Livv
Décisions

TPICE, 3e ch., 8 juillet 2008, n° T-54/03

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lafarge (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Conseil de l'Union européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jaeger

Juges :

Mme Tiili, M. Czúcz

Avocats :

Mes Lesguillons, Bermond, Jalabert-Doury, Winckler, Brunet, Simic, Jalabert-Doury, Winckler, Brunet

TPICE n° T-54/03

8 juillet 2008

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

Faits à l'origine du litige

1 La requérante, Lafarge SA, est une entreprise française active au niveau mondial dans le secteur des matériaux de construction. Elle détient 99,99 % du capital de Lafarge Gypsum International SA (ci-après " Lafarge Plâtres "), qui produit et commercialise différents produits issus du plâtre, dont des plaques en plâtre.

2 Quatre producteurs principaux sont actifs dans le domaine des plaques en plâtre en Europe : BPB plc, Gebrüder Knauf Westdeutsche Gipswerke KG (ci-après " Knauf "), Gyproc Benelux NV (ci-après " Gyproc ") et Lafarge Plâtres.

3 À la suite des informations dont elle a eu connaissance, la Commission a procédé le 25 novembre 1998 à des vérifications inopinées auprès de huit entreprises actives dans le domaine des plaques en plâtre, dont Lafarge Plâtres à l'Isle-sur-la-Sorgue (France) et Lafarge à Paris (France). Le 1er juillet 1999, elle a poursuivi ses investigations auprès de deux autres entreprises.

4 La Commission a ensuite adressé des demandes de renseignements, au titre de l'article 11 du règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), aux différentes entreprises concernées, dont Lafarge le 21 septembre 1999. Cette dernière y a répondu le 29 octobre 1999.

5 Le 18 avril 2001, la Commission a engagé la procédure administrative et a adopté une communication des griefs à l'encontre des entreprises BPB, Knauf, Lafarge, Etex SA et Gyproc. Lafarge en a eu copie le 20 avril 2001. Elle a également eu accès au dossier d'instruction de la Commission sous la forme d'une copie sur CD-ROM qui lui a été envoyée le 17 mai 2001. Lafarge Plâtres a adressé à la Commission sa réponse à la communication des griefs le 9 juillet 2001. Des auditions ont eu lieu le 17 juillet 2001.

6 Lafarge a ensuite reçu communication d'un paragraphe de la réponse à la communication des griefs de BPB en date du 12 juin 2002, sur lequel elle s'est exprimée le 25 juin 2002.

7 Le 2 août 2002, la Commission lui a adressé une deuxième demande de renseignements. Lafarge y a répondu le 26 août 2002.

8 Le 27 novembre 2002, la Commission a adopté la décision 2005-471-CE, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] à l'encontre de BPB, Knauf, Lafarge et Gyproc (Affaire COMP/E-1/37.152 - Plaques en plâtre) (JO 2005, L 166, p. 8, ci-après la " décision attaquée ").

9 Le dispositif de la décision attaquée énonce :

" Article premier

BPB [...], le groupe Knauf, [...] Lafarge [...] et Gyproc [...] ont enfreint l'article 81, paragraphe 1, [CE] en participant à un ensemble d'accords et de pratiques concertées dans le secteur des plaques en plâtre.

L'infraction a eu la durée suivante :

a) BPB [...] : du 31 mars 1992, au plus tard, au 25 novembre 1998

b) [le groupe] Knauf : du 31 mars 1992, au plus tard, au 25 novembre 1998

c) [...] Lafarge [...] : du 31 août 1992, au plus tard, au 25 novembre 1998

d) Gyproc [...] : du 6 juin 1996, au plus tard, au 25 novembre 1998

[...]

Article 3

Pour l'infraction visée à l'article 1er, les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes :

a) BPB [...] : 138,6 millions d'euro

b) [...] Knauf [...] : 85,8 millions d'euro

c) [...] Lafarge [...] : 249,6 millions d'euro

d) Gyproc [...] : 4,32 millions d'euro

[...] "

10 La Commission considère, dans la décision attaquée, que les entreprises en cause ont participé à une infraction unique et continue qui s'est manifestée par les comportements suivants, constitutifs d'accords ou de pratiques concertées :

- les représentants de BPB et de Knauf se sont rencontrés à Londres (Royaume-Uni) en 1992 et ont exprimé la volonté commune de stabiliser les marchés des plaques en plâtre en Allemagne, au Royaume-Uni, en France et au Benelux ;

- les représentants de BPB et de Knauf ont mis en place, à partir de 1992, des systèmes d'échange d'informations, auxquels Lafarge puis Gyproc ont adhéré, portant sur leurs volumes de ventes sur les marchés allemand, du Royaume-Uni, français et du Benelux ;

- les représentants de BPB, de Knauf et de Lafarge se sont, à diverses reprises, informés réciproquement à l'avance des hausses de prix sur le marché du Royaume-Uni ;

- faisant face à des développements particuliers sur le marché allemand, les représentants de BPB, de Knauf, de Lafarge et de Gyproc se sont rencontrés à Versailles (France) en 1996, à Bruxelles (Belgique) en 1997 et à La Haye (Pays-Bas) en 1998, en vue de se répartir ou, tout au moins, de stabiliser le marché allemand ;

- les représentants de BPB, de Knauf, de Lafarge et de Gyproc se sont informés réciproquement à diverses reprises et se sont concertés sur l'application de hausses des prix sur le marché allemand entre 1996 et 1998.

11 Aux fins du calcul du montant de l'amende, la Commission a fait application de la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les " lignes directrices ").

12 Pour la fixation du montant de départ des amendes, déterminé en fonction de la gravité de l'infraction, la Commission a tout d'abord considéré que les entreprises concernées avaient commis une infraction très grave par sa nature même, les pratiques en cause ayant eu pour objet de mettre fin à la guerre des prix et de stabiliser le marché par l'échange d'informations confidentielles. La Commission a estimé, en outre, que les pratiques en cause avaient eu un impact sur le marché, car les entreprises en cause représentaient la quasi-totalité de l'offre des plaques en plâtre, et que les différentes manifestations de l'entente avaient été mises en œuvre sur un marché qui, de surcroît, était très concentré et oligopolistique. Quant à l'étendue du marché géographique concerné, la Commission a estimé que l'entente avait couvert les quatre principaux marchés au sein de la Communauté européenne, à savoir l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France et le Benelux.

13 Estimant ensuite qu'il existait une disparité considérable entre les entreprises concernées, la Commission a procédé à un traitement différencié, se basant à cet effet sur le chiffre d'affaires tiré de la vente du produit en cause sur les marchés concernés, au cours de la dernière année complète de l'infraction. Sur cette base, le montant de départ des amendes a été fixé à 80 millions d'euro pour BPB, à 52 millions d'euro pour Knauf et pour Lafarge et à 8 millions d'euro pour Gyproc.

14 Afin d'assurer à l'amende un effet suffisamment dissuasif au vu de la taille et des ressources globales des entreprises, le montant de départ de l'amende infligée à Lafarge a été majoré de 100 %, passant à 104 millions d'euro.

15 Pour tenir compte de la durée de l'infraction, le montant de départ a ensuite été majoré de 65 % pour BPB et Knauf, de 60 % pour Lafarge et de 20 % pour Gyproc, l'infraction étant qualifiée par la Commission d'infraction de longue durée dans le cas de Knauf, de Lafarge et de BPB et de durée moyenne pour Gyproc.

16 S'agissant des circonstances aggravantes, le montant de base des amendes infligées à BPB et à Lafarge a été majoré de 50 % au titre de la récidive.

17 Ensuite, la Commission a diminué de 25 % l'amende infligée à Gyproc au titre des circonstances atténuantes, du fait qu'elle avait été un élément déstabilisateur contribuant à limiter les effets de l'entente sur le marché allemand et qu'elle était absente du marché du Royaume-Uni.

18 Enfin, la Commission a procédé à une réduction du montant des amendes, de 30 % pour BPB et de 40 % pour Gyproc, en application de la section D, paragraphe 2, de la communication de la Commission concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la " communication sur la coopération "). Partant, le montant final des amendes infligées était de 138,6 millions d'euro pour BPB, de 85,8 millions d'euro pour Knauf, de 249,6 millions d'euro pour Lafarge et de 4,32 millions d'euro pour Gyproc.

Procédure et conclusions des parties

19 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 février 2003, la requérante a introduit le présent recours.

20 Par lettre du 14 février 2003, la requérante a demandé, conformément à l'article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, qu'un traitement confidentiel soit réservé au rapport économique, figurant en annexe de la requête, qui contiendrait des secrets d'affaires.

21 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 14 juillet 2003, le Conseil a demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission.

22 Par ordonnance du président de la quatrième chambre du Tribunal du 26 août 2003, le Conseil a été admis à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission, au titre de l'article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure.

23 Par lettre du 22 septembre 2003, la requérante a demandé qu'un traitement confidentiel soit réservé au rapport économique, figurant en annexe du mémoire en réplique, qui contiendrait des secrets d'affaires.

24 La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à partir de la nouvelle année judiciaire, le juge rapporteur a été affecté à la troisième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

25 Par lettre du 16 mai 2006, la requérante a demandé que soit adoptée une mesure d'organisation de la procédure visant la production de l'ensemble des réponses des autres destinataires de la communication des griefs ainsi que l'intégralité des comptes rendus d'audition de BPB et de Gyproc.

26 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 du règlement de procédure, a invité les parties à déposer certains documents et leur a posé par écrit des questions auxquelles elles ont répondu dans le délai imparti.

27 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l'audience du 25 janvier 2007.

28 Lors de l'audience, le Tribunal a demandé à la requérante de préciser sa réponse à une question écrite. Un délai a également été accordé à la Commission pour déposer éventuellement des observations sur la réponse de la requérante. Les parties ont répondu dans les délais impartis.

29 La procédure orale a été close le 1er mars 2007.

30 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision attaquée en ce qu'elle concerne Lafarge Plâtres et elle-même ;

- à titre subsidiaire, annuler ou réduire le montant de l'amende ;

- condamner la Commission aux dépens.

31 La Commission, soutenue par le Conseil, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours ;

- condamner la requérante aux dépens.

En droit

32 Les moyens et arguments invoqués par la requérante à l'appui de son recours peuvent être regroupés en six moyens. Le premier est tiré d'une violation des droits de la défense et des formes substantielles. Par le deuxième moyen, la requérante invoque, d'une part, une violation de l'article 81, paragraphe 1, CE et, d'autre part, des erreurs manifestes d'appréciation. Le troisième moyen est tiré d'une violation de l'article 81 CE en raison de la qualification d'infraction unique et continue ainsi que de la détermination de la participation de la requérante à celle-ci. Dans le cadre du quatrième moyen, la requérante soulève une violation de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 en ce qui concerne le chiffre d'affaires retenu pour le calcul du montant de l'amende. Le cinquième moyen est tiré de ce que la décision attaquée n'est pas fondée en droit en ce qu'elle inflige à la requérante une amende globale pour des infractions distinctes. Par le sixième moyen, la requérante soulève une violation de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ainsi que de certains principes généraux dans le calcul du montant de l'amende.

1. Sur le premier moyen, tiré de la violation des droits de la défense et des formes substantielles

Sur la violation du droit à un procès équitable

Arguments des parties

33 La requérante estime que le cumul par la Commission des fonctions d'instruction, d'accusation et de sanction viole le droit à un procès équitable prévu par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), signée à Rome le 4 novembre 1950. Le règlement nº 17 serait donc illégal sur ce point, car il attribuerait à la Commission le pouvoir d'infliger des amendes, pouvoir qui serait à l'origine de la violation. La requérante précise, à cet égard, que ces garanties reconnues aux justiciables sont d'autant plus importantes que l'acte en cause est susceptible d'avoir des conséquences graves, comme c'est le cas en l'espèce, au vu de l'importance de la sanction imposée.

34 La requérante précise que le contrôle ultérieur que le Tribunal peut effectuer sur les décisions de la Commission ne suffit pas à justifier ce cumul. Les conséquences de telles décisions causeraient un préjudice en partie irréversible aux entreprises en cause, notamment en matière de frais de procédure, d'image commerciale et boursière et de coûts de garantie bancaire, ce qui serait contraire aux principes de l'État de droit et de bonne administration de la justice. De plus, les compétences dévolues au Tribunal ne lui permettraient pas de reprendre l'instruction de l'affaire dans une mesure suffisante pour opérer un contrôle satisfaisant des décisions de la Commission.

35 La Commission rappelle qu'il est de jurisprudence constante que la question du cumul des fonctions ne se poserait que si elle pouvait être qualifiée de " tribunal " au sens de l'article 6 de la CEDH (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Enso Española/Commission, T-348-94, Rec. p. II-1875, point 56), ce qui ne serait pas le cas en l'espèce (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100-80 à 103-80, Rec. p. 1825, point 7). Ainsi, la Cour aurait reconnu que les fonctions d'accusation et de décision exercées par la Commission ne constituaient pas une violation des droits fondamentaux garantis par le droit communautaire (arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Aristrain/Commission, T-156-94, Rec. p. II-645, point 26), notamment du fait du contrôle juridictionnel effectif opéré sur ses décisions. Le Tribunal disposerait donc de moyens suffisants pour exercer un tel contrôle.

Appréciation du Tribunal

36 La Cour a reconnu le principe général de droit communautaire selon lequel toute personne a droit à un procès équitable (voir arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Salzgitter Mannesmann/Commission, C-411-04 P, Rec. p. I-965, point 40, et la jurisprudence citée).

37 La Cour a également jugé que ce principe s'inspirait des droits fondamentaux qui font partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont elle assure le respect en s'inspirant des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies notamment par la CEDH (arrêt Salzgitter Mannesmann/Commission, point 36 supra, point 41).

38 Cependant, ainsi que la Commission le fait valoir à juste titre, l'article 6 de la CEDH cité par la requérante n'est pas déterminant dans le cas d'espèce. En effet, il ressort d'une jurisprudence constante que la Commission n'est pas un tribunal au sens de l'article 6 de la CEDH (arrêts de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125, point 81, et Musique diffusion française e.a./Commission, point 35 supra, point 7). Par ailleurs, l'article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17 dispose expressément que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n'ont pas un caractère pénal.

39 Dès lors, l'argument de la requérante selon lequel la décision serait illégale au seul motif qu'elle a été prise dans le cadre d'un système dans lequel la Commission cumule les fonctions d'accusation et de décision est dénué de pertinence.

40 En ce qui concerne l'obligation de la Commission, lors de la procédure administrative, de respecter les garanties procédurales prévues par le droit communautaire, il convient de rappeler que celui-ci confère à la Commission une mission de surveillance qui comprend la tâche de poursuivre les infractions à l'article 81, paragraphe 1, CE et à l'article 82 CE.

41 Le règlement n° 17 l'investit, en outre, du pouvoir d'infliger, par voie de décision, des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux associations d'entreprises qui ont commis, de façon délibérée ou par négligence, une infraction à ces dispositions.

42 Par ailleurs, l'exigence d'un contrôle juridictionnel effectif de toute décision de la Commission constatant et réprimant une infraction aux règles communautaires de la concurrence susmentionnées constitue un principe général de droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres (arrêt Enso Española/Commission, point 35 supra, point 60).

43 En l'espèce, ce principe général de droit communautaire n'a pas été violé.

44 En premier lieu, le Tribunal est une juridiction indépendante et impartiale, établie par la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1, rectificatifs au JO 1989, L 241, p. 4). Comme cela ressort du troisième considérant de ladite décision, il a été institué notamment afin d'améliorer la protection juridictionnelle des justiciables dans les recours nécessitant un examen approfondi de faits complexes.

45 En deuxième lieu, le Tribunal est compétent, en vertu de l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la même décision, pour exercer les compétences conférées à la Cour par les traités instituant les Communautés et par les actes pris pour leur exécution, notamment, " pour les recours formés contre une institution des Communautés par des personnes physiques ou morales en vertu de l'article [230], deuxième alinéa, [CE] et concernant la mise en œuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises ". Dans le cadre de ces recours fondés sur l'article 230 CE, le contrôle de la légalité d'une décision de la Commission constatant une infraction aux règles de la concurrence et infligeant à ce titre une amende à la personne physique ou morale concernée doit être considéré comme un contrôle juridictionnel effectif de l'acte en cause. En effet, les moyens susceptibles d'être invoqués par la personne physique ou morale concernée au soutien de sa demande d'annulation sont de nature à permettre au Tribunal d'apprécier le bien-fondé en droit comme en fait de toute accusation portée par la Commission dans le domaine de la concurrence.

46 En troisième lieu, conformément à l'article 17 du règlement n° 17, le Tribunal statue " avec compétence de pleine juridiction au sens de l'article [229 CE] sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte [et il] peut supprimer, réduire ou majorer l'amende ou l'astreinte infligée ". Il s'ensuit qu'il est compétent pour apprécier si la sanction pécuniaire infligée est proportionnée à la gravité et à la durée de l'infraction constatée.

47 Il ressort de ce qui précède que le règlement n° 17 n'est pas illégal même s'il attribue à la Commission le pouvoir d'infliger des amendes, pouvoir qui est, selon la requérante, à l'origine de la violation du droit à un procès équitable.

Sur l'utilisation des déclarations des entreprises concernées par la procédure administrative

Sur l'utilisation des déclarations des entreprises concernées à titre de preuves

- Arguments des parties

48 La requérante estime, en premier lieu, que le recours par la Commission aux déclarations des entreprises concernées a été abusif. En effet, la Commission se fonderait, à plusieurs reprises, exclusivement sur les déclarations des autres entreprises concernées pour établir l'existence de pratiques anticoncurrentielles. Le système de preuve actuel étant fondamentalement documentaire, la déclaration d'une entreprise ne constituerait pas une preuve, mais un simple indice, dont il faudrait vérifier la vraisemblance. En effet, une preuve documentaire serait élaborée in tempore non suspecta alors que la déclaration serait effectuée une fois la procédure administrative engagée. En outre, la preuve documentaire serait par essence plus fiable qu'une déclaration qui pourrait être subjective, voire inexacte. La requérante conclut que les tribunaux communautaires n'ont jamais validé le fait que la déclaration d'une entreprise qui entendait bénéficier de la communication sur la coopération ait pu constituer une preuve suffisante pour établir une infraction. Concernant la définition même du terme de déclaration, la requérante soutient qu'elle renvoie à toutes les expressions d'un témoignage de l'entreprise, même si elles peuvent être de nature variable.

49 En deuxième lieu, la requérante conteste la crédibilité de ces déclarations. Elle met en doute la valeur probante des déclarations effectuées dans le cadre de l'obligation légale posée par l'article 11 du règlement nº 17, du fait de l'insuffisance des sanctions encourues en cas de violation de l'obligation légale de fournir des renseignements pesant sur l'entreprise et de l'absence de protection contre les déclarations légères ou trompeuses.

50 Quant aux déclarations de BPB et de Gyproc effectuées dans le cadre de la communication sur la coopération, elles seraient sujettes à caution du fait de l'intérêt pour ces entreprises à travestir les événements à leur avantage pour obtenir une baisse du montant de leur amende et, par là même, un avantage concurrentiel.

51 La requérante estime, de plus, que les déclarations sont trop floues et permettent ainsi au déclarant de revenir sur ses déclarations lorsqu'une contradiction postérieure issue de preuves incontestables apparaît. En outre, il existerait des contradictions entre les déclarations successives de Gyproc et de BPB. Enfin, ces déclarations auraient été contredites par plusieurs entreprises concernées.

52 En troisième lieu, la requérante estime que la Commission a considéré que les déclarations de Gyproc et de BPB étaient plus crédibles que celles de Knauf et de Lafarge sans justifier cette appréciation. Les seules explications fournies par la Commission révéleraient que celle-ci se serait basée sur la nature conclusive des déclarations et non sur leur crédibilité. Ce faisant, la Commission aurait violé les règles de preuve posées par le Tribunal et par l'article 253 CE.

53 La Commission conteste les arguments de la requérante.

- Appréciation du Tribunal

54 À titre liminaire, il convient de rappeler que, en ce qui concerne l'administration de la preuve d'une infraction à l'article 81, paragraphe 1, CE, la Commission doit rapporter la preuve des infractions qu'elle constate et établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l'existence des faits constitutifs d'une infraction (arrêts de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185-95 P, Rec. p. I-8417, point 58, et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49-92 P, Rec. p. I-4125, point 86).

55 Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l'infraction a été commise (voir arrêt du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T-62/98, Rec. p. II-2707, point 43, et la jurisprudence citée).

56 Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l'infraction. Il suffit que le faisceau d'indices invoqué par elle, apprécié globalement, réponde à cette exigence. Par ailleurs, les preuves doivent être appréciées dans leur ensemble.

57 En outre, il y a lieu de rappeler qu'aucune disposition ni aucun principe général du droit communautaire n'interdit à la Commission de se prévaloir à l'encontre d'une entreprise des déclarations d'autres entreprises incriminées (arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T-305-94 à T-307-94, T-313-94 à T-316-94, T-318-94, T-325-94, T-328-94, T-329-94 et T-335-94, Rec. p. II-931, ci-après l'" arrêt LVM/Commission ", points 509 et 512). Si tel n'était pas le cas, la charge de la preuve de comportements contraires aux articles 81 CE et 82 CE, qui incombe à la Commission, serait insoutenable et incompatible avec la mission de surveillance de la bonne application de ces dispositions qui lui est attribuée par le traité CE (arrêt LVM/Commission, précité, point 512).

58 De même, les déclarations effectuées dans le cadre de la communication sur la coopération ne sauraient être considérées comme dépourvues de valeur probante de ce seul fait. En effet, même si une certaine méfiance à l'égard de dépositions volontaires des principaux participants à une entente illicite est compréhensible, compte tenu de la possibilité que ces participants ont tendance à minimiser l'importance de leur contribution à l'infraction et à maximiser celle des autres, il n'en reste pas moins que l'argument de la requérante selon lequel les informations et les explications fournies notamment par BPB et Gyproc ne sont pas fiables dès lors que ces entreprises demandaient à bénéficier de l'application de la communication sur la coopération ne répond pas à la logique inhérente de la procédure prévue par ladite communication. En effet, le fait de demander à bénéficier de l'application de celle-ci en vue d'obtenir une réduction de l'amende ne crée pas nécessairement une incitation à présenter des éléments de preuves déformés quant aux autres participants à l'entente incriminée. En effet, toute tentative d'induire la Commission en erreur pourrait remettre en cause la sincérité ainsi que la complétude de la coopération de l'entreprise et, partant, mettre en danger la possibilité pour celle-ci de tirer pleinement bénéfice de la communication sur la coopération (arrêt du Tribunal du 16 novembre 2006, Peróxidos Orgánicos/Commission, T-120-04, non encore publié au Recueil, point 70).

59 En particulier, il y a lieu de considérer que le fait pour une personne d'avouer qu'elle a commis une infraction et d'admettre ainsi l'existence de faits qui dépassent ceux dont l'existence pouvait être déduite de manière directe des documents en question implique a priori, en l'absence de circonstances particulières de nature à indiquer le contraire, que cette personne a pris la résolution de dire la vérité (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T-67-00, T-68-00, T-71-00 et T-78-00, Rec. p. II-2501, point 212).

60 En outre, en ce qui concerne l'allégation de la requérante selon laquelle les déclarations sont particulièrement faibles en tant que preuve, car elles consistent en des dénonciations de coaccusés dans un contexte oligopolistique instable dans lequel chaque avancée par rapport aux concurrents est profitable, cette thèse n'est pas convaincante et ne saurait remettre en cause la fiabilité des déclarations.

61 L'administration de la preuve d'une infraction à l'article 81, paragraphe 1, CE étant libre, l'argumentation de la requérante n'est pas fondée en tant que grief relatif à la forme sous laquelle doivent se présenter les déclarations. Ces arguments ne sauraient être pertinents que dans le cadre de l'examen visant à vérifier si la Commission a rapporté la preuve des infractions qu'elle a constatées et les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l'existence des faits constitutifs d'une infraction.

62 En l'espèce, comme le démontre l'examen du deuxième moyen, il ne ressort pas des déclarations de BPB et de Gyproc que ceux-ci auraient eu tendance à minimiser l'importance de leur contribution à l'infraction et à maximiser celle des autres entreprises. En tout état de cause, compte tenu de l'importance et du nombre des indices concordants appuyant la pertinence des déclarations de BPB et de Gyproc, le présent argument de la requérante ne saurait être accueilli.

Sur l'utilisation des réponses à la communication des griefs

- Arguments des parties

63 La requérante considère que la Commission a violé les droits de la défense en utilisant comme preuves des déclarations issues de réponses à la communication des griefs auxquelles elle n'avait pas eu accès. Elle affirme que la lecture de la décision attaquée révèle des centaines de références aux réponses à la communication des griefs des entreprises concernées par la procédure administrative. Or, dans l'immense majorité des cas, ces références ne seraient pas faites pour répondre aux arguments soulevés par l'entreprise, mais pour prétendre compléter les preuves de l'infraction. La requérante n'aurait donc pu s'exprimer ni sur les éléments à charge ou à décharge qui auraient pu s'y trouver, ni sur les faits nouveaux qui en découleraient, tels que l'existence de deux réunions à Versailles et non d'une seule. Les déclarations visées devraient donc être écartées des débats.

64 La Commission assure n'avoir utilisé les réponses à la communication des griefs que pour corroborer des éléments de preuve déjà présents dans le dossier. Elle estime qu'elle n'avait pas à notifier aux autres entreprises concernées les réponses des entreprises en cause à la communication des griefs, puisqu'elles ne faisaient pas apparaître de faits nouveaux. À cet égard, elle souligne avoir notifié à Lafarge une partie de la réponse de BPB, car elle précisait la date du début de l'implication de Lafarge dans l'infraction et avoir donc respecté ses droits de la défense. La Commission n'aurait, en outre, pas retenu l'existence de deux réunions à Versailles.

65 La Commission rappelle que Lafarge n'a pas demandé l'accès aux réponses des autres entreprises à la communication des griefs. De plus, elle ne voit pas en quoi un tel accès aurait changé la position de Lafarge. Il appartiendrait, en toute hypothèse, à Lafarge de démontrer en quoi le résultat auquel la Commission est parvenue aurait été différent si un élément à charge non communiqué devait être écarté. Or, Lafarge n'essaierait même pas d'apporter une telle preuve.

- Appréciation du Tribunal

66 Il est d'abord nécessaire de rappeler que l'accès au dossier dans les affaires de concurrence a notamment pour objet de permettre aux destinataires d'une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu'ils puissent se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue, dans sa communication des griefs, sur la base de ces éléments. L'accès au dossier relève ainsi des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense et à assurer, en particulier, l'exercice effectif du droit d'être entendu (voir arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T-191-98, T-212-98 à T-214-98, Rec. p. II-3275, point 334, et la jurisprudence citée).

67 En ce qui concerne l'accès aux réponses des autres destinataires de la communication des griefs, il est constant que la requérante n'a pas eu accès à celles-ci pendant la procédure administrative.

68 S'agissant, en premier lieu, du défaut de communication de prétendus éléments à charge ne figurant pas dans le dossier d'instruction, le Tribunal rappelle que le respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit communautaire et doit être observé en toutes circonstances, notamment dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions, même s'il s'agit d'une procédure administrative. Il exige que les entreprises et les associations d'entreprises concernées soient mises en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-Laroche/Commission, 85-76, Rec. p. 461, point 11, et arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T-11-89, Rec. p. II-757, point 39).

69 Ensuite, il convient de rappeler que, si la Commission entend se fonder sur un passage d'une réponse à une communication des griefs ou sur un document annexé à une telle réponse pour établir l'existence d'une infraction dans une procédure d'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, les autres entreprises impliquées dans cette procédure doivent être mises en mesure de se prononcer sur un tel élément de preuve. Dans de telles circonstances, le passage en question constitue en effet un élément à charge à l'encontre des différentes entreprises qui auraient participé à l'infraction (voir arrêts du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-25-95, T-26-95, T-30-95 à T-32-95, T-34-95 à T-39-95, T-42-95 à T-46-95, T-48-95, T-50-95 à T-65-95, T-68-95 à T-71-95, T-87-95, T-88/95, T-103-95 et T-104-95, Rec. p. II-491, ci-après l'" arrêt Ciment ", point 386, et du 27 septembre 2006, Avebe/Commission, T-314-01, Rec. p. II-3085, point 50, et la jurisprudence citée).

70 En effet, un document ne peut être considéré comme un document à charge que lorsqu'il est utilisé par la Commission à l'appui de la constatation d'une infraction commise par une entreprise. Aux fins d'établir une violation à son égard des droits de la défense, il ne suffit pas, pour l'entreprise en cause, de démontrer qu'elle n'a pas pu se prononcer au cours de la procédure administrative sur un document utilisé à un quelconque endroit de la décision attaquée. Il faut qu'elle démontre que la Commission a utilisé ce document, dans la décision attaquée, comme un élément de preuve pour retenir une infraction à laquelle l'entreprise aurait participé (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Dresdner Bank e.a./Commission, T-44-02 OP, T-54-02 OP, T-56-02 OP, T-60-02 OP et T-61-02 OP, Rec. p. II-3567, point 158).

71 Étant donné que des documents non communiqués aux entreprises concernées au cours de la procédure administrative ne constituent pas des moyens de preuve opposables, il y a lieu, s'il s'avère que la Commission s'est fondée, dans la décision, sur des documents ne figurant pas dans le dossier d'instruction et n'ayant pas été communiqués aux parties requérantes, de ne pas retenir lesdits documents en tant que moyens de preuve (arrêt Ciment, point 69 supra, point 382).

72 S'il existe d'autres preuves documentaires dont les entreprises concernées ont eu connaissance au cours de la procédure administrative qui appuient spécifiquement les conclusions de la Commission, l'élimination en tant que moyen de preuve du document à conviction non communiqué n'infirme pas le bien-fondé des griefs retenus dans la décision contestée (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123, point 72).

73 Il incombe ainsi à l'entreprise concernée de démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue dans sa décision aurait été différent si devait être écarté comme moyen de preuve à charge un document non communiqué sur lequel la Commission s'est fondée pour incriminer cette entreprise (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 72 supra, point 73).

74 En l'espèce, dans sa requête, Lafarge ne soulève aucun exemple concret d'éléments à charge contenus dans les réponses des autres destinataires de la communication des griefs sur lesquels la Commission se serait appuyée. Elle fait seulement valoir que, dans la décision attaquée, il y a des centaines de références aux réponses des autres entreprises concernées. Enfin, elle conclut que l'ensemble des déclarations de BPB et de Gyproc doivent être écartées des débats pour déterminer si l'article 81 CE a été violé.

75 Au regard de ces arguments, il convient de rappeler que, en vertu de l'article 44, paragraphe 1, sous c) et d), du règlement de procédure, la requête doit notamment contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. En outre, en vertu de la jurisprudence, indépendamment de toute question de terminologie, cet exposé doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans avoir à solliciter d'autres informations. Il faut, en effet, que, pour qu'un recours soit recevable, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d'une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même, et ce afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 7 novembre 1997, Cipeke/Commission, T-84-96, Rec. p. II-2081, point 31, et ordonnance du Tribunal du 21 mai 1999, Asia Motor France e.a./Commission, T-154-98, Rec. p. II-1703, point 49).

76 En l'espèce, le renvoi général aux références faites dans la décision attaquée aux réponses des autres destinataires de la communication des griefs ne permet pas au Tribunal de cerner avec précision la portée du grief tiré de l'utilisation de ces réponses en tant qu'éléments à charge. En effet, s'il ne peut être exclu que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels la requérante se fonde figurent dans la requête, au soutien d'un autre moyen, il lui importe néanmoins de les présenter de façon cohérente et compréhensible. En particulier, il n'appartient pas au Tribunal d'aller rechercher dans l'ensemble des éléments invoqués au soutien d'un premier moyen si ces éléments pouvaient également être utilisés au soutien d'un second moyen et, notamment, quelles sont les parties des réponses des autres destinataires de la communication des griefs à la communication des griefs qui sont considérées par la requérante comme des éléments à charge et quelles sont celles qui sont supposées être des éléments à décharge.

77 Pour cette raison, il convient de rejeter les griefs tirés de la violation des droits de la défense en ce qui concerne les éléments à charge tirés des réponses des autres destinataires de la communication des griefs comme irrecevables au titre de l'article 44, paragraphe 1, sous c) et d), du règlement de procédure.

78 En tout état de cause, les affirmations générales de la requérante, visant toutes les références faites dans la décision attaquée aux réponses des autres destinataires de la communication de griefs, ne suffisent pas à satisfaire le critère posé par la jurisprudence selon lequel la partie requérante doit démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue dans cette décision aurait été différent si les documents litigieux avaient été écartés comme moyen de preuve à charge.

79 À titre encore plus subsidiaire, il y a lieu de noter que, dans son mémoire en réplique, la requérante mentionne seulement deux exemples concrets. En premier lieu, elle estime que la Commission a utilisé la réponse de BPB à la communication des griefs pour affirmer, aux considérants 234 à 269 de la décision attaquée, qu'il y a eu deux réunions à Versailles. En second lieu, la requérante affirme que la déclaration de M. [D], administrateur de Gyproc et président-directeur général (P.-D.G.) de BPB de 1994 à 1999, jointe en annexe à cette même réponse est citée au soutien des allégations présentées en note en bas de page n° 91 de la décision attaquée.

80 Quant à l'affirmation de la requérante selon laquelle la Commission a retenu dans la décision attaquée deux réunions qui se seraient tenues à Versailles, elle est non fondée. Il ressort du considérant 237 de la décision attaquée que la Commission a, contrairement à l'allégation de la requérante, relevé qu'aucune des autres entreprises concernées n'avait mentionné l'existence de deux réunions.

81 L'autre exemple spécifique soulevé par Lafarge concerne la note en bas de page n° 91 de la décision attaquée, dans laquelle la Commission relève ce qui suit :

" [P]our BPB même, les données dites réelles ne correspondent pas aux données estimées pour l'Espagne et le Portugal pour 1995, et pour l'Autriche, l'Espagne et le Portugal pour 1996, pour la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni et la République tchèque pour 1997. On peut en conclure que le P.-D.G. de BPB ne croyait pas les chiffres reçus de certains de ses collaborateurs ou de filiales, ce qui est cohérent avec les déclarations de BPB selon lesquelles M. [D] contrôlait les résultats de ses collaborateurs ".

82 Dans la mesure où l'argument de la requérante doit être interprété comme voulant dire que la Commission a utilisé la déclaration de M. [D] pour soutenir sa conclusion selon laquelle le fait que des chiffres différaient entre les deux tableaux pour le même marché et pour la même période signifiait que M. [D] avait reçu une information directe d'un concurrent, cette affirmation est inopérante en l'espèce, la requérante ayant admis avoir participé à un échange d'informations portant sur des volumes de ventes sur les quatre marchés en cause.

83 S'agissant, en second lieu, de la question de savoir si les réponses des autres destinataires de la communication des griefs pouvaient contenir des éléments à décharge, la requérante n'a pas avancé d'arguments en ce sens dans la requête.

84 En réponse à une question écrite du Tribunal lui demandant d'indiquer les points de la requête dans lesquels un moyen tiré de la violation des droits de la défense en ce qui concerne les éléments à décharge aurait été soulevé, la requérante a fait référence aux points 65, 74, 232, 236 et 237 ainsi que 416 à 418 de sa requête. Or, dans ces points, elle ne soutient nullement que les réponses des autres destinataires de la communication des griefs auraient pu contenir des éléments à décharge qu'elle aurait pu utiliser pour sa défense.

85 Dans ces conditions, les arguments de la requérante, présentés dans son mémoire en réplique, tirés de ce que les réponses des autres destinataires de la communication des griefs auraient pu contenir des éléments à décharge doivent être rejetés comme irrecevables conformément à l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

86 En ce qui concerne l'affirmation de la requérante présentée dans sa réponse à la question écrite du Tribunal selon laquelle une violation des formes substantielles pourrait être soulevée d'office par le Tribunal, il doit être constaté qu'une violation des droits de la défense étant une illégalité subjective par sa nature, ne relève pas de la violation des formes substantielles et ne doit pas être soulevée d'office (voir arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 59 supra, point 425, et la jurisprudence citée).

87 Le grief tiré de la violation des droits de la défense relatif à l'utilisation des réponses des autres destinataires de la communication des griefs doit donc être rejeté comme irrecevable.

88 Toutefois, le Tribunal examinera ci-après le fond de l'affaire en écartant, à titre surabondant, tous les éléments à charge tirés des réponses des autres destinataires de la communication des griefs afin de vérifier si l'appréciation de la Commission sur l'existence et les effets de l'infraction est démontrée à suffisance de droit même sans ces éléments litigieux.

Sur les vices de procédure dus à une violation du principe de l'égalité des armes

Sur la communication des griefs

- Arguments des parties

89 La requérante rappelle que la communication des griefs doit énoncer clairement les faits, mais aussi les conclusions que la Commission compte en tirer, notamment leur qualification juridique. En l'espèce, la communication des griefs manquerait de clarté, car il n'aurait pas été possible à sa lecture de considérer que l'échange de données sur les volumes de ventes au Royaume-Uni ainsi que les annonces de hausse des prix en Allemagne seraient qualifiés, en tant que tels, d'infractions, ces deux éléments semblant n'être que des éléments de contexte.

90 La communication des griefs n'aurait pas non plus été suffisamment précise, car ce ne serait que par un courrier du 12 juin 2002 que la Commission aurait informé Lafarge qu'elle allait retenir la fin du mois d'août 1992 comme date de début de l'infraction. Or, la possibilité offerte à la Commission de tenir compte d'une pièce qui lui aurait été communiquée après la communication des griefs ne devrait être accordée qu'exceptionnellement du fait de son caractère dérogatoire et devrait intervenir en " temps utile ".

91 La requérante relève ensuite des défauts de concordance entre la communication des griefs et la décision attaquée. Ainsi, les discussions relatives au rachat de l'usine de Norgips à Opole (Pologne) constitueraient un grief nouveau qui ne serait pas apparu en tant que tel dans la communication des griefs. D'autres griefs auraient été modifiés à tel point qu'ils apparaîtraient comme nouveaux. En premier lieu, le grief visant le marché européen serait devenu un grief limité à la France, au Benelux, au Royaume-Uni et à l'Allemagne. Or, tout le champ de la défense s'en trouverait modifié. Il aurait été déterminant pour la requérante de pouvoir présenter une argumentation factuelle et économique pour la France et le Benelux, comparable à celle qu'elle avait développée concernant le Royaume-Uni et l'Allemagne, alors que, pendant l'enquête, la Commission n'aurait jamais posé la moindre question à propos tant de la France que du Benelux. En second lieu, la Commission aurait modifié la teneur du grief relatif au système d'échange d'informations que les entreprises en cause avaient organisé en novembre 1996 avec l'aide d'un expert indépendant (ci-après le " système d'échange d'informations ") mis en place sur le marché allemand. Dans la décision attaquée, la Commission affirmerait désormais que ce système a eu pour objet de servir de mécanisme de surveillance alors que, dans la communication des griefs, elle aurait annoncé son intention de retenir que ce système avait eu pour effet de servir de mécanisme de surveillance. Ces griefs devraient donc être rejetés. La requérante ajoute que la Commission ne peut pas prétendre " régulariser " sa décision lors de la procédure devant le Tribunal en renonçant à ces griefs dans sa défense.

92 La Commission soutient que la communication des griefs était très claire quant à son intention de présenter une objection relative aux échanges de volumes de ventes au Royaume-Uni et relève que les autres destinataires de la décision attaquée ont répondu au grief en cause. Quant aux annonces de prix en Allemagne, la Commission souligne que Lafarge a répondu au grief en ce qui concerne la période débutant le 1er février 1995, qui est précisément la date qu'elle a retenue pour ces hausses de prix.

93 La Commission soutient également que la communication des griefs permettait de situer la date du début de la participation de la requérante à l'infraction au commencement de l'année 1992. Ayant ensuite reçu des informations plus précises, la Commission aurait informé Lafarge par lettre du 12 juin 2002 qu'elle comptait retenir la fin du mois d'août 1992 comme date de début à son égard. La requérante aurait ainsi été mise en mesure de formuler ses observations, ce qu'elle aurait fait par lettre du 25 juin 2002, soit cinq mois avant l'adoption de la décision attaquée.

94 La Commission fait valoir, enfin, que la discussion sur le rachat de l'usine de Norgips n'a jamais constitué un grief en tant que tel, et que, puisque les quatre pays visés faisaient partie du marché européen, la réduction du champ géographique n'a pu jouer qu'en faveur de Lafarge. En tout état de cause, le projet d'acquisition de l'usine de Norgips aurait été évoqué dans la communication des griefs aux points 64 à 70. La Commission conclut que Lafarge n'a démontré ni qu'il y a eu dans la décision attaquée de nouveaux griefs, ni qu'elle y a retenu des faits différents de ceux contenus dans la communication des griefs.

- Appréciation du Tribunal

95 Le respect des droits de la défense dans une procédure susceptible d'aboutir à des sanctions telles que celle en cause exige que les entreprises et les associations d'entreprises concernées soient mises en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 66 supra, point 138).

96 Cette exigence est respectée lorsque la décision ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans l'exposé des griefs et ne retient que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l'occasion de s'expliquer. Il en résulte que la Commission ne peut retenir que les griefs au sujet desquels ces derniers ont eu l'occasion de faire connaître leur point de vue (arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 66 supra, point 138).

97 À cet égard, il y a lieu de constater que la qualification juridique des faits retenue dans la communication des griefs ne peut être, par définition, que provisoire, et qu'une décision ultérieure de la Commission ne saurait être annulée au seul motif que les conclusions définitives tirées de ces faits ne correspondent pas de manière précise à cette qualification intermédiaire. En effet, la Commission doit entendre les destinataires d'une communication des griefs et, le cas échéant, tenir compte de leurs observations visant à répondre aux griefs retenus en modifiant son analyse, précisément pour respecter leurs droits de la défense (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T-44-00, Rec. p. II-2223, point 100).

98 En premier lieu, en l'espèce, Lafarge considère, que, dans la communication des griefs, la Commission n'a pas exposé avec une clarté suffisante qu'elle allait soulever un grief relatif à l'échange de données sur les volumes de ventes au Royaume-Uni.

99 Or, cette affirmation est non fondée. En effet, il ressort du point 141 de la communication des griefs que la Commission a mentionné, parmi les principaux aspects qui pouvaient être qualifiés de restriction de la concurrence, " [l]'échange des chiffres de vente sur le marché [du Royaume-Uni] à l'occasion des réunions d'une organisation professionnelle et par téléphone ", en faisant référence aux points 38, 64, 77 et 78 de ladite communication. En outre, il ressort, en particulier des points 74, 77 et 78 de la communication des griefs (voir la partie dans laquelle le fonctionnement de l'entente sur le marché du Royaume-Uni a été expliqué) que la Commission a, par exemple, mentionné que l'échange de renseignements sur les volumes de ventes avait été entrepris par M. [M], directeur général de British Gypsum (ci-après " BG "), la filiale du Royaume-Uni de BPB, avec ses homologues travaillant pour Lafarge et pour Knauf.

100 Ainsi, l'affirmation de Lafarge selon laquelle l'échange sur les volumes de ventes n'a été invoqué qu'en ce qui concerne BPB ne saurait être acceptée.

101 En deuxième lieu, s'agissant de l'affirmation de Lafarge selon laquelle la communication des griefs n'était pas suffisamment claire au sujet des hausses de prix en Allemagne, il y a lieu de remarquer que, au point 141 de la communication des griefs, la Commission a mentionné comme éléments de l'infraction d'abord un échange de lettres annonçant des hausses de prix à l'occasion d'initiatives tarifaires en Allemagne en se référant aux points 105, 107, 108, 121 et 122 de la même communication, puis une concertation sur l'application des hausses de prix en se référant aux points 110, 111 et 116 de ladite communication. Tous ces points sont situés sous C) " Partage des marchés et autres accords restrictifs ", 4) " Entente sur les prix et partage du marché en Allemagne ", d) " Concertation sur les hausses des prix en Allemagne ". Ces références à la communication des griefs, en particulier au point 141, démontrent clairement que l'affirmation de Lafarge n'est pas fondée.

102 En troisième lieu, s'agissant de l'affirmation de Lafarge selon laquelle la communication des griefs n'était pas suffisamment précise sur la date de début de l'infraction que la Commission s'est proposée de retenir à son égard, il est suffisant de rappeler que la Commission lui a envoyé, en complément à la communication des griefs, un courrier le 12 juin 2002 dans lequel elle a indiqué qu'elle se proposait de retenir la participation de Lafarge à l'infraction au plus tard à compter de la fin du mois d'août 1992. Cette lettre se trouve en annexe à la requête. Il ressort de cette lettre que la Commission a donné un délai de deux semaines à Lafarge afin qu'elle présente ses observations à ce sujet. En conséquence, cette affirmation de Lafarge doit également être rejetée.

103 En quatrième lieu, Lafarge considère que, aux considérants 258 et 259 de la décision attaquée, la Commission a constaté un nouveau grief concernant les discussions sur l'acquisition éventuelle de l'usine de Norgips à Opole. Or, il ressort du point 94 de la communication des griefs que la Commission a mentionné ces discussions en considérant que l'apport que chacun ferait pour le rachat en commun de l'usine de Norgips dépendrait de ses futures parts du marché allemand pendant une durée ultérieure à déterminer. En conséquence, le fait que, aux considérants 258 et 259 de la décision attaquée, la Commission a mentionné que les discussions relatives à l'usine de Norgips n'avaient pas abouti, mais que l'importance de cette discussion résidait dans le simple fait qu'elle avait pu être tenue et qu'elle était basée sur la prémisse d'un intérêt commun au maintien de la stabilité du marché, ne constitue nullement un nouveau grief.

104 En cinquième lieu, Lafarge considère que la Commission a transformé certains griefs à tel point qu'ils constitueraient, en pratique, de nouveaux griefs. Lafarge mentionne, tout d'abord, le fait que la Commission a limité le champ géographique de l'infraction aux quatre marchés en cause et non à l'intégralité du marché commun et de l'Espace économique européen (EEE).

105 Or, Lafarge n'explique pas pour quelle raison la réduction du champ géographique de l'infraction s'avérerait préjudiciable à ses droits de la défense. Elle mentionne seulement qu'elle aurait pu présenter une argumentation factuelle et économique pour la France et pour le Benelux. Or, une délimitation du champ géographique de l'infraction ne peut pas violer les droits de la défense de Lafarge, car, par définition, la France et le Benelux étaient inclus également dans le champ géographique plus large défini dans la communication des griefs.

106 Lafarge considère également que la Commission a modifié la qualification juridique du système d'échange d'informations. Selon Lafarge, dans la communication des griefs, la Commission a annoncé son intention de retenir que ce système avait pour effet de servir de mécanisme de surveillance. Or, dans la décision attaquée, la Commission affirmerait que ce système a eu pour objet de servir de mécanisme de surveillance.

107 À cet égard, il ressort du point 141 de la communication des griefs que la Commission a mentionné comme un élément de l'infraction " [l]'utilisation d'un système - rendu anonyme - d'échange de statistiques comme mécanisme de contrôle pour le suivi de l'accord de partage du marché allemand " en se référant aux points 96 à 98 de ladite communication. Au point 98 de la communication des griefs, la Commission a affirmé que les participants avaient utilisé le système d'échange d'informations comme mécanisme de contrôle de l'accord de Versailles. Au considérant 273 de la décision attaquée, la Commission estime que " ce système n'a été mis en place par les producteurs que pour compléter leurs échanges directs et assurer ainsi l'exactitude des chiffres échangés ". Or, le texte de la communication des griefs et celui de la décision attaquée ne présentent pas une différence telle qu'elle aurait empêché la requérante de se défendre utilement. Par ailleurs, il ressort de la réponse de la requérante à la communication des griefs qu'elle a bien pu se défendre à ce sujet en attestant que le système d'échange d'informations n'avait jamais eu un tel objet ou un tel effet.

108 De plus, l'interprétation que donne Lafarge du considérant 273 de la décision attaquée est erronée. En effet, la Commission n'affirme pas que le système d'échange d'informations avait pour objet de servir de mécanisme de surveillance. Elle l'a seulement considéré comme un complément de l'échange d'informations.

109 En conclusion, il n'y a pas de discordance entre la communication des griefs et la décision attaquée. Dès lors, le grief tiré d'une telle discordance est non fondé et doit être rejeté.

Sur l'accès au dossier

- Arguments des parties

110 La requérante met, tout d'abord, en doute le fait que tous les documents auxquels la Commission a limité l'accès étaient couverts par le secret d'affaires ou la confidentialité et soutient avoir indiqué à la Commission, au cours de la procédure administrative, que son accès au dossier était insuffisant. De plus, la Commission n'aurait pas fourni d'indications, mêmes succinctes, sur tous les documents concernés, et dans les hypothèses où elle l'aurait fait, les informations auraient été trop succinctes pour permettre à la requérante de savoir si le document en question pouvait ou non être pertinent pour sa propre défense.

111 La requérante considère, ensuite, que la Commission n'a pas effectué correctement la mise en balance de la protection du secret d'affaires et de la confidentialité avec le préjudice que la non-divulgation de ces documents causerait aux droits de la défense des autres entreprises. En l'espèce, les droits de la défense auraient dû primer, notamment du fait de l'importance du comportement parallèle des entreprises en cause pour la qualification de l'infraction, qui nécessiterait une connaissance précise du comportement des autres entreprises.

112 Lafarge estime, enfin, que l'organisation même de l'accès au dossier n'a pas été satisfaisante. Le délai de 28 jours qui s'est écoulé entre la communication des griefs et l'envoi du dossier n'aurait pas été justifié, d'autant moins que la transmission par CD-ROM aurait permis une transmission immédiate. En outre, le report de quinze jours de la date de réponse à la communication des griefs n'aurait pas suffi à compenser le retard pris dans l'envoi du CD-ROM, notamment parce qu'il n'aurait pas été accompagné d'un report de l'audition. Lafarge estime donc ne pas avoir disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, ce qui constituerait une violation de l'article 6 de la CEDH.

113 La Commission rappelle que le fait qu'un grand nombre de documents ait été protégé n'indique en rien que l'accès à ceux-ci a été refusé abusivement. Elle ajoute avoir dressé une liste décrivant clairement les documents ayant fait l'objet d'un refus d'accès afin de permettre aux entreprises concernées de demander certains documents en complément de ceux déjà divulgués. Ainsi, Lafarge aurait eu l'opportunité d'accéder à certains documents, mais aurait choisi de ne pas le faire. La Commission souligne que Lafarge ne conteste pas ne pas avoir utilisé les voies internes qui étaient à sa disposition en vue d'obtenir l'accès le plus complet au dossier ainsi qu'aux réponses à la communication des griefs des autres entreprises. La Commission considère, par analogie, que la décision attaquée ne saurait être annulée pour des raisons relatives aux irrégularités de procédure que si Lafarge a épuisé toutes les voies disponibles.

- Appréciation du Tribunal

114 En ce qui concerne le grief tiré de la nature incomplète des documents fournis, la requérante affirme de façon générale que l'accès au dossier qui lui a été donné a été incomplet. En outre, la dissimulation de certains documents aurait été au-delà de ce qui était nécessaire.

115 Or, la requérante n'a pas identifié avec précision les documents qui lui auraient été dissimulés de façon injustifiée. En effet, elle estime seulement, sur le fondement du nombre des documents auxquels elle n'a pas eu accès, qu'il est douteux que la confidentialité de ces documents était effectivement justifiée.

116 À cet égard, il ressort d'une jurisprudence constante que la simple absence de communication d'un document ne constitue une violation des droits de la défense que si l'entreprise concernée peut démontrer, premièrement, que la Commission s'est basée sur ce document pour étayer son grief concernant l'existence d'une infraction et, deuxièmement, que ce grief ne pouvait être prouvé que par une référence audit document (arrêts de la Cour du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107-82, Rec. p. 3151, points 24 à 30, et du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, points 7 à 9).

117 La Cour a précisé également, à ce sujet, qu'il appartenait à l'entreprise concernée de démontrer que le résultat auquel était parvenue la Commission dans sa décision litigieuse aurait été différent si le document, qui n'avait pas été communiqué à ladite entreprise et sur lequel la Commission s'était basée pour constater l'infraction, avait été rejeté en tant qu'élément de preuve (arrêts de la Cour Aalborg Portland e.a./Commission, point 72 supra, point 73, et du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, C-308-04 P, Rec. p. I-5977, point 98).

118 Or, la requérante n'explique nullement de quelle manière la confidentialité prétendument injustifiée a eu une incidence sur sa défense. En effet, elle n'a invoqué aucun grief retenu par la Commission dans la communication des griefs ou dans la décision attaquée qui serait fondé sur des informations contenues dans les documents jugés confidentiels par la Commission et auxquels elle n'a pas eu accès.

119 S'agissant de l'affirmation de la requérante selon laquelle elle aurait pu démontrer en ayant accès aux documents confidentiels l'absence de concertation par l'indépendance de son comportement, elle n'explique nullement sur quelle base elle présume que les documents auxquels elle n'a pas eu accès contiendraient des informations sur le comportement des autres entreprises en cause.

120 En outre, même si la Commission a l'obligation de rendre accessible aux entreprises impliquées dans une procédure d'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, l'ensemble des documents à charge ou à décharge qu'elle a recueillis au cours de l'enquête, cette obligation ne s'étend pas aux secrets d'affaires d'autres entreprises, aux documents internes de la Commission et aux autres informations confidentielles (arrêts Aalborg Portland e.a./Commission, point 72 supra, point 68, et Atlantic Container Line e.a./Commission, point 66 supra, point 335). Or, la déduction de la requérante selon laquelle le nombre important de documents considérés comme confidentiels par la Commission démontre à lui seul que la Commission a commis une erreur ne saurait être acceptée.

121 En tenant compte du fait que la requérante n'a invoqué aucun grief retenu par la Commission dans la communication des griefs ou dans la décision attaquée qui serait fondé sur des éléments auxquels elle n'a pas eu accès, elle ne saurait reprocher à la Commission d'avoir violé ses droits de la défense en ayant considéré de façon injustifiée certains documents comme confidentiels ou comme contenant des secrets d'affaires.

122 La requérante critique encore l'organisation même du droit d'accès au dossier. Elle fait valoir que l'envoi du dossier sous la forme d'un CD-ROM n'a eu lieu que 28 jours après la communication des griefs. Pour cette raison, elle aurait eu un délai insuffisant pour préparer sa défense, notamment pour réaliser des études économiques.

123 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la communication des griefs ainsi que les documents principaux sur lesquels la Commission s'est fondée pour arrêter ces griefs ont été envoyés à la requérante le 19 avril 2001. Le délai de réponse était de deux mois à partir du jour de la réception de ladite communication. Par lettre du 10 mai 2001, la requérante a sollicité une prolongation du délai de réponse au motif que le CD-ROM ne lui avait pas encore été transmis. Par lettre du 16 mai 2001, la Commission a accordé une prorogation jusqu'au 9 juillet 2001. Le CD-ROM a été transmis à la requérante par courrier du 17 mai 2001. Ensuite, la réponse de la requérante à la communication des griefs a été déposée le 9 juillet 2001.

124 Il ressort de ce qui précède que la Commission a compensé le retard avec lequel le CD-ROM a été envoyé à la requérante en lui accordant une prorogation du délai de réponse presque aussi longue que le retard avec lequel le dossier complet a été transmis à la requérante. En outre, il y a lieu de prendre en compte le fait que la Commission avait fourni à la requérante, lors de l'envoi de la communication des griefs, les principaux documents qu'elle avait utilisés pour rédiger ladite communication.

125 En conséquence, le Tribunal estime que la requérante n'a pas démontré qu'elle n'avait pas eu le temps nécessaire pour préparer sa défense.

126 Il s'ensuit que le grief tiré du refus d'accès au dossier doit être rejeté comme non fondé.

Sur l'organisation des auditions

- Arguments des parties

127 La requérante estime, tout d'abord, que le délai de huit jours qui s'est écoulé entre le dépôt de sa réponse à la communication des griefs et son audition n'a pas permis de préparer cette dernière dans des conditions satisfaisantes. En outre, la date retenue pour l'audition aurait rendu impossible l'audition de M. [G], vice-P.D.G. de Lafarge Plâtres jusqu'en octobre 1998, alors que son témoignage aurait pourtant été essentiel. Or, le conseiller-auditeur aurait refusé de reporter la date de l'audition compte tenu du caractère prioritaire que la Commission aurait attribué à cette affaire.

128 La requérante estime, ensuite, que l'audition à huis clos de Gyproc constitue une atteinte à ses droits de la défense, car elle l'a empêchée de contrôler la crédibilité de ses déclarations et, éventuellement, de les contester, alors même que la version non confidentielle de l'audition de M. [E], administrateur délégué de Gyproc, montre que la nature des infractions et le rôle de Gyproc dans celles-ci ont été évoqués lors de l'audition. De même, la version non confidentielle de l'audition de M. [E] serait à ce point expurgée qu'elle ne serait d'aucune utilité. Quant à l'audition partiellement à huis clos de BPB, la requérante affirme n'avoir reçu ni réponse du conseiller-auditeur à la suite de ses objections, ni même de version non confidentielle de l'audition. Dans ces circonstances, les droits de la défense de la requérante auraient été violés indépendamment de l'utilisation ou non par la Commission de ces éléments.

129 La requérante ajoute, enfin, que ces auditions ne lui ont pas permis de mener un contre-interrogatoire des témoins auditionnés par la Commission du fait de l'absence de M. [G], mais aussi de celle des témoins clés de BPB et de l'audition à huis clos de M. [E], en violation de l'article 6 de la CEDH. Or, la requérante estime que si la Commission prétend, comme en l'espèce, s'appuyer sur les déclarations des entreprises concernées, les autres entreprises doivent y avoir un plein accès et avoir la possibilité de mener un contre-interrogatoire des témoins, et cela indépendamment du fait de savoir si la Commission peut être qualifiée de tribunal ou non.

130 La Commission rappelle qu'aucune disposition n'impose de délai minimal avant la tenue de l'audition. De plus, elle estime que l'audition peut être préparée dès la réception de la communication des griefs, puisque l'essence même de cette audition est de préciser et de développer les arguments fournis par les entreprises concernées en réponse à la communication des griefs. Or, cette dernière aurait été adoptée le 18 avril 2001 et la Commission aurait indiqué de manière informelle aux entreprises concernées à quelle date approximative une audition pourrait avoir lieu. En outre, par courrier du 16 mai 2001, les entreprises concernées auraient été formellement informées que les auditions se tiendraient le 17 juillet 2001. Elles auraient donc largement eu le temps de les préparer.

131 La Commission estime, de surcroît, que le conseiller-auditeur a pleinement justifié son refus d'accéder à la demande de la requérante de repousser la date annoncée pour les auditions, du fait du caractère prioritaire de l'affaire mais aussi du manque de locaux et de l'indisponibilité des services de traduction. Quant à la non-participation de M. [G] à l'audition, la Commission demande à la requérante de justifier les raisons pour lesquelles celui-ci n'a pas pu s'y rendre et de démontrer leur caractère impérieux. Elle estime, de plus, que tout dommage potentiel lié à son absence a été écarté par la transmission, un mois après les auditions, du texte de ce qu'aurait dû être l'intervention de M. [G].

132 En ce qui concerne l'audition de M. [E], la Commission relève que le conseiller-auditeur a informé les entreprises concernées, avant la tenue des auditions, du caractère partiellement confidentiel de l'audition de Gyproc et en a expliqué les raisons à Lafarge. Elle estime, de plus, qu'une entreprise concernée doit pouvoir évoquer le fond de l'affaire même lors d'une audition à huis clos lorsqu'elle estime que cela est nécessaire à sa défense. Une version non confidentielle aurait, en outre, été transmise aux entreprises concernées, dont la brièveté ne ferait que confirmer le caractère privé de l'audition.

133 La Commission ajoute que le conseiller-auditeur a statué sur la demande d'audition partiellement à huis clos de BPB au cours de l'audition. La décision n'aurait donc pas été prise tardivement. En outre, les entreprises concernées auraient également reçu une version non confidentielle de l'audition. En tout état de cause, les informations fournies par BPB n'auraient nullement été utilisées dans la décision attaquée.

134 La Commission soutient également que la procédure prévue par le règlement nº 17 ne prévoit pas la possibilité d'interroger des témoins et qu'il n'existe en toute hypothèse pas de témoins à charge dans la procédure administrative qui s'est déroulée devant la Commission.

- Appréciation du Tribunal

135 Quant à l'argument relatif à l'organisation de son audition, la requérante affirme que l'intervalle de huit jours qui s'est écoulé entre le dépôt de sa réponse à la communication des griefs et son audition n'a pas permis de préparer efficacement celle-ci. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Commission avait déjà, dans sa lettre du 16 mai 2001 - c'est-à-dire plus de deux mois à l'avance -, informé la requérante que les auditions se tiendraient le 17 juillet 2001. Ainsi, la requérante a bénéficié de plus de deux mois pour préparer son audition.

136 Or, en ce que l'argumentation de la requérante doit être comprise en ce sens qu'une entreprise ne pourrait pas se préparer à l'audition alors qu'elle prépare sa réponse à la communication des griefs, une telle argumentation ne saurait prospérer. En effet, rien n'empêche la préparation de l'audition parallèlement à celle de la réponse à la communication des griefs.

137 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la Commission elle-même n'a pas eu le temps nécessaire pour exploiter les réponses à la communication des griefs, la requérante n'explique nullement comment une telle situation, même si elle était vraie, aurait affecté ses droits de la défense.

138 La requérante reproche également à la Commission le fait que la date retenue pour les auditions a rendu impossible l'intervention à l'audition de M. [G]. Or, la requérante n'a toujours pas expliqué pourquoi cette date ne convenait pas à M. [G]. En effet, elle fait seulement valoir dans la requête que " M. [G], retraité, ne fait plus partie de ses effectifs et décide désormais de son temps comme il l'entend ".

139 Cette argumentation générale n'est pas de nature à établir la réalité d'une violation des droits de la défense, laquelle doit être examinée en fonction de circonstances spécifiques à chaque cas d'espèce.

140 La requérante considère également que les auditions à huis clos de Gyproc et de BPB ont violé ses droits à la défense au motif que la Commission lui aurait opposé les déclarations que ces entreprises avaient faites à cette occasion. Dans de telles conditions, la requérante considère qu'elle aurait dû avoir l'accès le plus large à l'ensemble de leurs déclarations afin d'être en mesure de contrôler leur crédibilité.

141 La requérante considère que l'impossibilité de participer à ces discussions a violé ses droits de la défense. Or, elle ne précise pas de quelle manière son exclusion de l'audition de Gyproc ou de celle de BPB a concrètement violé ses droits de la défense. En effet, elle ne donne aucun exemple de la manière dont la Commission aurait utilisé dans la décision attaquée l'éventuelle information transmise par Gyproc ou par BPB lors de ces auditions.

142 En outre, de même que la simple absence de communication d'un document ne constitue une violation des droits de la défense que si l'entreprise concernée peut démontrer, premièrement, que la Commission s'est basée sur ce document pour étayer son grief concernant l'existence d'une infraction et, deuxièmement, que ce grief ne pouvait être prouvé que par une référence audit document, la simple tenue d'une audition à huis clos ne constitue pas en elle-même une violation des droits de la défense de la requérante.

143 Or, en l'espèce, la requérante n'a pas démontré que le résultat auquel est parvenue la Commission dans la décision attaquée aurait été différent si elle avait été présente aux auditions de BPB et de Gyproc. Elle ne prétend même pas que la Commission a utilisé des informations fournies lors de ces auditions dans la décision attaquée. En effet, l'argumentation de la requérante consiste à affirmer qu'elle aurait dû avoir accès à ces auditions afin de contrôler la crédibilité des déclarations faites par ces deux entreprises.

144 Par ailleurs, il y a lieu de noter que, par lettre du 10 août 2001, la Commission a transmis à la requérante un résumé des différents passages non confidentiels des déclarations faites par M. [E] lors de la partie confidentielle des auditions du 17 juillet 2001.

145 Enfin, Lafarge affirme qu'elle n'a pas pu mener un contre-interrogatoire des témoins auditionnés par la Commission.

146 À cet égard, il ressort de la propre argumentation de la requérante que BPB n'a fait participer à l'audition aucune des personnes dont les déclarations ont été utilisées par la Commission. En outre, en ce qui concerne la participation de M. [E] à l'audition, le fait qu'il a été entendu à huis clos a déjà été examiné ci-dessus.

147 Par ailleurs, il convient de rappeler que, si l'article 6, paragraphe 3, sous d), de la CEDH dispose que " [t]out accusé a droit notamment [...] à [...] interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ", il ressort cependant d'une jurisprudence constante que la Commission n'est pas un tribunal au sens de l'article 6 de la CEDH (arrêts Van Landewyck e.a./Commission, point 38 supra, point 81, et Musique diffusion française e.a./Commission, point 35 supra, point 7).

148 Dans la mesure où, à travers cette argumentation, Lafarge entend affirmer que la Commission aurait dû convoquer en tant que témoins les personnes dont elle a utilisé les déclarations dans la décision attaquée afin de lui permettre de les interroger, il importe de noter que la Cour a jugé que, la procédure devant la Commission étant seulement de nature administrative, il n'appartenait pas à cette dernière de fournir à l'entreprise concernée la possibilité d'interroger un témoin particulier et d'analyser ses déclarations au stade de l'instruction (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 72 supra, point 200).

149 En effet, à cet égard, il est suffisant que les déclarations utilisées par la Commission aient été fournies dans le dossier transmis à la requérante qui peut les contester devant le juge communautaire.

150 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter également le grief tiré d'erreurs dans l'organisation des auditions.

Sur la poursuite de l'instruction après les auditions

- Arguments des parties

151 La requérante souligne que la Commission a adressé après la communication des griefs une nouvelle demande de renseignements concernant les chiffres relatifs aux volumes de ventes et de parts de marché détenues sur le territoire de l'EEE et a utilisé les informations obtenues pour compléter un tableau de parts de marché, dont elle a tiré des constatations destinées à compléter les preuves de l'infraction. Or, ce tableau constitue, selon la requérante, une preuve que la Commission aurait dû lui communiquer au préalable. La requérante précise qu'elle aurait voulu présenter des observations relatives aux parts de marché des autres entreprises et relève que, en toute hypothèse, elle devait pouvoir présenter des observations sur l'utilisation de ses propres chiffres à titre de preuve.

152 Lafarge estime également que la Commission n'aurait pas dû s'appuyer sur la réponse de BPB à la communication des griefs pour déterminer la date du début de sa participation à l'infraction. Elle considère que la Commission a complété cet élément à charge trop tardivement même si l'extrait de cette réponse lui a été communiqué en juin 2002. Elle aurait dû prendre l'initiative de faire cette demande à BPB pendant la phase d'instruction. De plus, Lafarge n'aurait pas été en mesure d'examiner cette déclaration dans les délais impartis et de l'intégrer à sa défense.

153 La requérante estime donc qu'il convient d'écarter des débats toute référence à ces deux éléments.

154 La Commission soutient que les chiffres relatifs aux volumes de ventes et aux parts de marché sur le territoire de l'EEE ont été demandés pour établir des catégories d'entreprises dans le cadre du calcul du montant de l'amende et ne constituent donc pas, en tant que tels, une mesure d'instruction du dossier. La Commission ajoute que la communication des griefs doit contenir les éléments contre lesquels l'entreprise est susceptible de vouloir se défendre, ce qui ne peut être le cas des informations en cause, communiquées par les entreprises elles-mêmes. En outre, la Commission fait valoir qu'elle n'a pas utilisé les données en question pour compléter des preuves, mais à titre purement subsidiaire, à des fins d'illustration ou de conclusion du propos.

155 La Commission ajoute que la déclaration de BPB opposée à celle de Lafarge ne constituait pas un élément à charge à proprement parler, puisqu'elle a permis de fixer le début de la participation de Lafarge à une date postérieure à celle tout d'abord retenue. La requérante relève, de plus, que Lafarge a eu amplement l'occasion de réagir à cette pièce du dossier et l'a d'ailleurs fait par un courrier du 25 juin 2002 dont elle a tenu compte dans la décision attaquée.

- Appréciation du Tribunal

156 La requérante considère, en premier lieu, que le tableau annexé à la décision attaquée dans lequel les parts de marché des quatre entreprises sont compilées aurait dû lui être transmis pour qu'elle puisse le commenter.

157 Le tableau, compilé sur la base des informations fournies par les entreprises elles-mêmes, ne constitue pas un élément à charge sur lequel la requérante aurait dû pouvoir fournir des observations, mais un élément de fait dont elle n'a pas contesté la véracité dans sa requête. En effet, la Commission n'a fait que demander des données factuelles comme les volumes de ventes des plaques en plâtre et l'estimation des parts de marché détenues. En présumant que les entreprises ont communiqué à la Commission leurs chiffres correctement, ce que la requérante ne conteste pas, le tableau annexé à la décision attaquée ne constitue rien d'autre que la synthèse de ces données sur la base desquelles la Commission a pu calculer les différentes parts de marchés.

158 Dans la mesure où l'argumentation de la requérante doit être comprise comme contestant le fait que la Commission a utilisé ce tableau pour corroborer la thèse selon laquelle il y avait eu effectivement une stabilisation sur le marché, cette question sera examinée ci-après dans le cadre du moyen relatif à l'impact concret de l'infraction sur le marché.

159 En ce qui concerne l'argument de Lafarge selon lequel l'information provenant de la réponse de BPB, sur la base de laquelle la Commission a fixé le début de sa participation à l'infraction, lui a été communiquée trop tardivement, il est non fondé, étant donné que la Commission avait complété sa communication des griefs en envoyant cette information à Lafarge par la lettre du 12 juin 2002 et lui avait donné la possibilité de présenter des observations sur cette information.

160 Il s'ensuit que tous les arguments de la requérante, relatifs aux prétendus vices de procédure, résultant de la violation du principe de l'égalité des armes doivent être rejetés.

Sur la partialité de l'instruction

Sur les conditions d'enregistrement des déclarations accusatoires des coinculpés

- Arguments des parties

161 La requérante estime que la Commission a eu des contacts réguliers avec BPB et Gyproc, mais que le dossier ne contient pas d'informations complètes relatives aux réunions qui se sont tenues. Ainsi, des contacts contraires à l'impartialité auraient donc pu avoir lieu. À cet égard, la requérante souligne que, par courrier du 28 septembre 2001, M. [E] a réagi aux accusations de M. [G] selon lesquelles il aurait une mémoire défaillante. Or, cette accusation ne proviendrait pas de la lettre de M. [G], mais de la réponse de la requérante à la communication des griefs à laquelle Gyproc n'aurait pas dû avoir accès.

162 La requérante en conclut que si le Tribunal estime que la Commission pouvait utiliser les déclarations de Gyproc et de BPB comme elle l'a fait, il n'en reste pas moins qu'elle aurait dû rendre accessible aux entreprises concernées des procès-verbaux extrêmement détaillés de ces contacts.

163 La requérante trouve un autre signe manifeste de la partialité dont la Commission aurait fait preuve dans le fait qu'elle aurait attribué une valeur probante à des déclarations qui ne seraient étayées par aucune preuve documentaire.

164 La Commission soutient avoir communiqué toutes les informations relatives à ses contacts avec Gyproc et BPB, sous réserve de celles qui étaient couvertes par le secret d'affaires. De plus, elle n'aurait pas été tenue de communiquer à Gyproc la réponse à la communication des griefs des autres entreprises, pas plus qu'elle n'aurait été obligée de le faire à l'égard des entreprises en cause. Elle n'aurait donc aucune obligation d'établir des procès-verbaux extrêmement détaillés de ses contacts avec d'autres entreprises.

- Appréciation du Tribunal

165 La requérante allègue que la Commission a eu des contacts réguliers avec les deux entreprises qui lui ont fourni des déclarations accusatoires, à savoir BPB et Gyproc, et qu'elle a retenu les déclarations de ces deux entreprises alors qu'elles ne seraient étayées par aucune preuve.

166 À cet égard, il suffit de constater que les arguments de la requérante ne sont pas pertinents étant donné qu'il appartient, en tout état de cause, au Tribunal de vérifier la crédibilité de tous les éléments à charge que la Commission a utilisés dans la décision attaquée. En effet, outre que la requérante n'est pas en mesure de démontrer que les éléments de preuve utilisés par la Commission sont erronés, ces deux arguments ne démontrent aucune violation de ses droits de la défense, étant donné que, même si ces accusations étaient vraies, ces violations ne constitueraient une irrégularité procédurale que dans la mesure où elles auraient eu une incidence concrète sur la décision attaquée. Or, en l'espèce, la requérante n'a pas démontré cette incidence concrète.

167 Compte tenu de ce qui précède, le présent grief, en tant qu'il est pris d'une violation des droits de la défense et du droit à une procédure équitable, doit être rejeté. En tant qu'il a pour objet de contester la valeur probante des éléments invoqués par la Commission au soutien des griefs formulés à l'encontre de Lafarge dans la décision attaquée, son analyse se confond avec l'examen de la question de savoir si la Commission a établi à suffisance de droit l'existence d'une infraction à l'article 81, paragraphe 1, CE et la participation de la requérante à celle-ci, lequel sera opéré ultérieurement.

Sur l'aggravation de la situation des entreprises n'ayant pas coopéré au titre de la communication sur la coopération

- Arguments des parties

168 Lafarge estime que la Commission a traité de manière partiale les entreprises n'ayant pas coopéré avec elle. Cela ressortirait du fait qu'un membre de l'unité 1 " Cartels " de la direction E " Cartels, industries de base et énergie " de la direction générale (DG) " Concurrence " de la Commission, aurait déclaré au conseil de Lafarge, à l'issue d'une intervention lors d'une conférence en septembre 2000, qu'il en coûterait à Lafarge " de ne pas être venue à la clémence ".

169 Lafarge considère, en premier lieu, avoir été victime d'une rupture d'égalité de traitement dans la protection accordée à ses documents par rapport à ceux soumis par BPB et par Gyproc. Ainsi, la Commission se serait empressée de transmettre la note rédigée par M. [G] aux autres entreprises concernées, sans s'assurer auprès de Lafarge que cette note ne contenait pas de secrets d'affaires et sans même l'informer de cette transmission. Ce ne serait que de manière fortuite que Lafarge aurait été informée de cette transmission, que le conseiller-auditeur aurait justifiée au motif que ce document était assimilable à ceux admis à être discutés lors de l'audition et, par conséquent, susceptibles de faire l'objet d'observations écrites. Or, Lafarge estime que cette assimilation est erronée. De plus, la communication de ce document aux autres entreprises concernées n'aurait nullement été de droit et aurait dû donner lieu à la consultation de l'entreprise concernée, tel que le prévoit la décision 2001-462-CE, CECA de la Commission, du 23 mai 2001, relative au mandat des conseillers-auditeurs dans certaines procédures de concurrence (JO L 162, p. 21). Lafarge considère qu'il ne lui appartenait pas de présumer que la note de M. [G] serait communiquée aux autres entreprises concernées et, donc, de signaler les éléments qu'elle considérait comme confidentiels.

170 En deuxième lieu, Lafarge estime qu'une nouvelle inégalité de traitement est visible dans le temps qui lui a été nécessaire pour obtenir les enregistrements de l'audition. Contrairement à ce que prétend le conseiller-auditeur, Lafarge ne se serait pas vu remettre les formulaires " Demande d'enregistrement " que les autres entreprises concernées ont reçus lors de l'audition. Les multiples demandes de Lafarge visant à obtenir les procès-verbaux des auditions en attesteraient. Lafarge ayant enfin reçu les enregistrements de l'audition le 27 juin 2002, le conseiller-auditeur aurait expliqué que, ayant demandé les procès-verbaux des auditions et non les enregistrements de celle-ci, Lafarge n'avait pas su se faire comprendre.

171 En troisième lieu, Lafarge estime que la Commission lui a imposé des délais déraisonnables pour fournir des renseignements. Par courrier du 2 août 2002, la Commission lui a adressé une demande de renseignements. Lafarge aurait fourni dans le délai de trois semaines, tel que demandé, la réponse la plus complète possible en précisant qu'elle pouvait compléter si nécessaire ces informations en disposant d'un délai supplémentaire. Or, ce ne serait que le 30 octobre 2002 que la Commission aurait informé Lafarge qu'elle estimait sa réponse incomplète et qu'elle lui demandait de fournir les informations manquantes au plus tard le jour suivant à 18 heures.

172 Tout cela serait aggravé par le fait que le conseiller-auditeur n'aurait pas veillé au respect du droit de Lafarge d'être entendue. Celle-ci estime qu'il n'a pas rempli son rôle et s'est contenté de conforter systématiquement la position de la Commission sans répondre à ses objections pourtant légitimes de manière effective et même parfois en n'y répondant pas du tout.

173 À cet égard, la requérante relève, en particulier, la lettre du conseiller-auditeur du 11 février 2002 qu'elle estime révélatrice du peu d'intérêt porté par celui-ci à ses droits de la défense. Cela serait confirmé par le rapport final du conseiller-auditeur qui se méprendrait sur certains des arguments de la requérante.

174 Enfin, Lafarge prétend que, chaque fois que cela a été possible, la Commission l'a sanctionnée plus lourdement que les autres entreprises concernées. La Commission aurait notamment favorisé Gyproc en ce qui concerne la durée de l'infraction et elle aurait considéré que l'infraction de Lafarge Plâtres était imputable à Lafarge alors qu'elle serait parvenue à la conclusion inverse s'agissant de l'imputabilité de l'infraction de Gyproc à ses sociétés mères BPB et Etex. Enfin, l'amende infligée à Lafarge serait totalement disproportionnée.

175 La Commission soutient ne jamais avoir favorisé une entreprise par rapport à une autre du fait de sa participation ou non à la procédure de coopération.

176 Quant à la conversation du conseil de Lafarge avec un fonctionnaire de la Commission, celle-ci relève qu'elle a eu lieu avant même l'engagement de la procédure administrative et que ce fonctionnaire a quitté ses services en septembre 2000. De plus, même dans l'hypothèse où cette conversation aurait eu la teneur que Lafarge lui prête, cela ne permettrait pas d'établir une quelconque prise de position de la part de la Commission et ne ferait, en tout état de cause, qu'énoncer une évidence : l'amende a toutes les chances d'être moins élevée pour les entreprises ayant coopéré que pour les autres.

177 La Commission considère que la déclaration de M. [G] pouvait valablement être assimilée à une déclaration effectuée lors de l'audition, de nature non confidentielle, et donc susceptible de faire l'objet d'observations écrites de la part des autres entreprises concernées, conformément à l'article 12, paragraphe 4, du mandat des conseillers-auditeurs, et ce sans avoir à consulter préalablement Lafarge.

178 La Commission souligne, de plus, que le conseiller-auditeur a, à plusieurs reprises, informé Lafarge de l'inexistence de procès-verbaux de l'audition et de la possibilité de recevoir les enregistrements. Quand, par lettre du 25 juin 2002, Lafarge aurait finalement demandé ces enregistrements, le conseiller-auditeur les lui aurait transmis dès le lendemain en lui accordant un délai supplémentaire pour qu'elle puisse soumettre des observations additionnelles. Lafarge aurait cependant indiqué, par lettre du 23 juillet 2002, ne pas avoir d'observations particulières à faire en dehors d'un prétendu défaut de crédibilité du contact entre M. [A], P.-D.G. de BPB, et M. [J], à l'époque administrateur directeur général, puis vice-P.-D.G. de Lafarge, qui n'aurait pas été évoqué lors de l'audition.

179 Quant au délai accordé à Lafarge pour fournir des renseignements, la Commission relève que la réponse fournie par celle-ci à sa demande de renseignements complémentaires d'août 2002 ne répondait manifestement pas à certains éléments de la demande, pourtant précisément formulée. La Commission précise qu'elle aurait été fondée à adopter une décision basée sur l'article 11 du règlement nº 17, mais qu'elle s'est abstenue de le faire, préférant laisser une occasion supplémentaire à Lafarge de répondre. De plus, la Commission estime que, s'agissant de données purement factuelles ne nécessitant donc pas une élaboration trop recherchée, le délai de 24 heures était raisonnable et suffisant. En tout état de cause, cela ne pourrait pas constituer une violation substantielle des formes de nature à affecter la légalité de la décision.

180 La Commission considère que le conseiller-auditeur a parfaitement rempli son rôle en toute indépendance et a correctement motivé et détaillé ses réponses, respectant totalement le droit des entreprises concernées d'être entendues. Quant à la lettre du 11 février 2002, le conseiller-auditeur y indiquerait simplement, après de longs échanges répétés sur les mêmes points, que la poursuite d'un tel débat était devenue vaine, mais que la requérante pouvait se pourvoir devant le Tribunal si elle n'était pas satisfaite des réponses fournies quant au fond.

- Appréciation du Tribunal

181 En premier lieu, Lafarge estime que la Commission aurait accordé une protection plus étendue aux documents soumis par BPB et Gyproc qu'aux siens. À cet égard, elle avance comme exemple la note rédigée par M. [G] après l'audition, qui aurait été divulguée aux autres entreprises concernées.

182 Il y a lieu de prendre en compte, comme la Commission l'a rappelé, que, lors de l'audition, le représentant de Lafarge Plâtres s'était réservé la faculté de produire ultérieurement des déclarations de responsables n'ayant pu être présents, notamment celles de M. [G], " en lieu et place des témoignages qu'ils auraient pu apporter ". Il ressort clairement de la lettre du 10 août 2001 par laquelle la note de M. [G] a été transmise à la Commission que cette note remplit cette fonction.

183 De même, dans cette lettre du 10 août 2001, la requérante n'a pas mentionné que cette note comportait des informations confidentielles. Or, en application de l'article 13 du règlement (CE) nº 2842-98 de la Commission, du 22 décembre 1998, relatif à l'audition dans certaines procédures fondées sur les articles [81 CE] et [82 CE] (JO L 354, p. 8), toute entreprise concernée faisant connaître son point de vue pendant une audition doit indiquer clairement tous les éléments qu'elle juge confidentiels. Par ailleurs, comme le fait valoir la Commission à juste titre, la requérante ne prétend même pas, dans sa requête, que la note de M. [G] contenait des informations confidentielles.

184 En tout état de cause, nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d'autrui (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, Lögstör Rör/Commission, T-16-99, Rec. p. II-1633, point 350).

185 Dans ces conditions, le Tribunal estime que la requérante n'a pas démontré que la Commission l'avait traitée d'une manière partiale en ce qui concerne la confidentialité des documents.

186 En deuxième lieu, la requérante affirme qu'elle a eu accès à l'enregistrement de l'audition après les autres entreprises.

187 Il ressort du dossier que, selon la pratique de la Commission, les entreprises concernées peuvent demander l'enregistrement de l'audition en remplissant lors de l'audience un formulaire qui s'appelle " Demande d'enregistrement ". Or, selon la Commission, la requérante ne l'a pas rempli. En effet, il ressort de la lettre de la requérante du 21 décembre 2001 que celle-ci a demandé les procès-verbaux des auditions. Or, même si la requérante a demandé à recevoir les procès-verbaux des auditions, la Commission aurait pu l'informer que, désormais, seuls les enregistrements étaient disponibles. Toutefois, ce n'est que par la lettre du conseiller-auditeur du 27 juin 2002 que cette incompréhension de la requérante a été levée.

188 Cependant, cette circonstance n'a pas d'effet sur la validité de la décision attaquée. En effet, comme il ressort de la lettre de la requérante du 23 juillet 2002, adressée à la Commission, elle a conclu après avoir reçu les enregistrements que " Lafarge Plâtres n'a[vait] pas d'observation particulière à formuler sur l'enregistrement effectué ". En outre, il ressort de cette lettre que la requérante elle-même a admis que c'était " l'absence de communication du formulaire de demande d'accès aux cassettes, puis une mauvaise compréhension de part et d'autre (puisqu['elle] demand[ait] les [procès-verbaux] de l'audition tandis que [la Commission] pens[ait] aux cassettes) qui [étaient] à l'origine de la réception différée des cassettes par Lafarge Plâtres ".

189 Dans ces conditions, le retard constaté dans l'accès aux enregistrements des auditions ne démontre pas non plus que la Commission a fait preuve de partialité au cours de la procédure administrative.

190 En troisième lieu, la requérante reproche également à la Commission de lui avoir imposé des délais déraisonnables pour fournir des renseignements.

191 Le seul exemple concret que la requérante soulève à cet égard est la lettre de la Commission du 30 octobre 2002 dans laquelle celle-ci a demandé le total des volumes de vente de plaques en plâtre en mètres carrés de la requérante et de chaque société contrôlée par celle-ci et active dans le secteur des plaques en plâtre dans l'EEE, ventilé par État membre de l'EEE, pour la période allant de 1985 jusqu'en 1998.

192 Il est certes vrai que cette information a été demandée pour, au plus tard, le jour suivant à 18 heures. Toutefois, le Tribunal estime qu'un tel délai n'était pas déraisonnable étant donné que la Commission avait déjà posé la même question au point 1, quatrième tiret, de sa demande de renseignements du 2 août 2002.

193 En ce qui concerne l'affirmation de la requérante selon laquelle la partialité de l'instruction du dossier par la Commission est démontrée par le fait que les conclusions de fond de la Commission à l'égard de la requérante seraient plus strictes que celles tirées à l'encontre des autres entreprises en cause, il s'agit d'une question qui sera examinée ultérieurement. En effet, le Tribunal devant examiner toutes les conclusions de la Commission sur l'existence et la gravité de l'infraction ainsi que sur l'imputation de l'infraction, il pourra alors prendre en compte la question de savoir si la Commission a démontré à suffisance de droit les conclusions tirées à l'encontre d'une entreprise.

194 Enfin, en quatrième lieu, la requérante allègue que le conseiller-auditeur n'a pris aucune mesure pour mettre fin aux atteintes à ses droits de la défense caractérisées par le fait qu'elle aurait été sanctionnée plus lourdement que les autres entreprises en cause.

195 À cet égard, il convient de relever que les droits de la défense ne sont violés du fait d'une irrégularité procédurale que dans la mesure où celle-ci a eu une incidence concrète sur la possibilité pour l'entreprise mise en cause de se défendre (arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 97 supra, point 55). Or, la requérante ne démontre nullement comment ces affirmations auraient affecté la décision attaquée à son détriment.

196 En tout état de cause, selon les considérants 2, 3 et 8 de la décision 2001/462, la Commission est appelée à veiller à ce que le droit d'être entendu des personnes concernées par une procédure de concurrence soit garanti tout au long de cette procédure. Elle doit confier la conduite des procédures administratives en la matière à une personne indépendante, qui possède l'intégrité nécessaire pour contribuer à l'objectivité, à la transparence et à l'efficacité de ces procédures.

197 Il est prévu à l'article 13, paragraphe 1, de ladite décision ce qui suit :

" Le conseiller-auditeur fait rapport au membre de la Commission chargé de la concurrence sur l'audition et sur les conclusions qu'il en tire, quant au respect du droit d'être entendu. Les observations contenues dans ce rapport portent sur les aspects procéduraux, notamment la divulgation des documents et l'accès au dossier, les délais de réponse aux communications des griefs et le déroulement de l'audition ".

198 En vertu de l'article 15 et de l'article 16, paragraphe 1, de ladite décision, le conseiller-auditeur élabore un rapport final sur le respect du droit d'être entendu, dans lequel il est vérifié que le projet de décision ne retient que les griefs au sujet desquels les entreprises concernées ont eu l'occasion de faire connaître leur point de vue. Ce rapport est joint au projet de décision soumis à la Commission, de manière que celle-ci, lorsqu'elle prend une décision, soit pleinement informée de " tous les éléments pertinents " en ce qui concerne le déroulement de la procédure administrative et le respect du droit d'être entendu.

199 Toutefois, ainsi qu'il ressort des dispositions susmentionnées, le conseiller-auditeur n'a pas la tâche de rassembler tous les griefs d'ordre procédural qui ont été avancés par les intéressés au cours de la procédure administrative. Il n'est tenu de communiquer au collège des membres de la Commission que les griefs pertinents pour l'appréciation de la légalité du déroulement de la procédure administrative (arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T-236-01, T-239-01, T-244-01 à T-246-01, T-251-01 et T-252-01, Rec. p. II-1181, point 53).

200 En effet, il convient de rappeler que le rapport du conseiller-auditeur constitue un document purement interne à la Commission, qui n'a pas pour objet de compléter ou de corriger l'argumentation des entreprises et qui ne présente donc aucun aspect décisif dont le juge communautaire ait à tenir compte pour exercer son contrôle (arrêts du Tribunal LVM/Commission, point 57 supra, point 376, et du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T-9-99, Rec. p. II-1487, point 40).

201 En tout état de cause, étant donné que la requérante n'a pas démontré que ses droits de la défense ont été violés, même à supposer que le conseiller-auditeur ne soit pas intervenu correctement dans la procédure administrative, l'argument relatif au prétendu caractère insuffisant de ses interventions est inopérant.

202 Il s'ensuit que le premier moyen, tiré de la violation des droits de la défense et des formes substantielles, ne peut être accueilli.

2. Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l'article 81, paragraphe 1, CE et d'erreurs manifestes d'appréciation

Sur la réunion de Londres

Arguments des parties

203 À titre liminaire, la requérante considère être recevable à contester les considérants de la décision attaquée relatifs à la création d'un système d'échange de renseignements par BPB et par Knauf même si elle n'y a pas participé (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 54 supra, point 89). Dans le cas contraire, la question de savoir si elle a participé à un accord de respect des " flux traditionnels " devrait être déterminée en faisant totalement abstraction de la réunion de Londres et des conditions de création de l'échange d'informations par BPB et par Knauf.

204 La requérante conteste avoir pris part à un accord de respect des " flux traditionnels ". Elle conteste tout autant sa participation à un accord mettant fin à la guerre des prix.

205 En premier lieu, la requérante fait valoir que la Commission ne dispose d'aucune autre preuve sur la réunion de Londres que les déclarations de BPB au cours de la procédure administrative qui, selon elle, sont floues et contradictoires.

206 En deuxième lieu, la requérante estime que la réunion de Londres réunissant BPB et Knauf n'a pas abouti à la mise en place d'un statu quo sur le marché, mais seulement à un constat banal et public sur la situation de guerre des prix existante. L'existence d'un accord ne pourrait être tirée de la réponse de BPB à la deuxième demande de renseignements. Ainsi, la requérante considère que la traduction effectuée par la Commission des termes anglais " reached an understanding " en " tombés d'accord " est tendancieuse. Il ne serait, en effet, pas question d'accord, mais de compréhension commune. Cela serait confirmé par la réponse de BPB à la communication des griefs, mais aussi par celle de Knauf selon laquelle la réunion a eu pour objet le possible rachat en commun par BPB et par Knauf de gisements de gypse en France.

207 En troisième lieu, la requérante considère que le constat opéré par Knauf et par BPB sur la situation du marché n'est pas contraire à l'article 81 CE. La Commission aurait, en effet, qualifié à tort ce constat d'accord, en l'absence d'une volonté commune des entreprises concernées de se comporter d'une manière déterminée sur le marché. Le constat ne pourrait d'ailleurs pas non plus être qualifié de pratique concertée, puisque les entreprises concernées n'auraient même pas dévoilé leurs intentions.

208 La Commission considère que cette branche du moyen est irrecevable. La requérante ne pourrait, en effet, contester des éléments de la décision attaquée qui ne la concernent pas, n'étant pas accusée d'avoir participé à la réunion de Londres.

209 Sur le fond, dans la décision attaquée, la Commission n'aurait pas affirmé qu'il y avait eu un accord sur les " flux traditionnels " sur les marchés, mais que les entreprises auraient poursuivi en commun un objectif de stabilité. La Commission souligne également que la réunion de Londres ne constitue pas un accord anticoncurrentiel, mais n'est que la première manifestation de la volonté conjointe des concurrents.

210 La Commission précise que, dans la décision attaquée, elle conclut que, en participant à l'échange, compte tenu du contexte particulier du cas d'espèce, Lafarge a accédé à un système d'échange de renseignements qui, objectivement, constituait un mécanisme de surveillance du marché contribuant ainsi à un objectif commun de stabilisation, partagé par les entreprises participant à l'échange, et ce indépendamment des objectifs particuliers poursuivis par Lafarge à travers sa participation à l'échange.

211 La Commission souligne le rôle que l'échange d'informations jouait en réduisant l'incertitude sur la conduite ultérieure des entreprises impliquées dans l'infraction et en leur fournissant les données auxquelles elles n'auraient pas eu accès autrement, dans la mesure où ces données auraient normalement été considérées comme confidentielles.

Appréciation du Tribunal

212 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la requérante n'a pas participé à la réunion de Londres. Or, contrairement à ce qu'affirme la Commission, la requérante est recevable à contester les conclusions qu'elle a tirées de cette réunion dans la mesure où, sans la connaissance de la réunion de Londres, l'image de l'entente sanctionnée aurait été différente. En effet, les informations fournies par BPB à propos de la réunion de Londres ont renforcé de manière substantielle l'argumentation de la Commission en ce qui concerne l'existence d'une infraction unique et continue.

213 Toutefois, étant donné que BPB et Knauf ne contestent ni l'existence de la réunion de Londres ni leur participation à cette réunion, la requérante ne peut pas valablement contredire leurs déclarations, n'ayant pas elle-même participé à cette réunion et n'ayant donc pas eu connaissance de ce que BPB et Knauf étaient convenues lors de cette réunion.

214 Dans ces conditions, l'argumentation de la requérante ne peut viser que la qualification juridique de la réunion de Londres et la question de savoir si cette réunion avait un objet anticoncurrentiel.

215 À cet égard, il ressort du considérant 55 de la décision attaquée que BPB a révélé, dans sa deuxième réponse à la demande de renseignements, que, lors de cette réunion, ses représentants et ceux de Knauf " [étaient] tombés d'accord qu'il était de l'intérêt de BPB, [de celui] de Knauf et [de celui] de l'industrie dans son ensemble (y inclus, finalement, les intérêts des consommateurs) qu'il soit mis fin à la ruineuse guerre des prix et que les producteurs s'efforcent d'être en concurrence à des niveaux économiques plus viables ".

216 Selon une jurisprudence constante, pour qu'il y ait accord, au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (arrêts du Tribunal HFB e.a./Commission, point 200 supra, point 199 ; du 11 décembre 2003, Adriatica di Navigazione/Commission, T-61-99, Rec. p. II-5349, point 88, et du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission, T-49-02 à T-51-02, Rec. p. II-3033, point 118). En ce qui concerne la forme d'expression de ladite volonté commune, il suffit qu'une stipulation soit l'expression de la volonté des parties de se comporter sur le marché conformément à ses termes (arrêt du Tribunal du 14 octobre 2004, Bayerische Hypo- und Vereinsbank/Commission, T-56-02, Rec. p. II-3495, point 60).

217 Il s'ensuit que, pour constituer un accord au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE, il suffit qu'un acte ou un comportement apparemment unilatéral soit l'expression de la volonté concordante de deux parties au moins, la forme selon laquelle se manifeste cette concordance n'étant pas déterminante par elle-même (arrêt de la Cour du 13 juillet 2006, Commission/Volkswagen, C-74-04 P, Rec. p. I-6585, point 37).

218 Les critères de coordination et de coopération retenus par la jurisprudence, loin d'exiger l'élaboration d'un véritable " plan ", doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun. S'il est exact que cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs économiques de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s'oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs ayant pour objet ou pour effet soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on a décidé ou que l'on envisage de tenir soi-même sur le marché (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663, points 173 et 174, et arrêt Adriatica di Navigazione/Commission, point 216 supra, point 89).

219 Tel est le cas lorsque, entre plusieurs entreprises, existe un gentlemen's agreement représentant la fidèle expression d'une telle volonté commune et portant sur une restriction de la concurrence. Dans ces circonstances, il est sans pertinence d'examiner si les entreprises se sont considérées tenues - juridiquement, factuellement ou moralement - d'adopter le comportement convenu entre elles (arrêt HFB e.a./Commission, point 200 supra, point 200).

220 S'agissant, en particulier, d'accords de nature anticoncurrentielle qui se manifestent lors de réunions d'entreprises concurrentes, la Cour a jugé qu'une infraction à l'article 81, paragraphe 1, CE était constituée lorsque ces réunions avaient pour objet de restreindre, d'empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence et visaient, ainsi, à organiser artificiellement le fonctionnement du marché (arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C-238-99 P, C-244-99 P, C-245-99 P, C-247-99 P, C-250-99 P à C-252-99 P et C-254-99 P, Rec. p. I-8375, points 508 et 509).

221 Le Tribunal estime que l'explication de BPB et de Knauf à propos de l'objet de la réunion de Londres satisfait au critère posé par la jurisprudence susmentionnée. En effet, ainsi qu'il ressort de la décision attaquée, Knauf et BPB ont, toutes les deux, clairement exprimé leur volonté commune de mettre fin à la guerre des prix et de stabiliser le marché.

222 L'argument de Lafarge, selon lequel les déclarations de BPB et de Knauf ne sont pas cohérentes, mais, au contraire, contradictoires, ne saurait prospérer. En effet, même si les entreprises ont évidemment essayé de reformuler leurs déclarations, celles-ci présentent néanmoins, en substance, de telles analogies que l'on peut déceler le fait que leurs discussions portaient sur le souhait de voir prendre fin la guerre des prix.

223 Ainsi, la réponse de BPB à la deuxième demande de renseignements suffit à démontrer que elle-même et Knauf ont, toutes les deux, exprimé leur souhait de mettre fin à la guerre des prix et de restreindre ainsi la concurrence.

224 L'objet anticoncurrentiel de la réunion de Londres est également corroboré par l'échange d'informations auquel BPB et Knauf ont procédé après cette réunion. Ainsi qu'il ressort du considérant 58 de la décision attaquée, BPB a indiqué, dans sa réponse à la deuxième demande de renseignements, ce qui suit :

" [M. [A] et les cousins de la famille Knauf] lors de cette réunion se sont mis d'accord pour échanger les chiffres de leurs volumes de ventes 1991, afin de se doter d'une base fiable pour le futur pour vérifier que cet accord [original en anglais : 'understanding'] était mis en œuvre (c'est-à-dire simplement pour se donner mutuellement une image plus précise de la taille globale du marché et donc de leurs propres parts de marché). Ceci était nécessaire, car il n'y avait pas de statistiques industrielles fiables. "

225 Il s'ensuit que la Commission a considéré à juste titre que, lors de la réunion de Londres, BPB et Knauf avaient exprimé leur volonté commune de mettre fin à la guerre des prix et de stabiliser le marché concerné. Partant, la première branche du deuxième moyen doit être écartée.

Sur l'échange d'informations

Arguments des parties

226 En premier lieu, la requérante soutient que la Commission n'a pas prouvé que la réunion de Londres et la mise en place de l'échange de données étaient à ce point liées qu'elle pouvait considérer que celui-ci avait pour objet de restreindre la concurrence. Ainsi, la requérante souligne que, dès lors que, dans la déclaration initiale de BPB, il était dit que, lors de la réunion de Londres, un accord avait été mis en place afin d'échanger les chiffres des volumes de ventes de 1991, la seconde déclaration de BPB est une véritable rétractation. Dans celle-ci en effet, M. [A] déclarerait que l'échange d'informations a commencé plus tard en 1992, probablement aux environs du second semestre de 1992. Or, plutôt que de choisir entre les deux versions, la Commission s'accommoderait des deux en affirmant que BPB et Knauf se sont mises d'accord pour échanger des informations soit pendant la réunion de Londres, soit peu après. La Commission souhaiterait ainsi ne pas renoncer au contexte de la réunion de Londres qui constituerait son seul indice de ce que l'échange d'informations avait un objet anticoncurrentiel.

227 Or, la requérante estime que des doutes sérieux existent sur la relation supposée entre la réunion de Londres et l'échange de données. Ainsi, la réunion de Londres n'aurait concerné que le marché du Royaume-Uni alors que l'échange de données aurait couvert plusieurs États membres. En outre, rien ne permettrait d'affirmer que les échanges auraient débuté avant l'été de 1993.

228 En deuxième lieu, Lafarge soutient que, détaché du contexte de la réunion de Londres, l'échange de données ne révèle aucun élément indiquant un objet anticoncurrentiel. Les déclarations de BPB ne pourraient pas constituer une preuve à cet effet, car il en existerait cinq versions différentes sur ce sujet, déclarations parmi lesquelles la Commission retiendrait la version qui cadre le mieux avec sa thèse. Or, la conclusion qu'en tire la Commission serait contredite par des déclarations de BPB elle-même, de Lafarge, de Knauf et de Gyproc, qui attesteraient que le but de l'échange était uniquement de disposer de données sur le marché du fait de l'absence de statistiques officielles.

229 En troisième lieu, la requérante soutient que l'échange de renseignements n'a jamais servi à détecter un comportement déviant, alors même que les déviances ont été nombreuses. La requérante en déduit que cela constitue une nouvelle preuve de l'inexistence d'un accord tacite de respect des " flux traditionnels ".

230 La requérante soutient que, en tout état de cause, Lafarge Plâtres ne savait ni n'aurait dû savoir que, en participant à l'échange de données, elle adhérait à un accord de respect des " flux traditionnels ".

231 La requérante relève que, au moment où Lafarge Plâtres a adhéré à l'échange, sa part de marché était en pleine phase de développement, notamment en Allemagne où elle venait d'acquérir Norgips GmbH, ce qui s'opposerait à toute idée de stabilisation. Les informations échangées auraient, au contraire, eu pour but de favoriser sa conquête des marchés anglais et allemand.

232 Selon la requérante, ce besoin d'informations est d'autant plus grand lorsqu'une entreprise est une nouvelle entrante sur des marchés opaques dont l'évolution est imprévisible, comme c'était le cas en l'espèce, notamment du fait qu'il n'existait pas de statistiques officielles concernant les marchés des plaques en plâtres. Toute information, même globale, aurait donc été très précieuse. La requérante soutient que cela constituait la seule raison de sa participation à l'échange et qu'elle n'avait, dès lors, aucune raison de penser que BPB et Knauf avaient pu le mettre en place pour une autre raison.

233 Quant au caractère très rudimentaire de l'échange, la requérante soutient que la Commission a estimé que chaque entreprise se savait surveillée par ses concurrents, sans motiver cette affirmation et, donc, sans la prouver.

234 En outre, un échange de données sur les volumes de ventes n'aurait pas permis de détecter une action concurrentielle d'un des acteurs du marché en temps utile pour y remédier étant donné que la volatilité de la clientèle est importante. La requérante donne comme exemple les nombreuses tentatives de déstabilisation menées avec succès lors de la période concernée par la décision attaquée. Elle en déduit que la Commission ne pouvait pas estimer que les parts de marché n'avaient pas sensiblement évolué.

235 La requérante estime également que les données échangées étaient tellement rudimentaires et globales que l'échange ne pouvait avoir qu'un rôle purement indicatif. Ainsi, les informations auraient couvert l'ensemble des types de plaques en plâtre. En outre, elles auraient été établies au niveau régional, voire national, alors que la concurrence s'exercerait fréquemment à un niveau plus local.

236 En outre, le caractère historique et la périodicité des données échangées montreraient que Lafarge Plâtres ne savait pas et n'aurait pas dû savoir que l'échange d'informations tendait au maintien des " flux traditionnels ".

237 La requérante estime également que le déroulement ultérieur de l'échange conforte ses affirmations. Elle soutient que, entre 1992 et 1996, rien ne permettait à Lafarge Plâtres de connaître la portée réelle de l'échange. En effet, la Commission se référerait seulement à des réunions explicitement collusoires auxquelles Lafarge Plâtres n'aurait participé qu'à partir de juin 1996 et aux interrogations de M. [G] sur la légalité des échanges soulevées en 1997.

238 La requérante considère que le comportement de Lafarge Plâtres confirme sa non-participation à un accord de respect des " flux traditionnels ". Pour cette raison et du fait de l'insuffisance de preuves documentaires, la Commission aurait dû compléter son analyse par la preuve de la mise en œuvre des comportements suspectés, ce qui impliquerait une analyse économique. Cela serait d'autant plus nécessaire lorsque les entreprises concernées ont soulevé au cours de la procédure administrative des arguments économiques pour démontrer qu'un comportement avait une autre explication plausible que l'existence d'une entente. De plus, une infraction devrait toujours être examinée dans son contexte factuel et économique.

239 La requérante souligne, de plus, que la Commission se prévaut elle-même d'éléments économiques factuels et est donc d'autant plus malvenue à considérer ne pas devoir prendre en compte de tels faits. Ainsi, la Commission se serait penchée sur l'évolution des parts de marché après 1992.

240 La requérante soutient que l'évolution des prix et l'analyse des parts de marché attestent qu'elle n'a participé à aucune entente. À ce titre, la requérante souligne, tout d'abord, que les tentatives de hausses parallèles des prix ont débuté en 1991, soit avant le début de l'infraction alléguée et que, comme celles visées en l'espèce, elles n'ont entraîné aucune coordination et la guerre des prix s'est poursuivie. Cela attesterait que la réunion de Londres n'a marqué aucun tournant. Or, la Commission n'en aurait pas tenu compte, pas plus qu'elle n'aurait utilisé les données relatives aux parts de marché antérieures à 1992.

241 La requérante soutient ensuite que le ralentissement de la chute des prix après 1992 était inévitable afin de préserver l'avenir de plusieurs acteurs du marché. Un seuil plancher aurait été atteint, en dessous duquel il n'était pas possible que les prix descendent si l'entreprise voulait rester viable. Mais les prix ne se seraient pas stabilisés pour autant, la guerre des prix se poursuivant, particulièrement au Royaume-Uni et en Allemagne.

242 Les analyses économétriques réalisées par un cabinet d'expertise comptable à la demande de la requérante montreraient, à cet égard, que l'évolution des prix et des volumes de ventes pendant la période en cause résultait de facteurs concurrentiels et non d'une entente. Sur la base du test d'analyse économétrique des variations de prix, il apparaîtrait, tout d'abord, que les évolutions de prix au Royaume-Uni et en Allemagne sur l'ensemble de la période considérée dans la décision attaquée, et même au-delà, s'expliquent de manière presque parfaite par le jeu de variables majeures qui déterminent l'évolution du marché et jamais par l'existence d'une collusion, sauf précisément à la fin des années 1980 en Allemagne où existait alors un cartel auquel Lafarge Plâtres n'avait pas participé. Le test de dispersion des prix qui mesure l'évolution de l'écart entre le prix le plus bas et le prix le plus haut pratiqué à un instant donné par un producteur - écart qui se réduit en même temps que les prix augmentent en présence d'une collusion - réfuterait de la même manière l'hypothèse d'une coordination des prix sur les deux marchés. Or, la Commission aurait passé tous ces éléments sous silence.

243 L'analyse des parts de marché démontrerait aussi l'absence de participation de Lafarge à une entente. Celle-ci fait valoir que la Commission s'exprime sur la base d'un simple tableau des parts de marché, que l'évolution des parts de marché après 1992 a été plus limitée que celle intervenue au cours de la période de même durée antérieure à la réunion de Londres. Or, une telle comparaison entre la progression des parts de marché avant et après 1992 aurait supposé de disposer, au minimum, des données antérieures à 1992 et de motiver une telle affirmation. Or, les données utilisées par la Commission ne commenceraient qu'en 1992, alors même que celle-ci avait demandé aux entreprises leurs volumes de ventes pour l'ensemble de la période allant de 1985 jusqu'en 1998. Elle fait valoir que le différentiel de parts de marché pendant la période allant de 1992 jusqu'en 1998, tel qu'il ressort du tableau figurant dans la requête, montre qu'elle a acquis les parts de marché les plus importantes avec une augmentation de 260 % en Allemagne et de 107,4 % au Benelux. Elle reproche également à la Commission d'avoir opéré le calcul des parts de marché en faisant totalement abstraction de l'évolution de la demande.

244 La requérante prétend également que des périodes de surcapacité ont d'ailleurs existé. En outre, elle aurait construit quatre usines en Allemagne en 1996, créant une capacité additionnelle de presque 100 millions de mètres carrés. Selon elle, une telle création de surcapacité serait antinomique avec toute idée de cartel. La requérante considère également que ses efforts pour développer ses parts de marché n'auraient jamais eu lieu si elle était convenue de stabiliser celles-ci. À cet égard, elle fait valoir que, dès la fin de l'année 1990, Lafarge Plâtres a pris le contrôle de la société Redland Plasterboard et a augmenté sa capacité de production en 1992 en ouvrant une deuxième ligne de fabrication à Bristol (Royaume-Uni). Puis, en septembre 1993, elle aurait pris le contrôle de l'usine de Delfzijl (Pays-Bas) et d'une filiale commerciale en Allemagne (Norgips), ce qui lui aurait permis de devenir un acteur significatif et crédible en Allemagne (ses parts de marché seraient passées de 4 à 14 %. En 1994, elle aurait mis en service une usine à Corfinio (Italie), puis à Lubbenaü (Allemagne) en 1996. En 1999, elle aurait décidé d'en créer une autre à Lippendorf (Autriche).

245 La Commission estime qu'elle n'a pas à déterminer si l'accord mettant en place l'échange a été conclu lors de la réunion de Londres ou après, car cela n'a pas d'importance. Elle relève également que BPB a reconnu le lien existant entre l'échange d'informations au niveau européen et la réunion de Londres et ne l'a jamais remis en cause. Si les versions des déclarations de BPB n'ont pas toujours été très cohérentes, la Commission, dans la décision attaquée, expliquerait pourquoi elle en retient certaines et en écarte d'autres.

246 La Commission fait remarquer que, lorsqu'un échange d'informations porte sur des secrets d'affaires, il s'agit d'une indication importante de la nature anticoncurrentielle dudit échange. À cet égard, la Commission fait valoir que, dans la lettre du 7 janvier 2003, Lafarge affirme que toutes les données transmises concernant les volumes de ventes, les parts de marché et les prix relèvent du secret d'affaires.

247 La Commission rappelle que, pour caractériser une volonté de restreindre la concurrence, elle s'est référée à un faisceau d'indices sérieux et concordants, a placé l'échange dans son contexte de marché oligopolistique et dans le cadre d'une infraction plus large comprenant d'autres contacts. Elle rappelle également que les entreprises concernées ne pouvaient pas avoir simplement pour objectif de connaître la taille du marché et relève que le début des échanges coïncide avec la fin de la guerre des prix.

248 La Commission souligne également que M. [G] a reconnu avoir des doutes sérieux sur l'absence de caractère infractionnel de l'échange, notamment du fait de la réticence des autres entreprises quant à sa proposition de mettre en place un système d'échange d'informations conforme à la réglementation.

249 La Commission conteste, en outre, la fiabilité de l'analyse empirique avancée par la requérante. Ainsi, cette analyse méconnaîtrait le droit de la concurrence, notamment en considérant de façon erronée la nécessité de fournir des documents pour prouver une entente. De plus, le fait que cette analyse prétende prouver l'absence de rentabilité pour Lafarge Plâtres de l'existence d'une entente serait sans pertinence, non seulement car Lafarge aurait une bonne santé financière, mais aussi parce qu'un cartel pourrait se former dans des secteurs en crise pour essayer d'éviter le pire. La Commission considère que le principe du contradictoire n'a pas été respecté, car elle n'a pas eu accès aux données utilisées pour établir le rapport, ce qui l'a empêchée de le réfuter convenablement.

250 La Commission conteste enfin la réponse du cabinet d'expertise comptable à ses arguments économiques, ainsi que la validité des données qu'il a utilisées dans l'étude de la volatilité des parts de marché et de la clientèle au Royaume-Uni et en Allemagne, et l'interprétation qui en est faite.

251 La Commission constate que le fait que la réunion de Londres a été un tournant n'est pas contesté. D'ailleurs, les graphiques de prix de Lafarge montreraient un changement de tendance de l'évolution des prix après 1992, tandis que la stabilité des parts de marché, évidente à partir de 1993, ressortirait des tableaux trouvés chez M. [D], ainsi que des diverses données échangées pendant la mise en œuvre de l'entente. Cela ressortirait également de la présentation des parts de marché annexée à la décision attaquée qui seraient issues des propres chiffres des entreprises en cause.

252 Quant aux parts de marché, la Commission souligne que si les entreprises se sont implantées sur tous les marchés avant 1992, cela ne s'est pas poursuivi après cette date, montrant une renonciation des entreprises à conquérir des parts de marché au détriment de leurs concurrents. Elle fait valoir que la comparaison des parts de marché montre, en particulier, une pénétration réciproque sur les marchés nationaux avec une forme de compensation. Elle se réfère à l'évolution de l'ensemble des parts de marché des autres entreprises sur les quatre marchés concernés de 1992 à 1998. Elle souligne, néanmoins, qu'elle ne maintient pas qu'il existait un mécanisme de compensation. Elle fait valoir simplement qu'elle remet en question la crédibilité et l'utilité en l'espèce de ce que Lafarge appelle une " analyse empirique ", car on ne pourrait assimiler une étude commandée par une entreprise en cause à une expertise indépendante.

253 L'évolution du marché allemand serait due au fait que ce marché était en croissance permanente, permettant la mise en place de nouvelles usines, sans que les parts de marché entre 1993 et 1998 ne connaissent une réelle évolution. La Commission fait remarquer que l'année 1996 a été une année problématique et que c'est justement cette année qu'il y a eu les premières tentatives de mettre en place un cartel strict sur le marché allemand. Le fait que Lafarge estime que la concurrence se faisait sur les prix et non sur les volumes de ventes serait un aveu de la stabilité des parts de marché qui contredirait ses arguments précédents. La Commission souligne, de plus, que les évolutions de prix avancées par Lafarge ne valent que pour l'Allemagne, et non pour le Royaume-Uni. Quant à la France et au Benelux, le silence de Lafarge à leur sujet ferait penser que ces données sont contraires à ses intérêts.

Appréciation du Tribunal

254 La requérante a admis dans sa réponse à la communication des griefs qu'elle avait participé à un système d'échange d'informations portant sur les volumes de ventes sur les quatre marchés concernés par la décision attaquée. Elle a confirmé dans sa réponse à une question écrite du Tribunal avoir participé aux échanges d'informations sur les volumes de ventes en Allemagne, en France, au Benelux et au Royaume-Uni.

255 Ainsi, la requérante ayant admis l'existence de l'échange d'informations en cause, ses arguments ne visent à remettre en question que l'appréciation juridique des faits incontestés opérée par la Commission ainsi que la question de savoir si elle savait ou aurait dû savoir en y participant que cet échange avait comme but de permettre aux entreprises incriminées de surveiller le marché afin de savoir si la guerre des prix avait pris fin et si les parts de marché avaient été stabilisées.

256 Selon la jurisprudence en matière d'accords sur les échanges d'informations, ceux-ci sont contraires aux règles de concurrence lorsqu'ils atténuent ou suppriment le degré d'incertitude sur le fonctionnement du marché en cause avec comme conséquence une restriction de la concurrence entre entreprises (arrêt de la Cour du 23 novembre 2006, ASNEF-EQUIFAX et Administración del Estado, C-238-05, Rec. p. I-11125, point 51).

257 En effet, il est inhérent aux dispositions du traité relatives à la concurrence que tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun. Ainsi, selon ladite jurisprudence, une telle exigence d'autonomie s'oppose à toute prise de contact directe ou indirecte entre des opérateurs économiques de nature soit à influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à tenir soi-même sur le marché ou que l'on envisage d'adopter sur celui-ci, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet d'aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l'importance et du nombre des entreprises ainsi que du volume dudit marché (arrêt ASNEF-EQUIFAX et Administración del Estado, point 256 supra, point 52).

258 S'agissant de la légalité de l'échange d'informations, il ressort de la jurisprudence que, sur un marché véritablement concurrentiel, la circonstance qu'un opérateur économique tienne compte des informations sur le fonctionnement du marché, dont il dispose grâce au système d'échange d'informations, pour adapter son comportement sur le marché n'est pas de nature, compte tenu du caractère atomisé de l'offre, à atténuer ou à supprimer, pour les autres opérateurs économiques, toute incertitude quant au caractère prévisible des comportements de ses concurrents. Toutefois, sur un marché oligopolistique fortement concentré, l'échange d'informations sur le marché est de nature à permettre aux entreprises de connaître les positions sur le marché et la stratégie commerciale de leurs concurrents et ainsi à altérer sensiblement la concurrence qui subsiste entre les opérateurs économiques (arrêt de la Cour du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7-95 P, Rec. p. I-3111, points 88 et 90).

259 Il y a lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu'il incombe aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché. Il en est d'autant plus ainsi lorsque la concertation a lieu sur une base régulière au cours d'une longue période (arrêt HFB e.a./Commission, point 200 supra, point 216).

260 En l'espèce, le marché des plaques en plâtre était oligopolistique, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par la requérante. Il convient donc de vérifier si, compte tenu de cette caractéristique du marché, les échanges d'informations atténuaient ou supprimaient le degré d'incertitude des entreprises concernées sur le fonctionnement du marché en cause et restreignaient ainsi la concurrence sur ledit marché.

261 Il résulte de la réponse de BPB du 28 octobre 1999 à la deuxième demande de renseignements, reprise au considérant 58 de la décision attaquée :

" [Les représentants de BPB et de Knauf] se sont mis d'accord pour échanger les chiffres de leurs volumes de ventes 1991, afin de se doter d'une base fiable pour le futur pour vérifier que cet accord [original en anglais : 'understanding'] était mis en œuvre (c'est-à-dire simplement pour se donner mutuellement une image plus précise de la taille globale du marché et donc de leurs propres parts de marché). Ceci était nécessaire car il n'y avait pas de statistiques industrielles fiables. "

262 La conclusion selon laquelle les entreprises concernées pouvaient surveiller leurs parts de marché à l'aide de l'échange litigieux est corroborée par les écritures mêmes de Lafarge. Dans sa requête, Lafarge souligne que la connaissance du volume total du marché était essentielle pour définir une stratégie pour l'avenir sur un marché dont l'évolution était opaque et largement imprévisible. Elle ajoute que la véritable raison du caractère secret de l'échange trouve son explication dans les caractéristiques du marché, à savoir un oligopole étroit sur lequel toute avancée par rapport aux autres, quelque soit sa nature, est déterminante et sur lequel la concurrence est déjà telle que la tentation est grande de ne pas publier officiellement des données montrant des marchés en progression. Ces affirmations démontrent que l'information échangée était telle que l'on ne pouvait pas la trouver sur le marché, c'est-à-dire en réalité le contraire de ce que Lafarge soutient.

263 Il ressort de ce qui précède que, même à supposer que la requérante ne connaissait ni l'existence de la réunion de Londres ni ce que BPB et Knauf avaient convenu lors de cette réunion, l'échange de données sur les volumes de ventes était en lui-même anticoncurrentiel.

264 Cette conclusion ne saurait être infirmée par l'argument de Lafarge selon lequel l'objectif poursuivi par Lafarge Plâtres était légitime et pro-concurrentiel. En effet, Lafarge prétend que la connaissance du volume total du marché et de son évolution était un élément essentiel de la définition d'une stratégie future, surtout pour de nouveaux entrants comme elle l'était, qui devaient décider quand et où implanter des unités de production coûteuses.

265 Une telle explication ne saurait être acceptée. En effet, une interprétation selon laquelle la requérante avait besoin de connaître le volume du marché pour contrôler que, bien qu'il ait été convenu de mettre fin à la guerre des prix, sa part de marché ne diminuait pas, est bien plus plausible.

266 En outre, même à supposer que le but de l'échange d'informations ait été celui affirmé par la requérante, il serait tout de même contraire aux règles de concurrence. En effet, les allégations de la requérante selon lesquelles l'échange d'informations visait seulement à tenter d'améliorer la compréhension qu'avaient les entreprises concernées de l'évolution du marché peuvent être rejetées en rappelant que la concurrence exige que les entreprises agissent sur le marché d'une manière indépendante.

267 Par ailleurs, si le marché était transparent et si les données échangées pouvaient être collectées sur le marché, comme le prétend la requérante, les entreprises concernées n'auraient pas eu besoin de commencer l'échange litigieux. Or, il ressort tant du considérant 117 de la décision attaquée que des écritures mêmes de la requérante (voir point 262 ci-dessus) que les données échangées n'étaient pas disponibles sur le marché. Les entreprises avaient donc un intérêt à échanger les données en cause.

268 En conclusion, la nature collusoire des échanges d'informations sur les volumes de ventes en Allemagne, en France, au Benelux et au Royaume-Uni de 1992 à 1998 est suffisamment démontrée.

269 S'agissant de la question de savoir si la Commission a démontré à suffisance de droit que, pour Lafarge, il était raisonnablement prévisible, à partir du moment auquel elle avait participé à l'échange de données sur les volumes de ventes, que cet échange avait pour but de contrôler l'évolution des parts de marchés afin de surveiller la fin de la guerre des prix, il convient de rappeler qu'une entreprise ayant participé à une infraction multiforme aux règles de concurrence par des comportements qui lui sont propres, qui relèvent des notions d'accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE et qui visent à contribuer à la réalisation de l'infraction dans son ensemble, peut être également responsable des comportements mis en œuvre par d'autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction, lorsqu'il est établi que l'entreprise en question connaît les comportements infractionnels des autres participants, ou qu'elle peut raisonnablement les prévoir et qu'elle est prête à en accepter le risque (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 54 supra, point 203, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T-23-99, Rec. p. II-1705, point 158).

270 En l'espèce, comme il ressort du considérant 133 de la décision attaquée, Lafarge a participé à l'échange de données sur les volumes de ventes sur proposition de BPB. Or, il n'est pas plausible que Lafarge ait participé à un échange de données qu'une entreprise considère normalement confidentielles, sans avoir été mise au courant du but recherché, à savoir terminer la guerre des prix et stabiliser les marchés concernés.

271 Les différentes manifestations doivent être vues dans un contexte global qui explique leur raison d'être. Il s'agit d'une administration des preuves dans laquelle la valeur probante des différents éléments de fait est augmentée ou corroborée par les autres éléments de fait existants qui, conjointement, donnent une image logique et complète d'une infraction unique. Dans ces conditions, le Tribunal estime que la thèse de la requérante selon laquelle elle ne pouvait pas prévoir que l'échange des données de ventes n'avait pas un but de surveillance de l'accord mettant fin à la guerre des prix sur le marché n'est pas convaincante.

272 En outre, selon la décision attaquée, la connaissance de Lafarge de l'objectif des échanges de données sur les volumes de ventes ressort également d'autres éléments, notamment de la déclaration de M. [G] et du fait que les représentants de BPB et de Knauf ont contacté ceux de Lafarge, ce qui n'aurait pas dû laisser le moindre doute dans l'esprit de ces derniers quant au caractère anticoncurrentiel de la démarche.

273 Ainsi, à partir de la réunion de Versailles qui s'est tenue en juin 1996, Lafarge a participé de manière certaine à des réunions explicitement collusoires. Comme la Commission le fait valoir à juste titre au considérant 138 de la décision attaquée, cette réunion, à tout le moins, aurait dû éclairer Lafarge sur le fait que l'échange d'informations avait une portée autre que la simple information réciproque et prétendument innocente des concurrents. En continuant sans objections l'échange au niveau européen, Lafarge a démontré avoir su que l'échange de données ne se limitait pas à un simple échange pro-concurrentiel.

274 En outre, cette conclusion vaut à plus forte raison parce que M. [G] soupçonnait qu'il y avait des " tricheries ". Comme la Commission l'a fait valoir au considérant 139 de la décision attaquée, l'existence de " tricheries " indique qu'il y avait un objectif de surveillance, car un simple échange tend à être fiable. En effet, il n'y a pas de raison de tricher si l'on ne fait qu'échanger des informations, alors que, dans un mécanisme de surveillance, on essayera de tricher pour ne pas dévoiler un gain de parts de marché.

275 La conclusion selon laquelle Lafarge savait depuis le début de sa participation que l'objectif de l'échange de données sur les volumes de ventes était de surveiller les marchés afin de voir si la guerre des prix avait pris fin et si les entreprises participant à l'entente avaient réussi à stabiliser les marchés n'est pas infirmée par ses arguments.

276 S'agissant de l'argument de la requérante selon lequel, sur un marché dont la volatilité de la clientèle est importante, un volume global des plaques vendues ne permet pas de détecter une action concurrentielle des autres concurrents en temps utile pour y remédier et selon lequel, pour cette raison, elle ne pouvait pas prévoir l'objectif de surveillance de l'échange, il ne saurait prospérer. Pour détecter une telle action sur le marché, il suffisait pour une entreprise de savoir que sa part de marché restait plus ou moins stable, même si les prix baissaient.

277 En ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel il n'existait pas de restriction de concurrence à défaut de valeur informative des données de ventes échangées étant donné que les chiffres avaient été communiqués sous une forme très brute et imprécise sans être ventilés selon les différentes sortes de plaques en plâtre, cette allégation est sans pertinence, dans la mesure où les échanges d'informations entre les entreprises en cause avaient pour objet de surveiller que leurs parts de marché restaient stables ou, à tout le moins, ne diminuaient pas. En effet, pour atteindre l'objectif de mettre fin à la guerre des prix et de stabiliser les marchés en question, il suffisait que les entreprises en question sachent que, en arrêtant la guerre des prix, elles ne perdraient pas de parts de marché. À cette fin, les données générales des ventes, qui permettaient de calculer les parts de marché, étaient suffisantes. Cela explique également la raison pour laquelle les chiffres n'avaient pas besoin d'être ventilés selon les différentes sortes de plaques en plâtre.

278 S'agissant de l'argument de la requérante selon lequel l'échange de données n'a pas été effectué à intervalles réguliers et, pour ce motif, il ne s'agissait pas d'un mécanisme de contrôle, force est de constater qu'il ne saurait aucunement remettre en cause le caractère anticoncurrentiel de cet échange d'informations, dont l'objectif a clairement été décrit par la requérante elle-même dans sa réponse à la communication des griefs comme visant à mettre fin à la guerre des prix.

279 Enfin, en ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel son comportement confirmait qu'elle n'avait participé à aucun accord anticoncurrentiel, il ne saurait être accepté. En effet, la Commission affirme à juste titre que, si les preuves examinées ci-dessus démontrent que Lafarge Plâtres savait ou aurait dû savoir qu'elle participait à une entente, toutes les preuves par lesquelles elle essaie de démontrer que son comportement est resté concurrentiel sur le marché ne sont pas pertinentes.

280 En effet, c'est seulement s'il n'existe pas assez de preuves d'un objet anticoncurrentiel qu'un accord ne pourrait être incriminé qu'au titre de ses effets (voir, en ce sens, arrêt Deere/Commission, point 258 supra, point 75).

281 À cet égard, il suffit de rappeler que des entreprises qui concluent un accord ayant pour but de restreindre la concurrence ne sauraient, en principe, échapper à l'application de l'article 81, paragraphe 1, CE en prétendant que leur accord ne devait pas avoir d'incidence appréciable sur la concurrence (arrêts Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 97 supra, points 130 et 196, et Brasserie nationale e.a./Commission, point 216 supra, point 140).

282 En conclusion, le Tribunal considère que cet ensemble d'indices objectifs et concordants démontre à suffisance de droit que Lafarge savait ou aurait dû savoir que l'échange d'informations sur les volumes de ventes avait pour but la surveillance du marché afin d'être informé si la guerre des prix avait pris fin et si les parts de marché restaient relativement stables.

283 La deuxième branche du deuxième moyen ne saurait donc prospérer.

Sur l'existence d'un échange d'informations spécifique au Royaume-Uni, sa qualification de mécanisme de surveillance et la participation de Lafarge à cet échange

Arguments des parties

284 La requérante soutient, en premier lieu, que les preuves documentaires invoquées par la Commission ne prouvent ni l'existence de l'échange, ni que son objet aurait été de surveiller le marché. Cela concernerait deux notes internes de BPB adressées par M. [M] à M. [D], contenant des estimations de parts de marché des concurrents, mais qui ne prouveraient que la volonté de BPB de cerner le volume global du marché. Quant au tableau de M. [N], directeur général de BG, relatif lui aussi aux parts de marché, il serait illisible et devrait donc être écarté des débats.

285 En deuxième lieu, la requérante soutient que la Commission ne pouvait pas se baser sur la déclaration de BPB selon laquelle M. [M] avait reçu pour instruction de BPB d'échanger des données sur les volumes de ventes avec Knauf et Lafarge. Cette déclaration ne pourrait établir l'existence de l'échange de données entre 1992 et 1998, car de nombreuses contradictions existeraient entre les diverses déclarations de BPB et cette déclaration serait beaucoup trop vague, mais également parce que rien dans celle-ci n'indiquerait que l'échange allégué aurait eu pour objectif de surveiller le marché. Au contraire, une autre déclaration de BPB affirmerait que l'objectif visé était d'avoir une meilleure vue de la taille globale du marché du Royaume-Uni et de la part de marché de BG.

286 La requérante soutient, en troisième lieu, que, du fait de l'absence d'éléments permettant d'incriminer l'échange en cause, la Commission ne peut se fonder sur ses propres déductions pour qualifier d'anticoncurrentiel l'objet de l'échange. Elle relève que le parallèle effectué par la Commission entre l'échange de données sur les autres marchés européens et celui effectué sur le marché du Royaume-Uni ne repose sur aucun élément et n'est pas pertinent, notamment parce que les deux échanges ne sont pas concomitants et que la similitude des données vient du peu de référents existant dans ce domaine. De plus, l'identité des personnes physiques participant aux deux échanges aurait été différente. Enfin, la Commission aurait ignoré les nombreuses preuves documentaires, qui démontreraient le haut niveau de concurrence existant sur le marché et l'absence de prise en compte de ces données, notamment pour détecter des avancées concurrentielles.

287 En quatrième lieu, la requérante souligne que la Commission n'a pas prouvé la participation de Lafarge Plâtres à l'échange allégué, car la seule affirmation par BPB de cette participation sans même en préciser les conditions ne peut constituer une telle preuve. Elle ajoute que sa participation à de tels échanges ne pourrait, en tout état de cause, avoir d'autre motivation que celle de l'échange d'informations au niveau européen, à savoir la recherche d'une meilleure connaissance du marché.

288 La Commission relève que la requérante se contente de contester la valeur des documents avancés par la Commission sans expliquer comment BPB aurait pu entrer en possession de chiffres aussi précis sur ses concurrents alors qu'ils ne pouvaient être obtenus sur le marché. La Commission conteste ensuite le caractère illisible des tableaux et souligne que la requérante n'a pas demandé un accès supplémentaire à ceux-ci. Elle soutient, en outre, que les notes internes ne peuvent pas révéler uniquement des préoccupations sur le volume total des ventes, car elles indiquent les parts de marché des concurrents. En tout état de cause, la requérante n'expliquerait pas pourquoi il a été nécessaire d'échanger des informations directement avec les concurrents si ces informations étaient disponibles sur le marché.

289 De plus, la Commission souligne que BPB a reconnu l'existence de cet échange en expliquant en détail ses modalités et que, même si certains autres aspects des déclarations de BPB étaient contradictoires, cela n'aurait pas de conséquence sur la valeur probante des tableaux concernés et de la réponse de BPB relative à cette partie de l'infraction.

Appréciation du Tribunal

290 Il y a lieu de remarquer, à titre liminaire, que, en réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a confirmé que l'échange d'informations sur les ventes sur le marché du Royaume-Uni ainsi que celui sur les ventes sur les quatre marchés concernés constituaient tous deux des éléments de l'infraction unique et continue, même si leurs effets anticoncurrentiels pouvaient avoir fait double emploi et s'être mutuellement renforcés dans la mesure où ils portaient sur le marché du Royaume-Uni.

291 Étant donné que la requérante conteste sa participation et l'objet des échanges d'informations sur les volumes de ventes sur le marché du Royaume-Uni, il y a lieu d'examiner si la décision attaquée est entachée d'erreurs quant à l'appréciation portée sur cet échange.

292 S'agissant de l'existence de l'échange de données sur le marché du Royaume-Uni, il ressort du considérant 172 de la décision attaquée que BPB a admis, dans une déclaration du 28 mai 1999 et dans sa deuxième réponse à la demande de renseignements, que, en 1992, M. [M], alors directeur général de BG, avait reçu des instructions de dirigeants de BPB lui demandant d'échanger des chiffres de ventes avec ses homologues travaillant dans les filiales de Knauf et de Lafarge. M. [M] a poursuivi ses contacts avec les concurrents de son entreprise jusqu'à sa promotion comme directeur de l'exploitation de BPB en 1995, mais la pratique de l'échange des chiffres de ventes a été poursuivie par son successeur au sein de BG, M. [N], jusqu'en mars 1998.

293 S'agissant de l'argument de la requérante selon lequel la déclaration de BPB ne saurait être considérée comme probante, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, aucune disposition ni aucun principe général du droit communautaire n'interdit à la Commission de se prévaloir à l'encontre d'une entreprise des déclarations d'autres entreprises incriminées. Si tel n'était pas le cas, la charge de la preuve de comportements contraires aux articles 81 CE et 82 CE, qui incombe à la Commission, serait insoutenable et incompatible avec la mission de surveillance de la bonne application de ces dispositions qui lui est attribuée par le traité CE. Toutefois, la déclaration d'une entreprise inculpée pour avoir participé à une entente, dont l'exactitude est contestée par plusieurs entreprises inculpées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante des faits en cause sans être étayée par d'autres éléments de preuve (voir arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T-38-02, Rec. p. II-4407, point 285, et la jurisprudence citée).

294 Par ailleurs, les déclarations allant à l'encontre des intérêts du déclarant doivent, en principe, être considérées comme des éléments de preuve particulièrement fiables. En particulier, le fait pour une entreprise à qui l'on demande de commenter des documents, d'avouer qu'elle a commis une infraction et d'admettre ainsi l'existence de faits qui dépassent ceux dont l'existence pouvait être déduite de manière directe des documents en question implique a priori, en l'absence de circonstances particulières de nature à indiquer le contraire, que cette entreprise a pris la résolution de dire la vérité (voir, en ce sens, arrêt JFE Engineering ea./Commission., point 59 supra, points 211 et 212).

295 En l'espèce, il importe, en effet, de noter que la déclaration de BPB ne tend pas à atténuer sa propre responsabilité et à mettre en exergue la responsabilité d'une autre entreprise. De plus, la valeur probante de la déclaration est également étayée par d'autres éléments de preuve. En effet, la Commission a découvert, lors des vérifications, deux documents, datés respectivement de juillet et de septembre 1993, qui correspondaient à de telles communications.

296 Ces documents sont deux télécopies adressées par M. [M] à M. [D] qui, à ce moment-là, était encore représentant de BPB en France, mais pratiquait alors l'échange de renseignements avec MM. [B] et [C], associés gestionnaires personnellement responsables de Knauf, et M. [G], responsable de l'ensemble de l'Europe pour Lafarge.

297 Dans ces conditions, il ne suffit pas que Lafarge conteste la déclaration de BPB en affirmant qu'une telle déclaration attestant sa participation ne constitue pas une preuve suffisante. En effet, Lafarge n'a fourni aucune preuve démontrant le contraire. À cet égard, elle aurait pu, par exemple, fournir une déclaration des personnes que BPB a nommées expressément comme étant ses contacts travaillant pour Lafarge. En effet, il ressort du considérant 180 de la décision attaquée que BPB avait même nommé les employés de Lafarge avec qui l'échange de données sur le marché du Royaume-Uni avait été effectué.

298 En ce qui concerne l'affirmation de Lafarge selon laquelle la déclaration de BPB est trop vague, il suffit de constater que la déclaration de BPB quant à l'échange particulier des données sur le marché du Royaume-Uni ne laisse aucun doute sur l'existence d'un tel échange.

299 Par ailleurs, BPB a communiqué à la Commission, en réponse à une demande de renseignements, un tableau qui comprend une série d'informations détaillées concernant les ventes sur le marché du Royaume-Uni de A, de B et de C. Ces lettres correspondent respectivement à BPB, à Lafarge et à Knauf. Le tableau indique ainsi les chiffres absolus des volumes de ventes, en statique et en glissement, et l'évolution des parts de marché en pourcentage, à la décimale près, en cumul mensuel, trimestriel et annuel de janvier 1993 à février 1998.

300 En ce qui concerne l'affirmation de Lafarge selon laquelle ce tableau serait illisible, elle ne saurait être acceptée. En effet, même si la qualité des copies n'est pas très claire, on peut constater qu'il s'agit des tableaux contenant les chiffres de ventes et les parts de marché mensuels en pourcentage sur le marché du Royaume-Uni de A, de B et de C.

301 Dans ces conditions, le Tribunal estime que la Commission a démontré à suffisance de droit l'existence d'un échange d'informations sur les volumes de ventes sur le marché du Royaume-Uni en ce qui concerne Lafarge.

302 En ce qui concerne l'objet de cet échange, la Commission a estimé, au considérant 171 de la décision attaquée, que son objet était identique à celui de l'échange de données sur les volumes de ventes sur les quatre marchés concernés. Or, la requérante affirme que, même à supposer que sa participation à un échange sur le marché du Royaume-Uni soit établie, son objet était d'avoir une meilleure connaissance de l'importance globale du marché du Royaume-Uni des plaques en plâtre et de sa part sur ce marché afin de prendre des parts de marché à ses concurrents.

303 Cette argumentation de la requérante n'est pas convaincante. En effet, ainsi que cela a déjà été constaté à propos de l'échange d'informations sur les quatre marchés concernés, dans le contexte général de l'infraction en cause, il est plus plausible que les entreprises en cause aient procédé à l'échange litigieux afin de surveiller que leurs parts de marché restaient relativement stables malgré la fin de la guerre des prix.

304 En conséquence, la troisième branche du deuxième moyen ne peut être accueillie.

Sur les hausses de prix au Royaume-Uni

Arguments des parties

305 En premier lieu, la requérante estime que les allégations de la Commission relatives à la hausse des prix doivent être écartées des débats, car elles manquent de clarté. Ainsi, la Commission constaterait que des initiatives tarifaires coordonnées ont eu lieu sans préciser de quelles initiatives il s'agit, ni comment elles auraient été coordonnées. De même, la Commission aurait dénombré dix hausses de prix, mais n'aurait pas précisé lesquelles étaient supposées avoir été concertées ni les raisons pour lesquelles elle aurait conclu de la sorte. Cela constituerait une violation des droits de la défense et du droit à un procès équitable tel qu'entendu par l'article 6 de la CEDH.

306 Selon la requérante, la Commission n'a, en réalité, pu identifier qu'une seule annonce de hausse des prix, celle de décembre 1998, d'ailleurs située en dehors de la période d'infraction, qui aurait été précédée d'un contact impliquant la requérante.

307 En deuxième lieu, la requérante considère que l'analyse factuelle et économique des annonces de hausses des prix démontre l'absence de toute concertation. En effet, les annonces de hausses des prix ne se seraient pas déroulées différemment avant et après 1992. À cet égard, la requérante rappelle que, en tout état de cause, l'analyse de la Commission est faussée dans la mesure où elle n'a pas pris en compte le fait que les annonces de hausses des prix avaient débuté en 1991. De plus, les différentes annonces de hausses des prix auraient été des échecs ne permettant pas de retrouver le niveau de prix qui existait avant la guerre des prix et ayant pour conséquence que le parallélisme des prix aurait été plus à la baisse qu'à la hausse.

308 En outre, la requérante soutient que Lafarge Plâtres a toujours déterminé son comportement sur le marché de manière totalement autonome. Ainsi, le seul parallélisme qui aurait eu lieu serait celui des annonces de hausses des prix, ce qui serait normal compte tenu de la forte transparence du marché à tendance oligopolistique.

309 La requérante soutient, en troisième lieu, que les éléments avancés par la Commission pour établir l'existence de contacts entre les entreprises sont insignifiants. Ainsi, la déclaration de BPB affirmant que le directeur général de BPB a, en de rares occasions, prévenu ses concurrents de la hausse des prix envisagée par BG, serait beaucoup trop vague et ne pourrait pas constituer à elle seule la preuve d'une concertation. Elle ajoute que la Commission aurait dû motiver en quoi la communication d'une information que les autres entreprises avaient déjà par l'intermédiaire de leurs clients pouvait affecter la concurrence.

310 Quant aux notes internes de BPB, la requérante considère qu'elles ne sont pas pertinentes. S'agissant de la note du 7 septembre 1996, il ne serait pas surprenant qu'un directeur régional de Knauf ait pu déclarer au détour d'une conversation que Knauf n'annoncerait pas de hausse des prix tant que BPB ne le ferait pas. Quant à la note du 10 septembre 1998, la requérante estime que le fait qu'un employé de Lafarge Plâtres ait déclaré à un employé de BPB que Lafarge Plâtres ne pensait pas aller de l'avant avec l'annonce des hausses de prix résulte d'un motif personnel, lié à un bonus, et non d'un comportement collusif.

311 La Commission conteste que les contacts aient été insignifiants. En effet, les hausses de prix n'ayant lieu qu'une à deux fois par an, toute information s'y rapportant serait importante. Cela serait d'autant plus vrai sur un marché fortement concentré comme en l'espèce où un échange d'informations, même restreint, pourrait avoir pour effet de limiter le peu de concurrence restant.

312 Quant à la question de savoir à quel moment M. [N] a pris contact avec les concurrents, la Commission fait observer qu'elle a seulement à démontrer que de tels contacts ont eu lieu pendant la période retenue pour l'infraction (de 1992 à 1998), ce que BPB a confirmé et ce que Lafarge ne conteste pas. Elle ajoute que les échanges sur les volumes de ventes ne sont pas une fin en soi, mais le moyen d'avoir une hausse des prix réussie.

313 Concernant la hausse des prix de décembre 1998, la Commission relève qu'elle n'est en dehors de la période couverte par l'infraction que parce qu'elle a fait son inspection à la fin de novembre 1998 et que les contacts à ce sujet ont eu lieu en septembre de la même année. Elle estime également qu'une analyse des prix ne peut pas démontrer la manière dont se déroule une hausse des prix et ne donne que des informations sur les prix.

314 La Commission ajoute que le graphique figurant au point 194 de la requête montre clairement que le parallélisme des prix n'a pas été à la baisse, mais bien à la hausse. De plus, le fait que Lafarge Plâtres a en permanence cherché à prendre des parts de marché serait loin d'être établi.

Appréciation du Tribunal

315 Lafarge nie tous les contacts entre les concurrents au sujet des hausses de prix intervenues sur le marché du Royaume-Uni. En outre, elle estime que le parallélisme des annonces de hausses des prix est totalement naturel compte tenu des caractéristiques du marché.

316 Quant à la Commission, elle a réaffirmé, en réponse à une question orale du Tribunal, que, pour la période antérieure au 7 septembre 1996, elle n'avait pas trouvé de preuves documentaires des contacts entre les entreprises en cause.

317 Ainsi, il y a lieu d'examiner si la Commission avait démontré à suffisance de droit que Lafarge a participé ou, au moins, pouvait prévoir qu'il y avait eu, à diverses reprises, des contacts entre les concurrents avant l'annonce des hausses de prix sur le marché du Royaume-Uni (considérant 429 de la décision attaquée).

318 À cet égard, il importe de vérifier si la quasi-simultanéité des annonces de hausses des prix ainsi que le parallélisme des prix annoncés, tel qu'il a été constaté, constituent un faisceau d'indices sérieux, précis et concordants d'une concertation préalable visant à informer les entreprises concurrentes des hausses de prix. Un parallélisme de comportement ne peut être considéré comme apportant la preuve d'une concertation que si la concertation en constitue la seule explication plausible. Il y a lieu, en effet, de tenir compte du fait que, si l'article 81 CE interdit toute forme de collusion de nature à fausser le jeu de la concurrence, il n'exclut pas le droit des opérateurs économiques de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents (arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C-89-85, C-104-85, C-114-85, C-116-85, C-117-85 et C-125-85 à C-129-85, Rec. p. I-1307, point 71).

319 Il ressort des considérants 198 à 200 de la décision attaquée que, s'agissant de la période antérieure au 7 septembre 1996, les annonces des hausses de prix ont été quasi simultanées à quatre reprises. Ainsi, l'annonce du 21 juillet 1992 de BG (entrée en vigueur à la fin d'août 1992) a été suivie par l'annonce du 31 juillet 1992 de Lafarge (Redland) (entrée en vigueur le 31 août 1992). Knauf a annoncé ses nouveaux prix le 3 août 1992 (avec une nouvelle liste de prix pour le 1er septembre 1992).

320 BPB a annoncé en novembre 1993 une hausse de 12 % devant entrer en vigueur en janvier 1994. Lafarge a suivi cette annonce de hausse, mais Knauf ne l'a pas totalement suivie.

321 Knauf a annoncé le 29 septembre 1994 une hausse d'environ 6,5 % devant entrer en vigueur le 1er mars 1995 et BG a annoncé le 2 décembre 1994 une hausse de 9 % avec effet au 27 février 1995. Cette hausse a été suivie par l'annonce d'une hausse identique par Lafarge le 6 janvier 1995, devant entrer en vigueur à la même date.

322 Le 22 septembre 1995, BG a annoncé une augmentation de prix de 12 % pour les plaques standard avec effet au 1er janvier 1996. Cette annonce a été suivie par Lafarge qui a annoncé la même augmentation le 13 octobre 1995, avec effet au 1er janvier 1996 et par Knauf qui a annoncé la même augmentation le 27 octobre 1995, avec effet à la même date.

323 Ainsi, en ce qui concerne la période antérieure au 7 septembre 1996, les hausses de prix de BPB, de Lafarge et de Knauf se sont succédé à des intervalles très rapprochés, voire ont été concomitantes.

324 Or, en l'espèce, même si les intervalles entre les différentes annonces de hausses des prix ont éventuellement permis aux entreprises d'en avoir connaissance par des informations venant du marché et même si ces hausses n'ont pas toujours été exactement du même niveau, la quasi-simultanéité des annonces de hausses des prix ainsi que le parallélisme des prix annoncés constituent des indices forts d'une concertation en amont de ces annonces dès lors que ces hausses s'inscrivaient dans un contexte caractérisé par le fait que, ainsi que la Commission l'a constaté dans la décision attaquée, Knauf et BPB s'étaient mises d'accord, lors de la réunion de Londres au début de l'année 1992, pour mettre fin à la guerre des prix sur les quatre marchés européens et que Lafarge a adhéré à ce système au plus tard à la fin du mois d'août 1992.

325 En tout état de cause, force est de constater que la Commission a conclu, au considérant 476 de la décision attaquée, en ce qui concerne l'échange de données sur les hausses de prix sur le marché du Royaume-Uni, uniquement à l'existence de contacts admis par BPB, Knauf et Lafarge qui ont accompagné certaines hausses de prix, se référant à cet égard au considérant 211 de la décision attaquée. Pour le reste, ainsi qu'il ressort du considérant 210 de ladite décision, elle a indiqué qu'elle ne pouvait que constater le parallélisme de comportement des entreprises, par ailleurs engagées dans d'autres contacts collusoires, sans en déduire que ce parallélisme avait nécessairement été précédé d'une concertation. Elle a en outre clairement, par l'emploi du terme " toutefois " dans les versions anglaise, française et néerlandaise du considérant 211 de la décision attaquée, opposé ce simple parallélisme à l'existence admise de contacts précédant les annonces de hausses de prix.

326 En ce qui concerne la période postérieure au 7 septembre 1996, l'existence de contacts entre les concurrents sur les hausses de prix au Royaume-Uni est démontrée par les preuves documentaires suivantes.

327 En premier lieu, il ressort d'un mémorandum interne de BG que, pendant le week-end des 7 et 8 septembre 1996, Knauf aurait annoncé qu'elle suivrait la hausse des prix décidés par BG lorsque les intentions de cette dernière seraient expressément précisées. Ainsi qu'il ressort du considérant 201 de la décision attaquée, cette discussion a eu lieu avant l'envoi par BG des annonces d'augmentation de ses tarifs de 3 à 4 % le 9 septembre 1996 avec entrée en vigueur le 4 novembre 1996. En outre, cette augmentation a été suivie, le 20 septembre 1996, par celle de Lafarge.

328 En deuxième lieu, la quasi-simultanéité des annonces de hausses des prix ainsi que le parallélisme des prix annoncés ont continué. Ainsi, la Commission a constaté, aux considérants 203 et 204 de la décision attaquée, que, le 3 juin 1997, BG avait annoncé une augmentation de 3,8 % pour les plaques standards, avec effet au 1er août 1997. Lafarge a annoncé pour sa part une augmentation de 3,7 %, avec effet au 4 août 1997, et Knauf a annoncé une augmentation de 3,7 %, avec effet à la même date que celle de Lafarge. En outre, le 27 janvier 1998, BG a annoncé une augmentation de prix de 4,4 %, avec effet au 1er avril 1998. Lafarge a annoncé pour sa part une augmentation de 4,1 %, avec effet au 6 avril 1998, et Knauf a annoncé la même augmentation, avec effet au 1er avril 1998.

329 En troisième lieu, il ressort du considérant 205 de la décision attaquée que, avant l'annonce par BG le 8 septembre 1998 d'une hausse des prix de 5 % avec effet au 1er novembre 1998, un représentant de Lafarge a indiqué à un responsable de BG que, pour des raisons budgétaires, Lafarge n'était pas disposée à suivre la hausse des prix prévue au début du mois de janvier de l'année suivante.

330 Cette déclaration ne serait pas significative, d'une part, car elle suggérerait que cette attitude a été dictée par un motif strictement personnel de l'intéressé plutôt que par un comportement collusif de la requérante et, d'autre part, car les prix auraient été dans une phase descendante et Lafarge Plâtres aurait refusé de suivre l'initiative de BPB sur l'ensemble de la période. Or, si les entreprises concernées n'étaient pas convenues d'échanger des informations sur les hausses de prix, la requérante n'aurait pas eu besoin d'informer le représentant de BG qu'elle n'allait pas suivre l'augmentation prévue.

331 En quatrième lieu, BPB a reconnu qu'il y avait eu ce qu'elle appelle des " occasions isolées " où M. [N] avait téléphoné aux directeurs généraux de Lafarge et de Knauf au Royaume-Uni pour les informer des intentions de BG en matière de prix, ainsi que de la fourchette de hausse envisagée (considérant 207 de la décision attaquée). Ces appels téléphoniques, même si BPB ne fournit pas, même approximativement, leurs dates et même s'ils sont qualifiés par elle d'" appels de pure courtoisie " démontrent que les entreprises concurrentes ont eu des contacts en ce qui concerne les hausses de prix.

332 Dans ces conditions, la Commission a considéré à juste titre au considérant 477 de la décision attaquée que les contacts sur les hausses de prix sur le marché du Royaume-Uni constituaient une pratique concertée, interdite par l'article 81, paragraphe 1, CE.

333 Cette conclusion ne saurait être infirmée par l'argument selon lequel il s'agissait d'un comportement unilatéral. Il est certes vrai que la notion de pratique concertée suppose effectivement l'existence de contacts caractérisés par la réciprocité. Toutefois, cette condition est satisfaite lorsque la divulgation, par un concurrent à un autre, de ses intentions ou de son comportement futur sur le marché a été sollicitée ou, à tout le moins, a été acceptée par le second (arrêt Ciment, point 69 supra, point 1849).

334 S'agissant des affirmations de la requérante selon lesquelles les informations sur les prix transmises étaient connues des clients de l'entreprise concernée avant leur communication aux concurrents et que, de ce fait, les informations dévoilées auraient déjà pu être collectées sur le marché par ces derniers, il convient de rappeler que le seul fait d'avoir reçu des informations concernant des concurrents, informations qu'un opérateur indépendant préserve comme secrets d'affaires, suffit à manifester l'existence d'un esprit anticoncurrentiel (arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T-202-98, T-204-98 et T-207-98, Rec. p. II-2035, point 66). Par ailleurs, les discussions au sujet desquelles la Commission a trouvé des preuves directes se sont déroulées avant les annonces officielles des hausses de prix.

335 S'agissant des arguments de la requérante selon lesquels elle n'a pas appliqué la hausse même si elle l'avait annoncée, il suffit de relever que le fait de ne pas respecter une entente ne change rien à l'existence même de celle-ci. En l'espèce, l'infraction commise n'est donc pas éliminée par le simple fait, à le supposer établi, que la requérante parvenait à tromper les autres participants à l'entente et à utiliser cette dernière à son profit, en ne respectant pas pleinement les prix convenus (arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, T-71-03, T-74-03, T-87-03 et T-91-03, non publié au Recueil, point 74).

336 En effet, les participants à une entente demeurent des concurrents dont chacun peut être tenté, à chaque moment, de profiter de la discipline des autres en matière de prix faisant l'objet d'un cartel pour baisser ses propres prix dans le but d'augmenter sa part de marché, tout en maintenant un niveau général de prix relativement élevé. En tout état de cause, le fait que Lafarge n'ait pas entièrement appliqué les prix convenus n'implique pas que, ce faisant, elle aurait appliqué des prix qu'elle aurait pu facturer en l'absence d'entente.

337 Compte tenu des circonstances de l'espèce, la Commission a démontré, à suffisance de droit, que les trois entreprises s'étaient informées à diverses reprises sur les hausses de prix sur le marché du Royaume-Uni pendant la période allant de 1992 jusqu'en 1998.

338 Dès lors, la quatrième branche du deuxième moyen doit être écartée.

Sur la stabilisation du marché allemand

Arguments des parties

339 La requérante considère que les différentes manifestations retenues par la Commission concernant le marché allemand posent des problèmes de cohérence avec les autres manifestations relevées dans la décision attaquée. Selon la requérante, la thèse de la Commission n'est pas convaincante, car elle ne répond pas à la question de savoir pourquoi les entreprises supposées avoir participé à un accord de stabilisation au niveau européen depuis quatre ans auraient conclu un accord de stabilisation du marché allemand en juin 1996. Par ailleurs, elle ne répond pas non plus à la question de savoir pourquoi ces entreprises auraient mis en place un échange de statistiques sur le marché allemand destiné à surveiller l'application de cet accord, alors que cet échange leur donnait moins d'informations que le système d'échanges de renseignements au niveau européen qui aurait été la base de l'accord de stabilisation initial.

340 La réalité serait que la réunion de Versailles a consisté à mieux déterminer la taille du marché allemand. À la suite de cette réunion, un système d'échange officiel et légal aurait permis à chacun d'obtenir le volume total du marché. Loin de stabiliser le marché, cette plus grande transparence du volume total du marché aurait conduit à une guerre de positions sans précédent tant sur les volumes que sur les prix.

341 La requérante considère que, du fait de son caractère équivoque, la décision attaquée devrait être annulée en ce qu'elle conclut à l'existence d'un accord de stabilisation du marché allemand. En effet, en se référant aux considérants 463, 465, 466 et 469 de la décision attaquée, la Commission aurait soutenu successivement dans sa décision quatre analyses différentes.

342 En premier lieu, la requérante soutient que la note de M. [E] à M. [L], administrateur de Gyproc, sur laquelle la Commission se fonde, est dénuée de toute valeur probante et doit donc être écartée des débats. Cette note manquerait tout d'abord de crédibilité, car elle ne serait pas datée et le nom de son destinataire n'y serait pas indiqué. De plus, le fait qu'elle provienne de M. [E] la priverait de toute valeur probante, puisque celui-ci se trouvait dans une situation difficile en Allemagne. M. [E] aurait pris la décision de créer une nouvelle usine, mais, un an plus tard, cet investissement important n'aurait toujours pas généré une augmentation significative de la part de marché de Gyproc et la guerre des prix persistante n'aurait fait qu'aggraver encore cette situation. Dans un tel contexte, M. [E] aurait eu tout intérêt à penser et à faire savoir que de vagues discussions avaient débouché sur une réactivation de l'ancien cartel allemand de la fin des années 80 et lui garantissaient pour l'avenir une part de marché de 11,7 %. Le manque de crédibilité de cette note serait également attesté par le fait que M. [E] y surestime de près de deux points la part de marché de Gyproc pour la période allant de 1988 jusqu'en 1994, alors même que cette estimation est faite à une date postérieure à celle de la réunion de Versailles et donc postérieurement à la date à laquelle Gyproc aurait commencé à recevoir les informations issues du système d'échange de renseignements au niveau européen.

343 Ensuite, la requérante soutient que, en tout état de cause, cette note n'établirait pas l'existence d'un accord, mais révélerait au contraire un désaccord manifeste. En effet, aucun accord ne serait possible sans accord sur la clé de répartition des parts de marché, d'autant plus quand seuls trois des quatre opérateurs du marché sont concernés.

344 En deuxième lieu, la requérante soutient que la mention manuscrite " Rigips " confirme l'absence d'accord à Versailles. Dans ce document interne de BPB, M. [R], directeur pour l'Europe centrale et responsable du suivi du marché allemand chez BPB, supérieur de M. [S], directeur opérationnel de la société Rigips (filiale allemande de BPB), demanderait à ce dernier, à toutes fins utiles, de sortir de la salle si le terme " Versailles " était évoqué, ce qui indiquerait qu'ils ignoraient l'existence de la réunion de Versailles. Or, aucun accord n'aurait pu exister sans que ces deux personnes n'en aient eu connaissance.

345 En troisième lieu, la requérante rappelle que la déclaration effectuée par M. [E] au cours de la procédure administrative n'est pas crédible et est contredite par l'ensemble des autres entreprises concernées et par Gyproc elle-même, qui, dans sa réponse à la communication des griefs, aurait expliqué que la réunion de Versailles n'avait abouti à aucun accord, car Gyproc avait fait échouer la tentative de collusion d'un accord à quatre.

346 En quatrième lieu, la requérante estime que la réponse de BPB à la communication des griefs doit être écartée des débats, car BPB aurait d'abord contesté les déclarations initiales de Gyproc avant de les confirmer dans cette réponse. En outre, cette affirmation de BPB serait entachée du même manque de crédibilité que les précédentes et n'apporterait rien de plus à la thèse de la Commission, car, en définitive, il n'y aurait pas eu d'accord.

347 En cinquième et dernier lieu, la requérante souligne que la Commission n'a pas motivé son rejet des explications qu'elle avait avancées sur cette réunion. En particulier, la requérante considère que la Commission ne pouvait pas écarter la déclaration écrite de M. [G], celle-ci ayant plus de valeur que les déclarations de M. [E] ou même de BPB, car elle émanait d'un participant direct à la réunion et n'était contredite par aucun élément du dossier. Or, cette déclaration attesterait l'absence d'accord conclu lors de la réunion de Versailles. La requérante précise que cette déclaration a été transmise à la Commission juste après l'audition, c'est-à-dire avant ou au plus tard à la même période que de nombreuses autres déclarations que la Commission a prises en compte.

348 S'agissant des discussions relatives à l'acquisition de l'usine de Norgips à Opole, Lafarge soutient qu'il s'agit d'un nouveau grief qui ne figurait pas dans la communication des griefs. En tout état de cause, les entreprises concernées n'auraient pas cherché à éliminer un concurrent, car ce serait Norgips qui aurait décidé de se retirer du marché et l'objectif de Lafarge était de s'implanter en Pologne. De plus, les discussions n'auraient pas abouti et auraient été rapidement abandonnées.

349 La requérante soutient que les entreprises concernées n'ont pas évoqué leurs ambitions respectives en terme de parts de marché en Allemagne lors des réunions de Bruxelles de 1997 et de La Haye de 1998. Tout d'abord, les preuves documentaires établiraient que les participants se sont livrés à un exercice purement financier. Les discussions auraient ainsi eu pour objectif de déterminer une possible répartition de la surprime demandée pour le rachat de Norgips. Mais, du fait de l'impossibilité de trouver un accord sur cette répartition, les discussions auraient échoué.

350 Ensuite, la requérante reproche à la Commission d'avoir retenu les déclarations de Gyproc plutôt que les preuves documentaires qu'elle a avancées, les estimant plus conclusives. Or, ces déclarations auraient été contestées par la requérante ainsi que par BPB et contredites par Gyproc elle-même qui aurait déclaré dans sa réponse à la communication des griefs qu'il n'y avait pas eu d'accord à Versailles. En outre, la requérante souligne que la Commission a ignoré le contexte de la période concernée, qui infirme l'hypothèse d'un accord de stabilisation au vu de l'intense concurrence qui régnait alors.

351 La requérante souligne que le système d'échange d'informations était fondamentalement un outil au service de la concurrence effective. Elle rappelle que peu de temps après la réunion de Versailles, un système statistique a été créé dans le cadre d'une association professionnelle allemande. Ce système permettait à tout producteur qui souhaitait y adhérer d'envoyer ses volumes de ventes à un expert indépendant, qui ne renvoyait que le volume total du marché.

352 Ensuite, la requérante soutient que le lien entre le système d'échange d'informations et la réunion de Versailles fournit une explication alternative à celle soutenue par la Commission. Le système d'échange d'informations aurait été créé à la suite de la prise de conscience, lors de la réunion de Versailles, de la nécessité de créer un outil permettant de mieux apprécier l'évolution du marché allemand. La requérante relève d'ailleurs qu'il n'est pas plausible que le système d'échange d'informations ait été créé pour contrôler des chiffres échangés lors des réunions de Versailles, de Bruxelles et de La Haye, alors que ces deux dernières n'avaient pas encore eu lieu.

353 La Commission rappelle que les éléments qu'elle a avancés doivent être analysés dans leur ensemble et que la requérante ne peut pas séparer chaque élément de preuve. La Commission indique, de plus, ne pas avoir estimé qu'un accord avait été conclu lors de chacune des réunions, mais que le contenu de ces réunions révélait une intention commune de stabiliser le marché allemand. La Commission souligne que même s'il n'y a pas eu d'accord sur un pourcentage précis des parts de marché concrètes, les négociations constantes en ce sens ainsi que le contenu des différentes réunions supposaient l'expression d'une volonté commune de se comporter d'une certaine façon sur le marché. Elle ajoute que le fait que, à plusieurs reprises, au moins trois concurrents aient clairement affirmé être satisfaits de leurs parts de marché constituerait déjà une infraction à l'article 81 CE.

354 La Commission soutient que le fait que la note de M. [E] ne soit ni signée ni datée est normal dans le cas d'une prise de notes lors d'une conversation téléphonique dont l'objet anticoncurrentiel justifie que son auteur laisse le moins de traces possible (arrêt Shell/Commission, point 68 supra, point 86). De plus, l'origine de cette note aurait été confirmée par Gyproc. En outre, l'existence de discussions sur les parts de marché en Allemagne serait confirmée par d'autres éléments du dossier. Quant à la situation de M. [E], la Commission souligne que Gyproc n'était pas à ce moment-là dans une situation délicate et que la guerre des prix n'était pas persistante.

355 Concernant la note interne de BPB, la Commission soutient qu'il n'est pas nécessaire pour constater l'existence d'un accord que tout le monde en ait connaissance au sein de l'entreprise, pas même les cadres de haut niveau.

356 Quant à la déclaration de M. [E], la Commission rappelle ne pas s'être basée uniquement sur celle-ci, mais également sur d'autres éléments pour prouver l'existence et le contenu de cette réunion. Elle souligne que Gyproc n'a pas mis en doute le fait que ces discussions avaient eu lieu et constituaient une infraction à l'article 81 CE, mais seulement le fait qu'un accord sur les parts de marché avait résulté de la réunion de Versailles. D'ailleurs, si Knauf et BPB ont effectivement contesté l'existence d'un accord, la Commission relève qu'elles n'ont pas nié l'existence d'une tentative d'accord, ce qui constituerait l'objet anticoncurrentiel de la réunion en question.

357 Concernant la réponse de BPB à la communication des griefs, la Commission soutient qu'elle ne fait que confirmer les éléments contenus dans la communication des griefs sans ajouter de grief nouveau ou servir de base à la constatation de cet élément de l'infraction.

358 Quant à la déclaration de M. [G], la Commission soutient en avoir admis la pertinence partielle et avoir discuté le reste. Cette déclaration arriverait, de plus, très tardivement dans la procédure administrative, après la prise de connaissance par l'entreprise des documents de la Commission et serait, de plus, contredite par tous les autres éléments du dossier relatifs à cette réunion.

359 La Commission rappelle qu'elle ne considère pas les discussions relatives à l'usine de Norgips à Opole comme constitutives d'une infraction en tant que telles. Toutefois, les discussions sur Norgips en tant qu'élément perturbateur étaient, selon la Commission, une preuve que la stabilité était recherchée par tous et une nouvelle occasion de discuter des moyens d'y parvenir. Les parts de marché auraient bien été évoquées lors de ces réunions.

360 La Commission souligne que la décision attaquée ne décrit pas le système d'échange d'informations comme un grief séparé et supplémentaire. Ce système ne constituerait pas une infraction, mais servirait à compléter les autres éléments de l'infraction du fait de l'existence d'un lien entre le système d'échange d'informations et l'échange direct d'informations.

361 Quant au fait que le système d'échange d'informations servait de moyen de contrôle, la Commission précise qu'elle n'a jamais prétendu que chaque chiffre échangé pouvait faire l'objet d'une vérification, mais qu'il renforçait le système dans son ensemble. Ainsi, le fait que les chiffres échangés à La Haye n'aient pas été vérifiés immédiatement ne prouverait pas que les autres chiffres échangés directement n'ont pas fait l'objet d'une telle comparaison.

Appréciation du Tribunal

362 Il ressort de l'argumentation de la requérante qu'elle ne conteste pas l'existence des réunions de Versailles, de Bruxelles et de La Haye. En outre, elle admet avoir participé à ces réunions et avoir discuté la situation du marché allemand. Toutefois, elle considère que la Commission n'a pas démontré que les entreprises en cause auraient pris un engagement commun.

363 En conséquence, la question sur laquelle la requérante et la Commission s'opposent concerne la qualification juridique des réunions de Versailles, de Bruxelles et de La Haye.

364 Or, s'agissant de l'argumentation de la requérante visant à démontrer qu'il n'y a pas eu d'accord sur la répartition des parts de marché en Allemagne, il y a lieu de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a constaté au considérant 469, in fine, de la décision attaquée qu'" un accord a[vait] été conclu entre les [entreprises concernées], ces dernières tendant à se répartir le marché allemand ou à tout le moins à le stabiliser, cet accord constituant une manifestation particulière de l'accord complexe continu ayant pour objet de restreindre la concurrence sur le marché des plaques en plâtre au minimum sur les quatre grands marchés européens ". De plus, il ressort des considérants 462, 463, 465 et 469 de la décision attaquée que la Commission a estimé que, indépendamment de la question de savoir si un tel accord avait été ou non conclu, les entreprises en cause, en exprimant leur volonté commune de se répartir le marché allemand ou, à tout le moins, de le stabiliser, avaient conclu un accord au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE.

365 Ainsi, même si la Commission n'était pas parvenue à démontrer que les entreprises sanctionnées avaient conclu un accord au sens strict du terme sur le partage des parts du marché en Allemagne, il suffirait qu'il ressorte des faits non contestés que les entreprises en question avaient substitué sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence en restant en contact direct en vue de stabiliser le marché allemand. En conséquence, il y a lieu de vérifier si tel était le cas en l'espèce.

366 En ce qui concerne la réunion de Versailles qui s'est tenue en juin 1996, son existence n'est pas contestée, ni le fait que, pendant celle-ci, les entreprises en question ont divulgué leurs volumes de ventes globaux pour l'année 1995 (considérant 242 de la décision attaquée). Or, Lafarge conteste, comme d'ailleurs BPB et Knauf, que les entreprises concernées aient conclu un accord. En outre, Lafarge conteste l'existence même des discussions sur la stabilisation du marché allemand. Selon elle, l'objet de la réunion de Versailles était seulement d'appréhender la taille du marché allemand.

367 Ainsi, il y a lieu d'examiner si la Commission a prouvé à suffisance de droit que les entreprises en cause avaient eu comme objectif, lors de cette réunion, la stabilisation du marché allemand.

368 À cet égard, la première preuve présentée par la Commission est la note de décembre 1997, trouvée au siège d'Etex, dans les bureaux des administrateurs de Gyproc (considérants 221 et 222 de la décision attaquée). Selon cette note, rédigée par M. [E] et destinée à M. [L] pour l'informer de la situation de Gyproc sur les différents marchés à l'occasion de la nomination de ce dernier en tant qu'administrateur de Gyproc, MM. [D], [B], [C], [G] et [E] ont convenu, en juin 1996, de divulguer le chiffre réel des ventes pour l'année 1995 et de se conformer à leurs parts de marchés. Il est, ensuite, mentionné, dans la note, les chiffres réels de ventes des différentes entreprises et, en conséquence, les parts de marché de chacune d'entre elles.

369 Or, Lafarge estime que la Commission ne pouvait accorder la valeur d'une preuve à cette note étant donné qu'il s'agit d'une note non datée qui n'indique le nom ni de son auteur ni de son destinataire.

370 Cette affirmation de la requérante ne saurait prospérer. En effet, interrogée sur la note au cours de la procédure administrative, Gyproc a indiqué qu'il s'agissait " d'un document rédigé par M. [E], destiné à M. [L] pour l'informer de la situation sur différents marchés de Gyproc, à l'occasion de sa nomination en tant qu'administrateur de Gyproc en décembre 1997 ". Le fait que la requérante conteste cette explication, sans fournir aucune preuve contraire, ne suffit pas à remettre en cause la véracité de la réponse de Gyproc.

371 En outre, Lafarge remet en cause la fiabilité de cette note au motif que M. [E] se serait trouvé à l'époque dans une situation délicate en Allemagne.

372 Contrairement à ce qu'affirme Lafarge, cela ne ressort pas des déclarations de M. [E]. En effet, il résulte du compte rendu des déclarations faites par M. [E] lors de la réunion du 23 juillet 1999 avec des représentants de la Commission ce qui suit :

" La Commission a demandé à M. [E] s'il pouvait confirmer qu'il y a[vait] eu une réunion des producteurs de plaques en plâtre à Versailles et, dans l'affirmative, que cette réunion a[vait] donné lieu à des arrangements anticoncurrentiels.

M. [E] a affirmé qu'un congrès Eurogypsum s'[était] déroulé à Versailles. En marge de ce congrès, M. [D] a[vait] convoqué M. [E] dans sa chambre d'hôtel où [ce dernier] a[vait] retrouvé des représentants de Knauf et [de] Lafarge ainsi que M. [D].

Dans le but de stabiliser le marché allemand, M. [D] et ses collègues ont proposé un accord sur les volumes de ventes. Chacun a révélé ses volumes de ventes en [mètres carrés] pour 1995 et, sur cette base, des parts de marché ont été attribuées. M. [E] s'est vu allouer une part d'à peu près 10 %. Il n'en était pas satisfait et voulait 12 %. Pour souligner le bien-fondé de ses revendications, il s'est référé à l'ancien accord qui prévoyait pour GB une part de 11,7 %. Un niveau supérieur à 10 % était crucial parce que GB venait d'augmenter sa capacité de production avec une nouvelle usine implantée à Peitz en 1995. "

373 En ce qui concerne l'argument de Lafarge selon lequel le manque de crédibilité de cette note est encore attesté par le fait que M. [E] y surestimait de près de deux points la part de marché de Gyproc pour la période allant de 1988 jusqu'en 1994, même si cette note a été rédigée postérieurement à la réunion de Versailles et, donc, après la date à laquelle Gyproc aurait commencé à recevoir les informations issues du système d'échange de renseignements au niveau européen, cette affirmation ne constitue pas une preuve contraire, car, même dans le cadre du système d'échange d'informations, il n'était pas garanti que les entreprises fournissaient des données exactes. De plus, étant donné que Gyproc n'a adhéré à l'entente qu'en 1996, elle n'avait nécessairement pas les chiffres antérieurs. Par ailleurs, il ressort de la réponse de Gyproc que l'estimation donnée dans la note à M. [L] " résultait d'informations sommaires et constituait un ordre de grandeur ".

374 S'agissant de la note issue de BPB (considérant 225 de la décision attaquée), Lafarge estime que cette note confirme l'absence d'accord conclu à Versailles.

375 Ce document est constitué d'un tableau daté du 9 octobre 1997 relatif aux parts de marché de 1995 à 1997 (pour les années 1996 et 1997 de janvier à septembre) en Allemagne des quatre producteurs. Le tableau porte des annotations manuscrites, identifiées par BPB comme celles de M. [R] : " rappelé à [M.] [S] qu'il ne devrait pas y avoir des choses comme 'Versailles' et qu'il devrait sortir si c'est évoqué. Accord de DCL ".

376 Or, cette note ne démontre pas, contrairement aux affirmations de la requérante, qu'il n'y a pas eu de discussions sur les parts de marché en Allemagne. En effet, il ressort de l'explication de BPB sur cette note (considérant 226 de la décision attaquée) que Gyproc a pensé qu'il y avait un accord sur les parts de marché conclu à Versailles. Cette explication corrobore la conclusion de la Commission présentée au considérant 227 de la décision attaquée, selon laquelle le fait qu'un représentant de Gyproc a fait référence à " Versailles " devant BPB pour évoquer des quotas fixés entre les concurrents démontrerait que cette personne était convaincue que, pour BPB, ce qui avait été décidé à Versailles avait valeur contraignante. Or, il n'est pas plausible de supposer que le représentant de Gyproc ait pensé de cette manière, si les entreprises n'avaient nullement discuté leurs parts sur le marché allemand et la possibilité de le stabiliser quand bien même cela ne suffit pas à démontrer qu'il existait un accord, au sens strict du terme, sur les quotas fixés entre les concurrents.

377 En outre, il ressort également de la déclaration de M. [E], citée au considérant 229 de la décision attaquée, ainsi que de la réponse de Gyproc à la demande d'informations que les entreprises concernées ont essayé de trouver un accord sur les parts de marché.

378 Lafarge conteste la conclusion de la Commission selon laquelle les entreprises en cause se sont rencontrées en vue de se répartir ou, tout au moins, de stabiliser le marché allemand (considérant 429 de la décision attaquée) en s'appuyant sur la déclaration de M. [G], communiquée à la Commission après l'audition. En effet, Lafarge estime que la déclaration écrite de M. [G] est le document le plus précis et circonstancié émanant d'un participant à la réunion. Selon Lafarge, il ressort de cette déclaration que " l'objet de cette réunion était d'appréhender la taille du marché allemand ", que " personne à part M. [E] n'avait annoncé la moindre prétention en matière de part[s] de marché " et qu'il n'y avait eu " aucune discussion sur une quelconque allocation de parts de marché ".

379 Or, cette déclaration préparée par un représentant de la requérante et visant à atténuer la responsabilité de celle-ci dans l'infraction constatée ne saurait diminuer la valeur probante des documents trouvés lors des vérifications et des explications données sur ces documents.

380 En ce qui concerne la réunion de Bruxelles du 4 décembre 1997, Lafarge admet son existence, mais indique qu'elle n'a concerné que la possibilité d'acheter en commun l'usine de Norgips à Opole. La suite des discussions aurait consisté à envisager de manière purement exploratoire différentes options pour se diviser la surprime demandée pour cette usine. Les parts de marché auraient été discutées uniquement pour cette raison.

381 Néanmoins, selon M. [E], lors de cette réunion, les concurrents se sont rencontrés pour discuter de nouveau de la stabilisation du marché allemand, car l'accord sur les volumes de ventes destiné à stabiliser le marché allemand ne fonctionnait pas bien.

382 À cet égard, il convient de considérer que les déclarations de M. [E] sont non seulement fiables, mais également d'une valeur probante particulièrement élevée dès lors qu'il a été un témoin direct des circonstances qu'il a exposées. En effet, il a participé lui-même à des réunions litigieuses.

383 De surcroît, il y a lieu de relever qu'il s'agit du compte rendu des déclarations faites par M. [E] lors de la réunion du 23 juillet 1999 en réponse aux questions orales des représentants de la Commission. Ce compte rendu a été transmis à la Commission par le conseil de Gyproc. Les réponses données au nom d'une entreprise en tant que telle sont revêtues d'une crédibilité surpassant celle que pourrait avoir la réponse donnée par un membre de son personnel quelle que soit l'expérience ou l'opinion personnelle de ce dernier (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 59 supra, point 205).

384 En ce qui concerne la réunion de La Haye de mai 1998, la Commission considère que, en discutant de leur possible contribution à l'achat par Lafarge de Norgips, les quatre concurrents ont évoqué une opération qui aurait eu pour effet, sinon pour objet, d'éliminer du marché un concurrent indépendant dont l'existence était considérée comme une nuisance, voire une menace, pour tous et que le fait que ces discussions ont eu lieu démontrerait l'existence d'un intérêt commun au maintien de la stabilité du marché allemand (considérant 259 de la décision attaquée).

385 Or, contrairement à ce qu'affirme la requérante, il ne s'agit pas d'un nouveau grief. En effet, il ressort du considérant 259 de la décision attaquée que la Commission a considéré que " la prémisse qui sous-tendait les discussions résidait tout entière dans l'existence d'un intérêt commun au maintien de la stabilité du marché ". Ainsi, la Commission a utilisé cette discussion en tant que preuve du souhait commun des entreprises concernées de stabiliser le marché allemand.

386 Cette conclusion est encore corroborée par la déclaration de M. [E] selon laquelle " les concurrents se sont à nouveau rencontrés [...] pour discuter de la situation allemande. Ces discussions n'ont pas donné de résultats concrets " (considérant 256 de la décision).

387 Dans ces conditions, le Tribunal estime établi à suffisance de droit, comme la Commission l'a fait au considérant 264 de la décision attaquée, que la tenue de la réunion de Versailles révèle l'existence d'un accord sur le principe d'un partage du marché allemand entre BPB, Knauf, Lafarge et Gyproc. En effet, même si un accord spécifique sur la répartition du marché allemand n'a pu être conclu ni lors de cette réunion ni lors des réunions ultérieures qui se sont tenues à Bruxelles et à La Haye, les entreprises concernées ont exprimé une volonté commune de stabiliser le marché allemand et, ainsi, de restreindre la concurrence.

388 Il est démontré à suffisance de droit que, lors de la réunion de Versailles, nonobstant la position prise par Gyproc, les trois autres entreprises, BPB, Knauf et Lafarge, se sont mutuellement indiqué les parts de marché sur lesquelles elles étaient d'accord et que ces parts de marché correspondaient à celles que ces entreprises détenaient effectivement (considérant 266 de la décision attaquée). À cet égard, il faut également rappeler que les entreprises ne contestent pas avoir échangé lors de la réunion de Versailles leurs chiffres de ventes pour l'année 1995, même si Lafarge ne le mentionne pas expressément dans ses écritures.

389 Il convient également de prendre en compte le système d'échange d'informations. L'existence de ce système corrobore la thèse de la Commission selon laquelle les entreprises ont voulu stabiliser le marché allemand. En effet, chaque producteur remettait ses chiffres des ventes à titre confidentiel à l'expert indépendant et les résultats étaient compilés par les services de ce dernier pour donner un chiffre global qui était ensuite communiqué aux participants. Ce chiffre permettait à chacun de calculer sa propre part de marché, mais pas celle des autres. Les chiffres ont été fournis tous les trimestres et concernaient les chiffres des ventes de chacun. En outre, les producteurs ont communiqué à l'expert indépendant, à titre confidentiel, les chiffres de janvier à décembre 1995 et ceux de janvier à septembre 1996.

390 Le système d'échange d'informations permettait donc aux entreprises en cause de contrôler si leurs parts de marché sur le marché allemand restaient relativement stables.

391 En ce qui concerne l'appréciation juridique de cette situation, il y a lieu de rappeler que le fait de communiquer des renseignements à ses concurrents en vue de préparer une entente suffit à prouver l'existence d'une pratique concertée au sens de l'article 81 CE (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, T-148-89, Rec. p. II-1063, point 82).

392 En effet, la notion de pratique concertée au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE vise une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu'à la réalisation d'une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (arrêts Suiker Unie e.a./Commission, point 218 supra, point 26, et Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, point 318 supra, point 63).

393 Les critères de coordination et de coopération constitutifs d'une pratique concertée, loin d'exiger l'élaboration d'un véritable " plan ", doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité CE relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun et les conditions qu'il entend réserver à sa clientèle (arrêts de la Cour Deere/Commission, point 258 supra, point 86, et du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission, C-194-99 P, Rec. p. I-10821, point 82).

394 S'il est exact que cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s'oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet d'aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l'importance et du nombre des entreprises ainsi que du volume dudit marché (arrêts Deere/Commission, point 258 supra, point 87, et Thyssen Stahl/Commission, point 393 supra, point 83).

395 En outre, comme le Tribunal l'a constaté dans l'arrêt Ciment, point 69 supra (point 1852), pour établir une pratique concertée, il n'est pas nécessaire de démontrer que le concurrent en question s'est formellement engagé, à l'égard d'un ou de plusieurs autres, à adopter tel ou tel comportement ou que les concurrents ont fixé en commun leur comportement futur sur le marché. Il suffit que, à travers sa déclaration d'intention, le concurrent ait éliminé ou, à tout le moins, substantiellement réduit l'incertitude quant au comportement à attendre de sa part sur le marché.

396 À cet égard, la Commission a considéré, à juste titre, au considérant 466 de la décision attaquée, que le fait même qu'une entreprise indique ne pas souhaiter une part de marché supérieure à celle déjà détenue suffit à informer ses concurrents sur un élément essentiel de sa stratégie.

397 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que le marché en cause présente un caractère oligopolistique fortement concentré. Or, sur un tel marché, l'échange d'informations est de nature à permettre aux entreprises de connaître la position de leurs concurrents sur le marché et leur stratégie commerciale et ainsi à altérer sensiblement la concurrence qui subsiste entre les opérateurs économiques (arrêts Deere/Commission, point 258 supra, points 88 à 90, et Thyssen Stahl/Commission, point 393 supra, point 84).

398 En outre, compte tenu du contexte général de l'objectif de stabilisation des marchés concernés, l'échange d'informations sur le marché allemand a pu permettre aux entreprises en question de contrôler que les parts de marché des concurrents restaient stables.

399 Enfin, il y a lieu de rappeler que, aux fins de l'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, la prise en considération des effets concrets d'un accord est superflue, dès lors qu'il apparaît que celui-ci a pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 72 supra, point 261).

400 De même, une pratique concertée relève de l'article 81, paragraphe 1, CE même en l'absence d'effets anticoncurrentiels sur le marché. Tout d'abord, il découle du libellé même de ladite disposition que, comme dans le cas d'accords entre entreprises et de décisions d'associations d'entreprises, les pratiques concertées sont interdites, indépendamment de tout effet, lorsqu'elles ont un objet anticoncurrentiel (arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C-105-04 P, Rec. p. I-8725, points 137 et 138).

401 Ensuite, si la notion même de pratique concertée suppose l'existence d'un certain comportement des entreprises participantes sur le marché, elle n'implique pas nécessairement que ce comportement produise l'effet concret de restreindre, d'empêcher ou de fausser la concurrence (arrêt Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, point 400 supra, point 139).

402 Compte tenu du contexte global de l'affaire, le Tribunal considère que, sur la base des faits non contestés, la Commission a démontré, à suffisance de droit, que les entreprises en cause, même si elles n'étaient pas parvenues à conclure un accord spécifique portant sur la répartition entre elles du marché allemand, avaient exprimé leur volonté commune de se comporter sur ce marché de manière déterminée, à savoir restreindre la concurrence par la stabilisation dudit marché.

403 En conséquence, la cinquième branche du deuxième moyen ne saurait prospérer.

Sur les hausses de prix en Allemagne

Arguments des parties

404 La requérante soutient que la Commission ne peut prétendre caractériser l'existence d'une infraction en donnant un effet global à des événements de 1993 et de 1998.

405 La requérante fait valoir que les éléments sur lesquels s'appuie la Commission n'apportent pas la preuve d'une concertation sur les hausses de prix. Au contraire, les cinq annonces de hausses des prix qui se sont produites entre le mois de février 1995 et le mois d'octobre 1998 fournissent le meilleur contre-exemple de la démonstration de la Commission, car, encore plus nettement qu'au Royaume-Uni, ces annonces de hausses des prix n'auraient jamais permis de retrouver le niveau de prix qui existait avant la guerre des prix de 1992.

406 La note interne de Lafarge Plâtres du 7 octobre 1998 ne ferait que décrire le fonctionnement du marché oligopolistique asymétrique en précisant que, pour qu'une annonce de hausse des prix fonctionne, il faudrait que chaque entreprise se contente de sa part de marché. Quant à la note interne de Knauf du 15 novembre 1993, elle rapporterait simplement l'avis de son auteur sur la possibilité d'améliorer la situation existante.

407 Les producteurs ne se seraient, de plus, pas directement communiqué leurs annonces de hausse des prix. Si Knauf a envoyé ces informations aux autres entreprises en 1993 et 1998, cela ne permettrait pas à la Commission de considérer que Lafarge Plâtres a participé à une infraction en recevant ces documents. L'ouverture de son courrier par une entreprise ne constituerait pas une participation active à la divulgation des informations, ne prouvant pas que l'entreprise souscrivait, ce faisant, au principe d'une divulgation des informations. De plus, les informations reçues ne seraient pas les informations sensibles que la jurisprudence exigerait pour qu'il y ait pratique concertée, mais des données objectives du marché.

408 Ainsi, l'arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 334 supra, invoqué par la Commission ne serait pas applicable en l'espèce, car les deux affaires n'auraient rien en commun.

409 S'agissant de l'annonce de hausse des prix de février 1995, la requérante affirme qu'elle n'a pas fait l'objet d'une information mutuelle. La requérante soutient que le parallèle entre les annonces de hausses des prix pratiquées par les différentes entreprises en cause est la conséquence de la forte transparence du marché et du caractère rationnel de l'alignement de son comportement sur celui du leader sur le marché. Un tel parallélisme ne saurait être qualifié de pratique concertée.

410 Quant à l'annonce de la hausse des prix de décembre 1995, c'est Knauf qui en aurait pris l'initiative et aurait été rapidement suivie par les autres acteurs, Lafarge étant la dernière à annoncer une hausse de ses prix. Or, cette annonce se serait rapidement révélée être un désastre.

411 Surtout, la requérante souligne que le parallélisme ne concerne que les annonces de hausses et non les prix effectifs, car les hausses de prix ont été des échecs. Cela ressortirait de nombreuses pièces du dossier.

412 En outre, le fait que les entreprises aient été informées des annonces de hausses des prix de leurs concurrents ne prouverait pas l'existence de contacts entre elles, car ces informations auraient été communiquées par les clients. Ainsi, la note manuscrite de M. [S] de BPB indiquerait que celui-ci a été informé que Knauf projetait d'augmenter les prix en février 1995 par le marché et non par les entreprises qui se seraient communiqué ces informations.

413 De même, la note interne de M. [X], directeur général de Lafarge Gips, du 17 décembre 1996, qui rend compte de la réunion d'une association professionnelle allemande du 16 décembre 1996, ne permettrait pas d'affirmer l'existence de contacts directs entre les concurrents au sujet de l'annonce de la hausse des prix de février 1997, mais relaterait les impressions personnelles de M. [X] sur le marché. Ces impressions seraient fondées sur la connaissance du marché dont Lafarge Plâtres disposait par le biais de ses clients. Lafarge souligne que, lorsque M. [X] évoque le niveau de prix le plus bas convenu ou le niveau de prix convenu, il ne s'agit nullement d'un prix convenu avec ses concurrents, mais du niveau de prix planché qui lui avait été assigné par M. [G]. De plus, cette hausse des prix n'aurait produit que des effets très limités dans le temps, les différents acteurs adoptant un comportement qui aurait infirmé toute hypothèse de coordination.

414 La hausse des prix de septembre 1997 aurait été annoncée par BPB au mois de mai. Les autres producteurs auraient également annoncé une hausse de leurs prix peu de temps après. Cette hausse aurait été de nouveau un désastre : le prix pratiqué par Lafarge Plâtres aurait atteint en l'espace de quelques mois un niveau inférieur à la toute première annonce de hausse des prix examinée par la Commission dans la décision attaquée (février 1995).

415 Les autres éléments retenus par la Commission ne constitueraient pas non plus des preuves de l'existence d'un échange. Ainsi, Lafarge Plâtres n'aurait pas demandé à Knauf l'autorisation de démarcher ses clients, mais lui aurait signifié son intention de ne pas laisser sans réaction la tentative de Knauf visant à capter sa clientèle. En outre, Lafarge Plâtres et Knauf n'auraient jamais agi de manière concertée à l'égard du distributeur en cause afin de faire respecter une hausse des prix issue de leur volonté commune. Au contraire, il ne s'agirait nullement d'un acte isolé, la requérante ayant proposé effectivement des prix bas permettant de réaliser de telles promotions non seulement au distributeur en cause, mais aussi à d'autres, et ce dès le début du mois de septembre. Aucune mesure n'aurait d'ailleurs jamais été prise contre ledit distributeur et ses achats auprès de Lafarge Plâtres auraient même augmenté de 2 456 % par rapport à l'année précédente. Enfin, en ce qui concerne la note interne de Knauf d'octobre 1997, il ressortirait seulement de cette note que Lafarge Plâtres a informé Knauf de son souhait de voir les prix se maintenir à un certain niveau. Or, la discussion entre Lafarge Plâtres et Knauf aurait relevé d'une pure tentative d'intoxication qui n'a entraîné aucune modification du comportement de Knauf.

416 Enfin, le décalage entre les dates d'annonces des hausses de prix de septembre et d'octobre 1998 et celle de leur entrée en vigueur selon l'entreprise concernée démontrerait l'absence de concertation à ce sujet. Cette annonce aurait été lancée par BPB au mois de mai pour le 21 septembre 1998. Knauf aurait annoncé également une hausse des prix au mois d'août pour le 1er septembre 1998. Lafarge Plâtres aurait attendu le 30 septembre pour annoncer une hausse de ses prix au 5 octobre 1998, même si ceux-ci étaient au plus bas [1,73 mark allemand (DEM) au mois d'août].

417 La Commission souligne qu'elle ne prétend pas baser ses conclusions uniquement sur des pièces rédigées en 1993 et en 1998, mais que celles-ci sont utiles pour comprendre le cadre factuel de l'affaire et l'objectif anticoncurrentiel des entreprises concernées. C'est pourquoi la Commission utilise d'abord des documents d'une portée plus générale avant d'analyser les documents qui se réfèrent spécifiquement à chaque hausse des prix.

418 La Commission rappelle qu'elle n'a pas fondé la décision attaquée uniquement sur un parallélisme de comportement, mais que ses conclusions s'appuient sur un ensemble de preuves directes de la concertation. Un contact préalable entre les concurrents aurait déjà eu lieu concernant des prix qui n'étaient pas encore annoncés et qui ne pouvaient donc pas être qualifiés de publics. La Commission considère que le fait de recevoir les prix pratiqués par ses concurrents pendant plusieurs années peut être un élément pertinent pour établir l'infraction, en combinaison avec d'autres éléments, à savoir, en l'espèce, la réception d'autres documents échangés dans un contexte clairement collusoire. La Commission rappelle qu'une liste de prix est un secret commercial avant sa transmission au client. En outre, la Commission souligne que la requérante ne prétend pas avoir montré une quelconque réserve ou opposition à la transmission d'informations sur les prix.

419 La Commission souligne, quant à la hausse des prix de février 1995, que la note manuscrite de M. [S], qui serait l'élément essentiel, contient des informations très précises reçues un mois avant l'envoi des lettres des entreprises annonçant les nouvelles listes de prix. Le fait que les entreprises aient à nouveau reçu ces listes ultérieurement par le biais de leurs clients ne serait pas incompatible avec une coordination préalable sur l'ampleur de l'augmentation.

420 Quant à l'annonce de décembre 1995, la Commission considère l'argumentation de la requérante inopérante parce qu'elle n'aurait pas retenu de griefs contre elle sur ce point-là.

421 S'agissant de la hausse des prix de février 1997, la Commission soutient que la note de M. [X] contient les impressions de celui-ci sur la discussion qui a eu lieu avec les concurrents et qui a, notamment, eu trait aux prix. Quant aux effets de cette hausse des prix, la Commission renvoie à un graphique présenté dans la requête et à la note de M. [X] qui établissent l'existence d'un tel effet.

422 En ce qui concerne la hausse des prix de septembre 1997, la Commission rappelle que ce sont bien des discussions qui ont eu lieu entre Lafarge et Knauf et que celles-ci ne peuvent donc être qualifiées de comportement unilatéral. La Commission souligne que la désinvolture avec laquelle les concurrents se sont contactés pour parler des clients révèle déjà ce que l'un attend de l'autre. Quant à l'affaire impliquant un distributeur, la Commission relève que la tromperie sur les prix de Lafarge a eu lieu lors d'un contact collusoire qui n'était pas unilatéral et que cela peut éventuellement montrer que Lafarge tentait d'exploiter l'entente à son bénéfice, sans diminuer pour autant sa responsabilité. La Commission ajoute que ces prétendues tromperies sur les prix semblent contredire la transparence du marché que Lafarge défend.

423 S'agissant des hausses de prix intervenues en septembre et en octobre 1998, la Commission renvoie à la décision attaquée (considérants 373 à 380), dans laquelle elle cite diverses pièces établissant clairement que ces hausses de prix étaient issues d'une coordination. Les envois d'informations sur les prix auraient été basés sur l'attente que Lafarge agisse de même, laquelle n'aurait montré aucune réserve ou opposition concernant ces envois.

Appréciation du Tribunal

424 Lafarge conteste l'existence de contacts directs avec ses concurrents sur les hausses de prix sur le marché allemand ainsi que l'existence d'une concertation sur l'application des hausses de prix. Elle soutient également que, en tout état de cause, les contacts directs entre les concurrents, à les supposer établis, ne sauraient témoigner d'une volonté commune de se concerter sur les prix.

425 Il y a lieu d'examiner, en premier lieu, les éléments de preuve concernant l'existence de contacts et d'une concertation entre les concurrents expressément contestés par Lafarge.

426 À cet égard, il y a lieu de rappeler que lesdits contacts doivent être envisagés dans le contexte de l'époque, caractérisé par un ensemble de manifestations anticoncurrentielles attestant une volonté commune des concurrents de stabiliser le marché des plaques en plâtre sur les quatre grands marchés européens, dont le marché allemand. En outre, il convient également de relever que, si le contenu d'un document isolé trouvé par la Commission peut ne pas révéler de manière univoque l'existence d'un comportement anticoncurrentiel de sorte que ledit contenu pourrait éventuellement s'expliquer autrement que par une volonté de restreindre la concurrence, cette circonstance ne saurait toutefois exclure que ce document puisse être interprété comme corroborant l'existence d'une telle volonté lorsqu'il s'inscrit dans un ensemble d'autres documents qui fournissent des indices probants de l'existence de comportements anticoncurrentiels contemporains et similaires.

427 En ce qui concerne la note interne de Knauf du 15 novembre 1993 (considérant 305 de la décision attaquée), Lafarge fait remarquer que cette note ne fait que décrire l'avis de son auteur, mais ne révèle pas l'existence d'une concertation. Il y a lieu de relever que, aux termes de cette note, la " nouvelle liste de prix [de Knauf] a été envoyée fin octobre à tous les clients directs. En même temps, tous les concurrents ont été informés par l'envoi d'un exemplaire ". Ainsi, l'explication de Lafarge est contredite par le fait que cette note datée de novembre 1993 mentionne un événement qui a eu lieu à la fin d'octobre 1993. Partant, l'interprétation faite par Lafarge de cette note n'est pas convaincante.

428 S'agissant de l'affirmation de la requérante selon laquelle cette note étant antérieure à la période retenue par la Commission, elle n'est pas de nature à établir l'existence de contacts pendant la période concernée par la décision attaquée, allant de 1996 jusqu'en 1998 et, dès lors, elle ne saurait être acceptée. Cette note peut être prise en compte afin de construire une image globale des contacts entre les concurrents et peut ainsi corroborer l'interprétation des autres preuves selon lesquelles les entreprises concurrentes en question, en l'espèce, ont eu des contacts entre elles sur les hausses de prix en Allemagne.

429 S'agissant de la note interne datant d'octobre 1994 découverte dans les locaux de Rigips, la requérante estime que cette note ne met nullement en évidence l'existence d'échanges entre les producteurs au sujet de la hausse de février 1995. Selon la requérante, l'auteur de la note a été informé par le marché du projet d'annonce de hausse des prix de Knauf.

430 À cet égard, l'interprétation de cette note par la Commission est plus convaincante, compte tenu des autres éléments du dossier qui démontrent l'existence, à l'époque, d'une concertation entre les entreprises en cause. La Commission estime, à juste titre, que cette note révèle une connaissance de la stratégie des concurrents et témoigne de contacts entre ceux-ci. En effet, l'auteur de cette note, ayant d'abord résumé la situation sur le marché, explique que le directeur des ventes de Gyproc s'était plaint que son entreprise avait perdu des parts de marché et devait en regagner. En outre, il était prévu dans la note de geler les prix au niveau mentionné dans celle-ci et qu'une hausse des prix aurait lieu à partir du 1er février 1995. Cette dernière remarque est particulièrement révélatrice. En effet, si l'envoi des annonces de hausses des prix par Knauf était unilatéral et si les autres producteurs ne faisaient que suivre cette hausse des prix, BPB n'aurait pas pu savoir en octobre 1994 qu'une hausse des prix était prévue pour le 1er février 1995 étant donné que Knauf n'a annoncé cette hausse des prix qu'en novembre 1994. De plus, dans le contexte en question, il est plus plausible que BPB ait eu connaissance de cette hausse des prix par Knauf que par l'intermédiaire des clients, comme Lafarge le prétend. En effet, en plus des deux envois effectués par Knauf, mentionnés aux considérants 305 et 306 de la décision attaquée, Knauf a indiqué, en réponse à une demande de renseignements de la Commission, que, depuis longtemps, s'était établie une pratique consistant à envoyer les annonces de hausses des prix avec les listes de prix directement aux concurrents en même temps qu'aux clients (considérant 307 de la décision attaquée). En outre, il y a lieu de rappeler que, au cours de la vérification opérée dans les locaux de BPB et de Lafarge Plâtres, la Commission a découvert de nombreuses copies d'annonces de hausses des prix des concurrents. Ces lettres sont énumérées à la note en bas de page n° 283 de la décision attaquée. Enfin, il y a lieu de rappeler qu'une hausse des prix a effectivement eu lieu le 1er février 1995.

431 D'ailleurs, il y a lieu de relever que, malgré ces preuves concrètes des contacts collusoires entre les producteurs, la Commission estime seulement, au considérant 329 de la décision attaquée, que les concurrents se sont mutuellement informés de leurs intentions en ce qui concerne la hausse des prix du 1er février 1995 sans prétendre que cette note constitue la preuve directe d'une concertation sur la hausse des prix.

432 En ce qui concerne la hausse des prix en décembre 1995 (considérants 330 à 333 de la décision attaquée), la requérante considère que le fait qu'elle a échoué est une preuve supplémentaire de la non-existence de l'accord de 1992. À cet égard, il suffit de rappeler que, même s'il n'y a pas d'effets économiques, cela n'est pas une preuve qu'il n'y avait pas d'entente, mais, tout au plus, une preuve que l'entente n'a pas bien fonctionné, ce qui n'est pas pertinent pour la constatation d'une concertation ayant un objet anticoncurrentiel.

433 Par ailleurs, le fait que la Commission mentionne de nouveau, dans ce contexte, la réunion de Versailles de juin 1996 est tout à fait pertinent, car il s'agit d'un indice de ce que les entreprises concernées ont ressenti le besoin de rediscuter la situation sur le marché allemand après l'échec de la hausse des prix en 1995.

434 Cette thèse est confortée par la note du 17 décembre 1996 de Lafarge (considérant 335 de la décision attaquée). En effet, l'auteur commence cette note en indiquant :

" [N]ous avons encore discuté la situation actuelle sur le marché allemand. "

435 Lafarge ne nie pas qu'une discussion a eu lieu entre les producteurs, mais affirme qu'elle aurait été largement insignifiante. En outre, la note résulterait des réflexions personnelles de son auteur sur la situation du marché qui seraient fondées sur la connaissance acquise par le biais des clients.

436 L'argumentation de Lafarge doit être écartée. Étant donné que la note du 17 décembre 1996 relate les événements survenus lors de la réunion de l'association allemande des fabricants de plaques en plâtre organisée le 16 décembre 1996, il n'y a aucune raison de douter que la discussion entre le représentant de BPB et l'auteur de cette note, employé de Lafarge, ait eu lieu. En effet, le texte même de la note, selon laquelle les concurrents ont " encore discuté la situation actuelle sur le marché allemand ", contredit cet argument.

437 En outre, l'interprétation que donne la Commission de cette note portant la mention " Strictement confidentiel et personnel ! " n'est pas entachée d'erreur. Cette note reflète clairement la préoccupation de son auteur, dans le contexte d'une augmentation des prix annoncée par tous les producteurs pour le 1er février 1997, en ce qui concerne le comportement de ses concurrents et des politiques de prix, et en particulier de rabais, qu'ils mettaient en œuvre. Elle établit l'existence de contacts directs entre les concurrents lors desquels ceux-ci ont exprimé leurs analyses et intentions. En effet, l'auteur de ladite note a expliqué que le prix offert par BPB à certains clients serait " inférieur au niveau de prix [d'alors] le plus bas convenu " et que " [c]ela [allait] encore conduire à une déstabilisation ". Il ajoute :

" [Knauf a] accordé des prix pour les projets jusqu'en mai [19]97 à un niveau inférieur au niveau du prix convenu. Avec nous, ils insistent sur la discipline pour la hausse de[s] prix [...] Augmenter le prix au niveau convenu ([2,5-3] D[E]M/m²) va encore être très difficile. "

438 Par ailleurs, le Tribunal estime que la Commission a considéré à juste titre que, compte tenu des termes employés dans cette note et du contexte général décrit dans la décision attaquée, l'interprétation donnée par Lafarge de la notion de " niveau de prix convenu ", selon laquelle il ne s'agissait nullement d'un prix convenu entre les concurrents mais du niveau plancher qui avait été assigné par M. [G], peut légitimement être écartée au profit d'une lecture plus logique de son contenu. Dans ce contexte, le " niveau de prix le plus bas convenu " ou " niveau de prix convenu " de 2,5 à 3] DEM pour BPB et Rigips et 2,5 à 3 DEM pour Lafarge est le prix net facturé que les producteurs étaient convenus entre eux.

439 Dans ces conditions, le Tribunal considère que la Commission a estimé à juste titre au considérant 352 de la décision attaquée que, à l'occasion de la hausse des prix de février 1997, une concertation directe sur la hausse des prix était intervenue entre les concurrents, et que, à tout le moins, les concurrents s'étaient mutuellement informés de leurs intentions en prévision de cette hausse des prix.

440 Cette conclusion ne saurait être infirmée par l'affirmation de la requérante selon laquelle cette annonce de hausse des prix n'a pas été suivie d'effets positifs. Il suffit de rappeler que l'absence d'effets économiques n'est pas une preuve de la non-existence de l'entente, mais, au plus, une preuve que l'entente n'a pas bien fonctionné, ce qui est inopérant pour la constatation d'une concertation révélant un objet anticoncurrentiel.

441 En ce qui concerne la tentative de hausse des prix de septembre 1997, il convient de relever que toutes les quatre entreprises en cause ont envoyé des lettres annonçant la hausse des prix du 1er septembre 1997 en mai ou au début de juin 1997 (considérant 353 de la décision attaquée). Ces faits ne sont pas contestés par la requérante.

442 En outre, les échanges entre Knauf et Lafarge, mentionnés au considérant 356 de la décision attaquée à titre d'exemple, confirment l'existence d'une concertation sur les hausses de prix et d'un contrôle des prix pratiqués par les distributeurs en général. En effet, le fait qu'une entreprise n'a pas hésité à contacter un concurrent pour discuter des clients ou des prix pratiqués par un distributeur corrobore l'existence d'une coopération entre les producteurs.

443 Or, Lafarge conteste avoir essayé de négocier avec Knauf le retour d'anciens clients et affirme que, en tout état de cause, cela n'a aucun rapport avec l'annonce des hausses de prix.

444 À cet égard, même si Lafarge affirme à juste titre que cette démarche n'a aucun rapport avec des échanges de données sur les hausses de prix ou une quelconque coordination de ceux-ci, la Commission soutient également à juste titre, au considérant 360 de la décision attaquée, qu'une note de Knauf du 1er juillet 1997 établit une forme de coordination entre les deux concurrents. En effet, s'il s'agissait seulement d'une mesure concurrentielle signifiant, comme le prétend Lafarge, qu'elle ne laisserait pas sans réponse la tentative de Knauf de capter ses clients, elle n'aurait pas eu de raison de contacter Knauf pour l'informer d'une telle démarche. En conséquence, l'interprétation de la Commission ne saurait être considérée comme erronée dès lors que si Lafarge voulait vraiment mener une offensive concurrentielle, elle aurait pu le faire sans contacter Knauf. En effet, normalement, il est plus facile de reprendre les clients de son concurrent si l'on n'annonce pas à l'avance son intention de le faire.

445 En ce qui concerne l'affaire impliquant un distributeur, il ressort d'une télécopie du 24 septembre 1997 que Knauf a contacté Lafarge afin de l'informer des agissements d'un fournisseur du distributeur en cause. Le même jour, M. [X], directeur général de Lafarge Gips, a assuré à M. [W], directeur commercial de Knauf que Lafarge était aussi ennuyée que Knauf. Il ressort de cette télécopie que Lafarge a indiqué ce qui suit :

" Comme déjà discuté lors de la réunion d'[une association professionnelle allemande], cette action [du distributeur en cause] est une action isolée et non discutée avec la centrale. En attendant, le directeur de l'établissement local peut se faire du souci pour son [travail]. Selon nos informations, cette action entre-temps a été retirée et n'a pas été poursuivie. "

446 Selon Lafarge, la promotion accordée au distributeur en cause était loin d'être un acte isolé, mais relevait, en fait, d'une politique systématique de sa part et démontre effectivement son approche concurrentielle du marché, ainsi que l'autonomie de sa politique commerciale.

447 Or, le Tribunal estime que la Commission affirme à raison (considérant 364 de la décision attaquée) que, quelles que soient les dénégations de ces deux entreprises, cet échange de notes démontre que Lafarge et Knauf étaient en contact et n'ont pas hésité à agir de manière concertée pour faire pression sur un distributeur. En effet, sur un marché réellement concurrentiel, une entreprise ne contacterait pas son concurrent pour se plaindre d'une telle action, mais réagirait en prenant d'autres mesures. Ainsi, même si cet exemple ne démontre pas une mesure anticoncurrentielle en tant que telle, il démontre que les relations entre les concurrents étaient différentes de celles qui existent normalement sur un marché concurrentiel.

448 En ce qui concerne la note interne du 20 octobre 1997, Knauf y relève que Lafarge Plâtres l'a informée de son souhait de voir les prix se maintenir au niveau des 3,08 DEM et lui a reproché l'apparition sur le marché de prix de détail s'élevant à 2,98 DEM.

449 En présentant cette note, la Commission n'essaie pas de démontrer que ce contact a constitué une concertation, mais seulement que les concurrents ont eu des contacts afin de discuter des prix sur le marché.

450 La Commission donne encore un exemple qui est, selon elle, une manifestation supplémentaire de la concertation menée entre BPB, Knauf, Lafarge et Gyproc sur le marché allemand. Il s'agit d'une tentative de hausse des prix en septembre et en octobre 1998.

451 À cet égard, il est certes vrai que BPB a, dès juin 1998, annoncé une hausse des prix pour septembre 1998 et que les autres concurrents ne l'ont fait qu'en août 1998 pour une augmentation prévue à partir d'octobre 1998. À cette occasion, Knauf a envoyé une copie de son annonce de hausse des prix à l'adresse privée d'un directeur de BPB.

452 Or, il y a lieu de rappeler qu'il est usuel, dans le cadre de pratiques et d'accords anticoncurrentiels, que les activités se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement et que la documentation s'y rapportant soit réduite au minimum. Il s'ensuit que, même si la Commission découvre des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégale entre des opérateurs, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu'il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions. Dès lors, dans la plupart des cas, l'existence d'une pratique ou d'un accord anticoncurrentiel doit être inférée d'un certain nombre de coïncidences et d'indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l'absence d'une autre explication cohérente, la preuve d'une violation des règles de concurrence (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 72 supra, points 55 à 57).

453 Enfin, en ce qui concerne son mémorandum du 7 octobre 1998 (considérants 290 à 294 de la décision attaquée), Lafarge le considère comme une simple description du fonctionnement du marché.

454 À cet égard, la requérante affirme que la Commission prétend faire produire un effet global à des éléments isolés, intervenus avant ou à la toute fin de la période en cause.

455 Certes, il ressort de la décision attaquée que la Commission a pris également en compte des documents qui se situent hors de la période pendant laquelle la Commission reproche aux entreprises de s'être informé des hausses de prix sur le marché allemand, à savoir entre 1996 et 1998 (considérant 429, cinquième tiret, de la décision attaquée). Or, même si la Commission fait référence à des documents et à des événements qui se situent en dehors de cette période, elle le fait dans le but de décrire le contexte dans lequel les autres éléments de preuve qu'elle a trouvés se situent.

456 Il est également vrai que ce mémorandum, s'il était le seul élément de preuve trouvé, ne constituerait pas une preuve suffisante d'une concertation préalable sur les hausses de prix. Or, examiné dans le cadre des autres indices décrits ci-dessus, ce mémorandum corrobore l'existence, d'une part, de contacts entre les concurrents sur les hausses de prix ainsi que le lien entre ces derniers et, d'autre part, des discussions sur les parts de marché en Allemagne. En effet, compte tenu des autres démarches des entreprises en cause afin de stabiliser le marché allemand, du parallélisme des hausses de prix et de la découverte par la Commission, au cours de ses vérifications, de nombreuses copies d'annonces de hausses des prix de leurs concurrents dans les locaux desdites entreprises, que celles-ci ont partiellement admis avoir envoyées ou reçues directement de leurs concurrents, l'interprétation cohérente de ce mémorandum ne peut pas être celle donnée par la requérante.

457 Il y a lieu d'examiner, en second lieu, l'argumentation de la requérante selon laquelle les contacts directs entre les concurrents, à les supposer établis, ne constituaient pas un comportement anticoncurrentiel.

458 En ce qui concerne l'affirmation de la requérante selon laquelle il s'agissait d'un comportement purement unilatéral étant donné qu'elle n'aurait jamais envoyé à ses concurrents de copies de ses lettres annonçant les hausses de prix, il est certes vrai que la notion de pratique concertée suppose effectivement l'existence de contacts caractérisés par la réciprocité. Toutefois, cette condition est satisfaite lorsque la divulgation, par un concurrent à un autre, de ses intentions ou de son comportement futur sur le marché a été sollicitée ou, à tout le moins, acceptée par le second (arrêt Ciment, point 69 supra, point 1849).

459 En outre, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission (T-1-89, Rec. p. II-867), dans le cadre de laquelle il était reproché à la partie requérante d'avoir participé à des réunions au cours desquelles les concurrents échangeaient des informations portant, notamment, sur les prix qu'ils souhaitaient voir pratiquer sur le marché, le Tribunal a constaté qu'une entreprise, par sa participation à une réunion ayant un objet anticoncurrentiel, non seulement avait poursuivi le but d'éliminer par avance l'incertitude relative au comportement futur de ses concurrents, mais avait dû nécessairement prendre en compte, directement ou indirectement, les informations obtenues au cours de ces réunions pour déterminer la politique qu'elle entendait suivre sur le marché (points 122 et 123).

460 Cette conclusion est applicable également lorsque, comme en l'espèce, la participation d'une, ou de plusieurs, entreprise à une pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel se limite à la seule réception d'informations relatives au comportement futur de ses concurrents sur le marché.

461 En effet, tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique commerciale qu'il entend suivre sur le marché. Cela s'oppose donc à toute prise de contact directe ou indirecte entre les opérateurs économiques, qui a pour objet ou pour effet d'influencer leur comportement sur le marché, donnant lieu à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, mais également à tout dévoilement par une entreprise à un concurrent du comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de tenir soi-même sur le marché (arrêt LVM/Commission, point 57 supra, point 720).

462 S'agissant de l'affirmation de la requérante selon laquelle les informations sur les prix qui étaient transmises étaient connues des clients de l'entreprise concernée avant leur communication aux concurrents et que, de ce fait, les informations dévoilées auraient déjà pu être collectées sur le marché par ces derniers, il y a lieu de rappeler que le seul fait d'avoir reçu des informations concernant des concurrents, informations qu'un opérateur indépendant préserve comme secrets d'affaires, suffit à manifester l'existence d'un esprit anticoncurrentiel (arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 334 supra, point 66).

463 Or, l'affirmation de la requérante selon laquelle les informations sur les prix étaient connues des clients avant leur communication aux concurrents et, ainsi, pouvaient être collectées sur le marché doit être rejetée. Ce fait, à le supposer établi, n'implique pas que, au moment de l'envoi des barèmes de prix aux concurrents, ces prix constituaient déjà une donnée objective du marché, repérable de façon immédiate. L'envoi direct permettait aux concurrents d'avoir connaissance de ces informations de façon plus simple, rapide et directe que par le biais du marché. En outre, cet envoi préalable leur permettait de créer un climat de certitude mutuelle quant à leurs futures politiques de prix.

464 Dans ces conditions, le Tribunal estime que la Commission a considéré, à juste titre, que le système d'échange d'informations relatives aux hausses de prix mis en place entre BPB, Knauf, Lafarge et Gyproc sur le marché allemand constituait une pratique concertée, contraire à l'article 81, paragraphe 1, CE.

465 Cette conclusion ne saurait être infirmée par l'affirmation de Lafarge selon laquelle l'évolution de ses prix en Allemagne fournit un contre-exemple démontrant l'inexactitude de la théorie de la Commission.

466 À cet égard, il suffit de rappeler que si la Commission peut démontrer l'objet anticoncurrentiel d'une mesure, elle n'a pas besoin de démontrer qu'elle a eu des effets.

467 En outre, le graphique présenté dans la requête tend effectivement à démontrer qu'il y a eu une hausse des prix, contrairement à ce qu'affirme la requérante. En effet, depuis juillet 1992, les prix ont fluctué, mais sont restés à un niveau plus haut qu'avant le début de 1992.

468 La sixième branche du deuxième moyen est donc non fondée.

469 Dès lors, le deuxième moyen doit être écarté dans son ensemble.

3. Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l'article 81 CE en raison de la qualification d'infraction unique et continue et de la détermination de la participation de Lafarge à celle-ci

Sur l'existence d'une infraction unique, complexe et continue

Arguments des parties

470 En premier lieu, la requérante estime que les éléments retenus par la Commission sont trop disparates pour pouvoir constituer une infraction unique. Ainsi, la condition d'identité objective ne serait pas remplie, car la nature des manifestations retenues, les zones géographiques concernées, le niveau hiérarchique concerné ou encore les entreprises en cause seraient variables. En revanche, les divers éléments de l'infraction auraient pu être traités au sein d'une même décision mais en tant qu'infractions distinctes, comme dans l'affaire ayant donné lieu à la décision 2003-2-CE de la Commission, du 21 novembre 2001, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] et de l'article 53 de l'accord EEE (Affaire COMP/E-1/37.512 - Vitamines) (JO 2003, L 6, p. 1, points 565 et suivants).

471 La requérante soutient que, en participant à l'échange de renseignements, Lafarge Plâtres n'adhérait pas à un plan commun couvrant d'autres manifestations. La thèse d'une infraction unique serait d'autant moins crédible que Lafarge Plâtres n'aurait probablement pas participé à l'échange de données avant le début de 1994, n'ayant notamment pas participé à la réunion de Londres. Or, une entente entre BPB et Knauf n'aurait pas de sens en l'absence de certains des principaux acteurs du marché. La requérante ajoute que Lafarge Plâtres, à cette même époque, suivait une politique commerciale de développement sur les différents marchés concernés. En outre, le fait que Lafarge Plâtres ait participé à des manifestations caractérisant un comportement anticoncurrentiel au Royaume-Uni avant d'avoir adhéré à l'infraction unique, complexe et continue montrerait que ces manifestations sont totalement déconnectées de ladite infraction. Il en irait de même en Allemagne, même si elles y ont débuté plus tard, parce qu'elles sont de même nature que celles constatées au Royaume-Uni.

472 En deuxième lieu, la requérante estime que la définition donnée par la Commission de l'infraction est trop large, en ce qu'elle englobe tout comportement restrictif de concurrence au sein d'un même secteur. Ce faisant, la Commission priverait de toute substance l'exigence d'identité objective posée par la jurisprudence (arrêt Ciment, point 69 supra, points 4025 et suivants). Cette exigence serait, de plus, renforcée dans les hypothèses où il n'y a pas d'accord cadre ni d'ensemble intégré de systèmes à plusieurs étages (arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6-89, Rec. p. II-1623, points 204 et 205).

473 En troisième lieu, la requérante considère que la Commission a étendu indûment le champ géographique de l'infraction à la France et au Benelux. La Commission ne justifierait pas sa conclusion sur ce point et n'aurait pas étudié ces marchés.

474 La Commission estime que les différents éléments de l'infraction n'ont pas à être identiques, car il est normal que, dans un cartel, les variables concernées, à savoir le prix ou les volumes, soient différentes et que l'intensité varie d'un État à l'autre. La Commission soutient que Lafarge confond l'identité d'objet avec l'identité de contenu. Or, ce qui serait essentiel serait l'identité d'objectif, l'existence d'une même finalité économique anticoncurrentielle. Ainsi, chacun des comportements n'aurait pas à révéler l'intention de participer à une entreprise commune, celle-ci ressortant de ces éléments pris dans leur ensemble. En outre, la Commission rappelle que les entreprises peuvent avoir voulu poursuivre leur objectif propre tout en participant à la réalisation de l'infraction dans son ensemble.

475 La Commission soutient également que, en considérant que le marché concerné par l'infraction comprenait la France et le Benelux, elle a procédé à une restriction du marché initialement visé et non à son extension. Ces deux pays sont clairement visés par l'échange d'informations au niveau européen. Si les manifestations y ont été moins intenses, cela tient, selon la Commission, au fait que les conditions de marché y étaient plus favorables.

Appréciation du Tribunal

476 Il convient, à titre liminaire, d'observer qu'il résulte de la décision attaquée (considérant 479) que la Commission a considéré que l'ensemble des accords et des pratiques concertées du cas d'espèce s'inscrivaient dans une série d'efforts des entreprises en cause poursuivant un seul but économique, à savoir la restriction de la concurrence et constituaient les diverses manifestations d'un accord complexe et continu qui a eu pour objet et pour effet de restreindre la concurrence. Estimant que les accords et pratiques concertées précités avaient concrétisé, de manière ininterrompue à partir de 1992 et jusqu'en 1998, la manifestation de la volonté commune desdites entreprises de stabiliser et, partant, de restreindre la concurrence au moins sur les marchés allemand, français, du Royaume-Uni et du Benelux des plaques en plâtre, la Commission a qualifié l'infraction d'unique, complexe et continue.

477 Ainsi, l'article 1er de la décision attaquée énonce que les entreprises concernées, dont la requérante, " ont enfreint l'article 81, paragraphe 1, [CE] en participant à un ensemble d'accords et de pratiques concertées dans le secteur des plaques en plâtre ".

478 Lafarge estime que la Commission n'a pas démontré à suffisance de droit la finalité commune qui unirait les différentes manifestations en tant qu'infraction unique et continue.

479 À cet égard, il convient de rappeler qu'une violation de l'article 81, paragraphe 1, CE peut résulter non seulement d'un acte isolé, mais également d'une série d'actes ou bien encore d'un comportement continu. Cette interprétation ne saurait être contestée au motif qu'un ou plusieurs éléments de cette série d'actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer en eux-mêmes et pris isolément une violation de ladite disposition. Lorsque les différentes actions s'inscrivent dans un plan d'ensemble, en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, la Commission est en droit d'imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l'infraction considérée dans son ensemble (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 72 supra, point 258).

480 En l'espèce, il ressort clairement de l'examen du deuxième moyen que Lafarge a participé à une infraction unique, complexe et continue caractérisée par la seule finalité de mettre fin à la guerre des prix et de stabiliser les quatre marchés des plaques en plâtre. En effet, les réunions, l'échange d'informations et les pratiques relatives à la fixation des prix poursuivaient un même objet anticoncurrentiel consistant à maintenir les prix à un niveau supra-concurrentiel et à réduire la concurrence entre les entreprises qui opéraient sur le marché pertinent.

481 Les éléments exposés dans le cadre du deuxième moyen permettent de considérer que c'est à bon droit que la Commission a constaté, au considérant 432 de la décision attaquée, ce qui suit :

" Ces différentes manifestations apparaissent [...] clairement complémentaires compte tenu du fonctionnement du marché des plaques en plâtre. L'amélioration de la situation économique des entreprises par le biais d'une augmentation des prix rendait nécessaire une coordination de ces entreprises au niveau des parts de marché. "

482 Le Tribunal considère que, dans les circonstances de l'espèce, les accords et les pratiques concertées s'inscrivaient, en raison de leur objet identique et de leurs étroites synergies, dans un plan d'ensemble qui s'inscrivait, à son tour, dans une série d'efforts des entreprises en cause poursuivant un seul but économique, à savoir influencer l'évolution des prix. Ainsi que l'affirme à juste titre la Commission au considérant 422 de la décision attaquée, il serait artificiel de subdiviser ce comportement continu, caractérisé par une seule finalité, en y voyant plusieurs infractions distinctes, alors qu'il s'agit, au contraire, d'une infraction unique qui s'est progressivement concrétisée tant par des accords que par des pratiques concertées. Le caractère unique de l'infraction résulte, en effet, de l'unicité de l'objectif poursuivi par chaque participant à l'entente et non des modalités d'application de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt Ciment, point 69 supra, point 4127).

483 En outre, dans le cadre d'un accord global s'étendant sur plusieurs années, un décalage de quelques mois entre les manifestations de l'entente importe peu. Le fait que les différentes actions s'inscrivent dans un plan d'ensemble en raison de leur objet identique est en revanche déterminant (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 72 supra, point 260).

484 En ce qui concerne l'argument tiré de l'absence d'un tel plan, il suffit de rappeler que la notion d'infraction unique vise justement une situation dans laquelle plusieurs entreprises ont participé à une infraction constituée d'un comportement continu poursuivant un seul but économique visant à fausser la concurrence ou bien encore d'infractions individuelles liées entre elles par une identité d'objet (même finalité de l'ensemble des éléments) et de sujets (identité des entreprises concernées, conscientes de participer à l'objet commun).

485 Par ailleurs, s'agissant de l'affirmation de la requérante selon laquelle le caractère unique de l'infraction serait démenti par le fait que le nombre des entreprises ayant pris part à certaines des manifestations anticoncurrentielles serait limité et qu'une partie des entreprises n'aurait pas participé à l'infraction depuis le début, il suffit de rappeler que le fait qu'une entreprise n'a pas participé à tous les éléments constitutifs d'une entente ou qu'elle y a joué un rôle mineur n'est pas pertinent pour établir l'existence d'une infraction commise par elle. Il n'y a lieu de prendre en considération ces éléments que lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction et, le cas échéant, de la détermination du montant de l'amende (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 72 supra, point 86).

486 Ainsi, même si les accords et les pratiques concertées visés à l'article 81, paragraphe 1, CE résultent nécessairement du concours de plusieurs entreprises, qui sont toutes coauteurs de l'infraction, leur participation peut revêtir des formes différentes, en fonction notamment des caractéristiques du marché concerné et de la position de chaque entreprise sur ce marché, des buts poursuivis et des modalités d'exécution choisies ou envisagées.

487 En conséquence, la simple circonstance que chaque entreprise participe à l'infraction dans des formes qui lui sont propres n'affecte pas la qualification de l'infraction d'infraction unique et continue.

488 Enfin, en ce qui concerne l'étendue géographique de l'entente, la requérante affirme que la Commission n'a pas démontré à suffisance de droit qu'elle concernait également la France et le Benelux.

489 À cet égard, il suffit de rappeler que les échanges d'informations sur les quantités vendues concernaient également la France et le Benelux.

490 Si la Commission peut légalement conclure que les différentes manifestations faisaient partie d'une infraction unique du fait qu'elles s'inscrivaient dans un plan d'ensemble visant à fausser le jeu de la concurrence, le fait que le nombre et l'intensité des pratiques collusoires varient selon le marché concerné ne signifie pas que l'infraction ne concernait pas les marchés sur lesquels les pratiques ont été moins intenses et moins nombreuses. En effet, il serait artificiel de subdiviser un comportement continu, caractérisé par une seule finalité, en plusieurs infractions distinctes au motif que les pratiques collusoires ont varié selon le marché concerné. Il n'y a lieu de prendre en considération ces éléments que lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction et, le cas échéant, de la détermination du montant de l'amende (voir, par analogie, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 54 supra, point 90).

491 Il résulte des considérations qui précèdent que les griefs dirigés contre la qualification de l'entente d'infraction unique et continue ne sont pas fondés.

Sur la durée de la participation de Lafarge et de Lafarge Plâtres à une telle infraction

Arguments des parties

492 La requérante rappelle, à titre liminaire, que, pour établir l'existence d'une infraction unique, la Commission doit prouver que les faits en cause possédaient une identité subjective, c'est-à-dire que chaque entreprise devait avoir conscience que ses actes s'inscrivaient dans un plan global recouvrant les éléments constitutifs de l'entente (arrêt Ciment, point 69 supra, points 4060 et 4061), ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

493 Lafarge considère que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que, sous son autorité, Lafarge Plâtres avait participé à l'infraction dès la fin du mois d'août 1992. En premier lieu, Lafarge soutient que la Commission ne pouvait pas dater le début de la participation de Lafarge Plâtres à l'infraction au 31 août 1992 au plus tard. Elle soutient également que la réponse de BPB à la communication des griefs sur laquelle la Commission s'appuie à cet égard ne permet pas d'établir avec certitude la participation de Lafarge à l'échange de données au niveau européen. Cette déclaration aurait été contredite par son courrier à la Commission du 25 juin 2002 dans lequel elle expliquerait que M. [J] n'avait aucun souvenir d'une réunion entre BPB et elle-même, mais surtout n'avait donné aucune instruction à Lafarge Plâtres concernant des échanges de données. Au contraire, ce serait Lafarge Plâtres qui aurait été contactée, comme l'explique son responsable, M. [G], dans sa déclaration écrite du 8 août 2001. Cependant, la Commission aurait écarté cette déclaration au profit de celles de BPB, alors même que cette déclaration ne pouvait être considérée comme une déclaration de circonstance. Or, Lafarge rappelle que la Commission ne peut pas s'appuyer sur des spéculations mal fondées et que l'existence d'un doute raisonnable doit lui profiter.

494 En deuxième lieu, la requérante soutient que l'adhésion de Lafarge Plâtres à l'échange de données est nécessairement postérieure au mois de juin 1993, et probablement même au début de l'année 1994. En effet, ce serait M. [D], travaillant pour BPB, qui aurait contacté M. [G]. Or, celui-ci n'aurait été réellement en charge du Royaume-Uni qu'à partir de 1994. Les conditions de l'entrée en fonctions de M. [G] tendraient également à dater ce contact au début de 1994.

495 Elle ajoute que le fait que les tableaux de M. [D] (tels qu'extraits de son ordinateur au moment des vérifications) comportent des chiffres pour Lafarge Plâtres à partir de l'année 1991 ne signifie pas que celle-ci aurait nécessairement participé à l'échange à partir de 1992. En effet, de tels tableaux n'apporteraient aucune preuve sur la date à laquelle elle a commencé à participer à l'échange. Ces données auraient bien pu être incluses postérieurement ou n'être que des estimations de M. [D].

496 En troisième lieu, la requérante estime que les faits antérieurs à 1993 retenus par la Commission, à savoir l'échange de données au niveau européen et les échanges sur les volumes de ventes et sur les prix spécifiques au marché du Royaume-Uni, ne permettent pas d'établir l'adhésion de Lafarge Plâtres à une infraction unique et continue. À cet égard, la requérante rappelle que la participation de Gyproc à ces mêmes manifestations a conduit la Commission à considérer que sa participation à l'infraction ne pouvait être établie.

497 Enfin, la requérante souligne que la Commission ne pouvait présumer que l'infraction avait continué au moins jusqu'aux vérifications qu'elle a effectuées à la fin de l'année 1998, mais devait en apporter la preuve. Ainsi, la Commission aurait dû retenir comme date de fin de l'infraction celle de la dernière manifestation à laquelle la requérante aurait participé.

498 La Commission souligne que la détermination du début de la participation de Lafarge à l'infraction n'est pas pertinente pour savoir si celle-ci peut se voir imputer ou non une infraction unique. Quant à la date à retenir comme début de la participation de Lafarge à l'infraction, la Commission estime que l'argument présenté par Lafarge selon lequel c'est M. [G] et non M. [J] qui a été contacté par BPB ne permet pas d'exclure que ce début se situe en 1992. À cet égard, elle souligne que M. [G] a travaillé pour Lafarge Plâtres dès 1992 et qu'il est difficile de croire que BPB ait eu à prendre contact avec Lafarge pour apprendre qui en était le dirigeant sur un marché dont Lafarge soutient qu'il est d'une grande transparence. En outre, les données de Lafarge pour 1991 et 1992 se trouveraient bien dans les tableaux de M. [D].

499 La Commission souligne que les vérifications ont eu lieu le 25 novembre 1998, soit peu après la mise en œuvre de la dernière hausse des prix pour laquelle elle avait conclu à une coordination et peu après le dernier échange trimestriel au niveau européen. Elle soutient, de plus, que les décisions prises ont produit des effets au moins jusqu'à la date des vérifications.

Appréciation du Tribunal

500 Il convient d'examiner si la Commission a démontré à suffisance de droit la durée de l'infraction en ce qui concerne Lafarge. La Commission affirme que BPB a informé Lafarge au milieu de l'année 1992, soit au plus tard à la fin du mois d'août 1992, de l'accord existant entre elle et Knauf sur les échanges de données et que, à cette occasion, Lafarge a adhéré à cet accord et l'a mis en œuvre. Dans la décision attaquée, la Commission a fixé la période de commission de l'infraction en cause, s'agissant de Lafarge, du 31 août 1992 jusqu'au 25 novembre 1998.

501 La requérante conteste avoir adhéré à l'échange de données au plus tard en août 1992. Elle admet uniquement que Lafarge Plâtres a adhéré à cet échange, mais pas avant le second semestre de 1993, voire le début de l'année 1994. En ce qui concerne la fin de l'échange de données, la Commission aurait seulement présumé que l'infraction avait continué au moins jusqu'aux vérifications qu'elle a effectuées sans le prouver.

502 Dans la décision attaquée, la Commission a fondé sa conclusion sur le début de la participation de Lafarge sur deux motifs.

503 En premier lieu, au considérant 127 de la décision attaquée, elle se réfère aux déclarations de BPB. En effet, il résulte de la deuxième réponse de BPB à la demande de renseignements ce qui suit :

" Selon M. [A], lui-même et les cousins de la famille Knauf, lors de cette réunion, se sont mis d'accord pour échanger les chiffres de leurs volumes de ventes 1991, afin de se doter d'une base fiable pour le futur pour vérifier que cet accord [original en anglais : 'understanding'] était mis en œuvre (c'est-à-dire simplement pour se donner mutuellement une image plus précise de la taille globale du marché et donc de leurs propres parts de marché). Ceci était nécessaire, car il n'y avait pas de statistiques industrielles fiables. À la suite de cette réunion, l'échange d'informations avait été étendu afin d'inclure Lafarge. "

504 À cet égard, le Tribunal considère qu'il n'est pas plausible que les termes " à la suite de cette réunion " se réfèrent à une période très éloignée de la réunion de Londres.

505 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler qu'un extrait de la réponse de BPB à la communication des griefs a été communiqué à la requérante par la lettre de la Commission du 12 juin 2002.

506 Dans cet extrait, BPB a précisé sa réponse en indiquant que :

" [S]'étant mis d'accord pour échanger des données avec Knauf, M. [A] (et probablement Knauf également) s'est arrangé pour échanger des données également avec Lafarge. M. [A] pense qu'il a directement approché M. [J] de Lafarge, bien qu'il dise qu'il est aussi possible que M. [H] ait procédé à cette approche, dans la mesure où ce dernier connaissait mieux M. [J] (En tout cas, il semble que M. [H] a initialement pris la responsabilité d'échanger effectivement les données avec Lafarge. M. [A] ne peut se souvenir quand il a (ou quand M. [H] a) pour la première fois approché Lafarge, mais il pense que c'était au milieu de 1992. "

507 Il y a lieu de considérer que la Commission a estimé, à juste titre, que ces déclarations étaient plus précises et circonstanciées que celles de Lafarge. En effet, Lafarge a communiqué à la Commission, à la suite de l'audition, une déclaration de M. [G] selon laquelle, face à la " forte indisponibilité des données relatives aux marchés concernés en Europe ", ses concurrents lui avaient proposé d'échanger quelques informations très globales sur les volumes de ventes. Ayant peu à perdre, M. [G] aurait saisi sa chance.

508 Cependant, comme le fait valoir la Commission au considérant 129 de la décision attaquée, alors même qu'elle souligne l'imprécision des indications initiales de BPB quant à la date du début de sa participation au mécanisme institué par Knauf et BPB, Lafarge ne fournit ni la date exacte ni les circonstances qui l'ont conduite à s'engager dans un tel échange, et notamment quels ont été les contacts qui ont nécessairement eu lieu préalablement à l'échange en vue d'en déterminer les modalités essentielles, c'est-à-dire son objet, ses acteurs et sa périodicité.

509 À cet égard, en ce qui concerne la nouvelle déclaration de M. [G] du 10 février 2003, jointe à la requête, il y a lieu de relever que la requérante ne l'a pas invoquée pendant la procédure administrative. Eu égard à la circonstance selon laquelle cette déclaration est tardive, éloignée de la date des faits en cause et manifestement établie aux fins de l'instance, elle n'a qu'une faible valeur probante et ne saurait mettre en cause les éléments factuels relevés par la Commission dans sa décision.

510 Or, la requérante aurait été la mieux placée pour démontrer avec précision quels avaient été les premiers contacts. Par exemple, elle aurait pu expliquer quand et dans quelles circonstances M. [G] avait suggéré la mise en place, au niveau européen, d'un système d'échange de renseignements conforme à la réglementation, ce qu'il a fait, selon ses propres dires, en même temps qu'il a été contacté par les concurrents de la requérante.

511 En outre, dans son courrier du 25 juin 2002 à la Commission, envoyé en réponse à la communication de l'extrait de la réponse de BPB à la communication des griefs, Lafarge se contente de constater que " M. [J], lui, n'a pas de souvenir d'une telle réunion et n'a donné aucune instruction qui concernerait des échanges de données aux responsables de Lafarge Plâtres, à quelque période que ce soit ".

512 La véracité des déclarations de BPB est confortée par le fait que la part de marché de Lafarge sur les principaux marchés européens est décrite en valeur absolue et en pourcentage dans les tableaux de M. [D] à partir de 1991 (considérant 128 de la décision attaquée).

513 À cet égard, Lafarge prétend que ces données ont pu être incluses postérieurement ou n'être que des estimations de M. [D]. Or, en ce qui concerne la première affirmation, il n'est pas convaincant que Lafarge auraitt communiqué ses données pour 1991 si elle n'avait adhéré au système d'échange d'informations qu'à la fin de l'année 1993.

514 S'agissant de l'affirmation selon laquelle ces données n'ont pu être que des estimations de M. [D], il aurait été facile pour la requérante de démontrer que les données réelles étaient effectivement différentes de celles figurant dans le tableau, ce qu'elle n'a pas fait.

515 Dans ces conditions, la Commission a démontré à suffisance de droit que BPB avait informé Lafarge au plus tard à la fin du mois d'août 1992 de l'accord existant entre elle et Knauf sur les échanges de données et que, à cette occasion, Lafarge avait adhéré à cet échange.

516 S'agissant de la question de savoir à quelle date la participation de la requérante à l'infraction a pris fin, d'une part, il incombe à l'entreprise concernée ou à l'autorité qui allègue une violation des règles de concurrence d'en apporter la preuve en établissant, à suffisance de droit, les faits constitutifs d'une infraction (voir, en ce sens, arrêt Baustahlgewebe/Commission, point 54 supra, point 58) et, d'autre part, il appartient à l'entreprise invoquant le bénéfice d'un moyen de défense contre une constatation d'infraction d'apporter la preuve que les conditions d'application de ce moyen de défense sont remplies, de sorte que ladite autorité devra alors recourir à d'autres éléments de preuve (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 72 supra, point 78).

517 En l'espèce, il ressort du dossier que les tableaux compilés par M. [D], que la Commission a trouvés lors des vérifications, contenaient des données concernant, notamment, les neuf premiers mois de l'année 1998. Or, le fait que M. [D] a été en possession de telles données implique que l'échange de données avait encore lieu au mois d'octobre 1998, puisque les données de septembre 1998 étaient disponibles. En outre, il ressort de la déclaration de M. [E] que cet échange s'est arrêté à la fin de l'année 1998. Il y a lieu de prendre en compte également le fait que la réunion de La Haye a eu lieu en mai 1998 et que les entreprises en question ont encore eu des contacts entre elles concernant la hausse des prix qui devait intervenir en octobre 1998, comme il ressort des considérants 377 à 379 de la décision attaquée. La Commission se fonde donc sur des éléments de preuve se rapportant à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon telle qu'il peut être raisonnablement admis que cette infraction s'est poursuivie de façon ininterrompue jusqu'au 25 novembre 1998. Ainsi, la Commission n'a commis aucune erreur en estimant que l'infraction n'avait pris fin que lors des vérifications de la Commission effectuées en novembre 1998.

518 Il s'ensuit qu'il y a lieu de rejeter le troisième moyen.

4. Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 en ce qui concerne le chiffre d'affaires retenu pour le calcul de l'amende

Arguments des parties

519 Lafarge rappelle que le chiffre d'affaires à prendre en compte pour la détermination du montant de départ de l'amende est celui de l'entreprise qui est responsable de l'infraction commise. Or, elle estime que la Commission n'était pas fondée à supposer que Lafarge Plâtres n'avait pas agi de manière autonome par rapport à elle du seul fait qu'elle détenait la quasi-totalité du capital de Lafarge Plâtres. Selon Lafarge, les pratiques alléguées ne peuvent en aucun cas lui être imputées, compte tenu de l'autonomie de Lafarge Plâtres dans la détermination de sa politique commerciale et de l'absence de toute implication de ses dirigeants dans les pratiques en cause.

520 Lafarge conteste la conclusion tirée par la Commission de l'arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, (T-354/94, Rec. p. II-2111). Dans cet arrêt, le Tribunal aurait jugé que la Commission pouvait se fonder sur le fait que Stora Kopparbergs Bergslags AB détenait la totalité du capital de sa filiale pour conclure que celle-ci n'était pas autonome par rapport à sa société mère. Or, selon Lafarge, cela n'a été possible que parce que Stora Kopparbergs Bergslags n'avait jamais soutenu que l'infraction avait été commise de manière autonome par sa filiale et qu'elle s'était présentée pendant la procédure administrative comme le seul interlocuteur de la Commission.

521 La requérante souligne, de plus, que l'existence d'une telle présomption poserait des problèmes pratiques. Ainsi, une société ne détenant que rarement 100 % du capital de sa filiale se poserait la question de savoir à partir de quel seuil cette présomption jouerait, et ce sans qu'aucun élément juridique ou économique ne permette de le déterminer.

522 La Commission ne pourrait donc se fonder sur une nouvelle théorie qu'elle aurait créée et selon laquelle la possibilité d'exercer une influence déterminante serait suffisante, car, selon la jurisprudence, l'imputation du comportement infractionnel nécessiterait un contrôle effectif.

523 Lafarge souligne que Lafarge Plâtres a non seulement contesté avoir reçu une quelconque instruction de sa part dans la détermination de sa politique commerciale, mais a également apporté des preuves en ce sens. De plus, ce serait Lafarge Plâtres et non Lafarge qui aurait été le seul interlocuteur de la Commission pour répondre aux griefs notifiés au cours de la procédure administrative.

524 Lafarge ne conteste pas qu'elle détient le contrôle juridique de Lafarge Plâtres et que certains membres de sa direction siègent au sein du conseil d'administration de cette dernière. Toutefois, cette circonstance serait sans incidence sur l'autonomie de Lafarge Plâtres dans la détermination de sa politique commerciale. Il résulterait de la structure même du groupe dirigé par Lafarge que celle-ci n'est pas une société mère qui définit la ligne d'action commerciale de ses filiales. Lafarge serait, en effet, une société holding, actionnaire de plusieurs sociétés agissant de façon autonome dans leurs secteurs d'activité respectifs.

525 Lafarge soutient, ensuite, que si elle détient le contrôle juridique de Lafarge Plâtres, elle ne définit pas la politique commerciale de celle-ci. À cet égard, une lettre du 27 novembre 1997 adressée à M. [G] par M. [J], relative au projet d'acquisition de Norgips, prouverait que Lafarge ne faisait qu'exercer un contrôle normal d'actionnaire sur les principaux investissements de ses filiales, n'ayant qu'une implication purement financière. En aucun cas, elle n'attesterait la dépendance de Lafarge Plâtres par rapport à sa société mère. La déclaration de M. [G] du 10 février 2003 attesterait, en outre, que Lafarge ne s'est jamais impliquée dans la conduite des opérations de la branche plâtre et que M. [J] n'a jamais participé à une réunion ou à une négociation.

526 En revanche, Lafarge estime que les éléments avancés par la Commission pour soutenir que Lafarge Plâtres est totalement intégrée à elle sont très ténus. Ainsi, elle estime que la simple utilisation de l'expression " branche plâtre " dans une brochure commerciale ne peut constituer la preuve d'une influence déterminante de Lafarge sur Lafarge Plâtres. De même, l'argument selon lequel l'annonce officielle de la politique décentralisée de Lafarge n'est intervenue que postérieurement à la commission des faits allégués ne démontrerait nullement qu'une telle politique n'avait pas déjà été mise en œuvre au sein du groupe qu'elle dirigeait, antérieurement à cette annonce, notamment en ce qui concerne la branche plâtre.

527 Lafarge estime que la Commission n'a pas démontré non plus que ses dirigeants ont été impliqués dans les pratiques visées par la décision attaquée. Elle relève que la Commission n'invoque que deux événements concernant ses dirigeants qui se situent aux deux extrémités de la période considérée, sans qu'aucun élément ne l'implique entre 1992 et 1998. La Commission ne pourrait donc pas considérer qu'elle a été impliquée dans les pratiques en cause.

528 Lafarge estime que la Commission n'a pas établi la prétendue approche de M. [J] par un représentant de BPB. En tout état de cause, à supposer qu'une telle approche aurait eu lieu, M. [J] n'aurait donné aucune instruction concernant les échanges de données aux responsables de Lafarge Plâtres, ce qui serait attesté par M. [G] dans sa déclaration du 10 février 2003. Quant à la communication par M. [F] des chiffres de vente de Lafarge Plâtres à BPB, Lafarge souligne que cela ne s'est produit qu'une fois et non à plusieurs reprises, comme le prétend la Commission. De plus, M. [F] n'aurait été nommé aux fonctions de président du conseil d'administration de Lafarge Plâtres qu'en octobre 1998, soit moins de deux mois avant le début des vérifications de la Commission. En outre, si M. [F] était directeur général adjoint de Lafarge, il ne s'agirait que d'un titre et non d'une fonction, car aucune attribution précise n'y serait attachée.

529 Enfin, Lafarge relève que la Commission n'a pas considéré qu'Etex exerçait sur Gyproc une influence déterminante permettant de lui imputer le comportement de sa filiale alors même qu'elle disposait d'éléments plus nombreux en ce sens que ceux sur lesquels elle s'est appuyée pour imputer à Lafarge le comportement de Lafarge Plâtres. Ce faisant, la Commission aurait violé le principe d'égalité de traitement.

530 La Commission estime disposer du choix discrétionnaire d'imputer l'infraction à une société se trouvant au niveau auquel le comportement anticoncurrentiel incriminé a eu lieu, à toute société mère située au-dessus d'elle dans la hiérarchie du groupe, ou solidairement à l'ensemble de ces sociétés.

531 La Commission soutient qu'il existe une présomption d'exercice effectif du contrôle d'une société mère sur ses filiales détenues à 100 % (arrêt AEG/Commission, point 116 supra, point 50). Dans l'arrêt du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission (C-286-98 P, Rec. p. I-9925), la Cour aurait confirmé cette présomption en précisant que cela était particulièrement le cas lorsque la société mère se présentait lors de la procédure administrative comme le seul interlocuteur de la Commission au sujet de l'infraction concernée (point 29). Cela ne serait donc qu'un élément de plus en faveur de l'imputation. Cette présomption serait, de plus, applicable également dans les cas où la société mère détiendrait plus de 99 % des actions de ses filiales (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T-203-01, Rec. p. II-4071, point 290).

532 En l'espèce, l'imputation ne serait donc pas fondée uniquement sur la pleine intégration de Lafarge Plâtres au groupe dirigé par Lafarge, mais aussi sur l'absence de toute preuve de nature à étayer les affirmations selon lesquelles Lafarge Plâtres serait une entité autonome sur le marché par rapport à Lafarge.

533 Ainsi, la Commission aurait la charge de prouver que la filiale appartient à 100 % à la société mère. S'agissant d'une présomption réfragable, il appartiendrait alors à la requérante de la renverser par des éléments de preuve suffisants. Or, la requérante n'aurait pas apporté une telle preuve en l'espèce.

534 En toute hypothèse, la Commission relève que la communication des griefs a été adressée à Lafarge.

535 La Commission soutient, de plus, qu'il n'est pas nécessaire de recevoir des instructions sur la politique à mener dans le secteur des plaques en plâtre pour qu'une dépendance existe. La définition par Lafarge elle-même de Lafarge Plâtres comme constituant la " branche plâtre " en dirait beaucoup sur l'unité caractéristique de la notion d'entreprise. Cette expression serait utilisée dans une brochure commerciale de Lafarge, mais également dans la déclaration de M. [G] du 10 février 2003 et sur le site Internet de Lafarge, montrant que c'est l'image que Lafarge veut donner sur le marché. La Commission considère, en outre, que la prétendue absence d'implication personnelle des dirigeants de Lafarge n'est pas décisive à la lumière de la jurisprudence analysée. En tout état de cause, la Commission souligne que, au considérant 505 de la décision attaquée, BPB a bien établi un contact avec M. [J].

536 La Commission relève que si la structure des activités commerciales d'une entreprise relève du libre choix de celle-ci, le choix d'une approche décentralisée ne doit pas permettre à une entreprise d'échapper à l'obligation de garantir la légalité de ses activités au regard des règles de concurrence communautaires. Or, la Commission soutient qu'une approche trop formaliste de la question de l'imputation entraînerait un risque de contournement des dispositions légales. Les entreprises pourraient chercher à échapper à leurs responsabilités au regard des règles de concurrence en exerçant des activités dans des entités juridiques distinctes leur appartenant à 100 % et disposant d'un large pouvoir discrétionnaire. La société mère pourrait même imposer à sa filiale de la tenir dans l'ignorance du mode de réalisation du profit, pour autant qu'il y ait profit. La Commission estime que cela ferait perdre toute valeur dissuasive aux amendes.

Appréciation du Tribunal

537 La requérante reproche à la Commission de lui avoir imputé l'infraction en estimant que la détention de 99,99 % du capital de Lafarge Plâtres suffisait pour présumer sa responsabilité alors même qu'elle avait déjà fourni, dans la réponse à la communication des griefs, des éléments de preuve démontrant que Lafarge Plâtres avait agi d'une manière autonome dans la détermination de sa politique commerciale et sans aucune implication de ses dirigeants dans les pratiques en cause.

538 Dès lors, il convient d'examiner si Lafarge pouvait être tenue pour responsable des actes de Lafarge Plâtres, sa filiale détenue à 99,99 %.

539 À ce sujet, il convient de rappeler que, bien qu'une filiale dispose de la personnalité juridique, cela ne suffit pas à écarter la possibilité que son comportement soit imputable à la société mère, notamment lorsque la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché (voir arrêt du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 531 supra, point 26, et la jurisprudence citée).

540 En effet, le comportement anticoncurrentiel d'une entreprise peut être imputé à une autre lorsqu'elle n'a pas déterminé son comportement sur le marché de façon autonome, mais a appliqué pour l'essentiel les directives émises par cette dernière, eu égard en particulier aux liens économiques et juridiques qui les unissaient (arrêts de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189-02 P, C-202-02 P, C-205-02 P, C-208-02 P et C-213-02 P, Rec. p. I-5425, point 117, et du 16 novembre 2000, Metsä-Serla Oyj e.a./Commission, C-294-98 P, Rec. p. I-10065, point 27).

541 À cet égard, il y a lieu de préciser que, selon cette jurisprudence, la Commission ne saurait se contenter de constater qu'une entreprise pouvait exercer une telle influence déterminante sur l'autre entreprise, sans qu'il soit besoin de vérifier si cette influence a effectivement été exercée. Au contraire, il résulte de cette jurisprudence qu'il incombe, en principe, à la Commission de démontrer une telle influence déterminante sur la base d'un ensemble d'éléments factuels, dont, en particulier, l'éventuel pouvoir de direction de l'une de ces entreprises vis-à-vis de l'autre (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 540 supra, points 118 à 122, et du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission, C-196/99 P, Rec. p. I-11005, points 95 à 99 ; arrêt HFB e.a./Commission, point 200 supra, point 527). Or, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 531 supra, la Cour a reconnu que, lorsqu'une société mère contrôlait à 100 % sa filiale coupable d'un comportement infractionnel, il existait une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerçait effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Elle a ajouté que, dès lors, il incombait à la société mère de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer l'autonomie de sa filiale (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 531 supra, points 28 et 29).

542 Dans le cas d'espèce, il est constant que, au cours de la période concernée par la décision attaquée, Lafarge Plâtres était une filiale détenue à 99,99 % par Lafarge.

543 Or, malgré le fait que Lafarge ne conteste pas détenir le contrôle juridique de Lafarge Plâtres, et que certains membres du conseil d'administration de Lafarge Plâtres exerçaient en parallèle des fonctions au sein de Lafarge ou d'autres entités du groupe dirigé par Lafarge, cette dernière essaie de renverser la présomption selon laquelle elle contrôlait effectivement Lafarge Plâtres en affirmant que l'autonomie de Lafarge Plâtres dans la détermination de sa politique commerciale était réelle.

544 Lafarge affirme, en premier lieu, que les pièces recueillies au cours de la procédure administrative démontreraient que Lafarge Plâtres n'a jamais reçu directement ou indirectement une quelconque instruction ou recommandation de sa part concernant la politique commerciale à mener dans le secteur des plaques de plâtres.

545 Le Tribunal estime que le fait qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la société mère ait donné des instructions à sa filiale ne saurait prouver que de telles instructions n'ont pas existé. En effet, le fait que les activités que comportent les pratiques et accords anticoncurrentiels se déroulent normalement de manière clandestine signifie que l'absence de preuve documentaire ne peut pas suffire pour démontrer que de telles instructions n'existaient pas. Au contraire, l'exercice de contrôle doit être vérifié dans le contexte de circonstances et d'incidents qui, considérés ensemble, peuvent constituer la preuve de ce contrôle.

546 Tout d'abord, M. [F], qui a été nommé président du conseil d'administration de Lafarge Plâtres en octobre 1998 et qui était également directeur général adjoint de Lafarge, a communiqué, au moins une fois, les chiffres des ventes de Lafarge Plâtres à BPB. La continuation des pratiques anticoncurrentielles imputées à un dirigeant de Lafarge sans que celle-ci s'y oppose renforce la démonstration que Lafarge et ses dirigeants étaient au courant de l'entente en question. Cette déduction est confirmée par le fait que M. [F] était, selon la Commission, qui n'a pas été contredite par la requérante, membre du comité exécutif de Lafarge depuis 1994.

547 Quant au seul document présenté par Lafarge Plâtres dans la réponse à la communication des griefs pour démontrer son autonomie, il s'agit d'une lettre de M. [G] à M. [J] du 27 novembre 1997. Ce courrier constitue un dossier d'investissement présentant le projet d'acquisition des activités de Norgips, exposant les avantages et les inconvénients du projet et en recommandant l'acquisition à certaines conditions. Or, une telle lettre ne démontre nullement qu'il n'y a pas eu d'instructions de la part de Lafarge en ce qui concerne la politique commerciale de Lafarge Plâtres. En effet, le fait que, dans ce cas, Lafarge Plâtres demande l'autorisation d'investir n'exclut nullement que Lafarge ait pu donner des instructions sur sa politique commerciale à d'autres occasions. Au contraire, comme le fait valoir la Commission au considérant 506 de la décision attaquée, le fait que M. [G] adresse ce courrier à M. [J] démontre plutôt la dépendance de la filiale par rapport à la société mère.

548 En outre, il y a lieu de prendre en compte l'implication des dirigeants de Lafarge dans les pratiques litigieuses. En effet, il ressort de la déclaration de BPB (considérant 505 de la décision attaquée) dont la valeur probante a été examinée ci-dessus (voir l'examen de la durée de l'infraction dans le cadre du troisième moyen), que c'est M. [J], à l'époque administrateur directeur général, puis vice-P.-D.G. de Lafarge, que BPB a approché en vue d'organiser l'échange d'informations.

549 Par ailleurs, le fait, non contesté par la requérante, que Lafarge Plâtres est une branche de Lafarge doit être pris en compte. En effet, il ressort des considérants 501 et 504 de la décision attaquée que les activités liées au plâtre, dont la production de plaques en plâtre, sont l'une des cinq branches de Lafarge.

550 En outre, il importe de constater que Lafarge a reconnu que certains membres du conseil d'administration de Lafarge Plâtres exerçaient en parallèle des fonctions en son sein ou dans d'autres entités du groupe qu'elle dirige au cours de la période concernée par la décision attaquée. En effet, il ressort des réponses de Lafarge aux questions écrites et orales du Tribunal que, durant la période considérée, trois personnes ont exercé simultanément la fonction d'administrateur de Lafarge Plâtres et une fonction au sein de Lafarge et que cinq personnes ont exercé simultanément la fonction d'administrateur de Lafarge Plâtres et une fonction au sein d'une autre entité du groupe dirigé par Lafarge.

551 De même, il y a lieu de noter que, parmi ces cinq personnes, l'une était un haut représentant du groupement d'intérêt économique Lafarge Coppée Recherche. À cet égard, il importe de rappeler qu'il ressort de la réponse de Lafarge du 7 décembre 2006 à une question écrite du Tribunal que Lafarge était, jusqu'au 31 décembre 1994, dénommée Lafarge Coppée.

552 En effet, à la date du 31 août 1992, correspondant au début de l'infraction commise par Lafarge, deux administrateurs de Lafarge Plâtres exerçaient des fonctions dans d'autres entités du groupe dirigé par Lafarge. L'un était un haut représentant de la société Lafarge Corporation, la filiale nord-américaine de Lafarge, et l'autre un haut représentant de Lafarge Coppée Recherche, un groupement d'intérêt économique commun aux diverses branches du groupe dirigé par Lafarge.

553 À partir du 31 décembre 1994, siégeait au conseil d'administration de Lafarge Plâtres, outre le haut représentant de Lafarge Coppée Recherche et un directeur de Lafarge Matériaux de spécialité, une personne qui, à compter du 31 décembre 1995 est indiquée également comme étant le directeur délégué " Centre Europe " au sein de Lafarge.

554 À partir du 31 décembre 1995, siégeaient au sein du conseil d'administration de Lafarge Plâtres trois autres personnes exerçant d'autres responsabilités au sein d'entités dépendant du groupe dirigé par Lafarge, à savoir un directeur en charge du contrôle de gestion du groupe dirigé par Lafarge, un directeur commercial de la société Lafarge Ciments ainsi que le directeur susmentionné de Lafarge Matériaux de spécialité.

555 Ensuite, à partir du 31 décembre 1996, un directeur du développement international de Lafarge Matériaux de spécialité a été nommé administrateur de Lafarge Plâtres. En outre, le directeur en charge du contrôle de gestion du groupe dirigé par Lafarge et le directeur commercial de Lafarge Ciments ont continué à exercer leurs fonctions d'administrateurs de Lafarge Plâtres.

556 Enfin, M. [F], un très haut représentant de la requérante, a pris la succession de M. [G] en tant que directeur général de Lafarge Plâtres, le 1er octobre 1998, soit environ deux mois avant la fin de la période incriminée.

557 Il ressort de ce qui précède que, durant toute la durée de l'infraction constatée, des membres du conseil d'administration de Lafarge Plâtres exerçaient des fonctions opérationnelles au sein de Lafarge (ou son prédécesseur la société Lafarge Coppée) ou au sein d'autres entités du groupe dirigé par Lafarge.

558 Dans ces conditions, la présomption d'un contrôle effectif de Lafarge sur Lafarge Plâtres en raison du fait qu'elle détient 99,99 % de son capital ainsi que d'une certaine identité des personnes au sein du conseil d'administration de ces deux sociétés suffit pour imputer l'infraction à Lafarge, étant donné que les éléments que cette dernière a présentés pour contester cette présomption ne sont pas convaincants.

559 Enfin, s'agissant de l'affirmation de Lafarge selon laquelle Etex a été traitée d'une façon plus favorable par la Commission, même si elle était exacte, l'imputation de l'infraction à Lafarge étant justifiée, cela ne changerait pas la situation de cette dernière, nul ne pouvant invoquer à son profit une illégalité commise en faveur d'autrui (arrêt Lögstör Rör/Commission, point 184 supra, point 350). En tout état de cause, la Commission a fait valoir, sans être contredite par Lafarge, qu'Etex ne détenait que 54 % du capital de Gyproc. Ainsi, les circonstances de ces deux cas sont différentes et leur traitement ne saurait ainsi constituer une violation du principe d'égalité.

560 Il s'ensuit que le moyen invoqué par la requérante en ce qui concerne la violation de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, du fait de la prise en compte de son chiffre d'affaires au lieu de celui de Lafarge Plâtres pour le calcul du montant de l'amende, doit être rejeté.

5. Sur le cinquième moyen, tiré de ce que la décision attaquée n'est pas fondée en droit en ce qu'elle a infligé à Lafarge une amende globale pour des infractions distinctes

Arguments des parties

561 La requérante estime que la décision attaquée n'est pas fondée en droit en ce qu'elle lui a infligé une amende globale pour des infractions distinctes, sans rapport avec la nature de chacune des infractions incriminées, ce qui justifierait l'annulation de la totalité de la décision. La Commission n'aurait, en effet, pas été fondée à qualifier les pratiques en cause d'infraction unique et continue, mais aurait dû procéder à la qualification de chacune des infractions considérées. Le montant total de l'amende susceptible d'être infligée à la requérante aurait alors été substantiellement inférieur à celui infligé en l'espèce.

562 À cet égard, la requérante soutient que les échanges européens ne pouvaient être qualifiés d'infractions peu graves et de moyenne durée ; les arrangements du Royaume-Uni d'infractions graves ou peu graves, en tenant notamment compte de la faible part de marché de Lafarge Plâtres sur le marché concerné (environ 20 % en 1997) et du fait que la durée de cette concertation n'aurait pas été établie ; et les arrangements allemands de graves ou de peu graves et de moyenne durée, en tenant compte de la faible part de marché de Lafarge Plâtres sur ce marché (environ 14 % en 1997). De plus, ces pratiques n'auraient pas eu d'effets sur le marché.

563 La Commission conteste les arguments de la requérante.

Appréciation du Tribunal

564 Les arguments de la requérante visant à démontrer qu'il s'agit d'infractions distinctes, et que, ainsi, la qualification de l'infraction de très grave est erronée, comme d'ailleurs la fixation de la durée de l'infraction, se confondent avec la première branche du troisième moyen, tirée de ce qu'il n'y aurait pas eu d'infraction unique. Dès lors, le Tribunal ayant constaté pour l'examen de la première branche du troisième moyen que la Commission n'avait commis aucune erreur en considérant qu'il s'agissait d'une infraction unique et continue, les arguments de la requérante en ce sens doivent être rejetés également dans le cadre du présent moyen.

6. Sur le sixième moyen, tiré de la violation de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ainsi que de principes généraux dans le calcul du montant de l'amende

Sur le caractère excessif du montant de départ de l'amende déterminé en fonction de la gravité de l'infraction

Sur la gravité et l'impact de l'infraction

- Arguments des parties

565 La requérante soutient, en premier lieu, que la Commission n'a pas examiné l'impact concret des pratiques en cause, contrairement à ce que préconisent les lignes directrices. Or, tant le juge communautaire que la Commission auraient déjà, dans d'autres affaires, baissé le montant d'amendes du fait de l'absence d'effet de l'infraction sur le marché ou de son caractère limité.

566 La requérante considère, tout d'abord, que la Commission ne peut pas prétendre démontrer l'existence d'un impact concret des infractions en cause sur le marché du simple fait de la participation de la quasi-totalité des producteurs à ces pratiques et de la structure oligopolistique du marché. Ainsi, dans l'affaire British Sugar, la Commission n'aurait pas été en mesure d'établir l'existence d'un effet réel de l'entente alors même que cette entente avait été mise en œuvre sur un marché fortement concentré sur lequel les participants à l'entente détenaient plus de 90 % du marché en cause [décision 1999-210-CE de la Commission, du 14 octobre 1998, relative à une procédure d'application de l'article [81] CE (Affaire IV/F-3/33.708 - British Sugar plc, affaire IV/F-3/33.709 - Tate & Lyle plc, affaire IV/F-3/33.710 - Napier Brown & Company Ltd, affaire IV/F-3/33.711 - James Budgett Sugars Ltd) (JO 1999, L 76, p. 1, point 193)].

567 La requérante estime, ensuite, que la Commission se contente d'affirmer que les comportements ont produit des effets sur la quasi-totalité du marché concerné sans étayer cette affirmation par des éléments du dossier. De plus, il n'y aurait pas la moindre référence dans le dossier aux prétendus effets anticoncurrentiels sur les marchés français ou du Benelux. En outre, la Commission affirmerait que les pratiques incriminées ont eu un impact sur les prix et sur les parts de marché sans examiner l'importance de cet impact. Or, cela aurait des conséquences importantes sur le classement de l'infraction dans la catégorie grave ou très grave et, donc, sur le montant de départ de l'amende, et serait, de plus, contraire à la pratique antérieure de la Commission.

568 La requérante souligne également que la Commission n'a pas jugé utile d'examiner les effets concrets sur le marché des pratiques en cause, estimant cet examen superflu. Or, la requérante rappelle que si l'article 81 CE peut être violé en l'absence d'effet anticoncurrentiel, la détermination du montant de l'amende nécessite, en revanche, la démonstration d'un tel effet.

569 La requérante soutient, en second lieu, que, en tout état de cause, la Commission ne pouvait pas qualifier l'infraction de très grave, car les pratiques incriminées ne pouvaient avoir qu'un effet très limité. En effet, les annonces de hausses des prix n'auraient eu qu'un impact très limité sur les prix, car la plupart des annonces sur les marchés allemands et du Royaume-Uni se seraient traduites par des échecs. Ce caractère limité des effets serait attesté par les études économiques réalisées par un cabinet d'expertise comptable tant sur l'évolution des prix que sur la dispersion des prix en Allemagne et au Royaume-Uni. En effet, après la réunion de Londres, les prix auraient continué à baisser sur les principaux marchés européens, notamment au Royaume-Uni où ils auraient atteint leur niveau le plus bas en 1993, et en Allemagne où les prix pratiqués par Lafarge Plâtres auraient été en baisse constante depuis septembre 1997 pour atteindre leurs niveaux le plus bas en février 1999 et en décembre 2001.

570 De plus, la requérante soutient que les pratiques alléguées ne peuvent avoir eu qu'un effet très limité sur les parts de marché. Ainsi, le tableau de la Commission relatif aux volumes de ventes des producteurs concernés entre 1992 et 1998 ne pourrait pas démontrer une stabilisation des parts de marché entre 1992 et 1998, puisqu'il ne contient pas de données sur la période antérieure à 1992, alors même que la Commission aurait demandé aux entreprises de lui fournir de telles données. Or, la requérante estime que la Commission ne peut pas écarter ces chiffres du seul fait qu'ils ne confirment pas sa thèse. De plus, loin de démontrer une stabilisation des parts de marché pendant la période considérée, ce tableau montrerait, au contraire, que les parts de marché ont sensiblement évolué au cours de cette période, dans un contexte d'augmentation constante de la demande. À cet égard, la forte volatilité de la demande pendant la période considérée serait de nature à relativiser la prétendue stabilité des parts de marché.

571 Enfin, la requérante considère que la prétendue infraction n'a pas pu causer de préjudice aux consommateurs, étant donné que les clients sont presque tous des entreprises commerciales avec un pouvoir d'achat considérable et qui ont donc la capacité de négocier des remises en faisant jouer la concurrence entre les producteurs. La requérante en conclut que la prétendue infraction n'a pas porté préjudice aux consommateurs.

572 La Commission soutient ne pas avoir considéré, dans la décision attaquée, que le fait que la quasi-totalité des producteurs avaient participé à l'infraction et que la structure du marché était oligopolistique étaient les seuls éléments décisifs pour établir que l'infraction avait eu des effets sur le marché. La Commission rappelle que, lorsqu'elle se fonde sur les effets d'une infraction pour en évaluer la gravité, il lui suffit de fournir de bonnes raisons d'en tenir compte (arrêt Ciment, point 69 supra, point 4863). Par ailleurs, dans ce même arrêt, le Tribunal soulignerait que, lorsque la concurrence est déjà restreinte pour d'autres raisons, en l'espèce la structure concentrée du marché et l'homogénéité importante du produit, l'infraction serait plus grave, car elle limiterait le peu de concurrence qui subsisterait. La Commission ajoute que la jurisprudence retient une présomption d'utilisation des informations échangées et qu'il ressortirait du dossier que ces informations ont été effectivement utilisées. La Commission rappelle qu'elle n'a jamais soutenu que le prix finalement facturé était celui figurant sur la liste, mais que les prix échangés servaient de base pour négocier avec le client et que l'existence de l'échange avait donc une influence sur le prix final.

573 Concernant l'analyse empirique de la requérante, la Commission rappelle en avoir démontré son manque de crédibilité. Par ailleurs, l'objectif de l'analyse empirique serait de donner une explication alternative au marché et non de démontrer l'absence d'effets d'un cartel. L'argument de la requérante, selon lequel les prix auraient baissé pendant la période considérée, non seulement serait contredit par les graphiques figurant dans la requête, mais, de plus, ne serait pas démontré pour les marchés français et du Benelux. En outre, l'argument de la requérante selon lequel la stabilité des marchés était la même avant et après 1992 serait contredit par tous les éléments du dossier et par la requête.

574 La Commission soutient que les arguments de Lafarge relatifs à la dispersion des prix et à l'entente sur ceux-ci sont à double tranchant, car, en Allemagne, là où la Commission a constaté une collusion sur les prix que Lafarge reconnaît comme constituant la manifestation anticoncurrentielle la plus grave, le test sur la dispersion n'est pas en faveur de Lafarge, d'où son insistance sur le Royaume-Uni.

- Appréciation du Tribunal

575 Il convient de rappeler que l'appréciation de la gravité de l'infraction, aux fins de la fixation du montant de l'amende, doit être effectuée en tenant compte, notamment, de la nature des restrictions apportées à la concurrence, du nombre et de l'importance des entreprises concernées, de la fraction respective du marché qu'elles contrôlent dans la Communauté ainsi que de la situation du marché à l'époque où l'infraction a été commise (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 176).

576 Il importe de rappeler, à cet égard, que l'article 81, paragraphe 1, sous a), CE déclare expressément incompatibles avec le marché commun les pratiques concertées qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction.

577 Les infractions de ce type, notamment lorsqu'il s'agit d'ententes horizontales, sont qualifiées par la jurisprudence de particulièrement graves dès lors qu'elles comportent une intervention directe dans les paramètres essentiels de la concurrence sur le marché concerné (arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T-141-94, Rec. p. II-347, point 675), ou d'infractions patentes aux règles communautaires de la concurrence (arrêts du Tribunal Tréfilunion/Commission, point 391 supra, point 109, et du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T-311-94, Rec. p. II-1129, point 303).

578 Il importe également de rappeler que les infractions très graves, au sens du point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret, des lignes directrices, sont composées " pour l'essentiel de restrictions horizontales de type 'cartels de prix' et de quotas de répartition des marchés ".

579 Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que la Commission a qualifié l'infraction en cause de très grave, eu égard à sa nature. Il convient néanmoins d'examiner les facteurs susceptibles de modérer cette qualification qui sont invoqués par la requérante.

580 Il convient de rappeler que, selon les termes du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices, dans son calcul du montant de l'amende en fonction de la gravité de l'infraction, la Commission tient compte, notamment, de " l'impact concret [de l'infraction] sur le marché lorsqu'il est mesurable ".

581 À cet égard, il y a lieu d'analyser la signification exacte des termes " lorsqu'il [c'est-à-dire l'impact concret] est mesurable ". En particulier, il s'agit de déterminer si, au sens de ces termes, la Commission peut uniquement tenir compte de l'impact concret d'une infraction dans le cadre de son calcul des amendes si, et dans la mesure où, elle est en mesure de quantifier cet impact.

582 Il convient de souligner que l'appréciation des effets des accords ou des pratiques au regard de l'article 81 CE implique la nécessité de prendre en considération le cadre concret dans lequel ils s'insèrent, notamment le contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, la nature des biens ou des services affectés, ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché ou des marchés en question (arrêt ASNEF-EQUIFAX et Administración del Estado, point 256 supra, point 49).

583 En outre, l'examen de l'impact d'une entente sur le marché implique nécessairement le recours à des hypothèses. Dans ce contexte, la Commission doit notamment examiner quel aurait été le prix du produit en cause en l'absence d'entente. Or, dans l'examen des causes de l'évolution réelle des prix, il est hasardeux de spéculer sur la part respective de chacune d'entre elles. Il convient de tenir compte de la circonstance objective que, en raison de l'entente sur les prix, les entreprises concernées ont précisément renoncé à leur liberté de se concurrencer par les prix. Ainsi, l'évaluation de l'influence résultant de facteurs autres que cette abstention volontaire des entreprises concernées à l'entente est nécessairement fondée sur des probabilités raisonnables et non quantifiables avec précision.

584 Dès lors, à moins d'ôter au critère du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices son effet utile, il ne saurait être reproché à la Commission de s'être appuyée sur l'impact concret d'une entente sur le marché ayant un objet anticoncurrentiel sans quantifier cet impact ou sans fournir une appréciation chiffrée à ce sujet. Par conséquent, l'impact concret d'une entente sur le marché doit être considéré comme suffisamment démontré si la Commission est en mesure de fournir des indices concrets et crédibles indiquant, avec une probabilité raisonnable, que l'entente a eu un impact sur le marché.

585 En l'espèce, il résulte du résumé de l'analyse effectuée par la Commission (voir considérants 534 à 538 de la décision attaquée) que celle-ci s'est appuyée sur plusieurs indices pour conclure à l'existence d'un effet réel de l'entente sur le marché. En effet, elle a invoqué le fait que les participants à l'entente détenaient la totalité ou la quasi-totalité de l'offre de plaques en plâtre sur les quatre marchés sur lesquels a porté l'entente. Elle a également estimé que les différents éléments de l'entente ont été mis en pratique, en ce que, notamment, les entreprises en cause ont effectivement modifié leur comportement à la suite de la réunion de Londres et que les échanges d'informations décidés ont été mis en œuvre durant toute la période en cause, sur les principaux marchés et plus spécifiquement sur les marchés du Royaume-Uni et allemand. En ce qui concerne les prix, elle a ajouté, en se référant aux considérants 212 et 395 de la décision attaquée, qu'ils avaient eu tendance à remonter ou, à tout le moins, à se stabiliser et que les contacts relatifs aux hausses de prix étaient liés effectivement à la publication de listes de prix ultérieurement repris dans les prix facturés aux clients. De plus, elle a estimé que les parts de marché avaient connu une relative stabilité au cours de la période en cause, plus grande qu'au cours de la période antérieure de 1988 à 1992 qualifiée par les entreprises en cause de guerre des prix, en se référant aux considérants 71, 196 et 289 de la décision attaquée et à l'annexe de celle-ci.

586 Tant le fait que les participants à l'entente détenaient la majorité (voire la quasi-totalité) du marché concerné que la circonstance que les arrangements mis en évidence étaient spécifiquement destinés à porter les prix à un niveau supérieur à celui qu'ils auraient atteint sans eux sont des indications tendant à démontrer que l'infraction était susceptible d'engendrer des effets anticoncurrentiels significatifs.

587 Ainsi, il ne saurait être reproché à la Commission d'avoir considéré que la circonstance que les participants à l'entente détenaient une partie très importante du marché concerné constituait un facteur important dont elle devait tenir compte pour examiner l'impact concret de l'entente sur le marché. Il ne peut en effet être nié que la probabilité qu'une entente sur les prix et sur la stabilisation du marché soit efficace s'accroît avec l'importance des parts de marché que se partagent les participants à cette entente. S'il est vrai que, à elle seule, cette circonstance n'établit pas l'existence d'un impact concret, il n'en reste pas moins que, dans la décision attaquée, la Commission n'a nullement établi une telle relation de cause à effet, mais en a uniquement tenu compte au même titre que d'autres éléments.

588 S'agissant de l'affirmation de la Commission selon laquelle les prix ont effectivement eu tendance à remonter ou, à tout le moins, à se stabiliser (considérant 534 de la décision attaquée), il y a lieu de remarquer que la Commission ne présente pas de statistiques sur l'évolution des prix, mais se contente de relever que BPB et Lafarge auraient indiqué dans leur réponse à la communication des griefs que les prix sur les marchés du Royaume-Uni et allemand avaient eu tendance à remonter ou, tout au moins, à se stabiliser.

589 À cet égard, il ne saurait être exigé de la Commission, lorsque la mise en œuvre d'une entente est établie, qu'elle démontre systématiquement que les accords ont effectivement permis aux entreprises concernées d'atteindre un niveau de prix de transaction supérieur à celui qui aurait prévalu en l'absence d'entente. Il serait disproportionné d'exiger une telle démonstration qui absorberait des ressources considérables étant donné qu'elle nécessiterait le recours à des calculs hypothétiques, fondés sur des modèles économiques dont l'exactitude n'est que difficilement vérifiable par le juge et dont le caractère infaillible n'est nullement prouvé (conclusions de l'avocat général M. Mischo sous l'arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Mo och Domsjö/Commission, C-283-98 P, Rec. p. I-9855, I-9858, point 109).

590 En l'espèce, il ressort de la décision attaquée que la guerre des prix a pris fin, ce qui a eu, par définition, pour effet de porter les prix à des niveaux supérieurs à ceux qui auraient prévalu en l'absence d'arrangements illicites.

591 En outre, le fait que les contacts relatifs aux hausses de prix étaient liés à la publication de listes de prix ultérieurement repris dans les prix facturés aux clients (considérant 537 de la décision attaquée) a eu, par nature, une incidence sur le marché et sur le comportement des différents acteurs, du côté tant de l'offre que de la demande, compte tenu de ce que ces annonces ont influencé le processus de détermination des prix, en ce que le prix annoncé constituait une référence en cas de négociation individuelle des prix de transaction avec les clients (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Finnboard/Commission, T-338-94, Rec. p. II-1617, point 342), lesquels ont nécessairement vu leur marge de négociation des prix limitée (voir, en ce sens, arrêt LVM/Commission, point 57 supra, point 745).

592 De plus, la fixation d'un prix, même simplement indicatif, affecte le jeu de la concurrence en ce qu'elle permet à tous les participants à l'entente de prévoir avec un degré raisonnable de certitude quelle sera la politique de prix poursuivie par leurs concurrents (arrêt de la Cour du 17 octobre 1972, Vereeniging van Cementhandelaren/Commission, 8-72, Rec. p. 977, point 21). Plus généralement, de telles ententes comportent une intervention directe dans les paramètres essentiels de la concurrence sur le marché concerné (arrêt du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, point 577 supra, point 675). En effet, en exprimant une volonté commune d'appliquer un certain niveau de prix à leurs produits, les producteurs concernés ne déterminent plus de manière autonome leur politique sur le marché, portant ainsi atteinte à la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence (voir, en ce sens, arrêt BPB de Eendracht/Commission, point 577 supra, point 192).

593 En conséquence, le Tribunal estime que la Commission a démontré, à suffisance de droit, un impact concret de l'entente sur le marché concerné quant aux prix.

594 S'agissant de l'affirmation de la Commission figurant au considérant 534 de la décision attaquée selon laquelle les parts de marché ont connu une relative stabilité au cours de la période en question du fait de l'infraction en cause, il y a lieu de relever que cette affirmation n'est pas confirmée. Certes, il ressort du tableau figurant à l'annexe de la décision attaquée, auquel se réfère la Commission, que les parts de marché pendant la période allant de 1992 jusqu'en 1998 semblent être restées relativement stables. Néanmoins, en l'absence des données relatives à la situation sur le marché concerné avant l'entente, ce tableau ne prouve pas à suffisance de droit que la stabilité, à la supposer établie, a été la conséquence de l'infraction en cause.

595 En ce qui concerne les échanges d'informations, il est de jurisprudence constante qu'il y a lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu'il incombe aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché. Il en est d'autant plus ainsi lorsque la concertation a lieu sur une base régulière au cours d'une longue période, comme c'est le cas en l'espèce (voir arrêt HFB e.a./Commission, point 200 supra, point 216, et la jurisprudence citée).

596 À la lumière des considérations qui précèdent, le Tribunal constate que la Commission a suffisamment prouvé les effets de l'infraction sur le marché concerné, à l'exception de la stabilité des parts de marché.

597 Ainsi, il y a lieu encore d'examiner si le fait que la Commission n'a pas prouvé tous les effets prétendus de l'infraction a une incidence sur la qualification de l'infraction d'infraction très grave et donc sur le montant de l'amende.

598 À cet égard, il convient de rappeler que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C-219-95 P, Rec. p. I-4411, point 33).

599 Le Tribunal a jugé, dans l'arrêt du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, point 531 supra (points 258 et 259), que la gravité de l'infraction pouvait être établie par référence à la nature et à l'objet des comportements abusifs et que, selon une jurisprudence constante, des éléments relevant de l'objet d'un comportement pouvaient avoir plus d'importance aux fins de la fixation du montant de l'amende que ceux relatifs à ses effets.

600 La Cour a confirmé cette approche en considérant que l'effet d'une pratique anticoncurrentielle n'était pas un critère déterminant dans l'appréciation du montant adéquat de l'amende. Des éléments relevant de l'aspect intentionnel peuvent avoir plus d'importance que ceux relatifs auxdits effets, surtout lorsqu'il s'agit d'infractions intrinsèquement graves telles que la fixation des prix et la répartition des marchés (arrêt du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission, point 393 supra, point 118).

601 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que les ententes horizontales en matière de prix ont toujours été considérées comme faisant partie des infractions les plus graves au droit communautaire de la concurrence (arrêts du Tribunal Tate & Lyle e.a./Commission, point 334 supra, point 103, et du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T-213-00, Rec. p. II-913, point 262).

602 Enfin, il importe également de souligner que la Commission n'a pas accordé au critère de l'impact réel de l'infraction sur le marché une importance prépondérante dans la fixation du montant de départ de l'amende. En effet, elle a également fondé son appréciation sur d'autres éléments, à savoir la constatation que l'infraction devait être qualifiée de très grave par sa nature même (considérants 528 à 530 de la décision attaquée) et que le marché géographique concerné constituait une part importante du marché communautaire, géographiquement et en valeur, puisqu'il représentait environ 80 % de la valeur totale de ce marché (considérants 539 à 542 de la décision attaquée).

603 Dès lors, au regard de l'ensemble des considérations qui précèdent, c'est à bon droit que la Commission a qualifié l'infraction de très grave.

604 En outre, le Tribunal estime, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction et à la lumière des considérations qui précèdent, que le fait de n'avoir démontré que partiellement les effets de l'infraction n'est pas susceptible de remettre en cause l'appréciation du montant de départ de l'amende fixé en fonction de la gravité, telle qu'effectuée par la Commission.

Sur l'étendue géographique et l'impact limité de l'infraction

- Arguments des parties

605 La requérante considère que la Commission n'a pas démontré que l'infraction a eu un impact sur les marchés français et du Benelux. Elle fait valoir que le principal élément de preuve que fait valoir la Commission est que les échanges d'information englobaient ces marchés. Elle aurait cependant omis de produire une preuve quelconque d'un comportement anticoncurrentiel relatif à ces deux marchés.

606 La requérante souligne que, dans sa pratique décisionnelle, la Commission ne qualifie de très grave que les infractions organisées à l'échelle mondiale ou, au minimum, sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne [décision 2004-337-CE de la Commission, du 20 décembre 2001, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] et de l'article 53 de l'accord EEE (affaire COMP/E-1/36.212 - Papier autocopiant) (JO L 115, p. 1)], ou sur quatre États membres parmi les plus grands [décision 2003-382-CE de la Commission, du 8 décembre 1999, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] (affaire IV/E-1/35.860-B - Tubes d'acier sans soudure) (JO L 140, p. 1)]. Aucune décision visée ne se limiterait au territoire d'un ou de deux États membres. Ainsi, la Commission aurait, à plusieurs reprises, qualifié une infraction a priori très grave de grave du fait que le marché géographique concerné par l'entente était limité [décision 2003-25-CE de la Commission, du 11 décembre 2001, relative à une procédure ouverte au titre de l'article 81 [CE] [Affaire COMP/E-1/37.919 (ex. 37.391) - Frais bancaires pour la conversion de monnaies de la zone euro - Allemagne] (JO L 15, p. 1)].

607 La requérante soutient que, en l'espèce, seuls les échanges d'informations sur les volumes de ventes ont pu concerner les quatre marchés de la Communauté en cause. Les éventuelles concertations sur les hausses de prix et la répartition des parts de marché n'auraient porté que sur le marché allemand. À supposer même que ces infractions aient concerné également le marché du Royaume-Uni, elles ne pourraient être qualifiées de très graves alors qu'elles ne concerneraient que ces deux marchés qui auraient représenté, en 1997, 632,6 millions d'euro en terme de valeur, soit moins de 42 % du marché global de l'Union européenne. Dans le cas contraire, la Commission s'écarterait de sa pratique décisionnelle antérieure, violant de ce fait le principe d'égalité de traitement.

608 La requérante en déduit que le parallèle effectué par la Commission avec le montant de départ retenu dans la décision 2004-337 est erroné, puisque le montant de départ retenu envers BPB est 1,1 fois supérieur à celui retenu dans ladite affaire alors que le marché est 1,3 fois moins important.

609 En tout état de cause, la requérante soutient que les lignes directrices se réfèrent à l'étendue du marché concerné au sens géographique et non en valeur. Or, le champ géographique en l'espèce, à savoir l'Allemagne et le Royaume-Uni, ne conférerait pas un caractère très grave aux pratiques en cause.

610 La Commission rappelle que les marchés concernés par l'infraction représentent 80 % des marchés de l'Union européenne.

611 La Commission souligne également avoir tenu compte du fait que la valeur du marché était de 1,21 milliard d'euro en 1997. Dès lors, il s'agirait, en l'espèce, du marché le plus important en termes de valeur qui aurait fait l'objet d'une décision de la Commission depuis l'adoption des lignes directrices. En faisant un parallèle avec des affaires récentes de cartel portant sur des marchés européens ayant une valeur importante, la Commission relève que le montant de départ de 80 millions d'euro pour BPB à partir duquel les autres montants ont été calculés est 1,1 fois celui retenu dans la décision 2004-337, pour un marché 1,4 fois plus important.

612 La Commission soutient que la requérante ne peut fonder son calcul de la valeur du marché comme elle l'a fait sur les seuls marchés du Royaume-Uni et allemand alors même qu'elle ne conteste pas avoir participé à des échanges d'informations portant sur les marchés français et du Benelux.

- Appréciation du Tribunal

613 S'agissant de l'étendue du marché géographique concerné, la requérante affirme que la Commission n'a pas démontré à suffisance de droit que l'entente concernait également les marchés français et du Benelux. La requérante est d'avis que la Commission n'avait jamais, auparavant, qualifié de très grave une infraction qui ne concernait que deux États membres.

614 À cet égard, il suffit de rappeler que la réunion de Londres ainsi que les échanges d'informations sur les quantités vendues concernaient également ces marchés.

615 En outre, même à supposer que seuls l'Allemagne et le Royaume-Uni étaient concernés par l'infraction (ce qui n'est pas le cas, car l'échange d'informations concernait les quatre marchés), il s'agirait toujours d'un marché géographique important, car ces deux marchés représentaient environ 42 % du marché total de l'EEE (voir considérant 21 de la décision attaquée, estimant la valeur du marché total de l'EEE à 1,5 milliard d'euro).

616 Si la Commission peut légalement conclure que les différentes manifestations faisaient partie d'une infraction unique du fait qu'elles s'inscrivaient dans un plan d'ensemble visant à fausser le jeu de la concurrence, le fait que le nombre et l'intensité des pratiques collusoires variaient selon le marché concerné ne signifie pas que l'infraction ne concernait pas les marchés sur lesquels les pratiques ont été moins intenses et moins nombreuses. En effet, il serait artificiel de subdiviser un comportement continu, caractérisé par une seule finalité, en plusieurs infractions distinctes au motif que les pratiques collusoires ont varié selon le marché concerné. Il n'y a lieu de prendre en considération ces éléments que lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction et, le cas échéant, de la détermination du montant de l'amende (voir, par analogie, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 54 supra, point 90).

617 S'agissant de l'argument de la requérante selon lequel l'infraction n'aurait pas dû être qualifiée de très grave au motif que son impact sur le marché a été limité, il y a lieu de remarquer, à titre liminaire, que l'argumentation de la requérante se fonde sur la prémisse erronée selon laquelle l'infraction en cause ne concernait que l'Allemagne et le Royaume-Uni. Or, comme il ressort de ce qui précède, tel n'était pas le cas.

618 En outre, il y a lieu d'observer que, dans l'arrêt du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, point 531 supra (points 258 et 259), le Tribunal a jugé que la gravité de l'infraction pouvait être établie par référence à la nature et à l'objet des comportements abusifs et que des éléments relevant de l'objet d'un comportement pouvaient avoir plus d'importance aux fins de la fixation du montant de l'amende que ceux relatifs à ses effets.

619 Dès lors, même si doivent également être pris en compte la taille du marché géographique concerné et l'impact sur le marché lorsqu'il est mesurable, la nature des infractions constitue un critère essentiel pour apprécier la gravité d'une infraction (arrêt du Tribunal du 18 juillet 2005, Scandinavian Airlines System/Commission, T-241-01, Rec. p. II-2917, point 84).

620 En ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel la Commission aurait modéré le montant de l'amende dans ses autres décisions en raison de l'impact limité des ententes sur le marché, à le supposer exact, il y a lieu de souligner qu'une pratique décisionnelle de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence et que des décisions concernant d'autres affaires ne revêtent qu'un caractère indicatif en ce qui concerne l'existence éventuelle d'une violation du principe d'égalité de traitement, étant donné qu'il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les entreprises et les périodes concernés, soient identiques (arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission, C-167-04 P, Rec. p. I-8935, points 201 et 205).

621 Le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de concurrence (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 35 supra, point 109).

622 Il importe d'ajouter que, dans le cadre du calcul du montant des amendes infligées au titre de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, un traitement différencié entre les entreprises concernées est inhérent à l'exercice des pouvoirs qui incombent à la Commission en vertu de cette disposition. En effet, dans le cadre de sa marge d'appréciation, la Commission est appelée à individualiser la sanction en fonction des comportements et des caractéristiques propres aux entreprises concernées afin de garantir, dans chaque cas d'espèce, la pleine efficacité des règles communautaires de concurrence (voir, en ce sens, arrêt SGL Carbon/Commission, point 117 supra, point 46, et la jurisprudence citée).

623 S'agissant de l'affirmation de la requérante selon laquelle la Commission aurait commis une erreur en comparant les différentes amendes par rapport à la taille du marché pertinent, il y a lieu de rappeler que, lors de l'appréciation de la gravité d'une infraction, il incombe à la Commission de tenir compte de nombreux éléments dont le caractère et l'importance varient selon le type d'infraction en cause et les circonstances particulières de l'infraction concernée (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 35 supra, point 120). Parmi les éléments attestant la gravité d'une infraction peut notamment figurer, selon le cas, la taille du marché du produit en cause (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Akzo Nobel/Commission, T-330/01, Rec. p. II-3389, point 37).

624 Enfin, il convient de relever qu'une entente horizontale sur les prix d'une ampleur telle que celle qui a été constatée par la Commission dans la décision attaquée, portant sur un secteur économique aussi important, ne saurait, normalement, échapper à la qualification d'infraction très grave, quel que soit son contexte. En tout état de cause, les circonstances avancées par la requérante en l'espèce ne sont pas susceptibles de remettre en cause la validité de l'appréciation de la gravité de l'infraction à laquelle la Commission a procédé.

625 Dès lors, il y a lieu de rejeter les arguments de la requérante selon lesquels la Commission a commis une erreur en qualifiant l'infraction de très grave par rapport à l'étendue du marché géographique concerné.

Sur la détermination du montant de départ en fonction de la gravité de l'infraction

- Arguments des parties

626 La requérante considère que, selon ses lignes directrices, la Commission doit tenir compte de la capacité des entreprises à porter gravement atteinte à la concurrence. Ainsi, le montant de l'amende devrait être raisonnablement en rapport avec le chiffre d'affaires réalisé sur le marché concerné (arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T-77-92, Rec. p. II-549, point 94).

627 En l'espèce, la Commission aurait retenu à tort comme cadre de référence la position globale de Lafarge Plâtres sur les quatre principaux marchés de la Communauté. Or, la requérante rappelle que seuls les échanges relatifs aux volumes de ventes portaient sur l'ensemble de ces marchés. Les pratiques susceptibles d'être qualifiées de très graves que sont les concertations sur les hausses de prix et la répartition de parts de marché ne porteraient que sur le marché allemand.

628 La requérante soutient que son entrée sur le marché allemand a donné un nouveau souffle à la concurrence et que sa position y a toujours été assez faible avec seulement 14 % des parts de marché en 1997, contre 41,1 % pour Knauf et 32,5 % par BPB. Il en serait de même sur le marché du Royaume-Uni avec 20,1 % des parts de marché en 1997, contre 57,7 % pour BPB et 22,2 % pour Knauf. Ces chiffres souligneraient le rôle de meneur de BPB. La Commission aurait donc dû tenir compte du fait que la capacité économique effective de Lafarge Plâtres à influencer le marché ou à porter atteinte à la concurrence sur celui-ci était particulièrement limitée.

629 La requérante conclut que le montant de départ de l'amende qui lui a été infligée est excessif et disproportionné par rapport au rôle réel de Lafarge Plâtres, à la gravité des infractions et à la capacité économique de Lafarge Plâtres à porter atteinte à la concurrence. La requérante demande donc au Tribunal de réduire significativement le montant de l'amende du fait de la violation des principes de proportionnalité et d'égalité de traitement.

630 La Commission estime que la requérante confond les parts de marché et le chiffre d'affaires réalisé sur un marché. Dans le cadre d'un examen éventuel du traitement différencié au sens des lignes directrices, ce serait le rapport de forces relatif qui compterait.

631 La Commission rappelle, de plus, que les développements de la requérante qui partent de l'hypothèse d'infractions séparées sont sans objet, l'infraction ayant été qualifiée d'unique. Quant au possible rôle de meneur de BPB, en plus d'être incompatible avec la concurrence agressive que Lafarge affirme avoir menée pendant ces années-là, il n'aurait pas la moindre importance au niveau de la détermination du montant de départ, mais serait à prendre en compte dans le cadre de l'analyse des circonstances atténuantes ou aggravantes.

- Appréciation du Tribunal

632 Il convient de constater que, par son argumentation tirée de sa prétendue faible capacité à porter atteinte à la concurrence, Lafarge procède, pour l'essentiel, à une reformulation de l'ensemble des arguments déjà exposés au soutien de la première branche du troisième moyen, tirée d'une violation de la notion de l'infraction unique et continue. Dès lors, dans la mesure où ce moyen n'est pas fondé, les arguments soulevés par la requérante au soutien de ce grief ne le sont pas non plus.

633 En effet, l'hypothèse de la requérante part d'une prémisse erronée. Étant donné qu'il s'agit d'une infraction unique et continue, le fait que certains éléments de l'infraction, et non l'ensemble de ceux-ci, ne concernaient pas le même marché géographique ne change pas l'appréciation de la gravité de l'infraction dans sa totalité.

634 En ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel son amende est disproportionnée et excessive par rapport à son chiffre d'affaires, il suffit de rappeler que, la Commission n'étant pas obligée d'effectuer le calcul du montant de l'amende à partir de montants basés sur le chiffre d'affaires des entreprises concernées, elle n'est pas non plus tenue d'assurer, au cas où des amendes sont imposées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finals des amendes auxquels son calcul aboutit pour les entreprises concernées traduisent toute différenciation entre celles-ci quant à leur chiffre d'affaires global ou à leur chiffre d'affaires sur le marché du produit en cause (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 540 supra, points 255 et 312).

635 En outre, le droit communautaire ne contient pas de principe d'application générale selon lequel la sanction doit être proportionnée à l'importance de l'entreprise sur le marché des produits faisant l'objet de l'infraction (arrêt de la Cour du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C-397-03 P, Rec. p. I-4429, point 101).

636 L'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n'exige pas non plus que, au cas où des amendes sont imposées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, le montant de l'amende infligée à une entreprise de petite ou de moyenne taille ne soit pas supérieur, en pourcentage du chiffre d'affaires, à celui des amendes infligées aux entreprises plus grandes. En effet, il ressort de cette disposition que, tant pour les entreprises de petite ou de moyenne taille que pour celles de taille supérieure, il y a lieu de prendre en considération, pour déterminer le montant de l'amende, la gravité et la durée de l'infraction. Dans la mesure où la Commission impose, aux entreprises impliquées dans une même infraction, des amendes justifiées, pour chacune d'elles, par rapport à la gravité et à la durée de l'infraction, il ne saurait lui être reproché que, pour certaines d'entre elles, le montant de l'amende soit supérieur, au regard du chiffre d'affaires, à celui d'autres entreprises (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, Dansk Rørindustri/Commission, T-21-99, Rec. p. II-1681, point 203).

637 L'argument de la requérante selon lequel le caractère disproportionné de l'amende infligée est manifeste lorsque son montant est comparé à celui des amendes imposées à d'autres entreprises dans des affaires similaires doit également être rejeté. La Commission ne saurait, en effet, être obligée de fixer des amendes proportionnées aux chiffres d'affaires et en cohérence parfaite avec celles fixées dans de précédentes affaires. À cet égard, il y a lieu de souligner, comme il résulte de la jurisprudence rappelée au point 620 ci-dessus, que les décisions concernant d'autres affaires ne revêtent qu'un caractère indicatif en ce qui concerne l'existence éventuelle d'une violation du principe d'égalité de traitement, étant donné qu'il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci soient identiques.

638 En ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel son montant de départ aurait été excessif et disproportionné par rapport au rôle réel de Lafarge Plâtres, à la gravité des infractions et à la capacité économique de Lafarge Plâtres à porter atteinte à la concurrence, le Tribunal rappelle que l'infraction est particulièrement grave compte tenu de certains éléments, ainsi que la Commission l'a fait observer aux considérants 534, 535 et 539 à 542 de la décision attaquée. Il s'agit, notamment, du caractère oligopolistique du marché et du fait que l'infraction en cause affectait la totalité ou la quasi-totalité de l'offre de plaques en plâtre sur les quatre marchés nationaux faisant l'objet de l'entente. En outre, la taille du marché concerné, tant au niveau géographique qu'en termes de valeur, était grande. En effet, les quatre marchés concernés étaient les principaux marchés communautaires des plaques en plâtre et représentaient environ 80 % de la valeur totale du marché communautaire, laquelle s'élevait à 1,21 milliard d'euro la dernière année complète de l'infraction. Enfin, eu égard à la nature du produit concerné, l'entente a nécessairement eu un impact sur une partie substantielle du marché de la construction et a ainsi affecté un secteur très important pour l'ensemble de l'économie.

639 Au demeurant, il n'apparaît pas que le montant de départ fixé en fonction de la gravité de l'infraction en l'espèce soit plus sévère que celui imposé dans d'autres affaires au regard de la taille du marché en cause. Toutefois, cette comparaison ne signifie pas que la taille du marché pertinent est le meilleur ou le seul critère pour comparer les amendes infligées dans différentes ententes. En effet, une comparaison entre plusieurs ententes est difficile, étant donné que les différents éléments que la Commission peut prendre en compte afin d'évaluer la gravité de l'infraction sont nombreux. De plus, ainsi que cela a été rappelé aux points 620 et 621 ci-dessus, une telle comparaison ne peut, en tout état de cause, être effectuée qu'à titre indicatif dès lors que la pratique décisionnelle de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence.

640 En ce que Lafarge compare sa situation à celle de BPB, il y a lieu de rappeler, comme la Commission l'a fait à juste titre, que le montant de départ de l'amende infligée à Lafarge ne représente que 65 % du montant de départ de celle infligée à BPB. En outre, la Commission n'a pas considéré dans la décision attaquée que BPB avait un rôle de meneur dans la commission de l'infraction contrairement à ce qu'affirme la requérante.

641 En conclusion, compte tenu des nombreux éléments rendant l'infraction particulièrement grave en l'espèce (voir point 638 ci-dessus), le Tribunal estime que le montant de départ de l'amende infligée à la requérante fixé en fonction de la gravité de l'infraction est proportionné.

Sur la majoration de l'amende au titre de l'effet dissuasif

Arguments des parties

642 La requérante remet en cause le doublement du montant de départ de l'amende à des fins dissuasives. Elle fait valoir que cette majoration n'est aucunement motivée. Elle soutient que le respect de l'obligation de motivation est d'autant plus important que la Commission va au-delà de sa pratique décisionnelle antérieure. Or, ce serait le cas en l'espèce, car l'amende de 249,6 millions d'euro infligée à Lafarge serait la plus élevée que la Commission a jamais imposée à une entreprise pour une infraction unique.

643 En effet, la Commission n'aurait pas expliqué pourquoi le montant tel qu'augmenté à la suite de la prise en compte de la durée et des circonstances aggravantes n'aurait pas été suffisamment dissuasif en tant que tel, ni pourquoi elle avait choisi d'appliquer un coefficient multiplicateur de 100 %.

644 En outre, la Commission n'expliquerait pas ce qu'elle entend par taille et ressources globales, se contentant de renvoyer au chiffre d'affaires mondial de Lafarge. Celle-ci souligne, de plus, que la Commission n'explique pas en quoi la taille et les ressources globales de l'entreprise sont des critères pertinents pour assurer à l'amende un effet dissuasif. Ainsi, la Commission ne ferait aucune référence à une exploitation de la part de Lafarge de son pouvoir économique ou de ses ressources comme elle l'aurait fait dans la décision 1999-60-CE de la Commission, du 21 octobre 1998, relative à une procédure d'application de l'article [81] CE (IV/35.691/E-4 - Conduites précalorifugées) (JO L 24, p. 1, point 169).

645 La requérante rappelle que, si la nécessité d'un effet dissuasif de l'amende a été reconnue par la jurisprudence, rien n'autorise la Commission à se fonder sur la taille et les ressources globales de l'entreprise en cause. Au contraire, la jurisprudence ferait référence à la prise en compte du profit que les entreprises peuvent tirer de l'infraction. Or, ce profit serait proportionnel à la part de marché de l'entreprise sur le marché concerné qui serait donc le seul critère pertinent. Cela serait confirmé par la théorie économique de l'effet dissuasif. La requérante rappelle que, sur les deux principaux marchés visés par l'infraction, à savoir l'Allemagne et le Royaume-Uni, elle ne détenait respectivement que 14,2 % et 20,1 % des parts de marché, contre 32,5 % et 57,7 % pour BPB et 41,1 % et 22,2 % pour Knauf. Il serait donc contraire au principe d'égalité de traitement que seule son amende soit augmentée au titre de l'effet dissuasif. En outre, la requérante ne réaliserait que 7,8 % de son chiffre d'affaires total dans le secteur des plaques en plâtre.

646 La requérante estime que l'arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission (T-31/99, Rec. p. II-1881), ne permet pas de justifier l'augmentation du montant de l'amende qui lui a été infligée au titre de la dissuasion du fait des différences existant entre les deux espèces. Ainsi, dans l'arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, précité, le Tribunal aurait pris en considération l'importance d'ABB Asea Brown Boveri Ltd dans le secteur en cause pour tenir compte du fait qu'elle était l'un des principaux groupes européens du secteur. Or, en l'espèce, la position de Lafarge Plâtres dans ce secteur aurait été limitée par rapport à celle de BPB.

647 Selon la requérante, la Commission a augmenté deux fois le montant de l'amende sur le même fondement. Dans un premier temps, la Commission aurait porté le montant de départ de 20 à 52 millions d'euro pour tenir compte de la capacité économique de la requérante à porter atteinte à la concurrence, soit l'impact de son comportement sur la concurrence. Dans un second temps, la Commission aurait doublé le montant de départ au titre de l'effet dissuasif pour tenir compte de l'impact réel du comportement infractionnel. Rien ne permettrait de considérer que l'effet dissuasif serait un élément supplémentaire autorisant à doubler un montant de 52 millions d'euro déjà 2,6 fois supérieur au montant prévu pour les infractions très graves.

648 La requérante soutient également que l'effet dissuasif suffisant de l'amende doit être examiné en fin de calcul, en tant que dernier élément de la détermination de l'amende, car une majoration ab initio reviendrait à ignorer tous les éléments ultérieurement utilisés pour augmenter le montant de l'amende. Or, la Commission n'aurait pas vérifié si le montant final de l'amende de 124,8 millions d'euro qui aurait été infligé à la requérante en l'absence de majoration au titre de l'effet dissuasif n'avait pas un effet dissuasif suffisant.

649 Enfin, le montant de 124,8 millions d'euro qui aurait été infligé à Lafarge en l'absence de majoration au titre de l'effet dissuasif serait déjà supérieur à 10 % du chiffre d'affaires mondial réalisé par Lafarge Plâtres en 2001, ce qui violerait l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et serait suffisamment dissuasif, puisque supérieur au profit que Lafarge aurait pu retirer des pratiques incriminées.

650 Dès lors, cette majoration arbitraire de la Commission serait illégale et devrait, de ce fait, être annulée.

651 La Commission souligne que la décision attaquée ne va pas au-delà de sa pratique décisionnelle antérieure et est suffisamment motivée. Ainsi, la décision attaquée (considérant 551) se référerait déjà à un arrêt qui confirme la légalité de l'application d'un coefficient multiplicateur.

652 La Commission rappelle que l'objectif de la dissuasion est politique, car elle doit également avoir un effet erga omnes, comme dans la plupart des systèmes nationaux.

653 En ce qui concerne les théories économiques avancées par la requérante, la Commission reconnaît que les profits d'une entente peuvent être pertinents pour fixer l'amende. Cela ne serait toutefois pas suffisant pour assurer un niveau de dissuasion approprié. En effet, une amende qui ne ferait que supprimer les profits supplémentaires tirés d'une entente aboutirait à une somme nulle et n'aurait donc pas d'effet dissuasif.

654 La Commission soutient enfin avoir déjà expliqué en quoi une entreprise de grande taille comme Lafarge se trouvait dans une situation différente de celle d'une petite entreprise. Son approche ne violerait pas le principe d'égalité de traitement, mais serait prudente, en ce qu'elle n'appliquerait un coefficient multiplicateur que lorsqu'il existe de très grandes différences de dimension entre les entreprises concernées. En outre, le ratio correspondant au multiplicateur serait très inférieur au ratio résultant des différences entre les chiffres d'affaires globaux de ces entreprises, ce que montrerait notamment la grande différence de traitement entre Gyproc et Lafarge.

655 La Commission estime ne pas avoir augmenté le montant de l'amende à deux reprises sur le même fondement. En effet, la détermination du montant de départ tiendrait compte de la gravité générale de l'infraction et de la position réelle de l'entreprise sur le marché, à la lumière, notamment, du chiffre d'affaires de Lafarge pour le produit en cause. La majoration au titre de l'effet dissuasif tiendrait compte quant à elle de la taille et des ressources globales de Lafarge.

656 La Commission souligne que c'est au vu du montant final, toutes autres circonstances prises en compte, qu'un ajustement a été opéré, car sans celui-ci, l'amende aurait été très faible par rapport au chiffre d'affaires global du groupe dirigé par Lafarge. Cela aurait représenté 0,91 % du chiffre d'affaires de Lafarge, contre 5,15 % pour BPB, 3,18% pour Knauf et 3,57 % pour Gyproc, ce qui aurait été particulièrement faible pour une infraction très grave et disproportionné par rapport aux autres entreprises. Le montant de l'amende relevé à 1,81 % du chiffre d'affaires de Lafarge correspond seulement à 56,9 % du montant de l'amende infligée à Knauf. Quant aux autres arguments de Lafarge, la Commission les conteste en renvoyant à l'ensemble de ses arguments précédemment exposés dans le cadre de l'examen de l'effet dissuasif.

Appréciation du Tribunal

657 S'agissant, tout d'abord, de la prétendue violation, par la Commission, de l'obligation de motivation, force est de constater que la décision attaquée indique clairement, aux considérants 550 à 553, que la majoration de 100 %, à l'égard de Lafarge, du montant de départ de l'amende déterminé en fonction de la gravité de l'infraction trouve son fondement dans la nécessité d'assurer un effet dissuasif suffisant à l'amende en considération de la taille et des ressources globales de Lafarge. Dans la décision attaquée, la Commission relève ensuite explicitement, à la note en bas de page n° 472, que le chiffre d'affaires de Lafarge retenu pour l'imposition d'une amende est celui de l'" entreprise ", au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE, dirigée par Lafarge, cette entreprise ayant commis l'infraction, c'est-à-dire le chiffre d'affaires mondial réalisé par l'ensemble des sociétés du groupe dirigé par Lafarge.

658 La décision attaquée fait ainsi apparaître de manière claire le raisonnement de la Commission, permettant de la sorte à la requérante de connaître les éléments d'appréciation pris en compte pour majorer le montant de l'amende ainsi que d'en contester le bien-fondé, et au Tribunal d'exercer son contrôle.

659 Dans la mesure où, par la présente branche, la requérante invoque un défaut de motivation également du niveau précis de l'augmentation en cause (100 %, soit un multiplicateur de deux), il y a lieu de relever que, s'il est vrai que, dans la décision, la Commission n'indique pas la méthode selon laquelle elle est parvenue à établir ce niveau précis, la Cour a jugé que les exigences de la formalité substantielle que constituait l'obligation de motivation étaient remplies lorsque la Commission indiquait, dans sa décision, les éléments d'appréciation qui lui avaient permis de mesurer la gravité et la durée de l'infraction, sans être tenue d'y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l'amende (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C-279-98 P, Rec. p. I-9693, points 39 à 47, et arrêt du Tribunal du 15 mars 2006, BASF/Commission, T-15-02, Rec. p. II-497, point 213).

660 En particulier, il ressort de l'arrêt Cascades/Commission (point 659 supra, points 47 et 48), que l'indication des éléments chiffrés qui ont guidé, notamment quant à l'effet dissuasif recherché, l'exercice du pouvoir d'appréciation de la Commission dans la fixation des amendes est une faculté dont il est souhaitable que la Commission use, mais qui va au-delà des exigences découlant de l'obligation de motivation.

661 Il apparaît ainsi que, dans la décision attaquée, la Commission a exposé les éléments pris en considération pour augmenter, à l'égard notamment de la requérante, le montant de départ de l'amende aux fins de dissuasion, permettant à celle-ci de connaître la justification de cette augmentation et de faire valoir ses droits ainsi qu'au juge communautaire d'exercer son contrôle. La question de savoir si cette justification est suffisante pour fonder légalement une telle augmentation est une question différente qui sera examinée lors de l'analyse des autres branches du présent moyen.

662 Contrairement à ce qu'affirme Lafarge, la majoration en cause est donc motivée à suffisance de droit.

663 S'agissant des arguments de la requérante selon lesquels la taille et les ressources globales d'une entreprise ne sont pas des critères pertinents pour assurer l'effet dissuasif des amendes, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que le chiffre d'affaires au niveau mondial n'a été pris en compte par la Commission qu'aux fins de la fixation du multiplicateur lié à la dissuasion. En revanche, pour la fixation du montant de départ de l'amende, la Commission a seulement pris en compte le chiffre d'affaires tiré de la vente des produits faisant l'objet de l'entente.

664 Dans la détermination du montant des amendes sanctionnant une infraction au droit de la concurrence, la Commission doit non seulement prendre en compte la gravité de l'infraction et les circonstances particulières de l'espèce, mais aussi le contexte dans lequel ladite infraction a été commise et veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d'infractions particulièrement nuisibles à la réalisation des objectifs de la Communauté (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 35 supra, point 106).

665 À cet égard, les lignes directrices prévoient d'ailleurs que, outre la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché concerné et l'étendue géographique de celui-ci, il est nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l'infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l'amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa). Par ailleurs, il pourra être tenu compte du fait que " les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps de connaissances et d'infrastructures juridico-économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence " (point 1 A, cinquième alinéa).

666 S'agissant de la notion de dissuasion, il convient de rappeler qu'elle constitue l'un des éléments à prendre en compte dans le calcul du montant de l'amende. Selon la jurisprudence, les amendes infligées en raison de violations de l'article 81 CE et prévues à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ont pour objet de punir les actes illégaux des entreprises concernées ainsi que de dissuader tant les entreprises en question que d'autres opérateurs économiques de violer, à l'avenir, les règles du droit communautaire de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 juin 2006, Showa Denko/Commission, C-289-04 P, Rec. p. I-5859, point 16). La dissuasion doit être à la fois spécifique et générale. Tout en réprimant une infraction individuelle, l'amende s'inscrit aussi dans le cadre d'une politique générale de respect par les entreprises des règles de concurrence. Même envers l'entreprise concernée, la dissuasion ne saurait s'arrêter au seul marché en cause, mais doit s'appliquer à l'ensemble de ses activités. Ainsi, la Commission, lorsqu'elle calcule le montant de l'amende, peut prendre en considération, notamment, la taille et la puissance économique de l'entreprise concernée.

667 Il importe d'ajouter que la Cour a souligné, en particulier, la pertinence de la prise en compte du chiffre d'affaires global de chaque entreprise faisant partie d'une entente pour fixer le montant de l'amende (voir arrêt Showa Denko/Commission, point 666 supra, point 17, et la jurisprudence citée).

668 En effet, il y a lieu de distinguer entre, d'une part, l'ampleur de l'infraction sur le marché et la part de responsabilité qui en incombe à chaque participant à l'entente (ce que recouvre le point 1 A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices) et, d'autre part, l'effet dissuasif que doit recouvrir l'imposition de l'amende.

669 S'agissant de l'ampleur de l'infraction sur le marché et de la part de responsabilité qui en incombe à chaque participant à l'entente, la part du chiffre d'affaires tiré de la vente des marchandises faisant l'objet de l'infraction est de nature à donner une juste indication de l'ampleur d'une infraction sur le marché concerné (voir, notamment, arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, point 35 supra, point 121, et du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T-347-94, Rec. p. II-1751, point 369) et le chiffre d'affaires réalisé sur les produits ayant fait l'objet d'une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal de la concurrence (arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, British Steel/Commission, T-151-94, Rec. p. II-629, point 643).

670 La nécessité d'assurer un effet dissuasif suffisant à l'amende, lorsqu'elle ne motive pas l'élévation du niveau général des amendes dans le cadre de la mise en œuvre d'une politique de concurrence, exige que le montant de l'amende soit modulé afin de tenir compte de l'impact recherché sur l'entreprise à laquelle elle est infligée, et ce afin que l'amende ne soit pas rendue négligeable, ou au contraire excessive, notamment au regard de la capacité financière de l'entreprise en question, conformément aux exigences tirées, d'une part, de la nécessité d'assurer l'effectivité de l'amende et, d'autre part, du respect du principe de proportionnalité.

671 La Cour a ainsi confirmé qu'une entreprise concernée, en raison de son chiffre d'affaires global " énorme " par rapport à celui des autres membres de l'entente, mobiliserait plus facilement les fonds nécessaires pour le paiement de son amende, ce qui justifiait, en vue d'un effet dissuasif suffisant de cette dernière, l'application d'un multiplicateur (arrêt Showa Denko/Commission, point 666 supra, point 18, et arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 199 supra, point 241).

672 Ainsi, la taille et les ressources globales d'une entreprise sont les critères pertinents eu égard à l'objectif poursuivi, à savoir garantir l'effectivité de l'amende en adaptant le montant de l'amende en considération des ressources globales de l'entreprise et de sa capacité à mobiliser les fonds nécessaires pour le paiement de ladite amende. En effet, la fixation du taux de majoration du montant de départ pour assurer un effet suffisamment dissuasif à l'amende vise davantage à garantir l'effectivité de l'amende qu'à rendre compte de la nocivité de l'infraction pour le jeu normal de la concurrence et, donc, de la gravité de ladite infraction.

673 Il convient de souligner que, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour, la taille de l'entreprise concernée constitue l'un des facteurs susceptibles d'être pris en compte aux fins du calcul du montant de l'amende et, partant, de la fixation du " multiplicateur de dissuasion " (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, point 35 supra, point 120, et Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 540 supra, points 242 et 243).

674 Par conséquent, la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en utilisant la taille et les ressources globales de la requérante comme critère pertinent afin d'assurer un effet dissuasif à l'amende.

675 Ainsi, il y a lieu de rejeter les arguments de la requérante tirés de ce que la part du marché pertinent aurait dû être utilisée comme critère, en prétendant qu'une amende équitable ne saurait viser qu'à compenser le préjudice causé au libre jeu de la concurrence et qu'il faudrait évaluer, à cet effet, les profits escomptés par les participants à l'entente.

676 Pour les mêmes raisons, la comparaison qu'a effectuée la requérante avec l'arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 646 supra, n'est pas pertinente.

677 En outre, s'agissant de l'argument selon lequel cette majoration est largement disproportionnée par rapport au chiffre d'affaires tiré de la vente du produit sur le marché concerné par l'infraction, il convient de remarquer que le montant de départ de l'amende a été calculé sur la base de ce chiffre d'affaires. Cet élément a donc bien été pris en considération par la Commission dans un premier temps. La majoration à des fins dissuasives vise, quant à elle, à tenir compte, à un stade ultérieur, de la taille et des ressources globales de l'entreprise.

678 Lafarge reproche encore à la Commission d'avoir, dans un premier temps, au stade de la fixation du montant de départ, porté le montant de départ de 20 à 52 millions d'euro pour tenir compte de sa capacité économique à porter atteinte à la concurrence, puis, dans un second temps, d'avoir appliqué un multiplicateur de 2 au titre de la dissuasion.

679 Or, comme il a été exposé ci-dessus, les deux majorations ne prennent pas en compte les mêmes éléments. La première se rapporte à l'importance de l'entreprise sur le marché du produit en cause et la seconde à l'ensemble de l'activité de l'entreprise ou du groupe auquel elle appartient, afin de tenir compte de ses ressources globales. En effet, l'objectif d'assurer un effet suffisamment dissuasif à l'amende visant davantage à garantir l'effectivité de l'amende qu'à rendre compte de la nocivité de l'infraction pour le jeu normal de la concurrence et donc de la gravité de ladite infraction, il s'agit d'un élément supplémentaire qui n'a pas été pris en compte dans le montant de départ fixé sur la base de la gravité de l'infraction.

680 La requérante affirme, à titre subsidiaire, qu'un effet dissuasif était déjà inhérent au montant de départ de l'amende, fixé à 52 millions d'euro, et, en tout état de cause, au montant déjà très élevé de l'amende qui lui aurait été imposée sans l'application d'un " multiplicateur de dissuasion ", à savoir 124,8 millions d'euro de sorte qu'aucune majoration n'aurait été nécessaire aux fins de dissuasion.

681 Or, une argumentation visant à contester le stade du calcul de l'amende auquel la Commission a pris en considération la taille et les ressources globales des entreprises aux fins de dissuasion ne saurait être accueillie, dans la mesure où elle est fondée sur une prémisse erronée, à savoir que l'augmentation en cause repose sur un jugement d'adéquation entre un montant d'amende donné et la finalité de dissuasion de l'amende appréciée au vu de la taille et des ressources globales des entreprises (arrêt BASF/Commission, point 659 supra, point 239).

682 Ainsi, par l'augmentation du montant de départ, la Commission, indépendamment du niveau de ce montant, ne fait, en réalité, que procéder, pour assurer la finalité dissuasive de l'amende, à une différenciation du traitement des participants à une même entente afin de tenir compte de la manière dont ils sont réellement affectés par l'amende. Cette différenciation est opérée au moyen de multiplicateurs fixés eu égard à la taille et aux ressources globales des entreprises, indépendamment du niveau des montants auxquels ces multiplicateurs s'appliquent (arrêt BASF/Commission, point 659 supra, point 241).

683 Cette approche est cohérente avec la finalité de la dissuasion. Elle implique que la décision quant à la nécessité d'appliquer un facteur de dissuasion au titre de la taille et des ressources globales, en ce qu'elle ne porte pas sur l'adéquation d'un montant donné, n'est pas influencée par le stade du calcul de l'amende auquel elle intervient (arrêt BASF/Commission, point 659 supra, point 242).

684 Ainsi, la majoration au titre de l'effet dissuasif ne repose pas sur un jugement d'adéquation entre le montant de départ d'une amende et la finalité dissuasive de cette dernière, de sorte que le montant de l'amende est dépourvu de pertinence dans le présent contexte (arrêt BASF/Commission, point 659 supra, point 245).

685 Dans la mesure où, par le présent grief, la requérante invoque le niveau, à son avis excessif, de l'augmentation du montant de départ appliquée à son égard, il convient de relever que c'est à juste titre que la Commission a estimé que, compte tenu de la taille et des ressources globales de la requérante, appréciées à l'aide du chiffre d'affaires global réalisé en 2001, il y avait lieu, à des fins de dissuasion, d'appliquer à l'égard de la requérante un facteur de majoration de l'amende. En effet, il ressort du troisième tableau figurant au considérant 25 de la décision attaquée que ledit chiffre s'est élevé à 13,698 milliards d'euro, ce qui témoigne de la dimension tout à fait considérable de cette entreprise, devançant de loin celle de toutes les autres entreprises destinataires de la décision attaquée.

686 Or, rien dans les lignes directrices ne s'oppose, pour des infractions très graves, comme celle de l'espèce, à une augmentation de 100 % correspondant, en l'espèce, à 52 millions d'euro.

687 Il convient de rappeler que, dans la décision 1999/60, adoptée en 1998 et ayant fait l'objet, notamment, de l'arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 646 supra (points 162 à 172), un multiplicateur de 2,5 (soit une augmentation de 150 %) a été appliqué à l'égard d'une entreprise, ABB Asea Brown Boveri, qui était la société faîtière d'un groupe ayant affiché en 1997 un chiffre d'affaires consolidé de quelque 27,6 milliards d'euro. Le Tribunal, dans ledit arrêt, n'a pas remis en cause le caractère proportionné d'un tel multiplicateur, contesté par ladite entreprise.

688 Dans l'arrêt du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 199 supra (points 245 à 249), le Tribunal a été, en revanche, amené à conclure au caractère excessif d'un multiplicateur de 2,5 visant à tenir compte de la taille et des ressources globales de Showa Denko KK (ci-après " SDK "), qui était, selon la décision contestée dans cette affaire [décision 2002-271-CE de la Commission, du 18 juillet 2001, relative à une procédure d'application de l'article 81 [CE] et de l'article 53 de l'accord EEE (affaire COMP/E-1/36.490 - Électrodes de graphite) (JO 2002, L 100, p. 1)], " de loin la plus grande des entreprises concernées ". Le caractère excessif du multiplicateur a été constaté par le Tribunal sur la base d'une comparaison entre ce multiplicateur et celui de 1,25 (soit une augmentation de 25 % du montant de départ) appliqué à un autre participant à l'entente, dont le Tribunal avait relevé qu'il avait un chiffre d'affaires global (3,693 milliards d'euro en 2000) inférieur de moitié à celui de SDK (7,508 milliards d'euro en 2000). Le Tribunal a ainsi considéré, dans l'exercice de son pouvoir de pleine juridiction, que le montant de départ fixé pour SDK devait être affecté d'un multiplicateur de 1,5 seulement (soit une augmentation de 50 %).

689 En l'espèce, le chiffre d'affaires global de Lafarge en 2001, pris en considération dans la décision attaquée, est environ deux fois supérieur au chiffre d'affaires de SDK en 2000, pris en considération dans la décision 2002-271, ainsi que dans l'arrêt du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 199 supra. En outre, il représente la moitié du chiffre d'affaires imputé à ABB pour 1997 et pris en considération dans la décision 1999/60, adoptée en 1998, ainsi que dans l'arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 646 supra. Le multiplicateur de 100 % appliqué à Lafarge n'apparaît donc pas, en l'espèce, excessif sur la base d'une comparaison avec ces cas précédents.

690 Dès lors, rien, en l'espèce, rien ne permet de conclure que le niveau de l'augmentation du montant de départ de l'amende concernant la requérante opérée au considérant 553 de la décision attaquée est conforme au principe de proportionnalité.

691 Enfin, en ce que la requérante estime que son amende finale dépasse le plafond de 10 % du chiffre d'affaires mondial réalisé par Lafarge Plâtres, il suffit de constater que cet argument se confond avec le quatrième moyen tiré de l'imputation de l'infraction à la requérante et non à sa filiale Lafarge Plâtres.

692 Au terme de cette analyse, il y a lieu de conclure que la Commission était fondée à majorer le montant de départ de l'amende infligée à Lafarge afin d'assurer à celle-ci un effet suffisamment dissuasif.

Sur la durée de l'infraction

Arguments des parties

693 La requérante considère que la Commission n'était pas fondée à retenir une durée globale pour l'ensemble des pratiques visées par la décision attaquée, en l'absence d'infraction unique et continue, et que le montant de l'amende qui lui a été infligée à ce titre doit être considérablement réduit.

694 En premier lieu, la requérante considère que la Commission n'a pas établi que Lafarge Plâtres avait commencé à participer aux échanges d'informations sur les volumes de ventes le 31 août 1992 au plus tard et que, en réalité, ce début se situe au plus tôt à la fin de 1993. De plus, la requérante estime que, puisque ce n'est qu'au courant de l'année 1996 que les échanges d'informations sont devenus plus fréquents que lorsqu'ils étaient échangés auparavant sur une base annuelle puis semestrielle, le Tribunal devrait considérer que le comportement incriminé n'a duré que trois ans.

695 En deuxième lieu, la requérante rappelle que la Commission n'a pas établi sa participation à une concertation sur les hausses de prix intervenues sur le marché du Royaume-Uni. À supposer même que sa participation soit établie, la déclaration de BPB utilisée en ce sens ne préciserait pas la date des appels téléphoniques en cause, ne permettant pas de fixer la durée de cette infraction. Quant à la note interne de BPB relative à une discussion entre Lafarge Plâtres et un responsable de BG en septembre 1998, elle ne permettrait pas d'établir la participation de Lafarge Plâtres à l'infraction après cette discussion. La Commission n'aurait donc pas établi la durée de cette éventuelle infraction.

696 En troisième lieu, la requérante rappelle que les éventuelles infractions sur le marché allemand n'ont débuté que lors de la réunion de Versailles de juin 1996, constituant donc une infraction de deux ans et quatre mois.

697 La Commission rappelle que, ayant qualifié l'infraction d'unique, la décision attaquée ne contient des conclusions précises sur la durée que par rapport à une telle infraction unique et non par rapport à chaque élément de l'infraction pris séparément.

Appréciation du Tribunal

698 Les arguments de la requérante visant à démontrer qu'il s'agit d'infractions séparées dont certaines avaient une durée plus courte se confondent avec ceux exposés dans le cadre du troisième moyen. Ainsi, le Tribunal ayant précédemment constaté que la Commission n'avait commis aucune erreur en considérant qu'il s'agissait d'une infraction unique et continue et en fixant le début de l'infraction en ce qui concerne la requérante au 31 août 1992, les arguments de la requérante dans ce sens doivent être rejetés.

699 Il s'ensuit que la branche relative au caractère erroné de la majoration du montant de l'amende au titre de la durée de l'infraction doit être écartée.

Sur la majoration au titre des circonstances aggravantes

Arguments des parties

700 La requérante estime, en premier lieu, que, en retenant la récidive à titre de circonstance aggravante, la Commission a violé le règlement nº 17 qui ne l'habilite pas à le faire. Le fait que l'aggravation pour récidive soit prévue dans les lignes directrices ne suffirait pas à octroyer ce pouvoir à la Commission, mais entraînerait leur illégalité sur ce point.

701 En deuxième lieu, la requérante soutient que les trois conditions d'application de la récidive n'ayant pas de base légale et aucun délai maximal entre les deux condamnations n'étant fixé, cela constitue une violation des principes de légalité des peines et de sécurité juridique. À cet égard, la requérante souligne que les droits nationaux définissent généralement un délai maximal pouvant séparer l'infraction en cause de la condamnation antérieure, pendant lequel cette première infraction reste invocable au titre de la récidive.

702 En troisième lieu, Lafarge soutient que la Commission a violé le principe de non bis in idem en se fondant à plusieurs reprises sur les fonctions essentielles de la prise en compte de la récidive que sont la nécessité de dissuader le récidiviste de commettre une nouvelle infraction à l'avenir et de punir plus sévèrement l'infraction en cause du fait de la connaissance par son auteur de son caractère illégal. Elle en aurait d'abord tenu compte pour imputer la responsabilité des infractions reprochées à Lafarge Plâtres à Lafarge, afin d'assurer à l'amende un effet suffisamment dissuasif, puis pour porter à 52 millions d'euro le montant de départ de l'amende, ensuite pour majorer ce montant de 100 % au titre de l'effet dissuasif, et enfin pour augmenter ce montant au titre de la récidive dont l'objectif serait d'assurer un effet dissuasif. La Commission se serait également fondée à plusieurs reprises sur la connaissance de l'auteur de l'infraction de la gravité de ses actes, tout d'abord lors de la détermination de la gravité de l'infraction, puis au titre de la récidive.

703 En quatrième lieu, Lafarge estime que l'infraction prise en compte par la Commission au titre de la récidive n'est pas imputable à la même personne qu'en l'espèce, puisque la décision 94-815-CE de la Commission, du 30 novembre 1994, relative à une procédure d'application de l'article [81 CE] (affaires IV/33.126 et 33.322 - Ciment) (JO L 343, p. 1), visée par la Commission concernait Lafarge et non Lafarge Plâtres. Or, la notion de récidive impliquant que des infractions similaires soient commises par la même personne, la majoration de l'amende à ce titre serait sans fondement et devrait donc être annulée.

704 En cinquième lieu, la requérante relève également que, dans le droit de la plupart des États membres, la récidive ne peut être prise en compte que si la personne commet la deuxième infraction après que le jugement condamnant la première infraction est devenu définitif.

705 À ce sujet, la requérante soutient que le Tribunal a considéré dans l'arrêt du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, point 577 supra, que la majoration infligée à l'entreprise en cause était entachée d'une erreur de droit du fait que les faits incriminés étaient en majeure partie antérieurs à sa première condamnation (points 617 et 618). Si la requérante admet que, dans cet arrêt, le Tribunal n'a pas explicitement affirmé la nécessité de l'existence d'une sanction définitive, elle estime cependant qu'il exigeait implicitement cette condition.

706 Lafarge souligne que la décision 94/815 sur laquelle s'appuie la Commission n'est devenue définitive que le 15 juillet 2000, le Tribunal ayant rendu son arrêt dans cette affaire le 15 mai 2000 (arrêt Ciment, point 69 supra), soit presque deux ans après la fin des pratiques en cause le 25 novembre 1998. Ainsi, Lafarge n'aurait pas pu être en situation de récidive pour les infractions commises avant le mois de juillet 2000.

707 En sixième lieu, la requérante considère encore que la Commission a violé l'article 253 CE en ne motivant pas suffisamment l'augmentation de l'amende pour récidive, ce qui justifie l'annulation du montant de l'amende qui lui a été infligée à ce titre. Cela serait d'autant plus important en l'espèce que la Commission ne prendrait pas systématiquement en compte la récidive et qu'elle s'écarterait de sa pratique décisionnelle antérieure.

708 La requérante soutient également que dans l'arrêt du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, point 577 supra, le Tribunal a estimé que la simple mention d'un taux de majoration n'était pas suffisante pour remplir l'obligation de motivation de la Commission quant à l'importance de l'augmentation (point 616). Or, en l'espèce, la Commission se serait contentée d'indiquer qu'elle appliquait un taux de 50 % sans expliquer pourquoi elle retenait ce taux plutôt qu'un autre, manquant ainsi à son obligation de motivation.

709 La requérante estime que, en augmentant le montant de son amende et celle de BPB de 50 %, la Commission n'a pas tenu compte de la position de ces deux sociétés sur les marchés concernés, ni de leur rôle respectif dans les pratiques en cause.

710 En septième lieu, la requérante souligne que, en application des lignes directrices sur le calcul des amendes, la Commission doit également tenir compte, au titre des circonstances aggravantes, du rôle de meneur ou d'incitateur d'une entreprise. Ainsi, BPB aurait été la puissante invitante lors des réunions de Londres et de Versailles, aurait mis en place le système d'informations sur les volumes de ventes et aurait contacté Gyproc et Lafarge Plâtres pour qu'ils participent à ces échanges d'informations. En revanche, Lafarge Plâtres n'aurait joué aucun rôle actif dans les pratiques en cause.

711 La Commission conteste ces arguments. Elle rappelle avoir déjà démontré en quoi elle était fondée à imputer la responsabilité de l'infraction à Lafarge et non à Lafarge Plâtres et renvoie à ses développements précédents sur le sujet.

712 La Commission souligne que seule la décision prise par la Commission est pertinente pour prendre en compte la récidive. Lors de l'adoption de la décision attaquée, la décision 94/815 aurait déjà été définitive et aurait été adoptée à une date antérieure à la période couverte par la décision attaquée. En outre, la Commission n'aurait pris en compte la récidive en l'espèce qu'à compter du 30 novembre 1994, soit la date de la décision 94-815.

713 La Commission soutient qu'il n'y a pas lieu de tenir compte de la taille des entreprises en cause lors de la détermination des circonstances aggravantes, puisque cela a déjà été utilisé pour établir une classification des entreprises lors de la détermination du montant de départ de l'amende.

714 La Commission souligne également que, dans la décision attaquée, elle n'a pas retenu que BPB avait eu un rôle de meneur du cartel, ce qu'elle pouvait librement décider en vertu de son pouvoir discrétionnaire de sanction, sans avoir à justifier son choix. De plus, un rôle de meneur aurait conduit à une augmentation du montant de l'amende de BPB et non à une réduction de celle de Lafarge.

715 Enfin, la Commission estime avoir suffisamment justifié la majoration du montant de l'amende au titre de la récidive dans la mesure où elle a retenu pour BPB et Lafarge le même motif de majoration, à savoir la récidive pour une même durée de plus de quatre ans.

Appréciation du Tribunal

716 Par cette branche, la requérante soulève, tout d'abord, une exception d'illégalité des lignes directrices en soutenant que la notion de circonstances aggravantes figurant dans les lignes directrices est contraire à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

717 Or, cette affirmation ne saurait prospérer. En effet, s'agissant de la gravité de l'infraction, la Cour a jugé que, tandis que le montant de départ de l'amende était fixé en fonction de l'infraction, la gravité de celle-ci était déterminée par référence à de nombreux autres facteurs, pour lesquels la Commission disposait d'une marge d'appréciation. Selon la Cour, le fait de prendre en compte des circonstances aggravantes, lors de la fixation du montant de l'amende, est conforme à la mission de la Commission d'assurer la conformité aux règles de concurrence (arrêt SGL Carbon/Commission, point 117 supra, point 71).

718 En ce qui concerne la gravité de l'infraction, la Cour a jugé qu'elle devait être établie en fonction de critères tels que les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes. Des éléments objectifs tels le contenu et la durée des comportements anticoncurrentiels, leur nombre et leur intensité, l'étendue du marché affecté et la détérioration subie par l'ordre public économique doivent être pris en compte. L'analyse doit également prendre en considération l'importance relative et la part de marché des entreprises responsables ainsi qu'une éventuelle récidive (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 72 supra, points 90 et 91).

719 En effet, lorsqu'une infraction a été commise par plusieurs personnes, la gravité relative de la participation de chacune d'entre elles doit être examinée (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 72 supra, point 92).

720 À cet égard, comme le Tribunal l'a constaté dans l'arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 334 supra, il convient d'analyser les dispositions pertinentes des lignes directrices. Le point 1 A énonce que " l'évaluation du caractère de gravité de l'infraction doit prendre en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché lorsqu'il est mesurable et l'étendue du marché géographique concerné ". Le point 2, sous le titre " Circonstances aggravantes ", établit une liste non exhaustive de circonstances pouvant amener à une augmentation du montant de base calculé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, telles que la récidive, le refus de coopération, le rôle d'incitateur de l'infraction, la mise en œuvre de mesures de rétorsion et la nécessité de tenir compte des montants des gains illicites réalisés grâce à l'infraction (arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 334 supra, point 108).

721 Ainsi, il ressort des dispositions citées ci-dessus que l'appréciation de la gravité de l'infraction est effectuée en deux étapes. Dans un premier temps, la gravité est appréciée uniquement en fonction des éléments propres à l'infraction tels que sa nature et son impact sur le marché et, dans un second temps, l'appréciation de la gravité est modulée en fonction des circonstances propres à l'entreprise concernée, ce qui amène par ailleurs la Commission à prendre en considération non seulement des éventuelles circonstances aggravantes, mais également, le cas échéant, des circonstances atténuantes (voir point 3 des lignes directrices). Cette démarche, loin d'être contraire à la lettre et à l'esprit de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, permet, dans le cadre notamment d'infractions impliquant plusieurs entreprises, de tenir compte dans l'appréciation de la gravité de l'infraction du rôle différent joué par chaque entreprise et de son attitude vis-à-vis de la Commission pendant le déroulement de la procédure administrative (arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 334 supra, point 109).

722 Ainsi, une éventuelle récidive figure parmi les éléments à prendre en considération lors de l'analyse de la gravité de l'infraction en cause (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 72 supra, point 91).

723 S'agissant de la violation des principes de légalité des sanctions et de sécurité juridique au motif qu'il n'existe pas de délai maximal entre deux condamnations pour la prise en compte de la récidive, elle ne saurait être retenue.

724 Conformément à une jurisprudence constante, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation en ce qui concerne le choix des éléments à prendre en considération aux fins de la détermination du montant des amendes, tels que les circonstances particulières de l'affaire, le contexte de celle-ci et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'il soit nécessaire de se rapporter à une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137-95 P, Rec. p. I-1611, point 54, et arrêt Ferriere Nord/Commission, point 598 supra, point 33).

725 Il convient de souligner que le constat et l'appréciation des caractéristiques spécifiques d'une récidive font partie dudit pouvoir de la Commission et que cette dernière ne saurait être liée par un éventuel délai de prescription pour un tel constat. En effet, la récidive constitue un élément important que la Commission est appelée à apprécier, étant donné que sa prise en compte vise à inciter les entreprises, qui ont manifesté une propension à s'affranchir des règles de concurrence, à modifier leur comportement. La Commission peut, dès lors, dans chaque cas, prendre en considération les indices tendant à confirmer une telle propension, y compris le temps qui s'est écoulé entre les infractions en cause.

726 À cet égard, il y a lieu de relever que le Tribunal a considéré qu'un laps de temps de moins de dix ans qui avait séparé les constats de deux infractions témoignait de la propension d'une entreprise à ne pas tirer les conséquences appropriées d'un constat à son égard d'une infraction aux règles de concurrence (arrêt Groupe Danone/Commission, point 293 supra, points 354 et 355).

727 À plus forte raison, en l'espèce, l'historique des infractions constatées à l'encontre de la requérante témoigne de sa propension à ne pas tirer les conséquences appropriées d'un constat à son égard d'une infraction aux règles de concurrence, étant donné que, ayant déjà fait l'objet de mesures antérieures de la Commission par la décision 94-815, la filiale de la requérante a continué pendant quatre ans à participer activement à l'entente en cause après que lui a été notifiée cette décision.

728 Quant à l'affirmation de la requérante concernant la violation du principe non bis in idem en raison de la majoration de l'amende au titre de la récidive, elle estime que les motifs de la majoration, à savoir l'effet dissuasif et la connaissance du caractère illégal de l'infraction, ont déjà été pris en compte dans la détermination du montant de départ sur la base de la gravité, ainsi que dans la majoration au titre de l'effet dissuasif.

729 Cette argumentation peut être rejetée pour les mêmes motifs que le grief précédent. En effet, la Cour a jugé que la gravité de l'infraction devait être établie en fonction de critères tels que les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes. Des éléments objectifs tels que le contenu et la durée des comportements anticoncurrentiels, leur nombre et leur intensité, l'étendue du marché affecté et la détérioration subie par l'ordre public économique doivent être pris en compte. L'analyse doit également prendre en considération l'importance relative et la part de marché des entreprises responsables ainsi qu'une éventuelle récidive (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 72 supra, points 90 et 91).

730 Ainsi, il s'agit d'éléments dans l'appréciation de la gravité qui sont fonction des circonstances propres à l'entreprise concernée, et non d'éléments propres à l'infraction tels que sa nature ou son impact sur le marché.

731 Quant à la prise en compte de la récidive en l'espèce, la requérante estime que l'infraction prise en compte par la Commission au titre de la récidive n'est pas imputable à la même personne qu'en l'espèce, puisque la décision 94-815 la concernait elle et non Lafarge Plâtres.

732 Or, cette question se confond avec celle de savoir si l'infraction pouvait être imputée à Lafarge, examinée dans le cadre du quatrième moyen.

733 S'agissant de la théorie de la requérante selon laquelle, pour la récidive, il convient de prendre seulement en compte les infractions antérieures pour lesquelles une entreprise a été condamnée définitivement avant de retenir la récidive, il y a lieu de rappeler que la notion de récidive, telle qu'elle est comprise dans un certain nombre d'ordres juridiques nationaux, implique qu'une personne a commis de nouvelles infractions après avoir été sanctionnée pour des infractions similaires (arrêts du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, point 577 supra, point 617, et du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, point 531 supra, point 284).

734 Ainsi, il suffit que l'entreprise ait été considérée préalablement comme coupable d'une infraction du même type, même si la décision est encore soumise à un examen juridique.

735 Comme cela a été rappelé au point 725 ci-dessus, l'appréciation des caractéristiques spécifiques d'une récidive dépend d'une évaluation des circonstances du cas d'espèce par la Commission, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation.

736 Par ailleurs, comme la Commission le souligne à juste titre, ses décisions bénéficient d'une présomption de validité aussi longtemps qu'elles n'ont pas été annulées ou retirées (arrêt de la Cour du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C-137-92 P, Rec. p. I-2555, point 48) et les recours n'ont pas de caractère suspensif.

737 Il est certes vrai qu'un problème pourrait surgir dans l'hypothèse où une décision antérieure sur la base de laquelle l'amende a été majorée dans une décision ultérieure serait annulée après l'adoption de cette dernière déjà devenue définitive. Dans une telle hypothèse, la récidive n'existerait effectivement pas. Cependant, si la première décision sanctionnant une infraction se révélait non fondée, il s'agirait d'un fait nouveau entraînant la réouverture des délais de recours.

738 Cette conclusion ne saurait être infirmée par l'arrêt du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, point 577 supra. En effet, dans cet arrêt, le Tribunal a considéré que la décision de la Commission était entachée d'une erreur de droit dans la mesure où la majoration du montant de l'amende infligée à Thyssen Stahl AG était justifiée par la considération que la Commission l'avait déjà sanctionnée pour des infractions similaires par la décision 90/417/CECA, du 18 juillet 1990, relative à une procédure au titre de l'article 65 du traité CECA concernant l'accord et les pratiques concertées des producteurs européens de produits plats en acier inoxydable laminés à froid (JO L 220, p. 28), alors que, dans l'affaire en cause, la majeure partie de la période d'infraction, allant du 30 juin 1988 jusqu'à la fin de 1990, retenue à l'encontre de Thyssen Stahl, était antérieure à cette décision (points 617 à 625).

739 Or, contrairement à l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, point 577 supra, dans laquelle la majeure partie de l'infraction a eu lieu avant la première décision, en l'espèce, Lafarge a continué à participer à l'entente en cause pendant plus de quatre ans après la décision adoptée dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Ciment.

740 En conséquence, la Commission n'a pas commis d'erreur en estimant, en l'espèce, que les circonstances particulières de l'affaire, notamment le fait que la même entreprise avait déjà fait l'objet d'une constatation d'infraction et que, malgré cette constatation et la sanction imposée, elle avait continué à participer à une autre infraction similaire à la même disposition du traité, étaient constitutives d'une récidive.

741 En ce qui concerne la motivation du niveau de cette majoration, le Tribunal rappelle que, dans la fixation du montant de l'amende, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation. À cet égard, elle n'est pas tenue d'appliquer des formules mathématiques précises (arrêt du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, point 531 supra, point 292).

742 S'agissant de la portée de l'obligation de motivation concernant le calcul du montant d'une amende infligée pour violation des règles communautaires de concurrence, il convient de rappeler que celle-ci doit être déterminée au regard des dispositions de l'article 15, paragraphe 2, second alinéa, du règlement nº 17, aux termes duquel, " [p]our déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci ". À cet égard, les lignes directrices, ainsi que la communication sur la coopération, contiennent des règles indicatives sur les éléments d'appréciation dont il est tenu compte par la Commission pour mesurer la gravité et la durée de l'infraction (arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T-220-00, Rec. p. II-2473, point 217). Dans ces conditions, les exigences de formalité substantielle que constitue l'obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d'appréciation dont elle a tenu compte en application de ses lignes directrices et, le cas échéant, de la communication sur la coopération, et qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l'infraction aux fins du calcul du montant de l'amende (arrêt Cheil Jedang/Commission, précité, point 218).

743 Ainsi, il n'incombe pas à la Commission, selon la jurisprudence de la Cour, au titre de l'obligation de motivation, d'indiquer dans sa décision les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul du montant des amendes (arrêt du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 531 supra, point 66).

744 L'indication de données chiffrées relatives au mode de calcul du montant des amendes, pour utiles que soient de telles données, n'est pas indispensable au respect de l'obligation de motivation d'une décision infligeant des amendes, étant souligné, en tout état de cause, que la Commission ne saurait, par le recours exclusif et mécanique à des formules arithmétiques, se priver de son pouvoir d'appréciation (arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Salzgitter/Commission, C-182-99 P, Rec. p. I-10761, point 75).

745 En effet, en ce qui concerne la motivation de la fixation du montant des amendes en termes absolus, il y a lieu de rappeler que les amendes constituent un instrument de la politique de concurrence de la Commission qui doit pouvoir disposer d'une marge d'appréciation dans la fixation de leur montant afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150-89, Rec. p. II-1165, point 59).

746 En l'espèce, il importe de relever que la Commission a exposé, aux considérants 559 et 560 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle a décidé d'aggraver la sanction en raison de la récidive. À la lumière de la jurisprudence mentionnée ci-dessus, une telle motivation est suffisante.

747 Enfin, la requérante fait valoir que la Commission lui a appliqué la même majoration au titre de la récidive qu'à BPB, bien que l'infraction commise par cette dernière ait été plus grave que la sienne en raison du rôle de meneur de BPB dans toutes les initiatives prises sur les marchés des plaques en plâtres.

748 Cet argument est également non fondé. En effet, ainsi qu'il a été expliqué ci-dessus, la majoration au titre de la récidive étant liée à une circonstance aggravante propre à l'entreprise en cause, le fait que les caractéristiques de l'infraction de BPB ne soient pas analogues à celles de l'infraction de Lafarge n'est pas pertinent. Ce qui est pertinent est la circonstance que les deux entreprises ont été préalablement impliquées dans des infractions très graves, mais qu'elles n'ont pas, malgré le constat de ces infractions, mis un terme à leur participation à l'infraction sanctionnée en l'espèce. En effet, ce qui importe est le fait que, malgré le constat d'une infraction au droit communautaire de la concurrence, l'entreprise en question a continué à le violer.

749 En tout état de cause, le rôle de BPB dans la commission de l'infraction et sa taille ont déjà été pris en compte dans la fixation des montants de départ de l'amende et ont justifié que la Commission retienne des montants différents à l'encontre de BPB et de la requérante. Par ailleurs, le rôle prétendument meneur de BPB n'a pas été retenu par la Commission dans la décision attaquée.

750 Il résulte de tout ce qui précède que les arguments de la requérante relatifs à la prise en compte de la récidive doivent être rejetés.

Sur les circonstances atténuantes

Sur la non-prise en compte de l'absence d'effets sur le marché des pratiques en cause au titre des circonstances atténuantes

- Arguments des parties

751 La requérante soutient que, selon les lignes directrices, la Commission aurait dû tenir compte du fait que l'entente n'avait eu qu'un effet limité sur la concurrence. Cela ressortirait de la pratique décisionnelle constante de la Commission qui prendrait en compte l'absence d'effet sur le marché ou de mise en œuvre des pratiques en cause ou leur mise en œuvre partielle, ainsi que de la jurisprudence où des diminutions du montant des amendes ont été opérées du fait du caractère limité des effets nocifs des pratiques en cause sur le marché.

752 Or, la requérante rappelle que, en l'espèce, les pratiques incriminées n'ont eu aucun impact négatif sur les marchés en cause, ou du moins, n'ont eu qu'un impact très limité. En toute hypothèse, elle rappelle que la Commission ne peut se contenter de supputer l'existence d'effets sur le marché des pratiques incriminées, mais doit déterminer leur impact concret sur le marché.

753 La requérante soutient, de plus, que l'absence d'effets sur le marché s'explique par l'absence de mesures de contraintes susceptibles d'assurer le respect des pratiques en cause, élément qui, dans d'autres affaires, a déjà été pris en compte au titre des circonstances atténuantes par la Commission.

754 La requérante conclut que, en ne tenant pas compte, au titre des circonstances atténuantes, de l'absence d'impact concret des pratiques incriminées sur le marché, la Commission s'est écartée de sa pratique décisionnelle antérieure ainsi que de la jurisprudence, violant le principe d'égalité de traitement. La requérante demande, de ce fait, au Tribunal de diminuer le montant de l'amende qui lui a été infligée à ce titre.

755 La Commission affirme que l'infraction a eu des effets et renvoie sur ce point à ses développements précédents sur cette question.

- Appréciation du Tribunal

756 Il convient de constater que, par son argumentation, Lafarge procède, pour l'essentiel, à une reformulation de l'ensemble des arguments déjà exposés au soutien de la branche relative à la proportionnalité du montant de départ de l'amende fixé en fonction de la gravité, en particulier en ce qui concerne l'effet de l'entente sur le marché. Dès lors, dans la mesure où cette branche n'est pas fondée, les arguments soulevés par la requérante au soutien du présent grief ne le sont pas non plus.

757 En outre, il y a lieu de souligner, comme cela a été rappelé au point 620 ci-dessus, qu'une pratique décisionnelle de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence et que des décisions concernant d'autres affaires ne revêtent qu'un caractère indicatif en ce qui concerne l'existence éventuelle d'une violation du principe d'égalité de traitement, étant donné qu'il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les entreprises et les périodes concernés, soient identiques.

758 Ce grief ne saurait donc être accueilli.

Sur l'absence de prise en compte du rôle suiviste de Lafarge Plâtres et de sa contribution au développement de la concurrence au titre des circonstances atténuantes

- Arguments des parties

759 La requérante soutient que, conformément aux lignes directrices, la Commission aurait dû prendre en compte le fait qu'elle n'avait eu qu'un rôle passif ou suiviste dans la réalisation de l'infraction et réduire à ce titre le montant de l'amende. Elle ajoute que la Commission ne peut pas se contenter de ne réduire l'amende que des entreprises ayant agi sous la contrainte. Ainsi, il serait établi par la jurisprudence que l'adhésion à une entente préexistante suffirait à prouver le rôle suiviste d'une entreprise (arrêt Cheil Jedang/Commission, point 742 supra, point 168). Or, la requérante rappelle que Lafarge Plâtres n'a pas assisté à la réunion de Londres de 1992 que la Commission considère comme étant le point de départ de l'infraction.

760 De même, la Commission aurait dû prendre en considération le fait que pendant toute la période visée, par son entrée sur certains marchés, Lafarge Plâtres aurait introduit l'un des principaux facteurs de concurrence dans le secteur des plaques en plâtres. Ainsi, l'entrée de Lafarge Plâtres sur les marchés allemand et du Royaume-Uni aurait permis de rendre concurrentiel un marché en situation de quasi-monopole et aurait contribué à mettre fin à l'entente existant en Allemagne depuis 1985 entre BPB, Gyproc et Knauf. De même, le rachat par Lafarge Plâtres de Redland Plasterboard, alors en difficulté financière, aurait relancé la concurrence sur le marché du Royaume-Uni et empêché le retour de BPB à une situation de quasi-monopole.

761 La Commission fait valoir que la requérante ne peut soutenir avoir eu un rôle de concurrent agressif et un rôle suiviste à la fois, cette thèse étant incohérente. La requérante ferait une confusion entre ce que la Commission retient au titre des circonstances atténuantes et le fait de ne pas avoir joué un rôle actif dans la commission de l'infraction. Or, cette dernière hypothèse permettrait de ne pas majorer le montant de l'amende au titre d'une circonstance aggravante en tant que meneur, mais pas de diminuer ce montant au titre d'une circonstance atténuante en tant que suiveur.

762 La Commission estime, en outre, que la description faite par Lafarge de la situation concurrentielle ne correspond pas à la réalité. Au Royaume-Uni comme en Allemagne, la Commission soutient que la concurrence préexistait à l'entrée de Lafarge Plâtres sur le marché. En toute hypothèse, la Commission souligne qu'une éventuelle contribution au développement concurrentiel de ces marchés dans les années précédant l'entente ne diminue pas la responsabilité personnelle de Lafarge pour l'infraction en cause.

- Appréciation du Tribunal

763 Selon une jurisprudence constante, lorsqu'une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il convient d'examiner la gravité relative de la participation à l'infraction de chacune d'entre elles (arrêts Suiker Unie e.a./Commission, point 218 supra, point 623, et BASF/Commission, point 659 supra, point 280) afin de déterminer s'il est opportun d'appliquer des circonstances atténuantes ou aggravantes.

764 Aux termes du point 3, premier tiret, des lignes directrices, le " rôle exclusivement passif ou suiviste " d'une entreprise dans la réalisation de l'infraction peut, s'il est établi, constituer une circonstance atténuante.

765 Un rôle passif implique l'adoption par l'entreprise concernée d'un " profil bas ", c'est-à-dire une absence de participation active à l'élaboration du ou des accords anticoncurrentiels (arrêt Cheil Jedang/Commission, point 742 supra, point 167).

766 À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, parmi les éléments de nature à révéler le rôle passif d'une entreprise au sein d'une entente, peut être pris en compte le caractère sensiblement plus sporadique de ses participations aux réunions par rapport aux membres ordinaires de l'entente, de même que son entrée tardive sur le marché ayant fait l'objet de l'infraction, indépendamment de la durée de sa participation à celle-ci, ou encore l'existence de déclarations expresses en ce sens émanant de représentants d'entreprises tierces ayant participé à l'infraction (arrêts Cheil Jedang/Commission, point 742 supra, point 168, et du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 199 supra, point 331).

767 Or, dès lors qu'une entreprise a participé, même sans y jouer un rôle actif, à une ou plusieurs réunions ayant un objet anticoncurrentiel, elle doit être considérée comme ayant participé à l'entente à moins qu'elle ne prouve s'être ouvertement distanciée de la concertation illicite (voir arrêt Ciment, point 69 supra, point 3199, et la jurisprudence citée). En effet, par sa présence aux réunions, la requérante a adhéré ou tout au moins a fait croire aux autres participants qu'elle adhérait en principe au contenu des accords anticoncurrentiels qui y étaient conclus (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Dalmine/Commission, T-50-00, Rec. p. II-2395, point 296).

768 S'agissant du rôle prétendument passif de Lafarge, il suffit de rappeler que la Commission a établi, à suffisance de droit, que Lafarge avait participé à de nombreuses réunions de l'entente et itérativement participé à plusieurs pratiques collusoires visées par la décision attaquée.

769 S'agissant de son comportement, Lafarge n'avance pas de circonstances spécifiques, ni d'éléments de preuve tels que des déclarations d'autres participants à l'entente, susceptibles de démontrer que son attitude s'est distinguée significativement de celle des autres participants à l'entente par son caractère purement passif ou suiviste.

770 Ainsi, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si l'affirmation de Lafarge selon laquelle elle n'était pas l'instigateur des pratiques collusoires est vraie ou non, sa participation ne peut être considérée comme exclusivement passive. En effet, il ne découle pas du fait de ne pas avoir été l'instigateur de l'entente que son rôle était passif. En outre, s'il est vrai que, selon les lignes directrices, le " rôle de meneur ou d'incitateur de l'infraction " peut être une circonstance aggravante qui justifie l'augmentation du montant de base (point 2, troisième tiret), le fait de ne pas avoir joué un tel rôle n'impose pas à la Commission de réduire les amendes.

771 En ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel son rôle passif est démontré par le fait qu'elle n'a été entraînée dans les pratiques incriminées qu'après la réunion de Londres, il y a lieu de constater qu'admettre cette circonstance comme circonstance atténuante ferait double emploi avec la prise en compte de la durée des infractions pour calculer les amendes. En effet, la participation plus brève de la requérante a déjà été prise en compte dans le calcul de la durée de l'infraction.

772 S'agissant des arguments de la requérante selon lesquels elle aurait joué un rôle compétitif sur le marché malgré l'entente, il est certes vrai que, aux termes du point 3, deuxième tiret, des lignes directrices, la " non-application effective des accords ou [des] pratiques infractionnelles " peut également constituer une circonstance atténuante. Toutefois, le fait qu'une entreprise, dont la participation à une concertation avec ses concurrents est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d'une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l'amende à infliger.

773 En effet, une entreprise qui poursuit, malgré la concertation avec ses concurrents, une politique plus ou moins indépendante sur le marché peut simplement tenter d'utiliser l'entente à son profit (arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T-327-94, Rec. p. II-1373, point 142, et Cascades/Commission, T-308-94, Rec. p. II-925, point 230), et une entreprise qui ne se distancie pas des résultats d'une réunion à laquelle elle a assisté conserve, en principe, sa pleine responsabilité du fait de sa participation à l'entente (arrêt Ciment, point 69 supra, point 1389). Dès lors, la Commission n'est tenue de reconnaître l'existence d'une circonstance atténuante du fait de l'absence de mise en œuvre d'une entente que si l'entreprise qui invoque cette circonstance peut démontrer qu'elle s'est clairement et de manière considérable opposée à la mise en œuvre de cette entente, au point d'avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci, et qu'elle n'a pas adhéré à l'accord en apparence et, de ce fait, incité d'autres entreprises à mettre en œuvre l'entente en cause. Il serait effectivement trop aisé pour les entreprises de minimiser le risque de devoir payer une lourde amende si elles pouvaient profiter d'une entente illicite et bénéficier ensuite d'une réduction de l'amende au motif qu'elles n'avaient joué qu'un rôle limité dans la mise en œuvre de l'infraction, alors que leur attitude avait incité d'autres entreprises à se comporter d'une manière plus nuisible à la concurrence (arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 97 supra, points 277 à 279).

774 Or, il ne ressort pas du dossier que Lafarge se soit ouvertement opposée à la conclusion des accords ou des pratiques concertées en cause ou à leur mise en œuvre. Elle se borne, en effet, à invoquer le fait d'avoir contribué au développement de la concurrence dans le secteur des plaques en plâtre. Dès lors, cette circonstance ne saurait être prise en considération pour réduire l'amende infligée à Lafarge.

775 Ainsi, il n'est pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste en refusant de reconnaître une circonstance atténuante à l'égard de la requérante. Le Tribunal estime qu'il n'y a pas lieu non plus de diminuer l'amende pour ce motif en exerçant sa compétence de pleine juridiction.

776 Le grief tiré de l'absence de prise en compte du rôle suiviste de Lafarge Plâtres ne saurait donc prospérer.

Sur l'absence de prise en compte de la cessation de l'infraction dès les premières vérifications de la Commission

- Arguments des parties

777 La requérante considère que, en application des lignes directrices sur le calcul des amendes, la Commission aurait dû prendre en compte, au titre des circonstances atténuantes le fait que Lafarge Plâtres avait mis fin aux pratiques incriminées dès les premières vérifications effectuées. La Commission en aurait tenu compte dans sa pratique décisionnelle antérieure, accordant des réductions du montant des amendes à certaines entreprises pour de tels motifs.

778 Or, en l'espèce, la Commission ne contesterait pas que Lafarge Plâtres a mis fin aux échanges dès les premières vérifications de la Commission, ni que M. [F] a pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir une nouvelle infraction aux règles de concurrence, notamment par la mise en place d'un programme de respect des règles de concurrence réalisé pour les membres du comité exécutif de Lafarge Plâtres.

779 La Commission considère que le caractère flagrant et notoirement infractionnel des comportements visés ne faisant aucun doute, elle était en droit d'attendre la cessation de l'infraction dès ses premières vérifications, sans que cela constitue une circonstance atténuante.

- Appréciation du Tribunal

780 Aux termes du point 3, troisième tiret, des lignes directrices, la " cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission (notamment vérifications) " compte parmi les circonstances atténuantes. Toutefois, une réduction de l'amende en raison de la cessation d'une infraction dès les premières interventions de la Commission ne saurait être automatique, mais dépend d'une évaluation des circonstances du cas d'espèce par la Commission, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation. À cet égard, l'application de cette disposition des lignes directrices en faveur d'une entreprise sera particulièrement adéquate dans une situation où le caractère anticoncurrentiel du comportement en cause n'est pas manifeste. Inversement, son application sera moins adaptée, en principe, dans une situation où celui-ci est clairement anticoncurrentiel, à le supposer établi (arrêts Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 97 supra, point 281 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, point 335 supra, points 292 et 294).

781 En effet, même si la Commission a considéré, dans le passé, la cessation volontaire d'une infraction comme une circonstance atténuante, il lui est loisible de tenir compte, en application de ses lignes directrices, du fait que des infractions manifestes très graves sont encore, bien que leur illégalité ait été établie dès le début de la politique communautaire de concurrence, relativement fréquentes et, partant, d'estimer qu'il y a lieu d'abandonner cette pratique généreuse et de ne plus récompenser la cessation d'une telle infraction par une réduction d'amende.

782 Dans ces conditions, le caractère approprié d'une réduction de l'amende en raison de la cessation de l'infraction dépend du point de savoir si la requérante pouvait raisonnablement douter du caractère infractionnel de son comportement.

783 Dans le cas d'espèce, il convient de rappeler que l'infraction en cause a trait à une entente secrète ayant pour objet un échange d'informations dans un marché oligopolistique et une stabilisation de marchés. Ce type d'entente constitue une infraction très grave. Les entreprises concernées devaient, dès lors, avoir conscience du caractère illicite de leur comportement. Le caractère secret de l'entente confirme d'ailleurs le fait que les entreprises concernées avaient conscience du caractère illicite de leurs agissements.

784 Partant, pour les raisons qui précèdent, l'absence de prise en compte, en l'espèce, de la cessation de l'infraction, dès les premières vérifications de la Commission, comme circonstance atténuante ne peut être considérée comme erronée.

785 Il ressort de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter le grief tiré de l'absence de prise en compte de la cessation de l'infraction dès les premières vérifications de la Commission au titre des circonstances atténuantes. Par conséquent, la branche relative aux circonstances atténuantes doit être écartée dans sa totalité.

Sur la non-application de la communication sur la coopération

Arguments des parties

786 La requérante souligne que la communication sur la coopération prévoit que les entreprises qui ne contestent pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations peuvent bénéficier d'une réduction significative du montant de l'amende.

787 Or, elle soutient que, en l'espèce, la Commission admet que Lafarge Plâtres n'a pas substantiellement contesté sa description des griefs relatifs aux échanges d'informations. De plus, Lafarge Plâtres aurait admis avoir participé à un système limité d'échange de renseignements sur les volumes de ventes. Ce faisant, elle serait allée au-delà de la simple absence de contestation de la matérialité des faits incriminés.

788 Dans ces conditions, la requérante considère que la Commission s'est écartée de sa pratique décisionnelle antérieure et est allée à l'encontre de la jurisprudence. Elle demande donc au Tribunal, au titre de la communication sur la coopération, de réduire le montant de l'amende qui lui a été infligée.

789 À titre subsidiaire, la requérante estime qu'elle aurait, au moins, dû bénéficier d'une réduction du montant de l'amende au titre des circonstances atténuantes du fait de sa collaboration, en vertu des lignes directrices.

790 La Commission considère que l'absence de contestation de la participation à un système d'échange de renseignements sur les volumes de ventes ne justifie aucune réduction de l'amende, ce comportement n'étant qu'un élément d'une infraction plus vaste. En effet, la Commission estime que l'entreprise ne doit pas uniquement ne pas contester les faits qu'elle estime avérés, mais ne doit pas non plus contester les faits constatés par la Commission dans sa décision. Or, Lafarge contesterait une bonne partie de ces faits. La Commission relève, de plus, que Lafarge n'a pas soulevé ce point dans sa réponse à la communication des griefs.

Appréciation du Tribunal

791 Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, une réduction de l'amende au titre d'une coopération lors de la procédure administrative n'est justifiée que si le comportement de l'entreprise en cause a permis à la Commission de constater l'existence d'une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d'y mettre fin (arrêts du Tribunal SCA Holding/Commission, point 773 supra, point 156, et du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, T-45-98 et T-47-98, Rec. p. II-3757, point 270). Or, tel n'est pas le cas lorsque, dans sa réponse à la communication des griefs, cette entreprise conteste toute participation à l'infraction.

792 En effet, une réduction de l'amende sur le fondement de la communication sur la coopération ne saurait être justifiée que lorsque les informations fournies et, plus généralement, le comportement de l'entreprise concernée pourraient à cet égard être considérés comme démontrant une véritable coopération de sa part (voir arrêt de la Cour du 29 juin 2006, Commission/SGL Carbon, C-301-04 P, Rec. p. I-5915, point 68, et la jurisprudence citée).

793 Par ailleurs, il convient de faire une distinction entre, d'une part, la reconnaissance expresse d'une infraction et, d'autre part, la simple absence de contestation de celle-ci, qui ne contribue pas à faciliter la tâche de la Commission consistant à découvrir et à réprimer les infractions aux règles communautaires de concurrence (arrêt de la Cour du 14 juillet 2005, ThyssenKrupp/Commission, C-65-02 P et C-73-02 P, Rec. p. I-6773, point 58).

794 En outre, il y a lieu de considérer que, lorsqu'une entreprise ne fait, au titre de la coopération, que confirmer, et ce de manière moins précise et explicite, certaines des informations déjà fournies par une autre entreprise au titre de la coopération, le degré de coopération fournie par cette entreprise, quoiqu'il puisse ne pas être dénué d'une certaine utilité pour la Commission, ne saurait être considéré comme comparable à celui fourni par la première entreprise à avoir fourni lesdites informations. Une déclaration se limitant à corroborer, dans une certaine mesure, une déclaration dont la Commission disposait déjà ne facilite, en effet, pas la tâche de la Commission de manière significative et, partant, suffisante pour justifier une réduction du montant de l'amende au titre de la coopération (arrêt Groupe Danone/Commission, point 293 supra, point 455).

795 En l'espèce, il est constant que la Commission n'a octroyé aucune réduction à la requérante.

796 Comme il ressort des affirmations de la requérante, Lafarge Plâtres a seulement reconnu sa participation aux échanges d'informations sur les volumes de ventes ainsi que sa participation à la réunion de Versailles et à la discussion de Bruxelles sur le rachat de l'usine de Norgips.

797 En effet, comme il ressort du considérant 129 de la décision attaquée, Lafarge reconnaît avoir " effectivement progressivement participé à un système limité d'échange de volumes de ventes globales et historiques dirigé par [M.] [D] de [...] BPB ".

798 Or, Lafarge conteste toujours de manière véhémente qu'il y ait eu des comportements collusoires. Ainsi, comme il ressort du considérant 129 de la décision attaquée, Lafarge a indiqué que " sa participation s'arrêt[ait] là et n'[était] en aucun cas liée à une quelconque concertation sur une stabilisation des parts de marché en Europe ". En outre, il ressort également de ce même considérant que, alors même que Lafarge souligne l'imprécision des indications initiales de BPB quant à la date du début de sa participation au mécanisme institué par Knauf et par BPB, elle ne fournit ni la date de son entrée dans le mécanisme d'échange d'informations commerciales, ni les circonstances qui l'ont conduite à s'engager dans un tel échange, et notamment les contacts qui ont nécessairement eu lieu préalablement au commencement de l'échange en vue d'en déterminer les modalités essentielles, c'est-à-dire son objet, ses acteurs et sa périodicité.

799 Au considérant 130 de la décision attaquée, Lafarge a également soutenu ce qui suit :

" [L]a réalité de l'échange de renseignements est très éloignée de la description qu'en fait la Commission. La participation de Lafarge à un tel système, et de toute évidence sa création par BPB, procèdent de la nécessité pour chacun des producteurs de mieux connaître les marchés. On a déjà souligné la complexité de ces marchés et leur manque de prévisibilité notamment en l'absence de statistiques [...] "

800 En ce qui concerne la réunion de Versailles, elle conteste qu'un accord soit intervenu même si elle admet que l'idée du système d'échange d'informations y est née. Quant à la réunion de Bruxelles, elle souligne que cette discussion avait pour seul objet de déterminer comment une acquisition en commun de l'usine de Norgips pouvait se faire.

801 À la lumière de telles dénégations, il ne saurait être considéré que le fait que certains extraits de la réponse de la requérante à la communication des griefs suggèrent l'existence d'un échange d'informations a permis à la Commission de constater l'existence d'une infraction avec moins de difficulté.

802 Dans ces conditions, la Commission n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant que Lafarge n'avait pas le droit de bénéficier d'une réduction au titre de la section D de la communication sur la coopération. Partant, cette branche doit être écartée.

803 Il s'ensuit qu'il y a lieu de rejeter le sixième moyen et, en conséquence, le recours dans sa totalité.

Sur les dépens

804 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission. En ce qui concerne le Conseil, aux termes de l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) Lafarge SA est condamnée à supporter ses propres dépens et ceux exposés par la Commission.

3) Le Conseil supportera ses propres dépens.