CJCE, 6e ch., 17 novembre 1993, n° C-285/92
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Procédure pénale contre Cooeperatieve Zuivelindustrie "Twee Provinciën" WA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mancini
Avocat général :
M. Van Gerven
Juges :
MM. Díez de Velasco, Kakouris, Schockweiler, Kapteyn
Avocats :
Mes Bronkhorst, Pijnacker Hordijk
LA COUR,
1 Par ordonnance du 15 juin 1992, parvenue à la Cour le 24 juin suivant, l'Arrondissementsrechtbank te Leeuwarden (Pays-Bas), a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle sur l'interprétation des dispositions de la Directive 79-112-CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard (JO 1979, L. 33, p. 1, ci-après "Directive 79-112").
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'une procédure pénale engagée contre les responsables de la Cooeperatieve Zuivelindustrie "Twee Provinciën" WA, poursuivie pour n'avoir pas apposé, sur les fromages qu'elle fabrique, la marque fromagère nationale rendue obligatoire pour ce type de fromage par la réglementation néerlandaise sur la qualité des produits agricoles.
3 Il ressort du dossier que la fabrication et la commercialisation du fromage sont régies aux Pays-Bas par une réglementation arrêtée sur le fondement de la Landbouwkwaliteitswet du 8 avril 1971 (loi sur la qualité des produits agricoles, Stb. 371). L'article 2 de cette loi prévoit qu'un décret ou une disposition prise par habilitation d'un décret peut, en vue de promouvoir les ventes, instaurer des règles relatives à la qualité des produits, se rapportant aux propriétés, à l'assortiment, au conditionnement, à la forme et à la finition des produits. En vertu de l'article 7, des marques, signes ou documents de contrôle peuvent être imposés s'il existe des règles de contrôle des produits agricoles.
4 En exécution de cette loi a été arrêté notamment le Landbouwkwaliteitsbesluit kaasprodukten du 2 décembre 1981 (décret relatif à la qualité des produits agricoles - produits fromagers, Stb. 726). Son article 8 habilite le ministre à déterminer les marques, signes et documents de contrôle visés à l'article 7 de la loi.
5 Sur la base de ces dispositions, a été prise la Landbouwkwaliteitsbeschikking kaasprodukten du 28 décembre 1981 (arrêté relatif à la qualité des produits agricoles - produits fromagers, Stcrt. 251). Conformément à son article 14, les producteurs de fromages pour lesquels une marque nationale est imposée, doivent, lors de la fabrication, apposer sur ces fromages la marque prévue par le Keuringsreglement (règlement de contrôle). En vertu de l'article 11, paragraphe 2, de l'arrêté, les marques nationales comportent également, conformément aux dispositions du règlement de contrôle, des indications différentes selon les régions. L'article 12 dispose que la marque fromagère nationale constitue un signe de contrôle destiné à prouver que ce fromage est conforme aux exigences générales et particulières fixées pour le type de fromage concerné.
6 Le règlement de contrôle a été arrêté le 14 avril 1982 par le Stichting Centraal Orgaan Zuivelcontrole (organisme central de contrôle des produits laitiers).
7 Son article 2 dispose que les marques nationales doivent indiquer un numéro de série sous le mot "Holland" et, sous ce numéro, une combinaison de lettres ou de lettres et de chiffres, comprenant au moins deux lettres immédiatement précédées par :
- la lettre F pour les marques nationales destinées au fromage industriel produit dans les provinces de Groningen, Friesland, Drenthe et Overijssel,
- les lettres HB pour le fromage industriel produit dans les provinces de Zuid-Holland, Utrecht, Gelderland, Limburg, Noord-Brabant et Zeeland,
- les lettres NH pour le fromage industriel produit dans la province de Noord-Holland
- la lettre Z pour le fromage de ferme.
8 La prévenue ayant invoqué l'incompatibilité, avec la Directive 79-112, de l'obligation de faire figurer dans la marque fromagère nationale une ou deux lettres variant en fonction de la région de production, l'Arrondissementsrechtbank te Leeuwarden, avant de rendre son jugement dans la procédure pénale, a estimé nécessaire que la Cour statue sur la question préjudicielle suivante :
"Une réglementation nationale qui impose aux producteurs de fromages l'obligation d'apposer une marque fromagère qui ne comporte pas seulement une indication du pays de production et du type de fromage, mais également une indication avec une ou deux lettres qui varie en fonction de la région de production, alors qu'il n'existe pas de différence qualitative notable selon les régions, est-elle compatible, en ce qui concerne cette dernière indication, avec les dispositions de la Directive 79-112-CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard, et en particulier avec l'article 15 de cette Directive ?"
9 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
10 A titre liminaire, il y a lieu d'observer que s'il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre de l'article 177 du traité, de se prononcer sur la compatibilité d'une réglementation nationale avec le droit communautaire, elle est, en revanche, compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d'interprétation relevant de ce droit qui peuvent lui permettre d'apprécier cette compatibilité pour le jugement du litige dont elle est saisie (voir notamment arrêt du 18 juin 1991, Piageme, C-369-89, Rec. p. I-2971, point 7).
11 Dans ces conditions, la question préjudicielle doit être comprise comme visant à savoir, en substance, si la Directive 79-112-CEE doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation nationale qui impose aux producteurs de fromages l'obligation d'apposer une marque fromagère ne comportant pas seulement l'indication du pays de production et du type de fromage, mais également une ou deux lettres variant en fonction de la région de production, alors qu'il n'existe pas de différence qualitative notable selon les régions.
12 Afin de répondre à la question posée, il convient d'examiner tout d'abord si une marque fromagère nationale comportant, outre l'indication du pays de production et du type de fromage, une ou deux lettres variant en fonction de la région de production, un numéro d'ordre et une combinaison de lettres ou de lettres et de chiffres, constitue un étiquetage au sens de la Directive 79-112 et, par conséquent, entre dans le champ d'application de celle-ci.
13 La Directive 79-112 institue des dispositions communautaires de nature générale en matière d'étiquetage, de présentation et de publicité, applicables aux denrées alimentaires destinées à être livrées en l'état au consommateur final (voir troisième considérant et article 1er, paragraphe 1). Elle s'applique également aux denrées alimentaires destinées à être livrées aux restaurants, hôpitaux, cantines et autres collectivités similaires (article 1er, paragraphe 2). On entend par étiquetage "les mentions, indications, marques de fabrique ou de commerce, images ou signes se rapportant à une denrée alimentaire et figurant sur tout emballage, document, écriteau, étiquette, bague ou collerette, accompagnant ou se référant à cette denrée alimentaire" [article 1er, paragraphe 3, sous a)].
14 Ainsi que la Cour l'a souligné dans son arrêt du 14 juillet 1988 (Smanor, 298-87, Rec. p. 4489, point 29), la signification et la portée exactes de l'article 5 de la Directive 79-112 doivent être appréciées en tenant compte du contexte dans lequel il se situe, notamment de la finalité générale de la Directive et de son économie. Cette considération vaut également pour toutes les dispositions de la Directive.
15 Or, il ressort tant du sixième considérant de cette Directive que des termes de son article 2, paragraphe 1, qu'elle a été conçue dans le souci de l'information et de la protection du consommateur final de denrées alimentaires, notamment en ce qui concerne la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, l'origine ou la provenance et le mode de fabrication ou d'obtention de ces produits (voir arrêt Smanor, précité, point 30).
16 Dans ces conditions, il faut entendre par étiquetage au sens de l'article 1er, paragraphe 3, sous a), de la Directive 79-112, les mentions, indications, et autres données se rapportant à une denrée alimentaire, qui sont spécialement destinées à informer le consommateur sur les caractéristiques du produit concerné.
17 Une marque fromagère nationale, comme celle en cause dans la procédure pénale au principal, n'a pas cette finalité. Elle comporte un numéro de série allant de 00001 à 99999 et, sous ce numéro, une combinaison de lettres ou de lettres et de chiffres précédée d'une ou deux lettres variant en fonction de la région de production. Or, une telle marque nationale ne peut pas être destinée à informer le consommateur sur les caractéristiques du produit concerné. Elle constitue plutôt un signe imposé par les pouvoirs publics néerlandais, permettant de contrôler que le fromage a été produit en conformité avec la réglementation. En effet, ainsi qu'il a été précisé à l'audience, les chiffres et lettres codés de la marque nationale permettent, à l'occasion de contrôles effectués par sondages aux Pays-Bas, d'identifier le lieu de production, le producteur, la date de production et le lot ou le chargement auquel appartient un fromage déterminé.
18 Il convient dès lors de répondre à la question préjudicielle que la Directive 79-112 doit être interprétée en ce sens qu'une marque fromagère nationale comportant, outre l'indication du pays de production et du type de fromage, une ou deux lettres variant en fonction de la région de production, un numéro d'ordre et une combinaison de lettres ou de lettres et de chiffres, ne constitue pas un étiquetage au sens de l'article 1er, paragraphe 3, sous a), de cette Directive et, par conséquent, ne relève pas de son champ d'application.
Sur les dépens
19 Les frais exposés par le Gouvernement néerlandais et par la Commission des Communautés Européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
statuant sur la question à elle soumise par l'Arrondissementsrechtbank te Leeuwarden (Pays-Bas), par ordonnance du 15 juin 1992, dit pour droit:
La Directive 79-112-CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard, doit être interprétée en ce sens qu'une marque fromagère nationale comportant, outre l'indication du pays de production et du type de fromage, une ou deux lettres variant en fonction de la région de production, un numéro d'ordre et une combinaison de lettres ou de lettres et de chiffres, ne constitue pas un étiquetage au sens de l'article 1er, paragraphe 3, sous a), de cette Directive et, par conséquent, ne relève pas de son champ d'application.