CJCE, 3e ch., 18 février 1987, n° 98-86
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Procédure pénale contre Mathot
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Galmot
Avocat général :
M. Mischo
Juges :
MM. Everling, Moitinho de Almeida
LA COUR,
1 Par jugement du 6 mars 1986, parvenu à la Cour le 14 avril suivant, le Tribunal de première instance de Dinant a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 30 du traité CEE, en vue d'être mis en mesure d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire de la réglementation belge sur l'étiquetage du beurre.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'une procédure pénale engagée contre M. Arthur Mathot, poursuivi pour avoir mis dans le commerce en Belgique un beurre de sa préparation dans un emballage ne portant pas les nom et adresse du préparateur, en infraction à la loi du 8 juillet 1935 et à l'arrêté royal du 27 février 1963.
3 La juridiction nationale a constaté que, conformément à la législation belge, il y a l'obligation, en ce qui concerne le beurre produit en Belgique, d'indiquer sur l'emballage les nom et adresse du producteur, du fabricant, du préparateur ou du vendeur dans le pays, alors que cette obligation n'existerait pas pour le beurre importé des autres Etats membres, ce qui pourrait désavantager les producteurs, fabricants ou préparateurs belges par rapport à leurs concurrents étrangers et créer ainsi un "effet restrictif ou équivalent contraire à l'article 30 du traité CEE" ; en outre, il semblerait qu'en Belgique les grandes surfaces accordent une préférence au beurre dont l'emballage ne porte ni le nom ni l'adresse du préparateur.
4 C'est dans ce contexte que la juridiction nationale à pose à la Cour la question suivante :
"L'obligation imposée aux seuls préparateurs belges, à l'exclusion de leurs concurrents provenant d'autres Etats membres, d'indiquer leur nom et adresse sur l'emballage du beurre est-elle compatible avec l'article 30 précité ?"
5 En ce qui concerne la réglementation communautaire et la réglementation belge applicable en la matière, ainsi que les observations présentées par le prévenu au principal, le substitut du procureur du Roi, le Gouvernement belge et la Commission, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
6 Il convient de rappeler, en premier lieu, que, dans le cadre de l'article 177 du traité CEE, la Cour ne peut se prononcer ni sur l'interprétation de dispositions législatives ou réglementaires nationales ni sur la conformité de telles dispositions avec le droit communautaire. Elle peut cependant fournir à la juridiction nationale les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui permettront à celle-ci de résoudre le problème juridique dont elle se trouve saisie. Il ressort du dossier que, par la question posée, la juridiction nationale veut savoir si, et dans quelles conditions, l'article 30 du traité CEE, d'autres dispositions de celui-ci ou un principe général du droit communautaire s'opposent à ce que certaines dispositions d'une réglementation nationale concernant l'étiquetage du beurre, conformes à une directive communautaire, s'appliquent aux seuls produits d'origine nationale à l'exclusion des produits en provenance d'autres Etats membres.
7 Pour ce qui est de l'article 30 du traité CEE, il y a lieu de souligner que cette disposition a pour objet d'éliminer les entraves à l'importation de marchandises et non d'assurer que les marchandises d'origine nationale bénéficient, dans tous les cas, du même traitement que les marchandises importées ; une différence de traitement entre marchandises qui n'est pas susceptible d'entraver l'importation ou de défavoriser la commercialisation des marchandises importées ne relève pas de l'interdiction établie par cet article (arrêt du 23 octobre 1986, Cognet, 355-85, Rec. 1986, p. 3231).
8 Or, dans un cas tel que celui décrit par l'ordonnance de renvoi et à supposer qu'il existe une discrimination au détriment du beurre national, une telle différence de traitement ne saurait, en aucun cas, entraver l'importation du beurre, ni défavoriser la commercialisation du beurre importé. L'article 30 du traité CEE ne s'oppose donc pas à une telle réglementation.
9 En ce qui concerne le point de savoir si la différence de traitement susmentionnée serait de nature à enfreindre le principe général de non-discrimination, il convient de rappeler la jurisprudence de la Cour selon laquelle un traitement défavorable des produits de fabrication nationale par rapport aux produits importes, opéré par un Etat membre dans un secteur non soumis à une réglementation communautaire ou à une harmonisation des législations nationales, ne relève pas du champ d'application du droit communautaire (arrêt du 23 octobre 1986, précité).
10 En l'occurrence, il y a eu harmonisation des législations nationales en matière d'étiquetage du beurre par l'effet de la directive 79-112 du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des Etats membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard (JO L. 33, p. 1). Conformément à l'article 3, paragraphe 1, de cette directive :
"L'étiquetage des denrées alimentaires comporte ... les seules mentions obligatoires suivantes :
...
6) le nom ou la raison sociale et l'adresse du fabricant ou du conditionneur, ou d'un vendeur établi à l'intérieur de la Communauté."
Et le paragraphe 2 établit :
"Par dérogation au paragraphe 1, les Etats membres peuvent maintenir les dispositions nationales qui imposent l'indication de l'établissement de fabrication ou de conditionnement en ce qui concerne leur production nationale."
11 Il est exact que la directive 79-112, précitée, a créé des obligations concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires commercialisées dans l'ensemble de la Communauté, sans qu'aucune distinction puisse être opérée selon l'origine de ces denrées, sous la seule réserve du second paragraphe de l'article 3. Dès lors, une réglementation nationale qui fait peser ces obligations sur les seuls produits nationaux, à l'exclusion des produits importés d'autres Etats membres, crée, au détriment de certains operateurs économiques, une discrimination contraire au droit communautaire résultant du fait que les exigences de la directive ne sont pas encore appliquées aux produits importés. Une telle situation ne saurait toutefois autoriser ces opérateurs à demander à être exonérés de telles obligations conformes à la directive. Il appartient à la Commission de veiller à ce que les autorités nationales mettent fin à cette situation, par l'extension du champ d'application de la réglementation nationale à l'ensemble des produits visés par la directive.
12 Il y a donc lieu de répondre à la question posée que ni l'article 30 du traité CEE, ni aucune autre disposition de celui-ci, ni un principe général de droit communautaire ne s'opposent à ce que certaines dispositions d'une réglementation nationale, conformes à une directive communautaire, s'appliquent aux seuls produits d'origine nationale à l'exclusion des produits en provenance d'autres Etats membres.
Sur les dépens :
13 Les frais exposés par le Gouvernement belge et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard du prévenu au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (troisième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal de première instance de Dinant, par jugement du 6 mars 1986, dit pour droit :
Ni l'article 30 du traité CEE, ni aucune autre disposition de celui-ci, ni un principe général de droit communautaire ne s'opposent à ce que certaines dispositions d'une réglementation nationale, conformes à une directive communautaire, s'appliquent aux seuls produits d'origine nationale à l'exclusion des produits en provenance d'autres Etats membres.