CJCE, 1re ch., 5 juillet 2007, n° C-327/05
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume de Danemark
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jann
Avocat général :
Mme Trstenjak
Juges :
MM. Schintgen, Tizzano, Ileic, Levits
LA COUR,
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en adoptant et en maintenant des dispositions qui rendent les fournisseurs intermédiaires intervenant dans la chaîne de distribution responsables aux mêmes conditions que le producteur, en violation de l'article 3, paragraphe 3, de la directive 85-374-CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO L 210, p. 29, ci-après la "directive"), le Royaume de Danemark a manqué à son obligation de mettre pleinement en œuvre ladite directive.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
2 L'article 3 de la directive dispose :
"1. Le terme 'producteur' désigne le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première ou le fabricant d'une partie composante, et toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif.
2. Sans préjudice de la responsabilité du producteur, toute personne qui importe un produit dans la Communauté en vue d'une vente, location, leasing ou toute autre forme de distribution dans le cadre de son activité commerciale est considérée comme producteur de celui-ci au sens de la présente directive et est responsable au même titre que le producteur.
3. Si le producteur du produit ne peut être identifié, chaque fournisseur en sera considéré comme producteur, à moins qu'il n'indique à la victime, dans un délai raisonnable, l'identité du producteur ou de celui qui lui a fourni le produit. Il en est de même dans le cas d'un produit importé, si ce produit n'indique pas l'identité de l'importateur visé au paragraphe 2, même si le nom du producteur est indiqué."
3 En application de l'article 19, paragraphe 1, de la directive, les États membres devaient mettre en œuvre les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 30 juillet 1988.
La réglementation nationale
4 La directive a été transposée dans l'ordre juridique danois par la loi n° 371, du 7 juin 1989, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la loi n° 1041, du 28 novembre 2000 (ci-après la "loi n° 371").
5 L'article 4 de la loi n° 371 définit les notions de "producteur" et de "fournisseur" comme suit :
"1. Est considéré comme producteur celui qui fabrique un produit fini, un produit intermédiaire ou une matière première, celui qui produit ou récolte un produit naturel, ainsi que celui qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif.
2. Est également considéré comme producteur celui qui importe un produit dans la Communauté à des fins de vente, location, leasing ou toute autre forme de distribution dans le cadre de son activité commerciale.
3. Est considéré comme fournisseur celui qui met un produit en circulation dans le cadre de ses activités commerciales sans être considéré comme le producteur.
[...]"
6 L'article 6 de la loi n° 371 pose le principe de la responsabilité du producteur du fait des défauts d'un produit. L'article 10 de cette même loi prévoit :
"Un fournisseur répond directement des défauts d'un produit à l'égard des victimes et des fournisseurs en aval dans la chaîne de distribution."
7 En vertu de l'article 11, paragraphe 3, de la loi n° 371, le fournisseur qui a indemnisé la victime d'un dommage causé par un produit défectueux est subrogé dans les droits de celle-ci contre les opérateurs en amont dans la chaîne de production et de commercialisation.
La procédure précontentieuse
8 Après le prononcé de l'arrêt du 25 avril 2002, Commission/France (C-52-00, Rec. p. I-3827), relatif à une disposition nationale étendant au fournisseur la responsabilité encourue par le producteur dans le cadre de la directive, l'attention de la Commission a été attirée sur d'éventuelles incompatibilités entre la législation danoise et la directive. Après avoir invité le Royaume de Danemark à présenter ses observations à ce sujet, la Commission a engagé la procédure en manquement prévue à l'article 226 CE. Ayant adressé, le 19 décembre 2003, une lettre de mise en demeure à cet État membre, la Commission a, le 9 juillet 2004, émis un avis motivé invitant ce dernier à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa réception.
9 La réponse du Royaume de Danemark audit avis motivé ayant été jugée insatisfaisante par la Commission, cette dernière a introduit le présent recours.
Sur le fond
Argumentation des parties
10 Dans sa requête, la Commission, s'appuyant sur l'arrêt Commission/France, précité, soutient que la directive opère, sur les points qu'elle réglemente, une harmonisation totale du domaine de la responsabilité sans faute et que les États membres ne peuvent donc pas élargir le cercle des personnes responsables tel que délimité par cette directive. Les cas dans lesquels un fournisseur intermédiaire peut se voir imputer une responsabilité sans faute sont expressément réglementés, de manière exhaustive, à l'article 3, paragraphe 3, de la directive. En rendant le fournisseur intermédiaire responsable aux mêmes conditions que le producteur, la réglementation danoise ne serait pas conforme à la directive.
11 Dans son mémoire en réplique, la Commission a fait valoir que l'arrêt du 10 janvier 2006, Skov et Bilka (C-402-03, Rec. p. I-199), est venu confirmer son argumentation.
12 Le Royaume de Danemark, qui, dans son mémoire en défense, a invoqué un certain nombre d'arguments identiques, en substance, à ceux qu'il avait présentés dans ses observations dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Skov et Bilka, précité, a reconnu, dans son mémoire en duplique, que la réglementation danoise n'est pas compatible avec l'interprétation de la directive donnée par la Cour dans cette affaire et a informé la Commission qu'il avait pris l'initiative d'une modification de la législation nationale.
13 La loi n° 371 a été modifiée par la loi n° 541, du 8 juin 2006.
Appréciation de la Cour
14 À titre liminaire, il convient de rappeler que la date pertinente pour apprécier l'existence d'un manquement est déterminée par l'expiration du délai fixé dans l'avis motivé (voir, notamment, arrêts du 2 juin 2005, Commission/Luxembourg, C-266-03, Rec. p. I-4805, point 36, et du 7 juin 2007, Commission/Grèce, C-156-04, non encore publié au Recueil, point 66). Est donc seule pertinente en l'espèce la loi n° 371 dans sa version en vigueur au terme du délai de deux mois fixé dans l'avis motivé du 9 juillet 2004.
15 Dans l'arrêt Skov et Bilka, précité, rendu à la suite d'une demande de décision préjudicielle introduite par le Vestre Landsret (Danemark), la Cour a dit pour droit que la directive s'oppose à une règle nationale selon laquelle le fournisseur répond, au-delà des cas limitativement énumérés à l'article 3, paragraphe 3, de la directive, de la responsabilité sans faute que la directive institue et impute au producteur.
16 Il s'ensuit que, en prévoyant, à son article 10, que le fournisseur répond directement des défauts d'un produit à l'égard des victimes et des fournisseurs en aval dans la chaîne de distribution, la loi n° 371 ne respecte pas les limites de la responsabilité sans faute telles que fixées par la directive.
17 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer le recours comme fondé.
18 Par conséquent, il convient de constater que, en adoptant et en maintenant des dispositions qui rendent les fournisseurs intermédiaires intervenant dans la chaîne de distribution responsables aux mêmes conditions que le producteur, en violation de l'article 3, paragraphe 3, de la directive, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.
Sur les dépens
19 En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume de Danemark et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (première chambre) déclare et arrête :
1) En adoptant et en maintenant des dispositions qui rendent les fournisseurs intermédiaires intervenant dans la chaîne de distribution responsables aux mêmes conditions que le producteur, en violation de l'article 3, paragraphe 3, de la directive 85-374-CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.
2) Le Royaume de Danemark est condamné aux dépens.