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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 31 janvier 2007, n° 06-07909

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Buro Ouest (SARL), Simouest (SARL)

Défendeur :

BV D (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Frank

Conseillers :

Mmes Andrich, Dabosville

Avoués :

SCP Keime Guttin Jarry, SCP Lissarague Dupuis Boccon Gibod

Avocats :

Mes Belliard, Baschet

T. com. Versailles, prés., du 18 oct. 20…

18 octobre 2006

Faits et procédure,

La société BV Burostoc, à laquelle s'est substituée sa filiale la société BV D est spécialisée dans la distribution, en libre-service et en grandes surfaces, de produits de papeterie, bureautique, fournitures et équipements de bureau, d'informatique destinée tant aux professionnels qu'aux particuliers.

Elle indique avoir expérimenté, développé et exploité directement un nouveau concept de magasin grande surface, ainsi qu'un savoir-faire attaché, sous l'enseigne Bureau Vallée depuis 1990 et elle a développé son concept par l'intermédiaire d'un réseau de franchise.

Monsieur Luc Clavier a conclu le 16 juin 1998 avec la société BV D un contrat de franchise pour l'exploitation d'un magasin, sous l'enseigne Bureau Vallée, situé à Cesson Sévigné ; il a constitué la société anonyme Buro Ouest pour exploiter son fonds de commerce.

Les consorts Clavier et la société Buro Ouest ont signé avec la société BV D le 2 août 2001, un nouveau contrat de franchise pour exploiter un autre magasin sous l'enseigne Bureau Vallée situé à Saint-Malo.

Les consorts Clavier, ainsi que la société Simouest, ont signé le 4 novembre 2003 un troisième contrat l'exploitation d'un magasin situé à Dinan-Lehon.

En contrepartie des prestations contractuelles, telles que prévues au contrat, la société BV D devait percevoir une redevance d'assistance proportionnelle au chiffre d'affaires et une participation à la publicité du réseau.

Il était prévu une clause 26.2 selon laquelle notamment :

" Le partenaire franchisé s'interdit, pendant une durée d'une année à compter de l'expiration du présent contrat pour quelque cause que ce soit, de participer directement ou indirectement dans le territoire sur lequel il exploitait ses activités à un réseau exerçant des activités similaires à celles du réseau Bureau Vallée et susceptible de le concurrencer. " Il était néanmoins prévu que le partenaire franchisé pourra exercer son activité de façon indépendante de tout réseau.

L'article 26.2 troisième paragraphe du contrat de franchise prévoit qu' " en cas de violation de cet engagement, le Franchiseur pourra demander la désignation en justice d'un expert ayant pour mission d'évaluer le montant du préjudice subi par le franchiseur et l'ensemble du réseau... ", le franchisé s'engageant à verser immédiatement entre les mains du franchiseur le montant ainsi arrêté par l'expert.

Par des courriers recommandés avec accusés de réception des 28 avril 2006, les sociétés Buro Ouest et Simouest ont mis en demeure la société BV D de respecter ses obligations contractuelles à leur égard en précisant qu'à défaut celles-ci se prévaudraient de l'article 23 des contrats les autorisant à procéder à la rupture des relations contractuelles en cas d'inexécution de "l'une quelconque des obligations" souscrites par le franchiseur ; ce courrier comporte 8 points de désaccord portant notamment sur " la politique illégale de maîtrise des prix, l'absence de tout savoir-faire en matière de centrale de référencement, la nullité de la clause d'approvisionnement, les remises de fin d'année, l'utilisation anormale du compte bancaire de la société, l'absence d'animation commerciale du réseau, le tassement corrélatif de notre marge ".

La rupture des contrats est intervenue le 29 mai 2006, à l'initiative des sociétés Buro Ouest et Simouest qui ont indiqué par lettre recommandée du 30 mai 2006 :

- "en conséquence et par application des stipulations de l'article 23 du contrat de franchise nous liant, nous ne pouvons que constater la résiliation de plein droit dudit contrat au 29 mai 2006."

La société BV D a assigné, le 19 juin 2006, les sociétés Buro Ouest et Simouest au fond pour réclamer le paiement de redevances et de dommages-intérêts, notamment.

Par différents actes d'huissier en date des 16 juin, 30 juin et 3 juillet 2006, la société BV D a fait constater que l'enseigne Bureau Vallée avait été remplacée par l'enseigne concurrente Top Office sur les trois magasins précités.

Sur une assignation délivrée le 2 août 2006 à la requête de la société BV D à l'encontre des sociétés Buro Ouest et Simouest, le Président du Tribunal de commerce de Versailles a, par une ordonnance du 18 octobre 2006, enjoint aux sociétés de défenderesses de déposer dans les 15 jours de la signification de l'ordonnance, l'enseigne Top Office sous astreinte provisoire de 1 000 euro par jour de retard et par magasin, dès le 16e jour et condamné les sociétés in solidum à verser à la société BV D une somme de 700 euro en application de l'article du nouveau Code de procédure civile.

Le premier juge a rappelé que les sociétés Buro Ouest et Simouest s'étaient engagées en signant le contrat de franchise à ne pas participer, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du contrat, directement ou indirectement à un réseau exerçant des activités similaires à celles du réseau Bureau Vallée et susceptible de le concurrencer.

Il a estimé que si l'évaluation du dommage subi par la société BV D était sans contestation de la compétence du juge du fond, il n'en était pas de même de la demande de la société BV D qui vise à mettre fin à une situation qui, incontestablement, cause un dommage à la société BV D et qui, si elle devait perdurer, est de nature à augmenter les troubles constatés ;

Il estimait qu'il y avait donc urgence et que les agissements des sociétés Buro Ouest et Simouest étaient de plus manifestement illicites, car résultant de la violation délibérée d'une obligation contractuelle qu'elles reconnaissent pourtant avoir signée et acceptée.

Les sociétés Buro Ouest et Simouest ont été autorisées à relever appel à jour fixe de cette décision.

Elles ont demandé de constater :

- qu'elles ont été contraintes du fait de l'inertie du franchiseur et de son comportement fautif de considérer comme contractuellement acquise la résiliation du contrat de franchise,

- le caractère fautif de la résiliation est à la charge de la société BV D,

- l'absence de démonstration de l'existence d'un savoir-faire ou d'un secret de fabrication justifiant la protection d'une clause de non-concurrence,

- l'impossibilité de conserver l'activité antérieure indépendamment d'une affiliation à un réseau, compte tenu de la taille des magasins qui les apparentent à des supermarchés, étant rappelée que Buro Ouest emploie 17 salariés et Simouest 6,

- l'atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie par la clause de non-concurrence figurant aux contrats de franchise,

- la disproportion entre les effets de la clause et la protection d'un intérêt légitime pour BV D qui ne cherche qu'à s'approprier la clientèle qu'elles ont développée,

- la prohibition communautaire de ces clauses,

- le fait que BV D a saisi le juge du fond d'une indemnisation au demeurant prévue par le contrat,

- l'existence de contestations sérieuses et l'absence de trouble manifestement illicite,

- le fait que BV D refuse de communiquer les documents concernant les ristournes et les remises en fin d'exercice et de verser les sommes dues au titre des remises et ristournes effectuées par les fournisseurs en fin d'année notamment 2005 et 2006.

Elles demandent :

- d'infirmer ou de réformer la décision,

- de débouter BV D de toutes ses demandes,

- de produire sous astreinte tous les documents contractuels passés entre BV D et les fournisseurs de Simouest et Buro Ouest de 1998 à 2006,

- de verser une provision de 20 000 euro à valoir sur les ristournes et les remises, ainsi qu'une somme de 67 000 euro au même titre, outre 2 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elles indiquent que sous couvert d'une évolution de son concept la société BV D a modifié sa politique commerciale en accentuant l'orientation " hard discount ", avec une augmentation du chiffre d'affaires mais une baisse des marges, qui pénalisait le franchisé entraînant de nombreuses déconfitures et fermetures de magasins repris directement par BV D.

Elles soutiennent s'être trouvées en difficulté du fait de la politique de discount agressif du franchiseur qui bénéficiait seul de l'augmentation de ses redevances calculées sur les chiffres d'affaires.

Elles concluent à la nullité de la clause de non-concurrence, disproportionnée, dont le seul but est la volonté d'écrasement économique de la part de l'intimée puisqu'il ne s'agit nullement de protéger un quelconque savoir-faire puisque la société BV D a une simple fonction de centrale de référencement ou d'achat, matérialisé par un outil informatique répertoriant les prix et s'apparentant plus à un outil de contrôle des franchisés. Elles rappellent que Top Office est une émanation d'Auchan groupe dans lequel travaillait le dirigeant de BV D, Monsieur Peyrole, de telle sorte que Top Office n'a rien à apprendre de BV D.

Elles précisent que l'astreinte prononcée est d'un montant égal à 15 fois le résultat d'exploitation puisque celui-ci pour Simouest est de 67,28 euro par jour, de telle sorte qu'en cas de confirmation, elles n'auraient plus qu'à déposer le bilan.

La société DV D a conclu à la confirmation de l'ordonnance entreprise et réclamé une somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle rappelle que la clause de non-affiliation est licite dans la mesure où elle est limitée dans le temps, l'espace et les effets, n'ayant pour but que de protéger le savoir-faire transmis aux franchisés.

Elle précise que la Cour de cassation a admis qu'un franchiseur peut en référé solliciter la dépose d'une enseigne concurrente en violation des dispositions contractuelles claires, alors surtout que la clause litigieuse restreint mais n'interdit pas l'exercice de l'ancienne activité et qu'elle est limitée dans le temps et l'espace.

Elle rappelle que l'article 26.1 n'édicte qu'une faculté pour le franchiseur et non une obligation.

Elle insiste sur l'urgence et le trouble manifestement illicite et conclut au débouté des demandes formées par les appelantes qui sollicitent la production de documents qu'elles s'empresseront de faire connaître à leur nouveau franchiseur Top Office.

Motifs de l'arrêt

Considérant préalablement qu'il convient de joindre les instances enrôlées sous les numéros 06-7909 et 06-8482 afin de les juger ensemble pour une bonne administration de la justice ;

Considérant que le juge des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Considérant que le trouble manifestement illicite ouvrant les pouvoirs du juge des référés n'est pas en l'espèce caractérisé ; qu'en effet la licéité de la clause de non-concurrence ou de non-affiliation n'apparaît pas avec l'évidence requise devant la juridiction des référés, dans la mesure où elle est surtout destinée à protéger les intérêts du franchiseur dont le " savoir-faire ", c'est-à-dire l'avantage économique apporté en raison de son originalité n'est pas établi avec certitude même si les " bibles du savoir-faire" ont été produites aux débats ; qu'on rappellera que malgré l'allégation d'un savoir-faire original, - dont la réalité ne ressort pas de la lecture des bibles qui se bornent à présenter des conseils de gestion connus relativement à l'ouverture, aux produits et à l'ambiance - les magasins franchisés de Carcassonne, Cambray, Auxerre, et Orléans ont été repris et intégrés par BV D alors que ceux de Reims et Saint-Etienne ont dû être fermés ;

Qu'outre les limitations habituelles dans l'espace et dans le temps, la licéité d'une cause de non-concurrence ou de non-affiliation est subordonnée au caractère proportionné par rapport à la fonction qu'elle remplit ; que si les deux premières conditions sont en l'espèce remplies, la troisième ne l'est pas de manière évidente puisqu'il n'est pas établi que la clause soit proportionnelle à la sauvegarde des intérêts légitimes du franchiseur ; que la possibilité pour le franchisé d'exercer son activité de façon indépendante de tout réseau apparaît en l'espèce purement formelle compte tenu de l'importance des magasins tant sur le plan de leur taille que du nombre de salariés qu'ils emploient ;

Considérant que le dommage imminent qui aurait été causé à la société BV D n'est pas plus établi, celle-ci apparaissant être surtout une centrale de référencement négociant en gros des prix pour les membres du réseau par l'utilisation d'un outil informatique "Robinson" répertoriant les prix en question, dont le fonctionnement avait d'ailleurs été critiqué dans les courriers précités émanant des franchisés ; qu'encore et surtout, la société BV D ne possède pas en l'état de magasin franchisé ou en exploitation directe dans les régions concernées, de telle sorte que le préjudice économique dont elle excipe n'est pas justifié ;

Qu'il convient en conséquence, en infirmant la décision entreprise de débouter la société BV D de toutes ses demandes ;

Considérant sur les demandes reconventionnelles présentées par les appelantes que les demandes de provision se heurtent à des contestations sérieuses et ressortent du litige pendant au fond qui concerne justement des comptes à faire entre les parties ; que les injonctions à fin de production de pièces sollicitées le seront utilement devant le juge de la mise en état dans le cadre du débat de fond sur les comptes ;

Qu'il convient de débouter les appelantes de leurs demandes reconventionnelles ;

Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des appelantes les frais non compris dans les dépens et qu'il y a lieu de les débouter de leur demande formée en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que compte tenu des circonstances, il convient de dire que chaque partie conservera ses dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort, Joint les instances enrôlées sous les numéros 06-7909 et 06-8482, Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise, Déboute la société DV D de toutes ses demandes et les sociétés Buro Ouest et Simouest de toutes leurs demandes reconventionnelles, Dit que chaque partie conservera ses dépens.