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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 24 janvier 2008, n° 05-02556

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Garage Neau (SARL)

Défendeur :

Groupe Volkswagen France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mme Le Bail, M. Picque

Avoués :

SCP Moreau, SCP Monin - d'Auriac de Brons

Avocats :

Me Bertin, Selas Vogel & Vogel

TGI Paris, du 26 oct. 2004

26 octobre 2004

Vu le jugement prononcé contradictoirement le 26 octobre 2004, par le Tribunal de grande instance de Paris qui a débouté la SARL Garage Neau de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer 34 877,87 euro à la SA Groupe Volkswagen France avec intérêts à compter du 28 août 2001, au taux contractuel d'une fois et demie le taux légal, tout en rejetant la demande de celle-ci au titre des frais irrépétibles ;

Vu l'appel interjeté le 7 décembre 2004, par la société Neau et ses ultimes écritures signifiées le 19 novembre 2007 réclamant 15 000 euro de frais non répétibles et, tout en ne contestant pas le compte établi par le tribunal, poursuivant la réformation du jugement entrepris en sollicitant uniquement le bénéfice des demandes initialement formulées en première instance en invoquant un préjudice résultant de la résiliation sans préavis brutale et abusive du contrat de concession, en sollicitant à nouveau devant la cour:

- 483 758 euro correspondant à la marge brute qu'elle aurait dû faire durant les deux années de préavis dont elle estime avoir été privée, en se référant à la marge brute moyenne annuelle réalisée au cours des trois exercices sociaux antérieurs,

- 259 163 euro au titre de la dépréciation de la valeur de son fonds de commerce, ce dernier ayant été antérieurement évalué à 2,1 MF (soit 320 142,94 euro) alors qu'il n'a pu être vendu qu'au prix de 400 KF (soit 60 979,61 euro),

- 7 337 euro au titre des loyers d'un "Point services" situé à Saintes, ayant continué à courir jusqu'à la cession du bail, l'établissement ayant été antérieurement fermé du fait de la résiliation du contrat de concession de l'établissement principal de Royan ;

Vu les dernières écritures signifiées le 22 novembre 2007 par la société Volkswagen réclamant 7 500 euro de frais irrépétibles, en poursuivant la confirmation pure et simple de la décision critiquée et en faisant valoir que la société Neau ne démontre, à ses yeux, ni le préjudice qu'elle invoque, ni davantage le lien de causalité entre les prétendues fautes invoquées et le préjudice allégué ;

Sur ce,

Considérant que la société Neau estime que le concédant a engagé sa responsabilité en rompant sans préavis, tant l'encours fournisseur habituellement consenti pour le financement du stock de véhicules neufs, que le contrat de concession, en faisant essentiellement valoir que la société Volkswagen s'est fondée, le 9 juillet 2001, sur de prétendues factures impayées qui n'étaient en fait exigibles que le 16 août suivant et qu'au surplus, la difficulté résultait directement de la suppression antérieure sans justification de l'encours fournisseur par le concédant ;

Qu'invoquant l'article 1134 du Code civil, l'appelante soutient "qu'au regard de l'ensemble du contexte ayant entouré la résiliation", la société Volkswagen a fait dégénérer son droit de résiliation en abus, dans la mesure où elle a manqué à son obligation de bonne foi ;

Que l'ancien concessionnaire invoque ainsi l'enchaînement des incidents provoqué, selon lui, uniquement par la rupture sans préavis et sans véritable justification de l'encours véhicules neufs à compter du 26 mars 2001, en reprochant au concédant de ne pas l'avoir soutenu dans ses difficultés passagères et purement conjoncturelles et en prenant ensuite une décision de résiliation immédiate du contrat de concession entraînant des conséquences disproportionnées avec les enjeux du moment, puisqu'il était en discussion pour la cession de l'entreprise à un repreneur qui avait fait part de son intérêt directement au concédant ;

Considérant que pour sa part, la société Volkswagen estime que le paiement différé des véhicules neufs achetés n'est pas un droit acquis du concessionnaire et estime qu'elle était en droit de le supprimer tout en affirmant :

- que la société Neau a continué de bénéficier du crédit-fournisseur pour les véhicules neufs commandés par les clients,

- mais qu'à défaut d'avoir fourni les garanties supplémentaires antérieurement demandées, "la validation des commandes de stocks se faisait manuellement" et non plus "automatiquement", la mesure ne concernant que les commandes de véhicules neufs destinés au stock du concessionnaire ;

Que la société Volkswagen fait valoir que si le paiement des véhicules neufs achetés par le concessionnaire était effectivement différé, il devenait néanmoins immédiatement exigible si le concessionnaire livrait à un client le véhicule concerné avant l'expiration du délai de paiement consenti,

Que le concédant conteste par ailleurs, les méthodes d'évaluation des préjudices allégués ;

Considérant liminairement que la dette de 34 877,87 euro au profit de la société Volkswagen, majorée des intérêts au taux contractuel à compter du 28 août 2001, n'est pas contestée par la société Neau ;

Sur les conditions de la résiliation du contrat de concession

Considérant que le contrat de concession Skoda, dans son dernier état du 28 janvier 1998, était à durée indéterminée, résiliable à l'initiative unilatérale d'une partie moyennant un préavis de 24 mois, ramené à 12 mois pour le concédant en cas de nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle de son réseau ;

Que toutefois l'article 20 du contrat de concession stipule la possibilité d'une résiliation dite "extraordinaire" sans préavis en cas de manquement par l'autre partie à l'une de ses obligations essentielles, au rang desquelles figure "le non-respect par le concessionnaire de ses obligations de paiement au titre du contrat ou de non-règlement de véhicules concomitamment à la livraison au client" ;

Qu'invoquant le prélèvement "VN", à échéance du 9 juillet 2001 d'un montant de 310 872,72 F (47 392,24 euro) retourné impayé par la banque [du concessionnaire] au motif d'une provision insuffisante, la société Volkswagen a mis en demeure, le 25 juillet 2001, la société Neau de la régler sous 8 jours et, cette injonction étant restée sans effet, a notifié par acte d'huissier délivré le 30 août 2001, la lettre datée du 28 août 2001, procédant à la résiliation extraordinaire sans préavis du contrat de concession de la marque Skoda ;

Mais attendu qu'il résulte des stipulations de l'annexe 4 au contrat de concession:

- d'une part, le principe du paiement comptant de toute commande de véhicule,

- d'autre part, la possibilité pour le concédant de proposer des aménagements dérogatoires de paiement, lesquels sont "réputés acceptés de plein droit par le concessionnaire dans la mesure où ils restent plus favorables qu'un paiement au comptant" ;

Qu'il résulte des pièces versées au dossier, que le prétendu impayé de 310 872,72 F présenté directement au paiement le 9 juillet 2001 par la société Volkswagen sur le compte bancaire de la société Neau, correspondait à trois factures numérotées 7054,7055 et 7056, toutes trois émises le 18 juin 2001 avec la mention "date de paiement: 16/08/2001" ;

Considérant par ailleurs, qu'il est inopérant de s'étonner de la découverte, après cinq années de procédure, du défaut d'exigibilité des factures litigieuses au moment de la délivrance de la mise en demeure de payer, les moyens nouveaux étant recevables en appel en application de l'article 563 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'il convient en conséquence de relever qu'en tout état de cause, la mention portée par le concédant sur les trois factures litigieuses, correspond aux initiatives qu'il pouvait prendre au titre du paragraphe IV-I de l'annexe 4 du contrat de concession, en dérogation aux principes du paiement comptant et du paiement concomitant avec la livraison du véhicule au client, d'autant que le dernier alinéa dudit paragraphe précise que, dès lors que la mesure est plus favorable qu'un paiement au comptant, elle est automatiquement réputée acceptée par le concessionnaire ;

Qu'en faisant état d'un prétendu impayé du 9 juillet 2001, alors qu'à la date de présentation du prélèvement correspondant le paiement des trois factures n'était pas encore exigible, la société Volkswagen ne démontre pas s'être trouvée dans un cas justifiant une résiliation extraordinaire sans préavis ;

Que la notification de la résiliation le 30 août 2001, relevait en conséquence de la résiliation dite "ordinaire" de l'article 18 du contrat de concession prévoyant un préavis de 24 mois, ce dont la société Neau a été privée au mépris des engagements contractuels ;

Considérant aussi qu'en application des articles 1134 et 1135 du Code civil, les parties doivent exécuter leurs conventions de bonne foi et lui donner les suites que l'équité, l'usage ou la loi leur donnent d'après leur nature ;

Qu'en se prévalant des stipulations dérogatoires du préavis normal de 24 mois, il appartenait au concédant de vérifier scrupuleusement que les conditions de l'article 20 étaient effectivement réunies et d'en justifier ;

Que la société Volkswagen était forcément consciente de l'impact évident sur la valeur des éléments incorporels du fonds de commerce de la société Neau, qu'aurait le prononcé d'une résiliation immédiate du contrat de concession, d'autant qu'elle n'a pas contesté avoir été informée dès le 29 mai 2001 de l'intention du concessionnaire de céder son entreprise, lequel lui précisait que les entretiens correspondants étaient très avancés, ce que le repreneur pressenti lui a lui-même confirmé par sa lettre du 6 juin 2001, en précisant au concédant l'intérêt qu'il portait au rachat du garage Neau et à la représentation de la marque Skoda ;

Sur les conséquences de la résiliation

Considérant que la société Neau sollicite tout à la fois, l'indemnisation tant de la marge brute qu'elle aurait dû faire durant les deux années de préavis, que de la dépréciation corrélative de la valeur de son fonds de commerce, résultant de la résiliation du contrat de concession ;

Mais considérant que :

- le concessionnaire ayant décidé de céder son fonds de commerce, dès avant de connaître la résiliation du contrat de concession, ne l'aurait pas, en tout état de cause, exploité durant le préavis qui lui était contractuellement dû,

- qu'en revanche, la société Volkswagen avait connaissance, au moment de la notification de la résiliation à effet immédiat, de l'intention de la société Neau de céder son fonds de commerce et n'ignorait pas l'effet négatif de sa décision sur la valeur du fonds en cours de cession ;

Qu'il s'en déduit que la résiliation immédiate du contrat de concession, intervenue en cours de pourparlers de cession du fonds de commerce, a eu pour seul effet d'en diminuer significativement la valeur au préjudice de la société Neau et que cette diminution résulte essentiellement de la résiliation à effet immédiat, alors qu'elle aurait dû être assortie d'un préavis de deux ans ;

Qu'il y a lieu en conséquence, de faire droit uniquement au principe d'indemnisation sollicitée au titre de la dépréciation de la valeur du fonds ;

Sur le montant de l'indemnité

Considérant que le fonds de commerce a ultérieurement été cédé moyennant le prix global de 60 979,61 euro, le contrat de concession et la vente des pièces détachées en étant expressément exclues ;

Que dans les évaluations versées aux débats, l'intimée a contesté les coefficients d'évaluation des différents postes d'activités retenus par l'expert-comptable consulté par la société Neau, mais n'a pas discuté, en revanche, les montants moyens de ceux-ci retenus sur les trois derniers exercices annuels précédents l'année de la résiliation ;

Que dans ces derniers postes, la part de la vente des véhicules neufs et des pièces détachées représentait environ les deux tiers du total ;

Qu'il s'en déduit que le fonds à été cédé à hauteur du tiers environ de la valeur qu'il aurait eu si le contrat de concession n'avait pas été prématurément résilié ;

Qu'en conséquence, la cour dispose des éléments suffisants pour évaluer l'indemnité à hauteur de 120 000 euro ;

Sur la demande au titre des loyers du " Point services" de Saintes et les frais irrépétibles d'appel

Considérant que l'appelante n'a pas démontré le lien entre la fermeture précoce de ce site d'exploitation et la résiliation du contrat de concession, puisqu'au contraire elle n'a pas contesté que, compte tenu du déficit important d'exploitation, le risque de la fermeture du fonds de Saintes était à envisager sérieusement dans le cadre des mesures de redressement qu'elle projetait, pour rétablir une exploitation bénéficiaire de son établissement principal situé à Royan ;

Qu'en conséquence, cette partie des demandes ne sera pas accueillie ;

Qu'il serait inéquitable de laisser à l'appelante la charge définitive des frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SARL Garage Neau à payer 34 877,87 euro à la SA Groupe Volkswagen France avec intérêts à compter du 28 août 2001, au taux contractuel d'une fois et demie le taux légal et aux dépens de première instance, tout en rejetant la demande de cette dernière au titre des frais irrépétibles exposés devant le tribunal, Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau, Condamne la SA Groupe Volkswagen France à payer à la SARL Garage Neau cent vingt mille euros (120 000) euro en réparation du préjudice résultant de la dépréciation de la valeur du fonds de commerce du concessionnaire, Condamne également la société Volkswagen aux dépens d'appel et à verser sept mille cinq cents euros (7 500) de frais irrépétibles à la société Neau, Admet la SCP Monin au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.