CA Reims, ch. civ. sect. 1, 26 mars 2007, n° 06-2548
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gabo (Sté)
Défendeur :
Invicta (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bangratz
Conseillers :
M. Ciret, Mme Mathieu
Avocats :
Mes Lis, SCP Faucquez-Bourgain
Faits et procédure
La société anonyme Invicta, sise à Donchéry (Ardennes), ayant pour activité la vente d'appareils de chauffage de marques " Invicta " et " Laudel ", est en relation d'affaires depuis prés de huit ans avec la société Gabo, société à responsabilité limitée de droit polonais.
Ces relations sont encadrées par contrat depuis le 12 février 2001.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 28 février 2005, reprochant à la société Gabo l'absence de vente " en 2003 et en 2004 pour les foyers et inserts de cheminées de la gamme Invicta " et ajoutant qu' " en ce qui concerne la gamme Laudel ", " le volume d'achats en chute " était " devenu négligeable ", la société Invicta a résilié, " à titre conservatoire" le contrat établi le 12 février 2001.
Puis, la société Invicta a, par acte du 5 août 2005, assigné la société Gabo devant le Tribunal de commerce de Sedan en résolution dudit contrat aux torts exclusifs de la défenderesse et de condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 203 934,96 euro à titre de dommages-intérêts, augmentée des intérêts légaux à compter du jugement à intervenir, sans préjudice de l'allocation d'une indemnité de 10 000 euro pour frais non taxables, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
La société Gabo a soulevé l'incompétence territoriale de la juridiction française au profit de la juridiction polonaise.
Par jugement en date du 11 septembre 2006, le Tribunal de commerce de Sedan :
- s'est déclaré compétent
- a réinscrit l'affaire à l'audience du lundi 13 novembre 2006
- a condamné la société Gabo aux dépens de l'incident, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à 56,34 euro (dont 9,23 euro de TVA).
Cette décision a été rendue aux motifs que :
- le contrat du 12 février 2001 ne peut être assimilé à un contrat de distribution, tant en vertu de la législation polonaise que française
- il s'agit donc bien d'un contrat de vente internationale de foyers
- en cas de litige international en matière contractuelle, l'article 5-1 de la Convention de Bruxelles et l'article 5 § 1 du règlement CE du 22 décembre 2000, disposent que le demandeur doit assigner le défendeur devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande doit être exécutée
- l'article 6 du contrat dispose que la société Gabo est tenue de récupérer la marchandise au siège de la société Invicta ;
- le lieu de livraison des marchandises est Donchéry.
La société Gabo a formé un contredit à l'encontre de ce jugement.
Moyens des parties
En l'état de ses dernières conclusions déposées le 16 janvier 2007, la société Gabo sollicite l'infirmation du jugement déféré et, priant la cour de dire que la loi polonaise est applicable au contrat, demande que soit consacrée la compétence du Tribunal de grande instance de Tarnow (Pologne) pour connaître des demandes formées par la société Invicta à son encontre. La société Gabo soutient que la société Invicta et elle-même ont conclu le 12 février 2001 " un contrat en vertu duquel la société Invicta accordait à la société Gabo l'exclusivité de la distribution et du service après-vente de ses produits sur les territoires de la Pologne et de la Slovaquie ". La société Gabo ajoute qu'en contrepartie, elle " s'obligeait à promouvoir exclusivement les produits de la société Invicta d'une façon correspondant à la situation du marché et à en assurer les services de garantie ", mais qu'elle " n'a souscrit aucune obligation d'acheter des quantités minimales de produits de la société Invicta ". Invoquant les dispositions du règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000 modifié, elle fait valoir que l'article 2 § 1 de celui-ci pose en principe " la compétence du for du domicile du défendeur " et que l'article 5 § 1 prévoit une compétence spéciale en matière contractuelle. La loi polonaise étant applicable au contrat litigieux, elle soutient qu'en droit polonais, " constitue un contrat de distribution exclusive, le contrat qui se caractérise par la "vente régulière de produits déterminés en provenance d'un fournisseur déterminé" sachant que le distributeur "agit dans le domaine de la vente, en son propre nom et pour son propre compte", que les obligations accessoires peuvent, notamment porter sur "la promotion des produits, la mise en place d'un réseau de distribution" et que la distribution est exclusive lorsque "le fournisseur accorde au distributeur un droit exclusif sur la vente de ses produits". L'obligation principale du contrat litigieux ne pouvant être, selon elle, une obligation d'achat de marchandises, puisque celui-ci ne prévoit à sa charge aucun engagement d'achat de quantités minimales, "c'est donc l'obligation de distribution exclusive qui doit être prise en compte pour la détermination du lieu d'exécution de l'obligation contractuelle principale et donc de la compétence juridictionnelle". Elle ajoute que, s'il y a des doutes sur la qualification du contrat, l'article 2 du règlement précité s'applique et qu'il en serait de même si la cour devait estimer que plusieurs obligations sont en cause. Selon elle, "la Pologne est le principal lieu d'exécution de l'obligation de distribution", d'où la compétence du Tribunal de Tarnow. Elle demande à titre subsidiaire à la cour d'ordonner une consultation ou de solliciter un avis des autorités polonaises. Elle réclame l'allocation d'une indemnité de 8 970 euro pour frais irrépétibles.
Par écritures déposées le 9 janvier 2007, la société [Indicta] conclut à la confirmation du jugement déféré. Faisant valoir que les stipulations du contrat litigieux ont, dans leur majorité, trait à la vente de foyers de chauffage, elle soutient que ce dernier " ne peut être qualifié de contrat de distribution (au sens juridique) du seul fait que la société Invicta se soit engagée à respecter une exclusivité de vente au profit de la société Gabo ", car " l'exclusivité réciproque concédée par les parties avait pour objet non pas d'assurer la promotion sur les territoires spécifiés d'une marque de foyers, mais simplement de garantir et protéger le rapport de vente existant entre elles ". De plus, le contrat litigieux " ne prévoit aucune clause d'objectif, de rendement à la charge de la société Gabo ". Il s'agit donc d'un " contrat de vente internationale de foyers ". Si l'article 10 du contrat litigieux stipule que celui-ci est soumis à la loi polonaise, sont applicables les dispositions de la Convention de Vienne relative à la vente internationale de marchandises. La concluante estime avoir, à bon droit, opté pour la compétence de la juridiction française, désignée par l'article 5 § 1 du règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000 dès lors que l'article 6 du contrat litigieux stipule que la société Gabo est tenue de récupérer la marchandise au siège de la société Invicta. Elle fait, enfin, observer que la compétence de la juridiction française est également consacrée, en pareil cas, par l'article 31 de la Convention de Vienne. La société Invicta réclame l'allocation d'une indemnité de 5 000 euro en compensation de ses frais non taxables.
A l'audience de plaidoiries du 16 janvier 2007, les parties ont réitéré leurs argumentations respectives.
Puis, est parvenue à la cour une note en délibéré du 5 février 2007 émanant du conseil de la société Invicta. Le conseil de la société Gabo a répondu à cette note le 16 février 2007, réponse qui a amené deux nouveaux courriers de son adversaire datés des 20 et 22 février 2007. Enfin, à une ultime note en délibéré établie le 5 mars 2007 par le conseil de la société Gabo, son contradicteur a indiqué, par lettre du 12 mars 2007, qu'il n'entendait pas y apporter de réponse.
Sur ce,
Attendu que l'article 10 de la convention litigieuse stipule que " pour les questions non réglées par le présent contrat, les dispositions de la loi polonaise sont seules applicables ";
Qu'il est constant que la convention litigieuse s'intitule seulement " contrat " et qu'elle ne désigne pas la juridiction compétente en cas de litige entre les parties ;
Sur la qualification du contrat litigieux
Attendu que les articles 2, 3, 5, 6 et 7 du contrat litigieux sont relatifs à la vente de foyers de chauffage par la société Invicta à la société Gabo ;
Qu'ils régissent, en effet, les conditions de vente et de livraison par le vendeur des produits faisant l'objet du contrat ainsi que les obligations corrélatives de l'acheteur de " récupérer la marchandise " et d'en " payer le prix " ;
Attendu que si l'article 1 dudit contrat institue une obligation d'exclusivité de vente au profit de l'acheteur ainsi qu'une exclusivité d'achat au profit du vendeur, cette clause n'est que l'accessoire des obligations principales définies aux articles 2, 3, 5, 6 et 7, lesquelles caractérisent l'existence d'un contrat de vente ;
Qu'il n'est point besoin d'ordonner une consultation ni de solliciter un avis des autorités polonaises ainsi que le demande, à titre subsidiaire, la société Gabo, dès lors qu'il résulte des productions que ce type de contrat de vente, assorti d'obligations accessoires d'exclusivité de vente et d'achat est reconnu par l'article 550 du Code de procédure civile polonais, qui dispose que " si un contrat de vente réserve une exclusivité de manière à ce que le vendeur ne puisse pas livrer les marchandises définies aux personnes concernées ou à ce que l'acheteur soit la seule personne habilitée à revendre les marchandises dans un territoire défini, le vendeur ne peut pas, dans le cadre des clauses d'exclusivité, conclure directement ou indirectement des contrats de vente, sous peine de violation de l'exclusivité octroyée à l'acheteur ";
Attendu que la loi polonaise ne définit pas le contrat de distribution, mais que la jurisprudence polonaise exige la réunion de certains éléments pour caractériser l'existence d'un tel contrat, lesquels sont absents en l'espèce, telles des instructions données par le vendeur pour la diffusion de ses produits ;
Qu'il convient, sur ce point, de relever que le contrat litigieux ne prévoit aucune clause d'objectif ou de rendement à la charge de la société Gabo ni aucune rémunération supplémentaire ou avantage pour la société Invicta en contrepartie de cette exclusivité ;
Sur la juridiction compétente
Attendu que la France et la Pologne étant toutes deux membres de l'Union économique européenne, est applicable, en l'espèce, le règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000;
Attendu que l'article 2 du règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000 énonce que " sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat ";
Que des " compétences spéciales " sont prévues par l'article 5 dudit règlement, qui dispose que " le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut être attrait, dans un autre Etat contractant :
1) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée " ;
Attendu que le lieu d'exécution du contrat de vente est le lieu de la mise à disposition de la marchandise ;
Que l'article 6 du contrat litigieux stipulant que " le vendeur est obligé de récupérer la marchandise " au siège de la société Invicta, sis à Donchéry (Ardennes), le Tribunal de commerce de Sedan s'est donc, à bon droit, déclaré compétent pour connaître des demandes de ladite société ;
Sur les demandes annexes
Attendu que la partie qui succombe supporte les dépens ;
Que la société Gabo ne saurait donc voir prospérer sa demande pour frais irrépétibles ;
Attendu que l'équité conduit à fixer à la somme de 2 000 euro l'indemnité due à la société Invicta en compensation de ses frais non taxables ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 septembre 2006 par le Tribunal de commerce de Sedan. Y ajoutant, Condamne la société à responsabilité limitée de droit polonais Gabo à payer à la société anonyme Invicta la somme de deux mille euros (2 000 euro) pour frais irrépétibles. Condamne la société à responsabilité limitée de droit polonais Gabo aux dépens de la procédure de contredit.