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Décisions

CJCE, 2e ch., 28 octobre 2004, n° C-236/03 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Ordonnance

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés Européennes

Défendeur :

Cho Yang Co. Ltd, CMA CGM, Evergreen Marine Corp. Ltd, Hanjin Shipping Co. Ltd, Hapag-Llyod Container Linie GmbH, Kawasaki Kisen Kaisha Ltd, Malaysia International Shipping Corporation Berhad, Mitsui OSK Lines Ltd, Nippon Yusen Kaisha, Orient Overseas Container Line Ltd, P & O Nedllyod Container Liner Ltd, Yangming Marine Transport Corp.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Silva de Lapuerta

Juges :

MM. Schintgen, Arestis, Klucka

Avocats :

Mes Waelbroeck, Zinsmeister

CJCE n° C-236/03 P

28 octobre 2004

LA COUR,

Par son pourvoi, la Commission des Communautés européennes demande l'annulation du point 1 du dispositif de l'arrêt du tribunal de première instance des Communautés européennes du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission (T-213/00, Rec. p. II-913, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a annulé l'article 4 de la décision 2000/627/CE de la Commission, du 16 mai 2000, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE [affaire IV/34.018 - Far East Trade Tariff Charges and Surcharges Agreement (FETTCSA)].

Le cadre juridique

Le règlement (CEE) n° 2988-74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d'exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319, p. 1), prévoit à son article 1er, intitulé "Prescription en matière de poursuites":

"1. Le pouvoir de la Commission de prononcer des amendes ou sanctions pour infractions aux dispositions du droit des transports ou de la concurrence de la Communauté économique européenne est soumis à un délai de prescription:

a) de trois ans en ce qui concerne les infractions aux dispositions relatives aux demandes ou notifications des entreprises ou associations d'entreprises, à la recherche de renseignements ou à l'exécution de vérifications;

b) de cinq ans en ce qui concerne les autres infractions. [...]"

3 Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 2988/74, intitulé "Interruption de la prescription en matière de poursuites":

"La prescription en matière de poursuites est interrompue par tout acte de la Commission ou d'un État membre, agissant à la demande de la Commission, visant à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction. L'interruption de la prescription prend effet le jour où l'acte est notifié à au moins une entreprise ou association d'entreprises ayant participé à l'infraction.

Constituent notamment des actes interrompant la prescription:

a) les demandes de renseignements écrites de la Commission ou de l'autorité compétente d'un État membre, agissant à la demande de la Commission, ainsi que les décisions de la Commission exigeant les renseignements demandés; [...]"

L'arrêt attaqué

Il résulte de l'arrêt attaqué que celui-ci s'est prononcé sur une demande d'annulation de la décision 2000/627. Cette demande a été introduite par quatorze compagnies maritimes qui avaient participé au Far East Trade Tariff Charges and Surcharges Agreement (ci-après le "FETTCSA"). Le FETTCSA est un accord conclu entre les compagnies desservant les routes maritimes entre l'Europe du Nord et l'Extrême-Orient, daté du 5 mars 1991, entré en vigueur le 4 juin 1991 et auquel il a été mis fin le 10 mai 1994.

Dans la décision 2000-627, la Commission a considéré, notamment, que le FETTCSA, en tant qu'il prévoyait de ne pas accorder de rabais sur les taxes et les surtaxes, constitue une infraction aux dispositions de l'article 81, paragraphe 1, CE et elle a infligé des amendes aux quatorze compagnies requérantes en première instance ainsi qu'à AP Møller- Maersk Sealand.

Pour ce qui concerne le présent pourvoi, les passages suivants de l'arrêt attaqué sont pertinents.

Au point 466 de l'arrêt attaqué, le tribunal a constaté une violation du devoir de motivation et du principe d'égalité de traitement dans les termes suivants:

"Il résulte de l'examen du présent moyen que la décision [2000/627] est affectée de vices substantiels en ce qui concerne la méthodologie suivie pour la détermination du montant des amendes. Le premier vice résulte du fait que la décision [2000/627] fixe le montant des amendes infligées à chacune des requérantes à partir du montant de base appliqué à [AP Møller-Maersk Sealand] sans motiver de manière adéquate la raison pour laquelle ce dernier montant est supérieur au minimum retenu par les lignes directrices [pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3),] pour les infractions graves. Il s'ensuit que l'ensemble des montants de base appliqués à chacune des requérantes est, par voie de répercussion, vicié d'un défaut de motivation. Le second vice résulte du fait que la décision [2000-627] fixe le montant des amendes après avoir réparti les requérantes en groupes d'une manière contraire au principe d'égalité de traitement ou, à tout le moins, sans aucune motivation adéquate."

Le tribunal ne s'est cependant pas prononcé sur les conséquences juridiques de ladite constatation. En effet, au point 467 de l'arrêt attaqué, il a jugé que, " [a]vant qu'il soit besoin de se prononcer sur les conséquences juridiques qu'il convient de tirer des vices substantiels constatés ci-dessus, le tribunal estime, toutefois, que, dans le cas d'espèce, il y a d'abord lieu, eu égard aux circonstances ayant entouré l'adoption de la décision [2000-627], d'examiner le moyen tiré de la prescription en matière d'amendes".

Par ce moyen, les requérantes en première instance soutenaient que l'article 4 de la décision 2000-627, par lequel la Commission leur infligeait des amendes, devait être annulé pour cause de prescription au sens de l'article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 2988-74. En effet, selon elles, le dernier acte ayant valablement interrompu la prescription en matière d'amendes était une demande de renseignements adressée par la Commission au FETTCSA le 24 mars 1995 en vue d'obtenir des informations relatives au chiffre d'affaires des membres de celui-ci pour les années 1993 et 1994. Dès lors, la prescription quinquennale aurait été acquise le 24 mars 2000, alors que la décision 2000-627 n'a été adoptée que le 16 mai suivant. Elles faisaient également valoir que, si deux demandes de renseignements, en date des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999, avaient été transmises au FETTCSA par la Commission, elles n'avaient pu valablement interrompre la prescription dans la mesure où elles n'étaient pas indispensables aux fins de l'instruction ou de la poursuite de l'infraction.

S'agissant du moyen tiré de la prescription, le tribunal a tout d'abord jugé ce qui suit:

" Il convient d'observer que l'interruption de la prescription prévue par l'article 2 du règlement n° 2988/74 constituant une exception au principe de la prescription quinquennale prévue par l'article 1er, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, elle doit être interprétée de manière restrictive.

Par ailleurs, il y a lieu de relever qu'il résulte du premier alinéa de l'article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 2988-74 que, pour interrompre la prescription au sens dudit règlement, les demandes de renseignements écrites de la Commission, lesquelles sont explicitement mentionnées par cette disposition en tant qu'exemples d'actes interrompant la prescription, doivent " vis[er] à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction".

Or, conformément à l'article 11 du règlement [n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204)], et, en ce qui concerne le secteur des transports en cause dans la présente espèce, à l'article 19 du règlement [(CEE)] n° 1017-68 [du Conseil, du 19 juillet 1968, portant application de règles de concurrence aux secteurs des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO L 175, p. 1)], et à l'article 16 du règlement [(CEE)] n° 4056-86 [du Conseil, du 22 décembre 1986, déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (JO L 378, p. 4)], les demandes de renseignements doivent, aux termes du paragraphe 1 de ces dispositions, être 'nécessaires'. Selon la jurisprudence, une demande de renseignements est 'nécessaire' au sens de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17 si elle peut être légitimement regardée comme présentant un rapport avec l'infraction présumée (arrêt du tribunal du 12 décembre 1991, SEP/Commission, T-39-90, Rec. p. II-1497, point 29). Eu égard à l'identité des termes utilisés par l'article 19 du règlement n° 1017-68 et l'article 16 du règlement n° 4056/86, les mêmes principes sont applicables aux demandes de renseignements basées sur ces dispositions.

Il résulte ainsi des considérations qui précèdent que, pour valablement interrompre la prescription quinquennale prévue par l'article 1er, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 2988-74, une demande de renseignements doit être nécessaire à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction.

Ainsi, bien que l'envoi de demandes de renseignements puisse être de nature à interrompre la prescription en matière d'amendes lorsque de telles demandes ont pour objectif de permettre à la Commission de respecter les obligations qui lui incombent au stade de la détermination du montant de l'amende, il ne saurait, par exemple, être admis que la Commission puisse envoyer des demandes de renseignements dont le seul objectif serait de prolonger artificiellement le délai de prescription afin de conserver le pouvoir d'infliger des amendes (voir, en ce sens, arrêt [du 15 février 2001,] Autriche/Commission, [C-99-98, Rec. p. I-1101], points 45 à 67). Des demandes de renseignements poursuivant ce seul objectif ne seraient en effet pas nécessaires à la poursuite de l'infraction. Par ailleurs, reconnaître à la Commission le pouvoir d'interrompre le délai de prescription par l'envoi de demandes de renseignements non nécessaires à la poursuite de l'infraction reviendrait à lui permettre de prolonger systématiquement la prescription jusqu'à son maximum décennal prévu par l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2988/74, ce qui rendrait la prescription quinquennale prévue par l'article 1er, paragraphe 1, dudit règlement dépourvue d'objet en la transformant en un délai de prescription décennale."

Ensuite, aux points 489 à 515 de l'arrêt attaqué, le tribunal a examiné si les demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999 étaient nécessaires à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction.

Concrètement, le tribunal a, dans un premier temps, aux points 493 à 504 de l'arrêt attaqué, pris en considération le contexte dans lequel lesdites demandes de renseignements avaient été envoyées par la Commission. Au point 504, il a considéré que "[...] les requérantes s'interrogent à juste titre sur le caractère nécessaire des demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999".

Dans un deuxième temps, le tribunal a examiné, aux points 505 à 515 de l'arrêt attaqué, la question de savoir si lesdites demandes de renseignements étaient justifiées, comme le soutenait la Commission, par l'obligation pour cette dernière de calculer le montant maximal des amendes conformément aux dispositions légales applicables.

À cet égard, le tribunal a jugé que tel n'était pas le cas au terme d'un raisonnement fondé, notamment, sur les considérations suivantes:

" [...] Selon la Commission, les données relatives aux chiffres d'affaires concernant les années 1997 et 1998 fournies en réponse auxdites demandes d'informations n'avaient [...] pas pour but de calculer les amendes, mais uniquement de vérifier le respect du montant maximal des amendes autorisé. Or, dans le cas présent, ces données ne permettaient pas à la Commission d'effectuer ce calcul. La décision [2000-627] ayant été adoptée le 16 mai 2000, l'année de référence pour le calcul du montant maximal des amendes autorisé était en effet non 1997 ou 1998, mais 1999, soit l'année de l'exercice social ayant précédé l'adoption de la décision [2000-627] (ordonnance de la Cour du 5 juin 2002, Italcementi - Fabbriche Riunite Cemento/Commission, C-213-00 P, non publiée au Recueil, point 98). Il est constant que la Commission n'a pas demandé les données relatives aux chiffres d'affaires des requérantes concernant l'exercice social se rapportant à 1999. Or, les requérantes ont exposé dans leur requête, sans être contredites par la Commission sur ce point, que leurs résultats financiers étaient, pour la plupart d'entre elles, disponibles en mars de l'année suivante. Il en résulte que, au moment de l'adoption de la décision [2000-627] le 16 mai 2000, la plupart des requérantes avaient clos leur exercice social relatif à l'année 1999.

Eu égard à ce qui précède, il peut dès lors être tenu pour établi que la Commission a été en mesure d'adopter la décision [2000-627] infligeant des amendes sans disposer des données relatives aux chiffres d'affaires qui étaient requises pour le calcul du montant maximal des amendes autorisé. Si cette circonstance, à elle seule, n'est pas de nature à priver les demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999 de leur effet interruptif sur la prescription, la Commission étant libre de prendre le risque d'adopter une décision infligeant des amendes sans calculer le montant maximal des amendes autorisé conformément aux dispositions légales applicables, force est cependant de constater que, dans le cas présent, cette circonstance démontre que, contrairement à ce que la Commission a constamment soutenu pour justifier l'envoi des demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999, ce n'est pas l'obligation de vérifier que le montant des amendes n'excède pas le maximum autorisé par les dispositions légales applicables qui a pu justifier leur envoi, puisque la Commission ne disposait pas de ces informations au moment de l'adoption de la décision [2000-627]. Or, la Commission n'invoque aucun autre élément pour justifier la nécessité des demandes de renseignements en question.

[...]

De surcroît, dès lors que, en l'espèce, la Commission s'estimait en mesure de calculer le montant maximal des amendes autorisé en se fondant sur des données relatives aux chiffres d'affaires concernant l'année 1998, lesquelles ne se rapportent pas au dernier exercice social précédant l'adoption de la décision [2000/627], il y a lieu d'observer qu'elle aurait tout aussi bien pu se fonder sur les données relatives aux chiffres d'affaires concernant les années 1993 ou 1994, données dont elle disposait depuis la demande de renseignements du 24 mars 1995. Force est de constater que la Commission n'explique pas la raison pour laquelle ces dernières données relatives aux chiffres d'affaires ne lui suffisaient pas pour vérifier que le montant maximal des amendes n'était pas dépassé et que ce fait rendait donc nécessaire l'envoi des demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999.

[...]

Il convient dès lors de constater que les explications de la Commission à l'audience, bien que différentes de celles exposées dans ses écrits devant le tribunal, confirment à nouveau que les demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999 ne pouvaient pas avoir pour objectif de permettre à la Commission de calculer le montant maximal des amendes autorisé, puisque la Commission avait, selon ses nouvelles explications, l'intention d'infliger des amendes d'un montant tellement faible qu'il ne rendait pas nécessaire ledit calcul. Dans ces conditions, force est de constater que, comme le soutiennent les requérantes, la Commission disposait, en l'espèce, de tous les éléments nécessaires à l'adoption d'une décision finale infligeant des amendes dès la réception des réponses à la demande de renseignements du 24 mars 1995. À cet égard, l'allégation de la Commission, formulée pour la première fois à l'audience, selon laquelle la décision d'infliger une amende modeste n'aurait été prise que dans le courant de l'année 1999, ne repose sur aucun élément probant et ne saurait donc être tenue pour établie".

Au point 516 de l'arrêt attaqué, le tribunal a conclu que les demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999 n'étaient pas nécessaires à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction et qu'elles n'avaient donc pas valablement interrompu la prescription.

Il en a déduit, au point 517 de l'arrêt attaqué, qu'il convenait "[...] d'annuler l'article 4 de la décision [2000-627] en ce qu'il inflige des amendes, celles-ci ayant été infligées le 16 mai 2000 alors que le délai de prescription de cinq ans prévu par les articles 1er, paragraphe 1, sous b), et 2, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 2988-74, courant à nouveau depuis le 24 mars 1995, était expiré."

Par le point 1 du dispositif de l'arrêt attaqué, le tribunal a annulé l'article 4 de la décision 2000-627.

Sur les conclusions du pourvoi et les moyens d'annulation

La Commission demande à la Cour: d'annuler le point 1 du dispositif de l'arrêt attaqué; de rejeter le recours des requérantes en première instance dans son intégralité, et de condamner les défenderesses au pourvoi (ci-après les "défenderesses") aux dépens.

Les défenderesses demandent à la Cour: de rejeter le pourvoi pour irrecevabilité et/ou absence de fondement, et de condamner la Commission aux dépens.

À l'appui de son pourvoi, la Commission invoque trois moyens.

En premier lieu, la Commission conteste la constatation du tribunal, au point 426 de l'arrêt attaqué, selon laquelle la répartition des auteurs de l'infraction en quatre groupes, aux fins de la détermination du montant des amendes, est contraire au principe d'égalité de traitement.

En deuxième lieu, elle conteste la conclusion du tribunal, aux points 440 et 444 de l'arrêt attaqué, selon laquelle la répartition des parties au FETTCSA en plusieurs groupes et la détermination des montants de base des amendes sont insuffisamment motivées dans la décision 2000-627.

En troisième lieu, la Commission fait grief au tribunal d'avoir considéré que les amendes infligées aux entreprises mentionnées à l'article 4 du dispositif de la décision 2000-627 étaient prescrites.

Sur le pourvoi

En vertu de l'article 119 du règlement de procédure de la Cour, cette dernière peut, à tout moment, l'avocat général entendu, rejeter le pourvoi lorsque celui-ci est manifestement irrecevable ou manifestement non fondé.

Sur les premier et deuxième moyens

Ainsi que le relèvent à juste titre les défenderesses, ces moyens sont dépourvus de toute influence sur le point du dispositif de l'arrêt attaqué mis en cause par la Commission dans le cadre de son pourvoi. Il ressort en effet clairement des points 467 et 517 de cet arrêt que, pour annuler l'article 4 de la décision 2000-627, le tribunal s'est fondé non pas sur les appréciations que la Commission conteste dans le cadre de ses premier et deuxième moyens, mais uniquement sur le fait que le délai de prescription de cinq ans était expiré.

Or, il résulte de la jurisprudence qu'un moyen dirigé contre des motifs d'un arrêt attaqué qui sont sans influence sur le dispositif de celui-ci est inopérant et doit, dès lors, être rejeté (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2001, Commission et France/TF1, C-302-99 P et C-308-99 P, Rec. p. I-5603, points 26 à 29).

Il s'ensuit que les premier et deuxième moyens invoqués par la Commission au soutien de son pourvoi doivent être rejetés.

Sur le troisième moyen

Par son troisième moyen, qui comporte, en substance, six branches, la Commission demande à la Cour, ainsi qu'elle le précise au stade de sa réplique, de constater que le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que les demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999 ne visaient pas à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction au sens de l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 2988-74.

Sur la première branche du troisième moyen

Par la première branche de son troisième moyen, la Commission conteste la constatation du tribunal, au point 484 de l'arrêt attaqué, selon laquelle l'interruption de la prescription prévue à l'article 2 du règlement n° 2988-74 constitue une exception au principe de la prescription quinquennale prévue à l'article 1er, paragraphe 1, sous b), de ce règlement et doit, en conséquence, être interprétée de manière restrictive. Cette affirmation ne serait pas corroborée par le libellé dudit règlement et ne serait pas non plus conforme à l'esprit de celui-ci.

À cet égard, il convient de relever que, ainsi qu'il ressort des points 484 à 487 de l'arrêt attaqué, la constatation effectuée par le tribunal audit point 484 ne constitue que l'une parmi d'autres des considérations sur lesquelles le tribunal s'est fondé pour juger, au point 487, que, pour valablement interrompre la prescription quinquennale, une demande de renseignements doit être nécessaire à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction.

Or, la Commission ne conteste ni dans sa requête ni dans sa réplique le bien-fondé de la conclusion à laquelle le tribunal est parvenu au point 487 de l'arrêt attaqué.

Il s'ensuit que la première branche du troisième moyen, par laquelle la Commission se borne à mettre en cause un seul des éléments du raisonnement suivi par le tribunal, sans même critiquer la constatation à laquelle aboutit ce raisonnement, est inopérante et doit dès lors être rejetée.

Sur la deuxième branche du troisième moyen

Par la deuxième branche de son troisième moyen, la Commission invoque un défaut de motivation de l'arrêt attaqué, dès lors que le tribunal a relevé, au point 494 de cet arrêt, que "[...] la durée de la procédure en l'espèce apparaissait, du moins à première vue, excéder un délai raisonnable", alors que, au point 324 du même arrêt, il a jugé que "[...] toute considération liée à l'obligation pour la Commission d'exercer son pouvoir d'infliger des amendes dans un délai raisonnable doit être écartée [...]". Par ailleurs, s'agissant dudit point 494, la Commission conteste la pertinence de la notion de délai raisonnable dans un raisonnement relatif aux délais.

À cet égard, il convient de constater que, ainsi que le relèvent à juste titre les défenderesses, lesdits points 324 et 494 s'inscrivent dans deux raisonnements différents effectués par le tribunal.

En effet, ainsi qu'il ressort des points 317 à 326 de l'arrêt attaqué, le point 324 de celui-ci fait partie d'une analyse du tribunal qui concerne, en substance, la question de savoir si une violation du principe du délai raisonnable peut aboutir à l'annulation d'une amende infligée à une entreprise par la Commission ou à la réduction du montant de cette amende, même si la prescription au sens du règlement n° 2988/74 n'est pas encore acquise. Au point 324 de l'arrêt attaqué, le tribunal a répondu par la négative à cette question au motif que "[...] le règlement n° 2988/74 a institué une réglementation complète régissant en détail les délais dans lesquels la Commission est en droit, sans porter atteinte à l'exigence fondamentale de la sécurité juridique, d'infliger des amendes aux entreprises faisant l'objet de procédures d'application des règles communautaires de la concurrence [...]".

En revanche, le point 494 de l'arrêt attaqué s'inscrit, ainsi qu'il ressort du point 11 de la présente ordonnance, dans le raisonnement du tribunal qui concerne la question de savoir si les demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999 étaient nécessaires à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction.

Or, on ne saurait déduire de la constatation du tribunal selon laquelle le principe du délai raisonnable n'est pas pertinent s'agissant du droit de la Commission d'infliger des amendes que ce défaut de pertinence est également vrai lorsqu'il s'agit de savoir si une demande de renseignements est nécessaire à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction.

Dans ces conditions, le grief tiré d'un défaut de motivation de l'arrêt attaqué ne saurait être retenu.

Par ailleurs, l'argument de la Commission selon lequel la notion de délai raisonnable n'est pas pertinente dans un raisonnement relatif aux délais ne saurait non plus être retenu. En effet, ainsi qu'il a été relevé au point 36 de la présente ordonnance, le raisonnement du tribunal dans lequel s'inscrit le point 494 de l'arrêt attaqué concerne la question spécifique de savoir si les demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999 étaient nécessaires à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction.

Il s'ensuit que la deuxième branche du troisième moyen est manifestement non fondée.

Sur la troisième branche du troisième moyen

Par la troisième branche de son troisième moyen, la Commission soutient que l'arrêt attaqué n'a pas tenu compte du fait que les actes de procédure énumérés à l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 2988/74 bénéficient d'une présomption réfragable en vertu de laquelle ils constituent une étape nécessaire de la procédure et ont dès lors valablement interrompu la prescription. Ainsi, l'arrêt attaqué contredirait le principe selon lequel la Commission détient un large pouvoir d'investigation en vertu du règlement n° 17.

À cet égard, il convient de rappeler qu'il résulte des articles 225 CE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour qu'un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l'arrêt dont l'annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (arrêt du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C-234/02 P, non encore publié au Recueil, point 76 et jurisprudence citée).

Or, la Commission n'indique aucun point précis de l'arrêt attaqué sur lequel porte plus particulièrement l'argumentation qu'elle développe dans le cadre de la troisième branche de son troisième moyen et dans lequel le tribunal aurait suivi un raisonnement contredisant cette argumentation.

Il s'ensuit que la troisième branche du troisième moyen est manifestement irrecevable.

Sur la quatrième branche du troisième moyen

Par la quatrième branche de son troisième moyen, la Commission fait valoir que la situation de la présente espèce est totalement différente de celle qui a donné lieu à l'arrêt Autriche/Commission, précité, auquel le tribunal s'est référé au point 488 de l'arrêt attaqué. Dans ledit arrêt Autriche/Commission, la Cour aurait conclu que la demande de la Commission visait à gagner du temps. Or, cette dernière dément formellement que, dans ladite espèce, ses demandes répétées puissent être interprétées comme ayant un tel objectif. Elle ajoute qu'elle n'avait d'ailleurs aucun intérêt à prolonger le délai de prescription en juin 1998.

À cet égard, il suffit de constater que, en l'espèce, le tribunal n'a nullement considéré, au point 488 de l'arrêt attaqué, que le seul objectif des demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999 avait été de prolonger artificiellement le délai de prescription.

Il s'ensuit que la quatrième branche du troisième moyen est manifestement non fondée.

Sur la cinquième branche du troisième moyen

Par la cinquième branche de son troisième moyen, la Commission conteste l'affirmation du tribunal, au point 500 de l'arrêt attaqué, selon laquelle "l'instruction par la Commission de l'affaire en cause était terminée dès le mois de mars 1995". Elle se réfère à cet égard au fait que la correspondance se serait poursuivie entre les parties et, notamment, à une lettre du 28 juillet 1995 dans laquelle les requérantes en première instance auraient proposé à la Commission de rouvrir les discussions sur une déclaration de principes juridiques communs. Ladite lettre aurait conduit la Commission à écrire de nouveau à ces requérantes, le 8 août 1995, pour leur demander si les parties au FETTCSA étaient disposées à ne pas contester les allégations factuelles retenues à leur encontre. En dehors d'un accusé de réception du 9 août 1995, le dossier de la Commission ne contiendrait aucune réponse à cette lettre.

Il convient de rappeler qu'il résulte des articles 225 CE et 58 du statut de la Cour de justice que le pourvoi est limité aux questions de droit. En vertu d'une jurisprudence constante, le tribunal est dès lors seul compétent, d'une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l'inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d'autre part, pour apprécier ces faits. L'appréciation des faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments qui lui ont été présentés, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d'un pourvoi (voir, notamment, arrêt du 29 avril 2004, Parlement/Ripa di Meana e.a., C-470-00 P, non encore publié au Recueil, point 40 et jurisprudence citée).

Or, la question de savoir à quelle date l'instruction de la Commission était terminée relève, ainsi que le soutiennent à juste titre les défenderesses, de l'appréciation des faits. Par ailleurs, la Commission n'a fourni à la Cour aucun élément de nature à démontrer l'existence d'une dénaturation des éléments de preuve soumis au tribunal ou d'une inexactitude matérielle des constatations effectuées par ce dernier au regard des pièces du dossier. Plus particulièrement, le fait qu'une correspondance aurait été échangée entre la Commission et les requérantes en première instance jusqu'au mois d'août 1995 ne suffit pas à démontrer que le tribunal aurait constaté de manière erronée que l'instruction de la Commission était terminée dès le mois de mars 1995.

Il s'ensuit que la cinquième branche du troisième moyen est manifestement irrecevable.

Sur la sixième branche du troisième moyen

Par la sixième branche de son troisième moyen, la Commission reproche au tribunal de s'être fondé sur le fait que la décision 2000-627 n'a été adoptée qu'au cours de l'année 2000 pour en déduire que les demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999 n'étaient pas nécessaires à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction. Ainsi, le tribunal n'aurait pas apprécié le caractère nécessaire desdites demandes de renseignements à la date de leur envoi, contrairement à ce qu'il a lui-même admis au point 492 de l'arrêt attaqué.

Par ailleurs, la Commission conteste l'affirmation du tribunal, au point 510 de l'arrêt attaqué, selon laquelle, dès lors que, en l'espèce, la Commission s'estimait en mesure de calculer le montant maximal des amendes autorisé en se fondant sur des données relatives aux chiffres d'affaires concernant l'année 1998, lesquelles ne se rapportent pas au dernier exercice social précédant l'adoption de la décision 2000-627, elle aurait tout aussi bien pu se fonder sur les données relatives aux chiffres d'affaires concernant les années 1993 ou 1994, données dont elle disposait depuis qu'il avait été répondu à sa demande de renseignements du 24 mars 1995.

À cet égard, il y a lieu de constater que le tribunal s'est effectivement fondé, au point 507 de l'arrêt attaqué, sur les circonstances qui ont entouré l'adoption de la décision 2000-627 afin d'apprécier le caractère nécessaire des demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999.

Or, le tribunal ne pouvait pas affirmer, de manière aussi catégorique qu'il l'a fait audit point de l'arrêt attaqué, que ce n'était pas l'obligation de vérifier que le montant des amendes n'excédait pas le maximum autorisé par les dispositions légales applicables qui avait pu justifier l'envoi desdites demandes de renseignements, puisque la Commission ne disposait pas de ces informations au moment de l'adoption de la décision 2000-627.

En effet, le fait que la Commission a pris la décision 2000-627 sans avoir demandé, afin de calculer le montant maximal des amendes qu'elle se proposait d'infliger aux défenderesses, les informations relatives aux chiffres d'affaires de ces dernières concernant l'année 1999 n'implique pas nécessairement que les demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999 ne pouvaient pas avoir, à la date de leur envoi, pour objectif de connaître les informations relatives aux chiffres d'affaires concernant respectivement les années 1997 et 1998 en vue de l'adoption, au cours de l'année de l'envoi desdites demandes, d'une décision relative à ces amendes.

De même, il ne saurait être déduit, contrairement à ce qu'a fait le tribunal au point 510 de l'arrêt attaqué, de l'affirmation de la Commission selon laquelle elle s'estimait en mesure de calculer le montant maximal des amendes autorisé en se fondant sur des données relatives aux chiffres d'affaires concernant l'année 1998 qu'elle aurait tout aussi bien pu se fonder sur les données relatives aux chiffres d'affaires concernant les années 1993 ou 1994.

En effet, il ne saurait être exclu que les informations relatives aux chiffres d'affaires concernant l'année 1998 pouvaient être d'une certaine utilité en vue de l'estimation du niveau des chiffres d'affaires relatifs à l'année 1999, qui était en l'espèce l'année de référence pour le calcul du montant maximal des amendes autorisé, alors qu'il est beaucoup moins plausible que les chiffres d'affaires des années 1993 et 1994 présentassent le même intérêt pour effectuer une telle estimation.

Cependant, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour, dès lors que l'un des motifs retenus par le tribunal est suffisant pour justifier le dispositif de son arrêt, les vices dont pourrait être entaché un autre motif, dont il est également fait état dans l'arrêt en question, sont, en tout état de cause, sans influence sur ledit dispositif, de sorte que le moyen qui les invoque est inopérant et doit être rejeté (voir, notamment, arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C-496/99 P, non encore publié au Recueil, point 68 et jurisprudence citée).

Or, le tribunal ne s'est pas uniquement fondé sur les motifs retenus aux points 507 et 510 de l'arrêt attaqué pour rejeter les allégations de la Commission selon lesquelles les demandes de renseignements des 30 juin 1998 et 11 octobre 1999 avaient pour objectif de permettre à la Commission de calculer le montant maximal des amendes autorisé et étaient donc nécessaires à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction.

En effet, ainsi qu'il ressort du point 514 de l'arrêt attaqué, le tribunal a également pris en compte les explications de la Commission selon lesquelles elle avait l'intention d'infliger des amendes d'un montant tellement faible qu'il ne rendait pas nécessaire le calcul du montant maximal des amendes autorisé, tout en constatant que l'allégation, formulée pour la première fois par la Commission lors de l'audience, selon laquelle la décision d'infliger une amende modeste n'avait été prise par cette dernière que dans le courant de l'année 1999 n'était pas établie.

Or, cette dernière constatation du tribunal n'est pas contestée par la Commission et suffit à motiver le rejet des allégations de celle-ci relatives au prétendu objectif desdites demandes de renseignements.

Il s'ensuit que la sixième branche du troisième moyen doit être rejetée comme inopérante.

Il résulte des considérations qui précèdent que le troisième moyen soulevé par la Commission doit être rejeté.

Tous les moyens invoqués par la Commission étant manifestement irrecevables ou manifestement non fondés, le pourvoi introduit par celle-ci doit être rejeté.

Sur les dépens

Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les parties défenderesses au pourvoi ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) ordonne : 1) Le pourvoi est rejeté.

2) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.