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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 20 septembre 2007, n° 04-10710

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Maldene (SARL), Maldene (Epoux)

Défendeur :

Esso (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Le Bail

Avoués :

SCP Baufumé-Galland-Vignes, Me Thevenier

Avocat :

Me Biget

T. com. Paris, du 26 févr. 2004

26 février 2004

Vu l'appel interjeté par la SARL Maldene, M. Laurent Maldene et Mme Sonia Hanzek épouse Maldene, du jugement prononcé le 26 février 2004 par le Tribunal de commerce de Paris (RG 2002090792) ;

Vu les dernières écritures signifiées le 3 mai 2007 par la SARL Maldene, M. Laurent Maldene et Mme Sonia Hanzek épouse Maldene, appelants ;

Vu les dernières écritures signifiées le 23 mai 2007 par la SA Esso SAF, intimée et appelante à titre incident ;

Vu l'ordonnance de clôture de l'instruction intervenue le 31 mai 2007 ;

Sur ce :

Considérant que, par acte daté du 29 août 1997, la société Esso et la SARL Maldene ont conclu un contrat portant sur l'exploitation d'un fonds de commerce de station-service situé 121 bis route de Strasbourg à Haguenau (Bas-Rhin) ; ce contrat était conclu pour une durée de trois ans à compter du 8 septembre 1997 ; il a pris fin le 7 septembre 2000, après notification par Esso de son non-renouvellement dans les délais contractuellement prévus ;

Considérant que la SARL Maldene, par acte du 3 décembre 2002, a fait assigner la SA Esso SAF devant le Tribunal de commerce de Paris afin d'entendre, notamment, constater la nullité du contrat, désigner un expert afin d'évaluer les pertes pour remise en ordre comme au premier jour, requalifier le contrat en contrat de travail salarié pour M. et Mme Maldene et condamner Esso à leur payer les salaires arriérés, subsidiairement, dire que les articles 1999 et 2000 du Code civil s'appliquent et en tirer toutes conséquences, très subsidiairement, dire que Esso indemnisera la société Maldene de ses pertes d'exploitation ;

Considérant que les appelants poursuivent l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du contrat, l'action étant prescrite comme ayant été introduite plus de cinq ans après la signature du contrat, rejeté la demande de nullité du contrat pour indétermination du prix des lubrifiants, l'abus n'étant pas démontré, dit, sur la demande d'indemnisation des pertes d'exploitation au titre du mandat, que l'exclusion de la soumission du mandat aux articles 1999 et 2000 du Code civil n'était pas opposable à la société Maldene, mais rejeté la demande comme mal fondée, rejeté la demande d'indemnisation pour pertes d'exploitation au titre de la location-gérance en raison des fautes de gestion constatées ;

Sur l'appel de M. et Mme Maldene :

Considérant que la société Esso SAF soulève, en premier lieu, l'irrecevabilité de l'appel interjeté par M. et Mme Maldene en leur nom personnel, et faisant valoir qu'ils n'étaient pas personnellement parties à l'instance devant le tribunal de commerce que les appelants ne répondent pas sur ce point ;

Considérant que l'assertion de la société Esso SAF selon laquelle les époux Maldene n'auraient été présents devant le tribunal de commerce qu'en qualité de liquidateurs (ou administrateurs) de la SARL Maldene n'est pas exacte dans la mesure où l'assignation indique après mention "SARL Maldene, société au capital de 7 622,45 euro fixe, adresse du siège social 121 B route de Strasbourg - 67500 Haguenau" "administrateurs de la société, M. Maldene Laurent et Mme Maldene Sonia, 46 boulevard d'Anvers - 67000 Strasbourg", mais sans préciser qu'ils n'agissent qu'en cette qualité ;

Que le jugement querellé précise que les demandeurs sont 1) la SARL Maldene, 2) Monsieur Laurent Maldene, 3) Mme Sonia Maldene, étant rappelé que tant l'assignation que les conclusions subséquentes des demandeurs contiennent une demande de requalification du contrat en contrat de travail salarié aux profit des époux Maldene et de paiement de rappels de salaires ; que la société Esso SAF ne démontre pas avoir invoqué, à propos de ces demandes, la règle "nul ne plaide par procureur", comme elle le fait devant la cour ; que d'ailleurs, il ressort des mentions du jugement déféré que cette société a conclu au débouté des demandes formulées par les consorts Maldene à son encontre, qu'elle les considérait donc comme parties à l'instance ;

Considérant que l'exception soulevée par Esso SAF sera en conséquence rejetée ;

Sur la demande de nullité du contrat de location-gérance :

Considérant que les appelants poursuivent l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré prescrite leur action en nullité ; qu'il soutiennent que la loi du 31 décembre 1989 dite "loi Doubin", qui a pour but de permettre et favoriser le développement des PME est d'ordre public ; qu'il s'agit d'un ordre public de direction, puisqu'elle vise à protéger l'intérêt général en renforçant le réseau français des PME ; que dès lors que l'ordre public économique est en jeu, la prescription quinquennale de l'article 1304 du Code civil ne joue plus, et que c'est la prescription trentenaire qui s'applique ;

Considérant que la société Esso SAF rétorque à bon droit que la protection de l'ordre public n'a jamais eu pour conséquence de porter la prescription des actions engagées en application de la loi Doubin à trente ans ; que la nullité est la sanction de l'absence d'un consentement éclairé, et qu'il s'agit d'une nullité relative, prescrite par cinq ans en application de l'article 1304 du Code civil ; qu'en tout état de cause, la société Maldene n'a jamais émis la moindre remarque ni réserve, ni formulé de réclamation particulière au moment de la signature du contrat quant à la communication de documents, et que les diverses lettres de réclamations de la SARL, à la suite de la résiliation du contrat de location-gérance, n'ont jamais argué d'une nullité du contrat ;

Que le jugement déféré doit être confirmé en ce que, après avoir constaté que le contrat, d'une durée de 3 ans, était daté du 29.08.1997 avec effet au 8.09.1997, qu'il n'était justifié d'aucun acte suspensif du délai de prescription entre la date de conclusion du contrat et l'acte introductif d'instance, délivré le 3 décembre 2002, il a dit prescrite l'action en nullité pour non-respect des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce, et rejeté en conséquence la demande de nullité ainsi que les demandes qui en découlent, à savoir, remise en état des choses comme au premier jour, nomination d'expert, requalification des époux Maldene en salariés, versement de salaires complémentaires, restitution de bénéfices illicites réalisés par Esso SAF ;

Sur la demande de nullité pour indétermination du prix des lubrifiants :

Considérant que la société Maldene ne critique pas sérieusement la décision des premiers juges en ce qu'ils l'ont déboutée de sa demande de nullité du contrat de location-gérance pour indétermination du prix des lubrifiants, fondée sur l'article 1129 du Code civil ; qu'elle ne fait d'ailleurs pas de demande sur ce point ;

Sur l'indemnité au titre des carburants "manquants" :

Considérant que la société Maldene demande la réformation du jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à ce titre ; qu'elle fait valoir que, compte tenu des conditions de livraison des carburants, gasoil comme super 95 et 98 (réduction du volume entre le chargement en usine à 32,9 et la livraison à 15°), la société Esso détournait au détriment de la société Maldene une trésorerie importante, équivalant, pour les trois années considérées, à 12 602,96 euro ;

Que la société Maldene n'articule toutefois aucune critique à l'encontre de la motivation des premiers juges, et ne produit aucune pièce susceptible de remettre en cause la décision querellée de chef ;

Que le tribunal a en effet pertinemment relevé que :

- Dans son chapitre VI "Dispositions particulières", article 6.1 Location-gérance avec mandat carburants, art 6.1.2 Gestion des stocks de carburant, les "AIP" stipulent :

"En tant que gardien des stocks de tous les produits qui lui sont confiés par la société, l'Exploitant est responsable des pertes éventuelles. Toutefois, la société contribuera aux pertes qui résultent des propriétés physiques des carburants par un versement annuel, dans la limite des pertes constatées d'essence ordinaire et de supercarburants avec ou sans plomb à concurrence de 1.5 °/oo du chiffre d'affaires TTC de chacun de ces produits.

La société s'engage à examiner cas par cas la situation qui résulte des pertes dûment justifiées se situant entre 1.5 et 3°/oo.

En cas de désaccord ou si les pertes sont supérieures à 3°/oo cet examen pourra être effectué en Commission paritaire de conciliation..."

S'il y a bonus, celui-ci est acquis à l'exploitant, s'il y a perte, la société contribuera dans les limites indiquées ci-dessus" ;

- la société Maldene ne conteste pas avoir reçu pour chacun des exercices en cause (1998, 1999 et 2000) des indemnités pour des montants déterminés par les déclarations administratives contractuelles,

- explique l'essentiel de sa demande sur des "manquants" de gazole, carburant non visé dans la convention en raison de ses "particularités physiques" différentes de celles des essences,

- ne verse aux débats aucun justificatif contractuel ayant force probante pour ses demandes supplémentaires ;

Que le jugement déféré sera en conséquence confirmé sur ce point également ;

Sur la demande d'indemnisation pour pertes d'exploitation au titre du mandat :

Considérant que la société Esso poursuit l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a dit l'exclusion de la soumission du contrat de location-gérance, pour sa partie "mandat", aux dispositions des article 1999 et 2000 du Code civil non opposable à la SARL Maldene, eu égard à la rédaction ambigüe du contrat, et à l'absence d'information précontractuelle à ce sujet ;

Considérant que la société Esso soutient que la société Maldene a expressément et irrévocablement renoncé au bénéfice des articles 1999 et 2000 du Code civil, de sorte que, en contrepartie, cette société a accepté le principe d'une rémunération forfaitaire (commissions) ayant pour objet de couvrir l'ensemble de ses frais et pertes ; que le contrat d'exploitation de station-service déroge au Code civil, et que les Accords Inter-Professionnels (ci-après AIP), dont les dispositions s'appliquent entre les parties et ne sont pas contradictoires avec le contrat, ne peuvent avoir pour effet une application forcée des articles 1999 et 2000 du Code civil ;

Considérant que les articles 1999 et 2000 du Code civil, relatifs à l'obligation faite au mandant d'indemniser son mandataire en cas de pertes, ne sont mentionnés dans le contrat signé par les parties le 29 août 1997 qu'au paragraphe 3 "cadre juridique ", dans les termes suivants :

"Ce contrat est soumis aux dispositions de la loi du 20 mars 1956 ainsi qu'aux dispositions de l'Accord Inter-professionnel du 12 janvier 1994 relatif aux exploitants mandataires de stations-service (Annexe I), dont la société reconnaît avoir reçu un exemplaire et, pour la distribution des produits énergétiques, aux articles 1984 et suivants du Code civil, à l'exception des articles 1999 et 2000" ;

Considérant qu'il n'est pas possible, dans le cas de l'espèce, contrairement à ce qui est soutenu par Esso d'analyser cette clause comme contenant une renonciation claire et non équivoque de la société Maldene à se prévaloir des dispositions des article 1999 et 2000 du Code civil, avec toutes ses implications ;

Considérant que les premiers juges, après avoir rappelé la nature des "AIP " et que le contrat de location-gérance litigieux est un contrat d'adhésion établi par Esso SAF, ont relevé à bon droit que :

- la rédaction ambigüe de l'article 3 "cadre juridique" laisse entendre qu'il se réfère purement et simplement à la loi sur la location-gérance et aux "AIP",

- l'éventuelle application des articles 1999 et 2000, dont il est inutile de souligner l'importance dans l'équilibre du rapport contractuel du mandat, est discrètement exclue dérogeant ainsi aux "AIP", par une indication lapidaire sans explication ou appel particulier à l'attention ;

Que la cour observera en outre que, les époux Maldene, eu égard aux professions qu'ils avaient exercées préalablement, n'avaient pas d'expérience en matière de distribution de carburant, ni même, pour M. Maldene, en matière commerciale, avant le stage de cinq semaines organisé par Esso en juillet 1997 ; qu'il n'est enfin pas démontré que le contenu de ce stage leur ait permis d'apprécier la portée de la clause litigieuse ;

Considérant que si le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a dit la renonciation à se prévaloir des dispositions des article 1999 et 2000 du Code civil non opposable à la SARL Maldene et donc la demande d'indemnisation au titre des résultats d'exploitation du seul mandat recevable, il doit l'être aussi en ce qu'il a débouté cette société de sa demande ;

Considérant en effet que la société Maldene ne verse aux débats aucun élément susceptible de remettre en cause la décision des premiers juges qui ont dit sa demande non fondée après avoir relevé notamment que :

- si le fonds de commerce donné en location-gérance, tel que défini aux articles 1 et 2 des conditions générales du contrat constitue une "universalité juridique", il n'en demeure pas moins que dans le cas d'espèce :

Celui-ci fait contractuellement l'objet de deux types d'exploitation juridiquement et économiquement très différents et non fongibles (la vente de carburant dans le cadre d'un mandat rémunéré forfaitairement et les autres activités assez largement laissées à la maîtrise et aux profits et pertes du locataire-gérant) ;

Le propriétaire du fonds est à la fois l'auteur et le co-contractant de cette dichotomie ;

- il ne peut être contesté de bonne foi que chaque sous-ensemble du fonds de commerce concoure à l'achalandage et aux recettes de l'autre, dans des proportions difficilement quantifiables, exercice auquel ne se risque d'ailleurs par la société Maldene ;

- la société Maldene ne démontre pas que Esso SAF a abusé de sa position dominante pour fixer la rémunération du mandat à un niveau déraisonnable ;

Considérant que l'étude Agec du 28 novembre 2003, sur laquelle se fonde essentiellement l'appelante, outre qu'elle a été réalisée non contradictoirement, et est sévèrement critiquée par Esso, n'apporte pas d'éléments utiles sur ce point ;

Sur la demande au titre des pertes d'exploitation du contrat de location-gérance dans son ensemble :

Considérant que la société Maldene, à titre subsidiaire, demande que la société Esso SAF soit condamnée à lui payer la somme de 16 020 euro pour couvrir les pertes d'exploitation du 3e exercice, en application des AIP en vigueur ;

Considérant que la société Esso SAF répond que les AIP ne mettent nullement à la charge de la compagnie pétrolière la prise en charge automatique des pertes d'exploitation et de gestion d'une station-service ; que l'étude Agec du 28 novembre 2003, dont elle conteste les analyses, comme il a été dit plus haut, vise à gonfler artificiellement les charges soi-disant imputables au mandat, sans explications valables ; qu'elle insiste sur les fautes de gestion relevées à l'encontre de la société Maldene, et souligne que la réclamation d'une indemnisation au titre de prétendues pertes d'exploitation n'est apparue qu'à la suite du non-renouvellement du contrat, que la SARL n'avait donc eu, jusque là, aucune raison de se plaindre de la rentabilité de la station-service ;

Considérant que force est de constater que la société Maldene n'articule aucune critique à l'encontre des motifs des premiers juges qui, après avoir examiné les comptes de résultats versés aux débats par la société elle-même, relèvent que :

- la faiblesse des résultats sociaux (avant versement d'une prime exceptionnelle) est due à une rémunération des gérants très supérieure à celle que mentionnent les AIP ;

- la SARL Maldene n'apporte pas la preuve, ni même n'allègue, qu'à l'occasion de la clôture des deux exercices survenus durant le cours de la location-gérance, elle a recouru aux procédures de discussion sur le niveau de rentabilité mises à sa disposition par les conventions ;

Que le jugement déféré sera donc confirmé également en ce qu'il a débouté la Maldene de ce chef ;

Considérant qu'aucun motif tiré de l'équité ou de la situation économique des parties ne justifie qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à l'espèce ; que les parties seront en conséquence déboutées des demandes faites à ce titre devant la cour ;

Par ces motifs, LA COUR, Dit la SARL Maldene, M. Laurent Maldene et Mme Sonia Hanzek épouse Maldene recevables en leur appel, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Déboute les parties de leurs autres demandes contraires aux motifs ci-dessus, Condamne la SARL Maldene, M. Laurent Maldene et Mme Sonia Hanzek épouse Maldene aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.