CA Reims, ch. civ. sect. 1, 26 mars 2007, n° 06-02402
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gabo (Sté)
Défendeur :
Bernard Huet Industrie (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bangratz
Conseillers :
M. Ciret, Mme Mathieu
Avocats :
Mes Lis, SCP Faucquez-Bourgain
LA COUR,
Faits et procédure
La société anonyme BH Industrie, ayant pour activité la conception et la fabrication en fonderie et fabriquant notamment des appareils de chauffage, sise à Vivier-au-Court (Ardennes), est en relation d'affaires depuis 1997 avec la société Gabo, société à responsabilité limitée de droit polonais.
Ces relations sont encadrées par un contrat depuis le 12 février 2001.
Depuis 1997, la société Gabo commande des appareils de chauffage à la société BH Industrie, laquelle lui a accordé, aux termes des articles 1 et 3 du contrat du 12 février 2001, une exclusivité de vente en Pologne et en Slovaquie, sans aucune réserve.
Une seule augmentation de prix avait été appliquée en 2000 par le fabricant sur les appareils de chauffage vendus, mais, en 2004, en raison de la forte et brutale hausse du coût des matières premières, la société BH Industrie a informé la société Gabo de la nécessité d'augmenter le prix de vente de ses marchandises, dès le mois d'avril 2004.
La société BH Industrie a proposé à la société Gabo une répercussion sur le prix de vente limitée à 50 % des hausses intervenues sur le coût d'achat des matières premières.
La société Gabo n'a pas donné suite à cette proposition.
Par courrier du 23 novembre 2004, la société BH Industrie a confirmé à la société Gabo " une hausse de tarif, et ce, à compter des livraisons de janvier 2005 pour toutes commandes à venir ", correspondant à " une répercussion de 50 % de ces augmentations de matières premières, soit 10 centimes d'euro au kilo ".
Après avoir cessé de communiquer ses plannings de commandes du 15 novembre 2004 au 28 février 2005 (à l'exception d'une commande réduite en date du 4 février 2005 et exigée sans hausse de prix), la société Gabo a, par lettre du 17 février 2005, fait savoir qu'elle ne pouvait pas accepter la hausse des prix annoncée par la société BH Industrie, demandant à celle-ci "de tenir compte de l'article 2 point 3 du contrat concernant les délais à respecter pour l'augmentation de prix".
Par courriers des 7 et 28 février 2005, la société BH Industrie a renouvelé sa proposition et a informé la société Gabo qu'à défaut d'accord sur le prix de vente, elle serait dans l'impossibilité d'assurer la fabrication des appareils de chauffage commandés.
La société Gabo a, à nouveau, passé des commandes dès avril 2005, exigeant des livraisons sans modification des tarifs. Elle a facturé à la société BH Industrie des pénalités pour retard dans la livraison des marchandises, égales à 10 % du montant de ses commandes, et une pénalité pour violation de son exclusivité, et a mis en demeure sa cocontractante d'avoir à régler ces pénalités.
Par lettre du 23 mai 2005, la société BH Industrie a dénoncé le contrat du 12 février 2001.
Ses propositions de règlement amiable du litige ayant été rejetées, la société BH Industrie a, par acte du 6 juillet 2005, assigné la société Gabo devant le Tribunal de commerce de Charleville-Mézières en résolution dudit contrat aux torts exclusifs de la défenderesse et de condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 657 916,00 euro à titre de dommages-intérêts augmentée des intérêts légaux à compter du jugement à intervenir, sans préjudice de l'allocation d'une indemnité de 45 000 euro pour frais non taxables, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
La société Gabo a soulevé l'incompétence territoriale de la juridiction française au profit de la juridiction polonaise.
Par jugement en date du 25 juillet 2006, le Tribunal de commerce de Charleville-Mézières :
- s'est déclaré compétent ratione loci
- a dit que l'affaire serait rappelée, par les soins du greffe, après expiration du délai relatif au contredit
- a condamné la société Gabo à payer à la société BH Industrie la somme de 3 000 euro pour frais irrépétibles et a réservé les dépens.
Cette décision a été rendue aux motifs que :
- aux termes de l'article 46 du nouveau Code de procédure civile, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de services
- le contrat liant le demandeur au défendeur est un contrat de vente exclusif caractérisé, d'une part, par un accord sur la chose et sur le prix et, d'autre part, aux termes de l'article 4 dudit contrat, par une obligation de délivrance prévoyant que " les frais de livraison et de transport sont à la charge du vendeur ", laquelle " s'analyse comme étant essentiellement une obligation de laisser la chose à la disposition de l'acheteur afin que ce dernier l'appréhende ".
La société Gabo a formé un contredit à l'encontre de ce jugement.
Moyens des parties
En l'état de ses dernières conclusions déposées le 16 janvier 2007, la société Gabo sollicite l'infirmation du jugement déféré et, priant la cour de dire que la loi polonaise est applicable au contrat, demande que soit consacrée la compétence du Tribunal de grande instance de Tarnow (Pologne) pour connaître des demandes formées par la société BH Industrie à son encontre. La société Gabo soutient que la société BH Industrie et elle-même ont conclu le 12 février 2001 " un contrat en vertu duquel la société BH Industrie accordait à la société Gabo l'exclusivité de la distribution et du service après-vente de ses produits sur les territoires de la Pologne et de la Slovaquie ". La société Gabo ajoute qu'en contrepartie, elle " s'obligeait à promouvoir exclusivement les produits de la société BH Industrie d'une façon correspondant à la situation du marché et à en assurer les services de garantie ", mais qu'elle " n'a souscrit aucune obligation d'acheter des quantités minimales de produits de la société BH Industrie ". Invoquant les dispositions du règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000 modifié, elle fait valoir que l'article 2 § 1 de celui-ci pose en principe " la compétence du for du domicile du défendeur " et que l'article 5 § 1 prévoit une compétence spéciale en matière contractuelle. La loi polonaise étant applicable au contrat litigieux, elle soutient qu'en droit polonais, " constitue un contrat de distribution exclusive, le contrat qui se caractérise par la "vente régulière de produits déterminés en provenance d'un fournisseur déterminé" sachant que le distributeur "agit, dans le domaine de la vente, en son propre nom et pour son propre compte", que les obligations accessoires peuvent, notamment porter sur "la promotion des produits, la mise en place d'un réseau de distribution" et que la distribution est exclusive lorsque "le fournisseur accorde au distributeur un droit exclusif sur la vente de ses produits". L'obligation principale du contrat litigieux ne pouvant être, selon elle, une obligation d'achat de marchandises, puisque celui-ci ne prévoit à sa charge aucun engagement d'achat de quantités minimales, "c'est donc l'obligation de distribution exclusive qui doit être prise en compte pour la détermination du lieu d'exécution de l'obligation contractuelle principale et donc de la compétence juridictionnelle". Elle ajoute que, s'il y a des doutes sur la qualification du contrat, l'article 2 du règlement précité s'applique et qu'il en serait de même si la cour devait estimer que plusieurs obligations sont en cause. Selon elle, "la Pologne est le principal lieu d'exécution de l'obligation de distribution", d'où la compétence du Tribunal de Tarnow. Elle demande à titre subsidiaire à la cour d'ordonner une consultation ou de solliciter un avis des autorités polonaises. Elle réclame l'allocation d'une indemnité de 8 970 euro pour frais irrépétibles.
Par écritures déposées le 9 janvier 2007, la société BH Industrie conclut à la confirmation du jugement déféré. Faisant valoir que les stipulations du contrat litigieux ont, dans leur majorité, trait à la vente de foyers de chauffage, elle soutient que ce dernier " ne peut être qualifié de contrat de distribution (au sens juridique) du seul fait que la société BH Industrie se soit engagée à respecter une exclusivité de vente au profit de la société Gabo ", car "encore faudrait-il qu'elle vende à cette dernière des appareils de chauffage dont elle serait titulaire de la marque, et, ce, en vue d'assurer la promotion de (celle-ci) sur (les territoires) de la Pologne et de la Slovaquie". Or, elle " fabriquait des foyers suivant les exigences et consignes données par la société Gabo, et sous la marque Gabo ". De plus, le contrat litigieux " ne prévoit aucune clause d'objectif, de rendement à la charge de la société Gabo ". Il s'agit donc d'un " contrat de vente internationale de foyers ". Si l'article 11 du contrat litigieux stipule que celui-ci est soumis à la loi polonaise, sont applicables les dispositions de la Convention de Vienne relative à la vente internationale de marchandises. Elle estime avoir, à bon droit, opté pour la compétence de la juridiction française, désignée par l'article 5 § 1 du règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000 dès lors que l'article 7 du contrat litigieux stipule que la société Gabo est tenue de récupérer la marchandise au siège de la société BH Industrie. Elle fait, enfin, observer que la compétence de la juridiction française est également consacrée, en pareil cas, par l'article 31 de la Convention de Vienne. La société BH Industrie réclame l'allocation d'une indemnité de 5 000 euro en compensation de ses frais non taxables.
A l'audience de plaidoiries du 16 janvier 2007, les parties ont réitéré leurs argumentations respectives.
Puis, est parvenue à la cour une note en délibéré du 5 février 2007 émanant du conseil de la société BH Industrie. Le conseil de la société Gabo a répondu à cette note le 16 février 2007, réponse qui a amené deux nouveaux courriers de son adversaire datés des 20 et 22 février 2007. Enfin, à une ultime note en délibéré établie le 5 mars 2007 par le conseil de la société Gabo, son contradicteur a indiqué, par lettre du 12 mars 2007, qu'il n'entendait pas y faire réponse.
Attendu que l'article 11 de la convention litigieuse stipule que " pour les questions non réglées par le présent contrat, les dispositions de la loi polonaise sont seules applicables ";
Qu'il est constant que la convention litigieuse s'intitule seulement " contrat " et qu'elle ne désigne pas la juridiction compétente en cas de litige entre les parties ;
Sur la qualification du contrat litigieux
Attendu que les articles 2, 4, 6 et 7 du contrat litigieux sont relatifs à la vente de foyers de chauffage par la société BH Industrie à la société Gabo ;
Qu'ils régissent, en effet, les conditions de vente et de livraison par le vendeur des produits faisant l'objet du contrat ainsi que les obligations corrélatives de l'acheteur de " récupérer la marchandise " et d'en " payer le prix " ;
Attendu que si les articles 1 et 3 dudit contrat instituent une obligation d'exclusivité de vente au profit de l'acheteur ainsi qu'une exclusivité d'achat au profit du vendeur, ces clauses ne sont que l'accessoire des obligations principales définies aux articles 2, 4, 6 et 7, lesquelles caractérisent l'existence d'un contrat de vente ;
Qu'il n'est point besoin d'ordonner une consultation ni de solliciter un avis des autorités polonaises ainsi que le demande, à titre subsidiaire, la société Gabo, dès lors qu'il résulte des productions que ce type de contrat de vente, assorti d'obligations accessoires d'exclusivité de vente et d'achat est reconnu par l'article 550 du Code de procédure civile polonais, qui dispose que " Si un contrat de vente réserve une exclusivité de manière à ce que le vendeur ne puisse pas livrer les marchandises définies aux personnes concernées ou à ce que l'acheteur soit la seule personne habilitée à revendre les marchandises dans un territoire défini, le vendeur ne peut pas, dans le cadre des clauses d'exclusivité, conclure directement ou indirectement des contrats de vente, sous peine de violation de l'exclusivité octroyée à l'acheteur " ;
Attendu que la loi polonaise ne définit pas le contrat de distribution, mais que la jurisprudence polonaise exige la réunion de certains éléments pour caractériser l'existence d'un tel contrat, lesquels sont absents en l'espèce, tels la mise en place d'un réseau de distribution et des instructions données par le vendeur pour la diffusion de ses produits ;
Qu'il convient, sur ce point, de rappeler que la société BH Industrie fabriquait des foyers de chauffage suivant les exigences et consignes données par la société Gabo et sous la marque " Gabo ";
Sur la juridiction compétente
Attendu que la France et la Pologne étant toutes deux membres de l'Union économique européenne, est applicable, en l'espèce, le règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000 ;
Attendu que l'article 2 du règlement CE n° 44-2001 du 22 décembre 2000 énonce que " sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat ";
Que des " compétences spéciales " sont prévues par l'article 5 dudit règlement, qui dispose que " le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut être attrait, dans un autre Etat contractant :
1) En matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée " :
Attendu que le lieu d'exécution du contrat de vente est le lieu de la mise à disposition de la marchandise;
Que l'article 7 du contrat litigieux stipulant que " le vendeur est obligé de récupérer la marchandise " au siège de la société BH Industrie, sis à Vivier-au-Court (Ardennes), le Tribunal de commerce de Charleville-Mézières s'est donc, à bon droit, déclaré compétent pour connaître des demandes de ladite société ;
Sur les demandes annexes
Attendu que la partie qui succombe supporte les dépens ;
Que la société Gabo ne saurait donc voir prospérer sa demande pour frais irrépétibles ;
Attendu que l'équité conduit à fixer à la somme de 2 000 euro l'indemnité due à la société BH Industrie en compensation de ses frais non taxables;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 juillet 2006 par le Tribunal de commerce de Charleville-Mézières. Y ajoutant, Condamne la société à responsabilité limitée de droit polonais Gabo à payer à la société anonyme BH Industrie la somme de deux mille euros (2 000 euro) pour frais irrépétibles. Condamne la société à responsabilité limitée de droit polonais Gabo aux dépens de la procédure de contredit.