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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 5 février 2008, n° 06-05969

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SO.GO.Bois (SARL)

Défendeur :

Seguin Moreau (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bougon

Conseillers :

MM. Ors, Legras

Avoués :

SCP Taillard & Janoueix, SCP Fournier

Avocats :

Mes Prunières-Le-Moigne, d'Harcourt

T. com. Cognac, du 13 oct. 2006

13 octobre 2006

La société SO.GO.Bois fabrique et commercialise des merrains et fournit notamment depuis 1988 la société Seguin Moreau. Le 22 juin 2005, à l'occasion d'une livraison, le gérant de la société SO.GO.Bois aurait tenu des propos à connotation raciste envers un personnel de la société Seguin Moreau. Par courrier du 23 juin 2005, le lendemain de l'incident, la société Seguin Moreau signifie à la société SO.GO.Bois la rupture immédiate des relations contractuelles. Considérant qu'il s'agit d'une rupture abusive, la société SO.GO.Bois demande à l'amiable, puis en justice, l'indemnisation de son préjudice qu'elle entend voir fixer à 300 000 euro.

Saisi de la difficulté le Tribunal de commerce de Cognac, par jugement du 13 octobre 2006, après avoir estimé que les parties n'étaient pas liées par un contrat commercial, mais seulement par des habitudes commerciales, déboute la société SO.GO.Bois de ses demandes.

La société SO.GO.Bois relève appel de cette décision dont elle demande l'infirmation. Elle demande à la cour de dire que les parties, en relation depuis 1988, étaient liées par des relations commerciales établies ; que ces relations ont été rompues brutalement et sans préavis par la société Seguin Moreau, et avec elles le contrat de fourniture de l'année 2005 ; que cette rupture est abusive. Elle sollicite, en indemnisation de ses préjudices, une somme de 447 658 euro pour non-respect du préavis de deux ans et 50 000 euro pour rupture unilatérale fautive du contrat 2005 (et peut-être 100 000 euro pour pertes subies - cette prétention qui figure dans les développements n'est pas reprise dans le dispositif des conclusions récapitulatives). Enfin, elle sollicite 5 000 euro pour frais irrépétibles ainsi que la condamnation de l'intimée aux entiers dépens.

La société Seguin Moreau, in limine litis, conclut à l'irrecevabilité de la demande pour rupture unilatérale fautive d'un contrat à durée déterminée, s'agissant d'une demande nouvelle au sens des dispositions de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile.

A titre principal, l'intimée entend faire juger, comme en première instance, que les relations entre les deux sociétés ne sont pas établies et elle conclut au débouté des demandes présentées par l'appelante.

Plus subsidiairement, la société Seguin Moreau estime que le comportement de Goichon est constitutif d'une inexécution contractuelle de ses obligations par la société SO.GO.Bois justifiant une rupture contractuelle immédiate et sans préavis.

A titre infiniment subsidiaire, la société Seguin Moreau demande à la cour d'exclure toute indemnisation pour la rupture du contrat 2005, demande nouvelle et antinomique avec la demande principale, d'exclure toute indemnité au titre d'une prétendue perte subie qui n'est pas démontrée et de limiter l'indemnisation au titre du gain manqué (préavis) à une somme qui pourrait être comprise entre 23 177 euro et 69 532 euro (2 à 6 mois de préavis).

L'intimée réclame 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ordonnance de clôture : 27 novembre 2007.

Sur ce :

Sur la recevabilité de la demande relative à l'indemnisation d'un contrat à durée déterminée pour l'année 2005.

Les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Cependant, les prétentions ne sont pas nouvelles, dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent (article 564 et 565 du nouveau Code de procédure civile).

La société SO.GO.Bois a assigné devant les premiers juges la société Seguin Moreau pour faire sanctionner la rupture abusive d'une relation commerciale établie et voudrait y ajouter pour l'année 2005 la rupture abusive d'un contrat à durée déterminée. Cette prétention est nouvelle au sens des dispositions ci-dessus énoncées et sera purement et simplement écartée.

Sur l'action en indemnisation pour rupture brutale d'une relation commerciale établie.

Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait pour tout producteur, commerçants, industriel (...) le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure (...) (Article L. 442-6,5 du Code de commerce).

Il n'est pas discuté que tous les ans, depuis 1988, la société Seguin Moreau achète des merrains à la société SO.GO.Bois. Ce courant d'affaires régulier depuis 17 ans, n'a été interrompu qu'en 2004 que pour des raisons de conjoncture économique et a repris dès l'année 2005. A la date de la rupture, compte tenu de la complémentarité des activités des entreprises, rien ne permettait d'augurer qu'elles ne perdureraient pas tant que la première fournirait des merrains de qualité à la deuxième qui continuerait à fabriquer des tonneaux. Il importe peu que d'une année sur l'autre le volume des commandes et/ou des livraisons ait varié, l'activité de ce secteur dépendant pour l'une de la qualité des bois reçus et pour l'autre des fluctuations de l'économie vini-viticole. On notera d'ailleurs que la société Seguin Moreau ne s'est pas méprise sur la qualification des relations entretenues qui dans son courrier du 23 juin 2005, évoquait leur longue relation d'affaires. La condition légale pour la mise en œuvre du texte précité, relative à la relation commerciale établie entre les deux entreprises, est suffisamment caractérisée.

Il est constant que par courrier du 23 juin 2005, adressé à la société SO.GO.Bois, la société Seguin Moreau annonce sa décision de rompre immédiatement les relations commerciales. Cette rupture est motivée par l'attitude offensante et raciste envers un de ses employés qu'elle reproche au gérant de la société SO.GO.Bois, de passage dans ses locaux, le 22 juin 2005, à l'occasion d'une livraison. Il s'agit bien là d'une rupture brutale et sans préavis.

La faute reprochée au gérant de la société SO.GO.BOIS n'emprunte pas les caractéristiques de la force majeure et notamment l'irrésistibilité au sens des dispositions de l'article 1148 du Code civil. La société Seguin Moreau ne le prétend d'ailleurs pas. L'attitude et les propos reprochés à faute à Goichon n'entrent bien évidemment pas dans le champ contractuel de telle sorte qu'il ne peut être reproché à la société SO.GO.Bois une inexécution contractuelle. Par voie de conséquence, le principe de l'indemnisation de l'article L 442-6,5 du Code de commerce est acquis.

A défaut de justifier d'un accord interprofessionnel sur la durée du préavis, à raison de l'annualité des campagnes dans le secteur économique considéré, il conviendra de prendre pour base de l'indemnisation une année de préavis.

Au vu des documents produits aux débats et des conclusions des parties sur ce point, l'indemnité de préavis sera fixée à 139 000 euro.

(A toutes fins) En l'absence du moindre élément de preuve, la société SO.GO.Bois sera déboutée de sa demande au titre des pertes subies.

En raison des succombances réciproques, il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Seguin Moreau supportera la charge des dépens de l'instance.

Par ces motifs : LA COUR : Vu l'ordonnance de clôture en date du 27 novembre 2007, Déclare l'appel recevable, Dit, nouvelle, et partant irrecevable, la demande d'indemnisation pour rupture d'un contrat à durée déterminée, lnfirme la décision déférée, Statuant à nouveau, Condamne la société Seguin Moreau à payer à la société SO.GO.Bois une somme de 139 000 euro à titre de dommages et intérêts, Déboute les parties du surplus de leurs prétentions, Dit qu'il n'y a lieu à application des dispositions de l'article 70 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Seguin Moreau aux entiers dépens d'instance et en ordonne la distraction en application des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.