CA Paris, 4e ch. A, 14 février 2007, n° 06-09813
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Beauté Prestige International (SA)
Défendeur :
Senteur Mazal (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carré-Pierrat
Conseillers :
Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
SCP Narrat-Peytavi, Me Teytaud
Avocats :
Mes Bessis, Diez
LA COUR,
Vu l'appel interjeté le 31 mai 2006, par la société Beauté Prestige International d'un jugement rendu le 23 mai 2006 par le Tribunal de grande instance de Bobigny qui a :
- dit que la société Senteur Mazal, en vendant le produit J. P L'Homme et le produit Inmate for men s'est rendue coupable de contrefaçon des droits d'auteur dont la société Beauté Prestige International est titulaire sur le jus de l'eau de toilette Jean-Paul Gaultier "Le Mâle", et ce, par infraction aux articles L. 111-1 et L. 333-2 du Code de la propriété intellectuelle,
- dit que la société Senteur Mazal s'est rendue coupable de concurrence parasitaire,
- fait interdiction à la société Senteur Mazal sous astreinte de 150 euro par infraction constatée de détenir, d'offrir à la vente ou de vendre des produits contrefaisants les jus de parfums de la société Beauté Prestige International,
- ordonné la confiscation de l'intégralité des jus de parfums contrefaisants, J. P L'Homme et Inmate for men et leur remise à la société Beaute Prestige International aux fins de destruction,
- condamné la société Senteur Mazal à payer à la société Beauté Prestige International la somme de 28 000 euro à titre de dommages et intérêts,
- ordonné la publication du jugement par extraits dans trois journaux ou magazines du choix de la demanderesse sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser 3 000 euro,
- condamné la société Senteur Mazal à payer à la société Beauté Prestige International la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures en date du 7 décembre 2006, par lesquelles la société Beauté Prestige International demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- dit que la société Senteur Mazal en vendant le produit J. P L'Homme et le produit Inmate for men s'est rendue coupable de contrefaçon des droits d'auteur dont la société Beauté Prestige International est titulaire sur le jus de l'eau de toilette Jean-Paul Gaultier "le mâle", et ce, par infraction aux articles L. 111-1 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle,
- fait interdiction à la société Senteur Mazal sous astreinte de 150 euro par infraction constatée de détenir, d'offrir à la vente ou de vendre des produits contrefaisants les jus de parfums de la société Beauté Prestige International,
- ordonné la confiscation de l'intégralité des jus de parfums contrefaisants, J. P L'Homme et Inmate for men et leur remise à la société Beauté Prestige International aux fins de destruction,
- condamné la société Senteur Mazal à payer à la société Beauté Prestige International la somme de 28 000 euro à titre de dommages et intérêts,
- ordonné la publication du jugement par extraits dans trois journaux ou magazines du choix de la demanderesse sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser 3 000 euro,
- condamné la société Senteur Mazal à payer à la société Beauté Prestige International la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- le réformer pour le surplus et statuant à nouveau :
- dire que la société Senteur Mazal s'est rendue coupable de contrefaçon de droit d'auteur dont elle est titulaire sur le flacon "Le mâle",
- dire qu'elle s'est rendue coupable de contrefaçon de marques figuratives françaises n° 95564538, n° 95587225 et n° 92440946,
- dire qu'elle a porté atteinte à ses droits sur le modèle déposé n° 942417,
- dire qu'en vendant le produit J. P L'Homme, elle s'est rendue coupable de contrefaçon de droits d'auteur dont elle est titulaire sur le jus de l'eau de toilette Jean-Paul Gaultier "Le mâle",
- dire qu'elle s'est rendue coupable de contrefaçon de droits d'auteur dont elle est titulaire sur le flacon "Classique",
- dire qu'elle s'est rendue coupable de contrefaçon de la marque figurative française n° 92440690,
- à titre subsidiaire, si la Cour estimait que ces actes ne constituent pas des faits de contrefaçon, dire qu'ils constituent des actes de concurrence déloyale distincts,
- en tout état de cause :
- faire interdiction à la société Senteur Mazal sous astreinte définitive de 2 000 euro par infraction constatée de détenir, d'offrir en vente, de vendre des produits contrefaisants ses marques, ses droits d'auteur, ses dessins et modèles,
- ordonner la confiscation de l'intégralité des produits contrefaisants et leur remise aux fins de destruction,
- condamner la société Senteur Mazal au paiement des sommes supplémentaires suivantes :
- 161 184 euro au titre de la réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon de droits d'auteur, de marques et de modèle ou à titre subsidiaire sur le fondement de la concurrence déloyale,
- 150 000 euro compte tenu des actes distincts de concurrence déloyale,
- ordonner la parution du jugement à intervenir dans cinq journaux ou magazines aux frais de la société Senteur Mazal dans une limite de 6 000 euro HT par insertion,
- débouter la société Senteur Mazal de ses demandes,
- condamner la société Senteur Mazal au paiement d'une somme de 20 000 euro au titre des frais irrépétibles ;
Vu les dernières écritures en date du 28 novembre 2006, aux termes desquelles la société Senteur Mazal, Maître Frédéric Brunet ès qualités d'administrateur judiciaire et Maître Jacques Bertrand ès qualités de représentant des créanciers formant appel incident, prient la cour de :
- confirmer la décision entreprise quant à l'absence de contrefaçon et de modèle,
- infirmer cette décision quant à l'existence d'actes de contrefaçon du jus Jean-Paul Gaultier,
- l'infirmer quant à l'existence d'actes de parasitisme économique,
- à titre subsidiaire, dire que la société Beauté Prestige International n'apporte pas le moindre élément susceptible de prouver son préjudice,
- reconventionnellement :
- prononcer la déchéance des droits de la société Beauté Prestige International sur les marques n° 95587225, 92440946 et 95564538 pour les produits et services visés à défaut de justification de preuves d'exploitation,
- condamner la société Beauté Prestige International au paiement de la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de la somme de 7 000 euro au titre des frais irrépétibles ;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :
- la société Beauté Prestige International est titulaire d'un modèle de flacon déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 25 avril 1994, sous le n° 942417, en forme d'un tronc masculin, sans bras, de couleur bleue, surmonté d'un bouchon cylindrique en métal, qu'elle a créé et qu'elle commercialise depuis le 23 septembre 1995,
- elle est également titulaire de deux marques tridimensionnelles figuratives, la première déposée à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 25 mars 1995, enregistrée sous le n° 95564538 en classes 3, 18 et 25, représentant un flacon en forme de tronc masculin, sans bras, de couleur bleutée, comportant une pompe, la seconde déposée le 7 septembre 1995, enregistrée sous le n° 95587225 en classes 3, 18 et 25 représentant le même flacon, comportant un bouchon cylindrique métallique et dont la partie supérieure du tronc est rayée de bandes blanches,
- ce flacon est exploité pour la commercialisation d'une eau de toilette pour homme Jean Paul Gaultier, dénommée "Le mâle",
- la société Beauté Prestige International est également titulaire d'une marque figurative tridimensionnelle déposée à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 6 novembre 1992, enregistrée sous le n° 92440946, représentant un emballage métallique en forme de boîte cylindrique ayant deux séries de godrons,
- cette société commercialise un parfum de Jean-Paul Gaultier pour femmes dénommé "Classique" dont la forme du flacon a été déposée à titre de marque tridimensionnelle le 5 novembre 1992, enregistrée sous le n° 92440690, évoquant un corps féminin, en partie translucide ou transparent, légèrement teinté rose, dont le bouchon est argenté,
- avisée de la retenue douanière de flacons de parfum présentant des ressemblances avec les produits qu'elle commercialise, la société Beauté Prestige International dûment autorisée par ordonnance présidentielle, a fait procéder le 2 juin 2005 à une saisie contrefaçon dans les locaux de la société Senteur Mazal spécialisée dans la commercialisation de produits cosmétiques,
- ces opérations ont révélé l'achat de 161 flacons J. P L'Homme, de 720 flacons Inmate for men et Inmate for woman litigieux,
- dans ces circonstances, la société Beaute Prestige International a assigné la société Senteur Mazal devant le Tribunal de grande instance de Bobigny en contrefaçon et en concurrence déloyale ;
Sur la déchéance des droits de la société Beauté Prestige International sur les marques n° 95587225, 95564538 et 92440946 :
Considérant que la société Senteur Mazal sollicite, au visa de l'article L. 7 14-5 du Code de la propriété intellectuelle, la déchéance des droits de la société Beauté Prestige International sur les marques n° 95587225, 95564538 et 92440946 ;
Mais considérant que la société Beauté Prestige International verse aux débats un dossier presse très complet, de nombreuses attestations comptables démontrant l'existence et la persistance de l'exploitation de ses marques pour désigner de manière continue depuis 1995, le flaconnage du parfum Jean-Paul Gaultier "Le mâle" en forme de tronc masculin et son emballage constitué d'une boîte cylindrique métallique ;
Que la déchéance des droits de la société Beauté Prestige International n'est pas encourue ;
Sur la contrefaçon de marques :
Considérant que pour s'opposer au grief de contrefaçon de marques, au visa de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, la société Senteur Mazal soutient qu'au regard des critères pertinents en l'espèce et des nombreuses différences substantielles entre les signes incriminés, tant de la forme générale, que des couleurs ou des détails de présentation et partant d'une appréciation globale, il n'existe aucun risque de confusion dans l'esprit du public ;
Sur les marques n° 95564538 et 95587225:
Considérant que la société Beauté Prestige International a déposé deux marques tridimensionnelles en couleurs, les 24 mars et 7 septembre 1995, sous les n° 95564538 et 95587225, la première représentant un flacon en verre translucide en forme de tronc masculin, fortement musclé, sans bras, de couleur bleutée, surmonté d'une pompe, la seconde présentant ce flacon muni d'un bouchon cylindrique et orné de bandes horizontales en verre dépoli sur le buste ;
Considérant que les flacons contestés J. P L'Homme et Inmate for men ne constituant pas la reproduction à l'identique de ces deux marques, il convient de rechercher s'il existe entre eux un risque de confusion visuel ou conceptuel au terme d'une appréciation globale fondée sur l'impression d'ensemble produite, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants ;
Que l'appréciation du risque de confusion dépend d'une part, du caractère distinctif de la marque première, élevé intrinsèquement, soit en raison de sa connaissance sur le marché, de l'intensité et de sa durée d'usage et d'autre part, de la similitude entre la marque et le signe contesté, l'identité ou la similitude entre les produits désignés ;
Qu'en l'espèce, il est démontré par les nombreux extraits de presse versés aux débats et non contesté que la connaissance du flacon revendiqué, déposé à titre de marques, auprès de la clientèle concerné, conduit immédiatement le consommateur à l'associer au parfum Le mâle de Jean-Paul Gaultier ;
Qu'il est constant que les produits de parfumerie sont identiques ;
Considérant que les flacons incriminés reproduisent les caractères essentiels des deux marques tridimensionnelles, à savoir, un buste d'homme en couleur, sans bras, et particulièrement musclé, de sorte que se dégage des conditionnements la même impression d'ensemble; que le consommateur pourra se méprendre sur l'origine de ce flacon ;
Que les différences insignifiantes liées à la courbure des hanches, au renflement des pectoraux, à la couleur du flacon, à l'absence de pompe et de bandes blanches, la présence d'un trépied sur les conditionnement litigieux, passent inaperçues aux yeux d'un consommateur moyennement attentif, qui sera conduit à considérer que les flacons J. P L'Homme et Inmate for men proviennent de la même entreprise et sont une déclinaison des flacons Le Mâle déposés à titre de marques, de sorte que les faits de contrefaçon sont caractérisés, peu important ainsi que le soutient la société Senteur Mazal que les circuits de distribution seraient différents ;
Sur la marque n° 92440690 :
Considérant que la marque figurative tridimensionnelle n° 92440690, déposée en couleur rose, représente un flacon en partie transparent ou légèrement translucide, surmonté d'un bouchon argent, évoquant un buste féminin, revêtu d'un étroit bustier, sans bras, avec une poitrine opulente, une taille fine et des hanches marquées ;
Considérant qu'au regard des principes précédemment rappelés, il convient de relever que le flacon Inmate for women reproduit les caractéristiques essentielles de la marque tridimensionnelle notamment un buste sans bras, la forme opulente de la poitrine, celle marquée des hanches, le bouchon métallique;
Que les différences tenant à la couleur du flacon, à la musculature des épaules, du ventre, la nudité de la poitrine, la présence d'un trépied sur le flacon second, n'affectent pas l'impression d'ensemble qui se dégage des deux conditionnements, dès lors que la forme du corps féminin qu'ils évoquent est suggérée dans les mêmes proportions, de sorte qu'en dépit de la différence inopérante des circuits de distribution, le consommateur moyennement attentif sera enclin à leur attribuer une origine commune ;
Que les faits de contrefaçon de marque sont caractérisés ;
Sur la marque n° 92440946 :
Considérant que cette marque tridimensionnelle représente une boîte métallique cylindrique comportant deux séries de godrons situées en haut et en bas de l'emballage ;
Que le flacon J. P L'Homme est commercialisé par la société Senteur Mazal dans un emballage cylindrique avec des séries de godrons, de sorte qu'il constitue la contrefaçon par imitation de la marque n° 92440946, dès lors qu'au vu de l'impression d'ensemble résultant de la similitude visuelle des conditionnements en présence, il existe un risque de confusion dans l'esprit du public qui sera conduit à leur attribuer une origine commune ;
Que la décision entreprise qui a rejeté le grief de contrefaçon de marques sera réformée ;
Sur la contrefaçon de droits d'auteur et de modèle:
Sur le flacon "Le Mâle" :
Considérant que la société Beauté Prestige International caractérise son modèle de flacon par sa forme stylisée de tronc masculin, à la musculature saillante, sans bras, de couleur bleutée, surmonté d'un bouchon cylindrique en métal ;
Que ce modèle a été déposé en couleurs à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 25 avril 1994 sous le n° 942417 ;
Considérant que la société Beauté Prestige International sollicite la nullité de ce dépôt faisant valoir que ce modèle, qui appartient à un genre, ne présente aucun caractère nouveau ou propre, étant antériorisé par des sculptures de bustes, et par divers modèles de flacons dont Shocking créé par Elsa Schiaparelli en 1937, Héros commercialisé depuis 1994/1995 par la société Uomo Parfums, Rocky Man de Jeanne Arthes, Cyrus for man proposé par la société Pagnaccos, Read Heat, Sensible Men, Orphée de Pierre Cardin ;
Considérant, étant observé que la société Beauté Prestige International ne revendique pas la protection d'un genre, mais la combinaison d'éléments caractéristiques composant son modèle, pour bénéficier de la protection spécifique instaurée par le livre V du Code de la propriété intellectuelle, il convient de rechercher si le modèle en cause est nouveau, c'est-à-dire s'il ne peut lui être opposé d'antériorité de toute pièce, et s'il possède un caractère propre résultant d'une impression globale différente des modèles divulgués antérieurement ;
Que le flacon commercialisé par la société Schiaparelli, dénommé "Shocking", créé en 1930, représentant un buste épuré, sans bras, dont les proportions s'apparentent à celle du mannequin utilisé par les couturières, ne présente pas les caractéristiques du flacon Le Mâle, à savoir un buste masculin particulièrement musclé:
Qu'il n'est pas contesté que les flacons "Le Héros", "Rocky man", " Cyrius ", " Odena ", " Orphée ", " Sensiblement Men " ont été créés postérieurement au dépôt du modèle de la société Beauté Prestige International;
Que par voie de conséquence, aucun document versé aux débats ne constitue une antériorité de toute pièce susceptible de détruire la nouveauté de la combinaison revendiquée laquelle n'est pas reproduite dans toutes ses composantes; que le modèle de la société Beauté Prestige International, répondant ainsi au caractère de nouveauté et présentant un caractère propre, est protégeable au sens du Livre V du Code de la propriété intellectuelle;
Que de sorte, la demande en nullité de ce modèle formée par la société Senteur Mazal sera rejetée ;
Considérant en outre que le modèle, dont la banalité n'est pas établie, est par sa forme spécifique de buste masculin stylisé, sans bras, à la musculature saillante, surmonté d'un bouchon cylindrique argenté, adoptant une couleur bleue, le résultat d'un processus créatif qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et bénéfice également de la protection instaurée par le Livre 1er du Code de la propriété intellectuelle ;
Considérant qu'il résulte de l'examen des flacons en présence, auquel la Cour a procédé que les flacons J. P L'Homme et Inmate for men reproduisent les caractéristiques originales du modèle "Le Mâle" en ce qu'ils représentent un buste masculin, à la musculature proéminente, sans bras, surmonté d'un bouchon de forme cylindrique ;
Que les différences mineures tenant notamment au matériau, à la couleur du flacon, à la coupe à hauteur de taille des flacons litigieux n'affectent pas la ressemblance visuelle qui se dégage des conditionnements et sont sans effet sur la contrefaçon laquelle s'apprécie par un examen d'ensemble et non par une analyse de détails isolés; que de sorte, le consommateur moyennement attentif sera enclin à attribuer aux deux flacons une origine commune ;
Qu'il s'ensuit que la décision déférée sera réformée sur ce point ;
Sur le flacon "Classique" :
Considérant que la société Senteur Mazal reproche à la société Beauté Prestige International sa volonté monopolistique d'interdire à quiconque de commercialiser une eau de toilette dès lors que le contenant serait constitué d'un buste de femme, forme déjà adoptée par les dessinateurs des années "40" afin de représenter des nymphettes ou vamps à l'époque ;
Mais considérant que la société Beauté Prestige International, qui ne revendique aucun monopole sur ce concept, fait justement valoir qu'il est arbitraire de représenter un flacon de parfum en forme de buste féminin sans bras comportant une poitrine opulente et un bouchon en forme cylindrique;
Que le buste du flacon Shocking de Elsa Schiaparelli n'est que la représentation de celui d'un mannequin utilisé par les couturières et ne présente pas les caractéristiques revendiquées par la société Beauté Prestige International, a savoir un buste féminin, revêtu d'un étroit bustier, sans bras, avec une poitrine opulente, une taille fine et des hanches marquées ;
Considérant que les caractéristiques du flacon, dans la déclinaison qui en est faite, procèdent d'un parti-pris esthétique qui traduit une démarche créative portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur, de sorte qu'il est protégeable par le droit d'auteur ;
Considérant que l'examen des flacons en présence auquel la cour s'est livrée révèle que le flacon Inmate for women reproduit les caractéristiques essentielles du flacon original de la société Beauté Prestige International notamment un buste sans bras, la forme opulente de la poitrine, celle marquée des hanches, le bouchon métallique ;
Que les différences liées au matériau, la présence d'un biseau et d'un socle, la hauteur de la coupe du buste, n'affectent pas la contrefaçon laquelle s'apprécie par un examen d'ensemble et non par une analyse de détails, de sorte que les flacons incriminés contrefont le modèle " Classique " et portent atteinte aux droits d'auteur dont est investie la société Beauté Prestige International ;
Sur la protection et la contrefaçon de la fragrance par le droit d'auteur :
Considérant que la société Beauté Prestige International, qui revendique la protection de la fragrance du parfum Le Mâle par le droit d'auteur, sollicite la confirmation de la décision entreprise qui a retenu qu'en mettant sur le marché les jus de toilette L'Homme et Inmate for men, la société Senteur Mazal a porté atteinte à ses droits ;
Que la société Senteur Mazal oppose que la fragrance d'un parfum, qui procède de la simple mise en œuvre d'un savoir-faire, ne constitue par la forme d'expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l'esprit par le droit d'auteur ;
Mais considérant, d'une part, que l'article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle ne dresse pas une liste exhaustive des œuvres éligibles au titre du droit d'auteur et n'exclut pas celles perceptibles par l'odorat ; qu'en outre, aux termes de l'article L. 112-1 du même Code, sont protégées les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ;
Considérant, d'autre part' que la fixation de l'œuvre ne constitue pas un critère exigé pour accéder à la protection dès lors que sa forme est perceptible ; qu'une fragrance, dont la composition olfactive est déterminable, remplit cette condition, peu important qu'elle soit différemment perçue, à l'instar des œuvres littéraires, picturales ou musicales qui, elles aussi, requièrent un savoir-faire ;
Que l'existence de familles de parfums n'exclut pas que les fragrances qui s'y rattachent, par l'emprunt de leurs composants dominants, soient protégeables, dès lors qu'elles sont le fruit d'une combinaison inédite d'essences dans des proportions telles que leurs effluves, par les notes olfactives finales qui s'en dégagent, traduisent l'apport créatif;
Qu'un parfum est donc susceptible de constituer une œuvre de l'esprit protégeable au titre du livre I du Code de la propriété intellectuelle, dès lors que, portant l'empreinte de la personnalité de son auteur, il est original;
Considérant qu'en l'espèce, la société Beauté Prestige International verse aux débats une analyse du parfum "Le Mâle" effectuée par les laboratoires de la société Shiseido fournissant la liste des composants olfactifs de chacune des fragrances revendiquées, lavande, musc, lyrial, vanilline, coumarine;
Que la société intimée ne produit aux débats aucun élément, voire une analyse une analyse chromatographique, pour démontrer que la fragrance du produit invoqué par la société Beauté Prestige International serait banale et appartiendrait à l'univers du parfum, sans pouvoir identifier une composition olfactive appropriable;
Qu'il s'ensuit que la fragrance commercialisée sous la dénomination Le Mâle identifiable par son architecture olfactive, doit bénéficier de la protection par le droit d'auteur ;
Considérant qu'aux termes de l'analyse par chromatographique en phase gazeuse des eaux de toilette en présence Le Mâle et Inmate for men, effectuée par les laboratoires de la société Shiseido, qui ont procédé à l'analyse sensorielle et physico-chimique se retrouvent dans les deux jus ;
Que Jean-Pol Launois, Directeur Général de cette société, atteste que les résultats de cette analyse montrent de très importantes et nombreuses similitudes entre le produit Inmate for men et l'eau de toilette Le Mâle et une fragrance très similaire ; qu'il en conclut à un risque notable de confusion pour un client potentiel;
Qu'il en de même, pour l'analyse chromatographique de l'eau de toilette J. P L'Homme qui révèle la présence commune de 66 % des composants caractéristiques du jus Le Mâle, de sorte que Jean-Pol Launois atteste que la fragrance du produit J. P L'Homme est similaire à un jus dans les notes de tête et de fond, de sorte qu'il existe un risque notable de confusion pour un client potentiel averti ou non ;
Considérant que le choix de ces composants communs ne saurait être fortuit ;
Considérant par voie de conséquence, qu'en important et en commercialisant ces deux parfums litigieux sur le marché français, la société Senteur Mazal a porté atteinte aux droits d'auteur dont la société Beauté Prestige International est investie sur cette fragrance ;
Que la décision entreprise sera sur ce point confirmée ;
Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
Considérant que la société Beauté Prestige International reproche à la société Senteur Mazal des actes de concurrence déloyale et des agissements parasitaires ;
Considérant qu'elle prétend que la société Senteur Mazal a commis des actes de concurrence déloyale en commercialisant une copie servile des produits, à un prix nettement inférieur ;
Mais considérant que si ce grief est susceptible d'aggraver le préjudice résultant de la contrefaçon laquelle se définit comme la reproduction intégrale ou partielle de l'œuvre sans l'autorisation de son auteur, il ne constitue pas des faits distincts de concurrence déloyale, dès lors qu'il n'est pas démontré que les prix pratiqués seraient abusivement bas ou que les ventes seraient réalisées à perte ;
Considérant en revanche, que la société Beauté Prestige International est fondée à reprocher à la société Senteur Mazal d'avoir procédé à la commercialisation de deux eaux de toilette de la collection Jean-Paul Gaultier destinés à la fois à une clientèle masculine et à une clientèle féminine, créant ainsi un effet de gamme de nature à aggraver un risque de confusion dans l'esprit d'un consommateur d'attention moyenne;
Considérant par ailleurs que la société Beauté Prestige International est fondée à prétendre que la société Senteur Mazal s'est efforcée à tirer profit de ses investissements, notamment promotionnels et de la notoriété particulière de ses produits ;
Considérant en droit, que le parasitisme est caractérisé par la circonstance selon laquelle une personne, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel fruit d'un savoir faire, d'un travail intellectuel et d'investissements ;
Que la société Beauté Prestige International justifie l'importance des dépenses publicitaires consacrées depuis 1996 jusqu'en 2004, à la promotion des parfums Jean-Paul Gaultier Le Mâle et Classique, dont la notoriété n'est pas démentie ;
Qu'en l'espèce, il s'avère que la société Senteur Mazal a manifestement cherché, par la commercialisation d'eaux de toilette présentés comme équivalents, à se placer dans le sillage de la société Beauté Prestige International, en s'appropriant à moindre frais les investissements financiers engages par la société Beauté Prestige International pour concevoir les fragrances, les conditionnements et pour promouvoir les produits de parfumerie ;
Qu'en effet, il résulte d'une part, du constat dressé par l'APP le 20 septembre 2005, qu'en recherchant le nom du produit Jean-Paul Gaultier sur le site internet eBay, l'internaute est conduit à la vente du parfum Inmate for Men, proposé avec les mentions "style Gaultier", "dans le style Gaultier" et d'autre part, du constat dressé par l'APP le 5 décembre 2006, que le parfum J. P L'Homme est vendu sur d'autres sites Internet comme une fragrance inspirée de l'eau de toilette originale "Mâle" Jean-Paul Gaultier, au prix de 7 euro au lieu de 40 à 60 euro ;
Qu'il ressort d'un autre constat de l'APP du 9 février 2005, que le produit Inmate for women est vendu sur Internet comme un équivalent de l'eau de toilette Jean-Paul Gaultier "Classique " ;
Qu'il convient de relever que le produit J. P L'Homme évoque le nom de Jean-Paul Gaultier et la dénomination du parfum Le Mâle ;
Considérant qu'il ressort à l'évidence de ces éléments, dès lors que la société Senteur Mazal exerce une activité de grossiste en parfumerie, que celle-ci a manifesté sa volonté de se placer dans le sillage de la société Beauté Prestige International et de tirer profit des investissements commerciaux ainsi que la notoriété particulière des parfums Jean-Paul Gaultier, de sorte que les agissements parasitaires sont caractérisés :
Que la décision déférée sera, sur ce point, confirmée ;
Sur les mesures réparatrices
Considérant que les opérations de saisie contrefaçon ont révélé la mise sur le marché par la société Beauté Prestige International de 881 produits contrefaisants ;
Considérant que la mise sur le marché des produits contrefaisants, commercialisés à moindre prix, dans une qualité médiocre, a nécessairement porté atteinte à la renommée attachée à la fragrance contrefaite, à la valeur patrimoniale et au pouvoir attractif dont jouissent le modèle et les marques de la société Beauté Prestige International ;
Qu'il s'infère des actes déloyaux et parasitaires constatés l'existence d'un trouble commercial pour la société Beauté Prestige International ;
Considérant que, pour mettre finaux actes illicites, il convient d'interdire à Maitre Frédéric Brunet ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Senteur Mazal de commercialiser des produits contrefaisants les marques, droits d'auteur et le modèle de la société Beauté Prestige International, sous astreinte précisée au dispositif du présent arrêt ;
Qu'il sera également fait droit à la demande de confiscation, selon les modalités précisées au dispositif ;
Que la mesure de publication ordonnée par le tribunal sera confirmée, sauf à faire mention du présent arrêt ;
Considérant que selon l'article L. 621-40 du Code de commerce, le jugement d'ouverture suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
Qu'en raison de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la société Senteur Mazal aucune demande en paiement ne peut prospérer à son encontre ;
Qu'au vu de ce qui précède, il convient d'évaluer les indemnités qui serviront de base à la fixation des créances de la société Beauté Prestige International aux :
- 150 000 euro en réparation du préjudice subi par les actes de contrefaçon,
- 100 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes déloyaux,
- 9 000 euro au titre des publications ordonnées,
- 3 000 euro au titre des frais irrépétibles de première instance ;
Sur les autres demandes :
Considérant que la solution du litige commande de rejeter la demande reconventionnelle en dommages et intérêts formée par la société Senteur Mazal, représentée par Maître Fréderic Brunet, pour procédure abusive ;
Considérant que la créance des dépens et des frais au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile mise à la charge du débiteur trouve son origine dans la décision qui statue sur leur sort et entre dans les prévisions de l'article L. 621-32 lorsque cette décision est postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective ;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société Beauté Prestige International ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme complémentaire de 10 000 euro, mise à la charge de Maître Frédéric Brunet ès qualités ; que la société Senteur Mazal, représentée par cet administrateur judiciaire, qui succombe en ses prétentions doit être déboutée de sa demande formée sur ce même fondement ;
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- dit que la société Senteur Mazal en vendant le produit J. P L'Homme et le produit Inmate for Men s'est rendue coupable de contrefaçon de droits d'auteur dont la société Beauté Prestige International est titulaire sur le jus de l'eau de toilette Jean-Paul Gaultier "Le Mâle",
- dit que la société Senteur Mazal s'est rendue coupable d'agissements parasitaires,
- ordonné la publication du jugement dans trois journaux ou magazines sans que le coût de chaque insertion ne puisse dépasser la somme de 3 000 euro,
Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau :
Dit qu'en commercialisant les flacons d'eau de toilette J. P L'Homme, Inmate for men, Inmate for women, la société Senteur Mazal a commis des actes de contrefaçon des marques n° 95564538, n° 95587225, n° 9244069O et n° 92440946, dont la société Beauté Prestige International est titulaire,
Dit qu'en commercialisant les flacons d'eau de toilette J. P L'Homme, Inmate for Men, la société Senteur Mazal a commis des actes de contrefaçon du modèle n09424l7 et porté atteinte aux droits d'auteur dont la société Beauté Prestige International est titulaire sur le flacon dénommé " Le Mâle ",
Dit qu'en commercialisant le flacon d'eau de toilette Inmate for women, la société Senteur Mazal a porté atteinte aux droits d'auteur dont la société Beauté Prestige International est titulaire sur le flacon dénommé " Classique ",
Dit que la société Senteur Mazal s'est rendue coupabIe d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société Beauté Prestige International,
Fait interdiction à Maître Frédéric Brunet, administrateur judiciaire de la société Senteur Mazal, sous astreinte de 150 euro par infraction constatée, de détenir, d'offrir en vente, de vendre des produits contrefaisants les marques, les droits d'auteur et le modèle de la société Beauté Prestige International,
Ordonne la confiscation de l'intégralité des produits contrefaisants et leur remise à la société Beauté Prestige International aux fins de destruction,
Fixe la créance de la société Beauté Prestige International au redressement judiciaire de la société Senteur Mazal aux sommes suivantes :
- 150 000 euro en réparation du préjudice subi par les actes de contrefaçon,
- 100 000 euro en réparation du préjudice subi par les actes de concurrence déloyale et parasitaire,
- 9 000 euro au titre des publications ordonnées par le tribunal,
- 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour la procédure de première instance,
Y ajoutant,
Dit que la mesure de publication ordonnée par le tribunal devra faire mention du présent arrêt,
Condamne Maître Frédéric Brunet ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Senteur Mazal à payer à la société Beauté Prestige International la somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne Maître Frédéric Brunet, ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Senteur Mazal, aux dépens d'appel qui seront employés en frais privilégiés de redressement judiciaire et pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.