CA Bordeaux, 5e ch., 28 septembre 2007, n° 06-04019
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Codis Aquitaine (SA)
Défendeur :
Prodim (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gaboriau
Conseillers :
Mmes Coll, O'Yl
Avoués :
SCP Fournier, SCP Touton-Pineau & Figerou
Avocats :
SCP Junqua-Lamarque-Leclair, Me Leblond
Vu l'ordonnance du Juge des référés du Tribunal de commerce de Bordeaux en date du 21 juillet 2006.
Vu l'appel interjeté le 27 juillet 2006 par la SA Codis Aquitaine.
Vu ses conclusions récapitulatives déposées au greffe de la cour et signifiées le 31 mai 2007.
Vu les conclusions déposées au greffe de la cour et signifiées le 8 juin 2007 par la SAS Prodim.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 14 juin 2007.
A titre liminaire la note en date du 8 août 2007, adressée en cours de délibéré, par la SAS Prodim ne peut qu'être rejetée des débats faute par elle de respecter le principe du contradictoire.
La SAS Prodim est chargée au sein du groupe Carrefour de l'organisation et du développement de la franchise des marques du groupe (8 à 8, Shopi, Proxi ...) auprès des commerces alimentaires de proximité et conclut à cet effet des contrats de franchise avec des commerçants indépendants tandis que la SA CSF qui dépend aussi du groupe Carrefour est chargée de l'approvisionnement de ces superettes.
La SA Codis Aquitaine est une société coopérative qui regroupe en Aquitaine et Midi-Pyrénées environ 300 commerçants-détaillants auprès desquels elle remplit la mission de centrale d'achat, les faisant bénéficier de prix concurrentiels moyennant un engagement d'approvisionnement exclusif et une obligation de fidélité ; elle est en outre propriétaire d'un fonds de commerce situé à Espelette, 240 Scarrika Nagusia dont elle louait les murs aux époux Machicotte selon un bail commercial en date du 28 décembre 1999.
Selon une convention en date du 21 mars 2002 la SA Codis Aquitaine a conclu un contrat de franchise en vue de l'exploitation de ce magasin sous l'enseigne " 8 à 8 " avec la SA Prodim ; une clause de non-réaffiliation en cas de rupture du contrat et une clause compromissoire, entre autres dispositions, y sont insérées.
Toutefois le fonds avant été donné en location-gérance depuis le 1er janvier 2000 par la Codis Aquitaine à Monsieur Mickaël Leroy, la SA Prodim concluait un nouveau contrat de franchise avec celui-ci le 22 mars 2002.
Le 8 décembre 2004 un contrat de partenariat entre la SA Codis Aquitaine et la SA Prodim et un contrat d'approvisionnement entre la SA Codis Aquitaine et la SA CSF étaient conclus pour une durée d'une année, étant précisé que ces sociétés entretenaient depuis 2001 des relations commerciales de concession d'enseignes, de prestations de services et d'approvisionnement.
Reprochant à la SA Codis des actes de concurrence déloyale, les sociétés Prodim et CSF résiliaient ces contrats de partenariat et d'approvisionnement. Par courrier signifié le 30 septembre 2005 elles adressaient en outre à chacun de leurs franchisés, dont Monsieur Leroy, des courriers leur rappelant les obligations qu'ils avaient souscrites dans les contrats de franchise.
Elles faisaient dresser au cours de l'année 2005 des constats établissant que des franchisés, dont Monsieur Leroy, avaient masqué l'enseigne " 8 à 8 " apposée sur leur magasin et proposaient à la vente des produits d'un groupe concurrent, le groupe Casino.
Après avoir mis en demeure le 4 octobre 2005 la société Prodim de l'approvisionner, la SA Codis Aquitaine résiliait le 3 novembre 2005 le contrat de franchise.
Si le Juge des référés du Tribunal de commerce de Bayonne, saisi par la SA Prodim, a ordonné le 17 novembre 2005 la cessation, selon diverses modalités, du trouble manifestement illicite occasionné par Monsieur Mickaël Leroy en raison du non-respect des obligations mises à sa charge par le contrat de franchise du 22 mars 2002, la Cour d'appel de Pau, par arrêt du 25 avril 2006, constatant que la location-gérance consentie à celui-ci par la SA Codis avait été résiliée à compter du 3 novembre 2005, a réformé cette ordonnance.
Après avoir fait constater au cours de l'année 2006 que l'enseigne " 8 à 8 " apposée sur le magasin de la SA Codis Aquitaine avait été remplacée par une enseigne " Spar " et que des produits de la marque Casino étaient proposés à la vente, la SA Prodim, reprochant à sa cocontractante de ne pas avoir respecté la clause de non-réaffiliation insérée au contrat de franchise du 21 mars 2002, la faisait assigner devant le Juge des référés du Tribunal de commerce de Bordeaux au visa de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile.
Par l'ordonnance critiquée le premier juge a notamment :
- rejeté l'exception de litispendance
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SA Codis au profit du tribunal arbitral
- ordonné la dépose par la société Codis de l'enseigne Spar apposée sur le magasin situé à Espelette 240 Scarrika Nagusia ainsi que le retrait de toute signalétique afférente à cette enseigne
- ordonné le retrait de tous les produits vendus au sein de ce commerce à marque Casino ou relevant de marques affiliées
- dit que l'obligation de respecter la clause de non-réaffiliation sera sanctionnée par la mise en œuvre d'une astreinte de 150 euro par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la signification de l'ordonnance, cette astreinte étant limitée à un mois passé lequel il sera à nouveau fait droit.
Certes une clause compromissoire est insérée au contrat de franchise conclu le 21 mars 2002 entre la SA Prodim et la SA Codis Aquitaine ; selon les dispositions de l'article 1458 du nouveau Code de procédure civile d'une part lorsqu'un litige dont un tribunal arbitral est saisi en vertu d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci doit se déclarer incompétente d'autre part si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi la juridiction doit également se déclarer incompétente à moins que la convention d'arbitrage ne soit manifestement nulle.
En l'espèce le tribunal arbitral n'a été saisi que des litiges concernant la résiliation des contrats d'approvisionnement et de partenariat en date du 8 décembre 2004 et du litige opposant la SA Prodim à Monsieur Leroy; une sentence a d'ailleurs été prononcée dans le litige opposant la SA Codis à la SA CSF ; le tribunal arbitral n'a donc pas été saisi du présent litige.
Or il est acquis qu'une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué à ce que l'une des parties saisisse le juge des référés pour obtenir la mise en œuvre de mesures propres à faire cesser un trouble manifestement illicite; l'urgence est constituée par la brièveté de la clause de non-réaffiliation, par la nature du préjudice invoqué.
Le fait qu'il puisse exister des rapports, certes indéniables, entre le présent litige et les litiges dont a à connaître ou a connus le tribunal arbitral ne saurait justifier, faute de litispendance ou de connexité possibles, l'incompétence de la juridiction des référés sauf à conduire à un déni de justice.
La SA Codis Aquitaine soutient par ailleurs que le contrat de franchise est dépourvu de cause et impossible à exécuter dans la mesure où lorsque le contrat de franchise a été conclu, le fonds de commerce était déjà donné en location-gérance à Monsieur Leroy.
S'il est exact que le local commercial pour l'exploitation duquel la Codis a souscrit le 21 mars 2002 auprès de la SA Prodim un contrat de franchise était donné en location-gérance à Monsieur Leroy depuis le 1er janvier 2000, ce pourquoi un nouveau contrat de franchise a été conclu entre la SA Prodim et celui-ci le 22 suivant, la société Codis ne saurait invoquer l'absence de cause du contrat du 21 mars ; celle-ci est en effet constituée par l'exploitation du fonds de commerce qu'elle a repris après avoir résilié le contrat de location-gérance la liant à Monsieur Leroy.
De plus l'article 5 du contrat de franchise, dont elle a accepté toutes les clauses en le signant et qu'elle doit respecter par application des dispositions de l'article 1134 du Code civil, prévoit la suspension du contrat de franchise initial en cas de mise en location-gérance du fonds de commerce et sa reprise à la fin de la location-gérance, la durée du contrat étant prolongée du temps de la suspension.
La Codis fait valoir en cause d'appel que cet article est inapplicable dans la mesure où la mise en location-gérance qu'il vise ne peut qu'être postérieure au contrat de franchise initial alors qu'en l'espèce il est antérieur.
Contrairement à ce que soutient la SA Prodim, la SA Codis ne présente pas ainsi une demande nouvelle, donc irrecevable, mais invoque un nouvel argument pour démontrer l'absence de trouble manifestement illicite.
Cependant l'existence de cette précédente location-gérance, conclue alors que le magasin était exploité sous une autre enseigne (Score) et antérieure au contrat de franchise litigieux, ne peut à l'évidence avoir aucune influence sur l'interprétation ou la validité des clauses de celui-ci.
La clause de non-réaffiliation, dont se prévaut la SA Prodim est ainsi libellée : " en cas de rupture de la présente convention avant son terme et sans préjudice de l'exercice de la clause pénale ci-dessus et de toute demande de dommages et intérêts complémentaires, le franchisé s'oblige à ne pas utiliser directement ou indirectement, personnellement ou par personne interposée, en société ou autrement, durant une période de deux ans à compter de la date de résiliation du présent contrat, une enseigne déposée ou non, arborée par plus de vingt magasins au niveau national et à ne pas offrir en vente des marchandises dont les marques sont liées à des enseignes (marques propres) ceci dans un rayon de 5 km du magasin 8 à 8 faisant l'objet du présent accord ".
Les nombreux constats dressés postérieurement à la résiliation de la location-gérance consentie à Monsieur Leroy établissent d'une part qu'une enseigne " Spar " (dépendant du groupe Casino) est apposée sur le magasin et que celui-ci propose à la vente des produits de la marque Casino ou de ses affiliés.
La SA Codis Aquitaine conclut à la nullité de cette clause au motif qu'elle ne respecte ni l'article L. 420-1 du Code de commerce ni l'article 5 du règlement CE n° 2790-1999.
Le règlement CE n° 2790-99 concernant l'application de l'article 81 al. 3 du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées prohibe notamment en son article 5 toute obligation directe ou indirecte interdisant à l'acheteur à l'expiration de l'accord de fabriquer, d'acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services, sauf si cette obligation :
- concerne des biens ou des services qui sont en concurrence avec des biens ou des services contractuels et
- est limitée aux locaux et aux terrains à partir desquels l'acheteur a opéré pendant la durée du contrat et
- est indispensable à la protection d'un savoir-faire transféré par le fournisseur à l'acheteur à condition que la durée d'une telle obligation de non-concurrence soit limitée à un an à compter de l'expiration de l'accord.
Certes cette clause de non-réaffiliation d'une durée supérieure à un an qui vise à protéger le réseau de franchise des magasins 8 à 8 qui n'est implanté qu'en France, pourrait être susceptible d'affecter le commerce entre les Etats membres de la Communauté européenne et restreindre ou fausser le libre jeu de la concurrence.
Toutefois aucun élément objectif de fait ou de droit versé aux débats ne permet d'affirmer qu'elle exerce concrètement une influence quelconque sur les courants d'échanges entre Etats membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation du marché unique et qu'elle contribue ainsi à un blocage de ce marché.
Cependant cette clause de non-réaffiliation qui constitue une limitation à la liberté du commerce doit être proportionnée à l'objet du contrat et maintenir un équilibre entre la protection de la clientèle du franchiseur et la liberté d'entreprendre du franchisé. En l'espèce elle est limitée temporellement à deux ans et territorialement à un rayon de 5 km autour du magasin litigieux ; elle interdit seulement l'usage d'une enseigne arborée par plus de vingt magasins au niveau national et n'interdit donc pas la poursuite d'une activité commerciale identique pendant ce délai de deux ans par la société Codis ; par ailleurs celle-ci est une coopérative regroupant de nombreux adhérents et a donc une assise commerciale et un impact non négligeable face à son franchiseur ; en droit interne cette clause est donc à l'évidence licite au regard des dispositions des articles L. 420 du Code de commerce et 1134 du Code civil.
Par ailleurs la SA Codis, professionnelle avisée, qui n'a pas recherché la nullité de ce contrat de franchise ne peut soutenir que la SA Prodim ne lui a apporté aucun savoir-faire, celui-ci étant l'objet-même de ce contrat.
La SA Prodim fait enfin valoir que le trouble, si tant est qu'il ait existé, a cessé au jour où la présente cour statue au motif qu'elle n'exploite plus le fonds, le bail commercial la liant aux époux Machicotte ayant été résilié à effet au 30 juillet 2006.
Or il ressort des documents versés aux débats (extraits Kbis, statuts) les éléments suivants :
- la société Codis était propriétaire depuis le 28 décembre 1999 du fonds de commerce exploité à Espelette et donné à bail par les époux Machicotte
- elle l'a donné en location-gérance le 1er janvier 2000 à Monsieur Mickaël Leroy.
- elle a résilié ce contrat le 4 octobre 2005 à effet au 3 novembre 2005 à réception de la résiliation par Prodim du contrat de partenariat et par CSF du contrat d'approvisionnement
- elle l'a donné en location-gérance le même jour à la SARL Leroy ; toutefois les statuts de cette société démontrent qu'elle y a la qualité d'associée avec Monsieur Leroy et son épouse ;
- certes le 30 juillet 2006 elle a obtenu des époux Machicotte la résiliation du bail commercial concernant ce fonds et elle résiliait en conséquence la location-gérance consentie à la SARL Leroy le 31 suivant ;
- le 3 janvier 2007 comme en témoigne un procès-verbal d'assemblée générale la SARL Leroy devient la SARL Izaia et ses statuts mis à jour mentionnent toujours la SA Codis comme associée.
Aussi la SA Codis ne peut nier qu'au jour où la cour statue elle continue à exploiter indirectement, par personne ou société interposée, le fonds litigieux et, à enfreindre la clause de non-réaffiliation en ayant une enseigne arborée par plus de vingt magasins sur le plan national et en vendant des produits concurrents de ceux de la SA Prodim et que ce faisant elle est à l'origine d'un trouble manifestement illicite.
En conséquence la décision déférée sera confirmée.
Au regard des dispositions de l'article 1134 du Code civil et des pouvoirs du juge des référés tels que définis par les dispositions de l'article 873 du nouveau Code procédure civile, la SA Prodim sera déboutée de sa demande tendant à obtenir une prolongation de la clause de non-réaffiliation.
Enfin former une voie de recours contre une décision de justice n'est pas en soi fautif ; aussi faute de démontrer le caractère manifestement abusif de la procédure engagée par l'appelante, la SA Prodim sera déboutée de sa demande en dommages intérêts.
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code procédure civile au profit de l'intimée à hauteur de 1 500 euro.
Par ces motifs : LA COUR, Rejette des débats la note en délibéré en date du 8 août 2007. Confirme l'ordonnance de référé du Président du tribunal de commerce en date du 21 juillet 2006. Déboute la SA Prodim de ses demandes tendant à la prolongation de la clause de non-réaffiliation et de sa demande de dommages-intérêts. Condamne la SA Codis à payer à la SA Prodim une somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code procédure civile. La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code procédure civile.