'opérateur économique doit s'informer et chercher tous les éclaircissements possibles pour vérifier si ses doutes sont ou non justifiés (arrêts de la Cour du 26 juin 1990, Deutsche Fernsprecher, C-64-89, Rec. p. I-2535, point 22 ; du 1er avril 1993, Hewlett Packard France, C-250-91, Rec. p. I-1819, point 24, et du 13 mars 2003, Pays-Bas/Commission, C-156-00, Rec. p. I-2527, point 99).

124 Or, il convient de relever que le CDC prévoit une procédure spécifique permettant à un importateur de s'assurer de l'exactitude du classement tarifaire de ses importations et de lui conférer ainsi une sécurité juridique quant à l'exactitude dudit classement. En effet, l'article 12, paragraphe 1, du CDC dispose que " [l]es autorités douanières délivrent sur demande écrite et selon des modalités déterminées selon la procédure du comité, des renseignements tarifaires contraignants ". L'article 12, paragraphe 2, du CDC prévoit, en outre, que " [l]e renseignement tarifaire contraignant ne lie les autorités douanières vis-à-vis du titulaire que pour le classement tarifaire d'une marchandise " et que " [l]e renseignement tarifaire contraignant ne lie les autorités douanières qu'à l'égard des marchandises pour lesquelles les formalités sont accomplies postérieurement à la date de sa délivrance par lesdites autorités ". Enfin, il est prévu à l'article 12, paragraphe 3, du CDC que " [l]e titulaire doit prouver qu'il y a correspondance à tous égards entre la marchandise déclarée et celle décrite dans le renseignement ".

125 En l'espèce, il convient de constater, premièrement, qu'il n'est pas contesté que M. Makarov, dont les requérants précisent dans leurs écritures, qu'il avait été, à compter de 1982, le directeur d'une société active dans l'importation en Allemagne de tubes et tuyaux sans soudure originaires de Russie, était un opérateur économique expérimenté et avisé dans ce domaine.

126 Deuxièmement, il y a lieu de relever que la prétention des requérants selon laquelle ils n'avaient aucune raison de se douter, avant de débuter leurs importations, que celles-ci pouvaient tomber dans le champ d'application du règlement définitif est non fondée. En effet, force est d'abord de constater que cette prétention des requérants est en contradiction avec leur affirmation selon laquelle " [l]a question du classement était peu claire et difficile ".

127 En outre, il ressort des documents fournis par les requérants que le classement des importations de Truboimpex, dont une partie à tout le moins avait été classée sous le même Code que celles de Trubowest, avait suscité des doutes quant à leur exactitude à compter de 1997 au plus tard. En effet, il ressort d'abord d'une annexe de la réplique que Truboimpex a présenté auprès de la Commission, notamment en son nom, le 27 juin 1997, un engagement de prix concernant ses importations de certains tubes et tuyaux dans le cadre de la procédure antidumping. Ensuite, il ressort d'une autre annexe de la réplique que le fondé de pouvoir de Truboimpex, qui est devenu, par la suite, celui de Trubowest, a, selon les requérants, demandé à un agent des douanes en 1996 ou en 1997, de " clarifier " le fait de savoir si les importations de Truboimpex, qui avaient été classées sous le même Code que celles de Trubowest, ne rentraient pas dans le champ d'application du règlement définitif. Enfin, il découle de l'avis non contraignant, daté du 13 août 1998, rendu par l'Oberfinanzdirektion Cottbus, à propos des importations de tuyaux de Truboimpex que M. Makarov avait eu des doutes quant au classement des importations de Truboimpex qui avaient été classées sous le même Code que celles de Trubowest.

128 Troisièmement, compte tenu des doutes de M. Makarov quant à l'exactitude du classement des importations de Truboimpex, qui correspondaient, à tout le moins en partie, aux importations de Trubowest, il y a lieu de constater que les requérants ont manqué à leur obligation de rechercher, préalablement ou concomitamment à la période pendant laquelle Trubowest procédait à des importations de janvier 1999 à octobre 1999, tous les éclaircissements possibles pour vérifier si leurs doutes étaient ou non fondés, faute d'avoir demandé un renseignement tarifaire contraignant au titre de l'article 12 du CDC. Or, seul un renseignement tarifaire contraignant leur permettait de s'assurer de la justesse du classement des importations de Trubowest et, de ce fait, d'éviter les éventuelles conséquences douanières ou pénales prévisibles en cas de classement erroné, ce qu'un opérateur expérimenté et avisé, tel que M. Makarov, ne pouvait ignorer.

129 Les arguments des requérants selon lesquels ils n'avaient aucune raison de douter de la justesse du classement de leurs importations sur la base des informations dont ils disposaient ne sauraient prospérer.

130 À cet égard, il y a d'abord lieu de constater que les requérants se contredisent en arguant, d'une part, que " [l]es requérants auraient demandé [un renseignement tarifaire contraignant] sur les droits de douane s'ils n'avaient pas été sûrs que leur classement des tuyaux était exact, en tant que tuyaux non sujets à des droits antidumping ", et, d'autre part, qu'ils ont demandé divers avis non contraignants quant à savoir si le classement des importations de Truboimpex était exact.

131 Ensuite, il y a lieu de constater que, afin d'établir qu'ils ont agi de manière diligente afin de rechercher si le classement de leurs importations était exact, les requérants ne peuvent se prévaloir d'un avis rendu par les douanes russes le 2 novembre 1999, soit après que Trubowest a cessé ses importations, par une autorité qui est, au surplus, incompétente pour se prononcer sur la justesse du classement, au regard du droit communautaire, de leurs importations. Pour les mêmes raisons, les requérants ne peuvent se prévaloir d'un éventuel avis rendu, en mars 2001, par l'organisation mondiale des douanes qui estimerait que leur classement est correct et dont il est fait état dans un courrier adressé par la représentation permanente de la Fédération de Russie auprès de l'Union européenne.

132 En outre, il convient de relever qu'aucun des autres avis sur la base desquels les requérants soutiennent s'être appuyés pour considérer qu'il n'existait aucun doute que leur classement était correct n'était contraignant et ne saurait être considéré comme offrant tous les éclaircissements nécessaires compte tenu des doutes qu'ils avaient. D'abord, il convient de relever que le rapport d'enquête rendu par le Hauptzollamt Köln-West, du 20 février 1998, n'indique pas, comme semblent le faire valoir les requérants dans la réplique, que les autorités douanières ont considéré que le classement des importations de Truboimpex était correct, dès lors que cette enquête visait à contrôler le niveau des coûts déclarés de transport et n'avait aucun effet contraignant. Ensuite, il y a lieu de relever que, si l'avis rendu par l'Oberfinanzdirektion Cottbus le 5 août 1998 et la déclaration du fondé de pouvoir de Truboimpex selon laquelle un agent des douanes leur aurait confirmé que le classement des importations de Truboimpex était correct constituaient des indices de nature à éclairer les requérants sur la justesse dudit classement, de tels avis n'offraient toutefois pas, compte tenu des conséquences prévisibles qu'une erreur de classement pouvait avoir, la sécurité juridique qu'un opérateur expérimenté et avisé, tel que M. Makarov, aurait dû rechercher avant que Trubowest ne débute ses activités commerciales.

133 Il y a donc lieu de constater que, à supposer même qu'il soit considéré que le prétendu comportement fautif du Conseil et de la Commission ait contribué à la réalisation des dommages allégués, le lien de causalité entre ce prétendu comportement fautif et les préjudices allégués a été rompu par le comportement des requérants qui n'ont pas fait preuve, eu égard aux circonstances de l'espèce, d'une diligence raisonnable pour éviter lesdits dommages.

134 Partant, il y a lieu de relever que, en toute hypothèse, à savoir que les importations de Trubowest tombent ou non dans le champ d'application du règlement définitif ou que les requérants aient ou non commis une erreur de classement, le lien de causalité existant entre le prétendu comportement fautif reproché au Conseil et à la Commission et les préjudices allégués ne saurait être qualifié de suffisamment direct.

135 Pour les raisons mentionnées ci-dessus, les demandes d'indemnisation des requérants en raison des préjudices matériels et du préjudice moral allégués doivent être rejetées comme non fondées. Les conditions pour engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté étant cumulatives, il n'y a pas lieu d'examiner si les autres conditions posées par la jurisprudence sont remplies.

136 En outre, dès lors qu'aucune indemnisation au titre des préjudices allégués ne saurait être accordée aux requérants, il y a également lieu de rejeter leurs demandes que des intérêts moratoires leur soient octroyés à cet égard.

137 Il découle de tout ce qui précède que le présent recours doit être rejeté, en partie comme irrecevable, et en partie comme non fondé.

Sur les mesures d'organisation de la procédure

138 Les requérants demandent au Tribunal, au titre de mesures d'organisation de la procédure que, dans l'hypothèse où il estimerait que la question du classement des importations de Trubowest serait pertinente, il soit ordonné à la Commission de produire, d'une part, les éléments de preuve de la contribution de cette dernière aux négociations liées au litige sur le classement ayant abouti à la transaction et, d'autre part, toute la correspondance qu'elle a échangée avec les autorités douanières et le gouvernement russe.

139 À cet égard, il y a lieu de constater que, eu égard à la question de la recevabilité du présent recours au titre des demandes d'indemnisation des droits antidumping et des frais d'avocat engagés au niveau national, la mesure d'organisation sollicitée ne saurait modifier la conclusion, exposée aux points 48 et 80 ci-dessus, selon laquelle le Tribunal n'est pas compétent pour statuer sur de telles demandes d'indemnisation.

140 Par ailleurs, il y a lieu de relever que la question de savoir si la Commission a participé ou non aux négociations ayant abouti à la conclusion de la transaction est sans influence sur la conclusion, exposée au point 134 ci-dessus, selon laquelle il n'existe pas, en toute hypothèse, de lien de causalité suffisamment direct entre le prétendu comportement fautif du Conseil et de la Commission et les préjudices matériels et le préjudice moral allégués par les requérants pour engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

141 Partant, le Tribunal estime qu'il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande.

Sur les dépens

142 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil et de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) Trubowest Handel GmbH et Victor Makarov sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, les dépens exposés par le Conseil et la Commission.