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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 18 octobre 2007, n° 04-18739

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Visiodent (SA)

Défendeur :

Soussan, Dell (Sté), Unisys France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mme Le Bail, M. Picque

Avoués :

SCP Baufume-Galland-Vignes, SCP Narrat-Peytavi, Me Teytaud, SCP Lagourgue-Olivier

Avocats :

Mes Benouaich, Cohen Ullmo, Kessler, Froment

TGI Paris, du 24 juin 2004

24 juin 2004

LA COUR,

VU les appels relevés par la SA Visiodent (déclaration d'appel n° 11014 du 23 juillet 2004), la SA Dell (déclaration d'appel n° 12372 du 17 ao0t 2004) et la SAS Unisys France (déclaration d'appel n° 13165 du 13 septembre 2004), joints, les deux premiers, par ordonnance du 26 novembre 2004, le troisième, aux précédents, par ordonnance du 16 décembre 2004, du jugement du Tribunal de grande instance de Paris (5e chambre, 2e section, n° de RG 02-14776), prononcé le 24 juin 2004;

VU les dernières conclusions des appelantes:

- la SA Visiodent (23 novembre 2004),

- la SA Dell (17 décembre 2004)

- la SAS Unisys France (14 janvier 2005);

Vu les dernières conclusions (29 juillet 2005) de Mme Julie Soussan, intimée et incidemment appelante;

Sur quoi,

Considérant que Mme Soussan, pour la gestion des dossiers des patients de son cabinet dentaire, a acquis auprès de Visiodent, le 11 juin 1998, un système comprenant un logiciel, un ordinateur portable de marque Dell muni d'un disque dur "C" complété par un disque dur extractible "D" ; que, le 26 mai 2000, Mme Soussan a constaté l'impossibilité d'accéder à son logiciel et alerté Visiodent, qui l'a renvoyée vers Dell en estimant que la panne provenait d'un dysfonctionnement de l'ordinateur; que Dell a fait intervenir son sous-traitant Unisys France ; que le technicien a malencontreusement effacé le contenu du disque de sauvegarde "D" tandis que le disque dur "C" avait été démonté et renvoyé à Dell qui l'avait aussitôt recyclé ; que, la récupération des données sur le disque "D" ayant montré que la sauvegarde n'avait été que partielle, Mme Soussan, après expertise ordonnée par le juge des référés, a assigné Visiodent, Dell et Unisys ; que le tribunal, par le jugement dont appel, a condamné in solidum les trois défenderesses à réparer le préjudice de Mme Soussan en retenant toutefois une part de responsabilité à la charge de cette dernière à hauteur de 10 % et dit que, dans les rapports des défenderesses entre elles, Visiodent était responsable de 60 % du préjudice subi par Mme Soussan, Dell et Unisys chacune à hauteur de 15 %;

Considérant que chacune des appelantes estime n'avoir aucune part de responsabilité dans le dommage subi par Mme Soussan tandis que cette dernière reproche au tribunal d'avoir retenu une part de responsabilité à sa charge et minimisé son préjudice ; que, s'appuyant sur certaines des conclusions de l'expert, M. Hattah, elle reproche, en synthèse:

- à Visiodent, d'avoir manqué à son devoir d'information et de conseil en négligeant de lui donner les explications appropriées sur la sauvegarde des données,

- à Dell, de n'avoir pas été en mesure de restituer le disque dur "C" initialement en panne,

- à Unisys, d'avoir, par suite d'une mauvaise manœuvre de son technicien, effacé les données enregistrées sur le disque de sauvegarde "D";

Considérant qu'il n'est pas contesté que le préjudice subi par Mme Soussan est constitué par la perte des enregistrements informatiques des données et la nécessité de les reconstituer à partir des informations conservées sur fiches cartonnées ; qu'il y a lieu d'observer que le rôle de la panne initiale dans cette perte n'est pas dans le débat, l'expert ayant été dans l'impossibilité d'en déterminer l'origine et soulignant qu'une telle panne n'était pas un phénomène exceptionnel (p. 13, 30) ; que le litige se limite ainsi à la recherche des responsabilités dans la défaillance des moyens mis en œuvre pour prévenir les conséquences d'une telle panne et y remédier;

Sur les responsabilités de Visiodent et de Mme Soussan à raison du défaut de sauvegarde:

Considérant que l'expert a constaté qu'aucune information n'avait été sauvegardée sur le disque extractible à partir du 23 novembre 1998 ; que, d'ailleurs, certains fichiers que la restauration du disque "D" a permis de retrouver après la manœuvre intempestive d'Unisys provenaient, non d'une sauvegarde automatique ou manuelle effectuée à partir du logiciel de Visiodent, mais des répertoires du système d'exploitation windows (p. 18) ; que ce constat permet à M. Hattab de conclure que, à partir du 23 novembre 1998, il n'y a eu ni sauvegarde automatique par le logiciel Visiodent, ni sauvegarde manuelle déclenchée par Mme Soussan (p. 19);

Considérant que ces éléments corroborent la thèse de Mme Soussan, qui indique avoir été entretenue dans l'idée que les sauvegardes s'effectuaient automatiquement sans nécessité de prendre une quelconque initiative ; que cette thèse, qui n'est contredite par aucune autre observation, est encore confortée par les dires des techniciens ou démonstrateurs intervenus chez elle;

Considérant que l'expert ajoute que, si le manuel utilisateur remis par Visiodent préconisait d'effectuer des sauvegardes dans des situations peu courantes telles que l'installation d'un nouveau logiciel ou des manipulations de type suppression de paramétrage, il ne comportait aucune consigne quant à l'utilisation de l'icône de sauvegarde et indiquait même " toutes les procédures de sauvegarde sont effectuées automatiquement par votre logiciel Visiodent windows ";

Considérant que c'est par une exacte appréciation de ces éléments que le tribunal a ainsi pu retenir que Visiodent avait manqué à son obligation d'information et de conseil par le défaut de clarté de ses consignes en matière de sauvegarde ; que sa responsabilité a été retenue à juste titre;

Considérant, en revanche, que les premiers juges ont à tort estimé que Mme Soussan avait une part de responsabilité en ce qu'elle aurait dû se soucier davantage de la sauvegarde de ses données, alors qu'une sauvegarde avait été effectuée le 23 novembre 1998, par elle-même ou une personne ayant accès à son système informatique;

Considérant que rien ne permet en effet de contredire Mme Soussan qui indique qu'elle s'était préoccupée de cette question maisqu'elle avait été induite en erreur, non seulement par le manuel d'utilisation, mais aussi par les affirmations d'un commercial de Visiodent, qui lui avaient laissé croire que toutes les sauvegardes s'effectuaient automatiquement, aussi bien sur le disque "C" que sur le disque extractible "D";

Considérant, par ailleurs, qu'il n'est pas démontré par l'expertise que la ou les sauvegardes effectuées avant le 23 novembre 1998 sur le disque "D" l'auraient été par une commande appropriée du logiciel de Visiodent;

Considérant, dès lors, que la cour retiendra la seconde des hypothèses de répartition des responsabilités proposée par l'expert, soit celle qui exclut toute responsabilité de Mme Soussan;

Sur la responsabilité de Unisys :

Considérant que la mauvaise manœuvre du technicien de Unisys lors de son intervention du 30 mai 2000, qui a formaté par erreur le disque "D", a été réparée le 5juin 2000 ; que, si l'expert indique (p. 15 de son rapport) "Techniquement nous n 'avons aucune critique à formuler sur la restauration effectuée mais il est permis de s'interroger sur le délai écoulé entre le mercredi 31 mai et le lundi 5 juin 2000; Unisys aurait dû faire preuve d'une plus grande diligence après une erreur de manipulation qui lui était imputable", il conclut néanmoins: "Il est donc très vraisemblable que les interventions des techniciens de la société Unisys n'aient eu aucune conséquence sur l'état du disque dur extractible D";

Considérant qu'il est permis d'en déduire que la manipulation qui a fait momentanément perdre les données enregistrées sur le disque "D" n'a eu, en elle-même, aucune conséquence quant au préjudice subi par Mme Soussan puisque ces données ont été finalement récupérées, mais qu'il n'en est pas de même de l'imprévoyance de Unysis qui n'a pas pris la précaution de conserver le disque "C" en panne en attendant de pouvoir s'assurer du contenu du disque "D" écrasé par erreur, alors, selon l'expert, (p. 16) que " La possibilité de récupérer des données d'un disque en panne existe et des sociétés se sont spécialisées dans ces récupérations. Un disque dur peut dans certains cas être réparé lorsque c'est la partie logique [sic] qui est en cause ";

Considérant que cette imprévoyance justifie que soit retenue la responsabilité de Unisys dans la proportion proposée par l'expert et retenue à juste titre par le tribunal;

Sur la responsabilité de Dell :

Considérant que le tribunal, suivant les conclusions de l'expert, a estimé que la société Dell avait commis une faute en recyclant le disque dur "C" extrait par le technicien de la société Unisys, faisant ainsi perdre à Mme Soussan une chance de récupérer les données qui pouvaient y être enregistrées;

Mais considérant qu'il ne ressort d'aucun élément du débat que Dell a su, ou aurait pu ou dû savoir que le disque "D" de Mme Soussan avait lui même été, d'une part, sous-utilisé puisqu'aucune sauvegarde n'avait été faite pendant un an et demi, d'autre part, formaté par erreur par Unisys ; que Dell, fait valoir à juste titre que son comportement n'a pu être jugé fautif par négligence qu'au regard d'événements découverts postérieurement au fait qui lui est reproché, en tout cas dont elle n'avait pas connaissance ; que sa responsabilité sera en conséquence écartée ; que le jugement entrepris sera réformé sur ce point;

Considérant que c'est par des motifs exacts, complets et pertinents, que la cour adopte, que le tribunal a procédé à l'évaluation du préjudice de Mme Soussan; que les premiers juges ont en effet retenu à juste titre un temps de saisie des fiches tenant compte de la nécessité de reprendre les données comptables de la situation de ses patients puisque ces éléments étaient prévus dans le logiciel et qu'il convenait de remettre le système dans l'état initial ; qu'ils ont encore écarté à juste titre les prétentions de Mme Soussan à raison d'un préjudice moral au sujet duquel aucun élément de preuve n'est produit.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la SA Visiodent et la SAS Unisys France responsables du dommage subi par Mme Soussan et fixé à 15 % la part de responsabilité imputable à la SAS Unisys France dans ses rapports avec la SA Visiodent, Le confirme également sur l'évaluation du préjudice de Mme Soussan, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de la SA Dell et une part de responsabilité à la charge de Mme Soussan, Condamne en conséquence in solidum la SA Visiodent et la SAS Unisys France à payer à Mme Soussan 31 661 euro en réparation de son préjudice, Dit que, dans leurs rapports entre elles, les SA Visiodent et SAS Unisys France sont responsables chacune du préjudice subi par Mme Soussan à hauteur, la première, de 85 %, la seconde, de 15 %, Déboute Mme Soussan de ses demandes dirigées contre la SA Dell, Condamne in solidum la SA Visiodent et la SAS Unisys France aux dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise, et admet les avoués de la cause qui peuvent y prétendre au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, Condamne in solidum la SA Visiodent et la SAS Unisys France à payer à Mme Soussan 10 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à plus ample application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.