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Décisions

Conseil Conc., 25 juillet 2008, n° 08-D-17

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine de la société Toffolutti

Conseil Conc. n° 08-D-17

25 juillet 2008

Le Conseil de la concurrence (commission permanente)

Vu la lettre enregistrée le 28 septembre 1998 sous le numéro F 1081 par laquelle la société Toffolutti a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Screg, Colas, Devaux et Eurovia qu’elle estime anticoncurrentielles ;Vu l’arrêt du 12 décembre 2006 par lequel la Cour d'appel de Paris a annulé la décision n° 05-D-71 du Conseil de la concurrence du 19 décembre 2005 et a renvoyé l'affaire au Conseil de la concurrence aux fins de poursuite de la procédure, le dossier ayant, à la suite de ce renvoi, été de nouveau enregistré sous le numéro 06/0103-F ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par le représentant de la société Toffolutti et le commissaire du Gouvernement ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant de la société Toffolutti entendus au cours de la séance du 2 juillet 2008 ; Adopte la décision suivante :

I. Le déroulement de la procédure

1. La saisine de la société Toffolutti vise des pratiques de prix prédateurs mises en œuvre par ses principaux concurrents, appartenant à des grands groupes de travaux publics, à l'occasion d'appels d'offres relatifs à la fourniture et à la pose d'enduits bitumineux dans le département du Calvados au cours de l'année 1998. Cette saisine était assortie d'une demande de mesures conservatoires.

2. Le 18 décembre 1998, soit moins de trois mois après avoir reçu cette saisine, le Conseil a accordé des mesures conservatoires (décision n° 98-MC-16) en s'appuyant notamment sur une note établie par la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de Haute Normandie qui analysait les comportements de prix des entreprises en cause à l'occasion d'appels d'offres lancés par le conseil général du Calvados. Cette note constatait que les prix proposés ne couvraient pas les coûts supportés par les entreprises pour la fourniture et la mise en œuvre d'enrobés.

3. Cette décision du Conseil a été annulée le 25 février 1999 par la Cour d'appel de Paris, la cour estimant que la note avec ses annexes communiquée par la DRCCRF de Haute-Normandie à la demande des services d'instruction du Conseil avait été obtenue irrégulièrement. Tirant la conséquence de cette décision, les services du Conseil ont restitué à la DGCCRF les documents en cause qui, par conséquent, ont été retirés du dossier.

4. Le 16 mai 2000, la Cour de cassation a cassé cet arrêt de la cour d'appel en considérant que les documents reçus avaient été obtenus régulièrement. Elle a renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Paris. Par un second arrêt, en date du 14 janvier 2003, la Cour d'appel de Paris a de nouveau annulé la décision 98-MC-16 du Conseil, en raison de la présence au délibéré du rapporteur général et du rapporteur, et renvoyé la demande de mesures conservatoires devant le Conseil. Cinq ans après la saisine, cette demande était devenue sans objet et n'a donc pu être de nouveau instruite.

5. Concomitamment, sur le fond, une demande d'enquête en date du 19 juillet 1999 a été adressée par le Conseil à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

6. Par ailleurs, une demande de communication de pièces a été adressée, le 13 juillet 2001, au président du tribunal de grande instance de Rouen et à M. X, juge d'instruction auprès du même tribunal, qui instruisait un dossier relatif à des pratiques mises en œuvre en Seine Maritime par les mêmes entreprises, aux fins d'obtenir communication des éléments recueillis par ce juge " (...) ayant un lien direct avec les faits dont le Conseil est saisi ". Cette demande visait trois dossiers pendants devant le Conseil, dont le dossier F.1081 ouvert à la suite de la saisine de l'entreprise Toffolutti. Le magistrat a répondu à cette demande par un soit-transmis en date du 7 juillet 2002.

7. A ce soit-transmis étaient jointes des pièces de la procédure pénale comportant des copies de scellés de documents saisis et des copies des auditions des cadres des entreprises visées par la procédure pénale effectuées soit par les services d'enquête soit par le juge d'instruction. Mais ces pièces n'ont pu être versées au dossier F.1081, les services d'instruction du Conseil ayant constaté qu'elles n'apportaient aucun élément nouveau ayant un lien direct avec les faits dont le Conseil était saisi, et qui avaient fait l'objet de la demande d'enquête adressée à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en juillet 1999.

8. Le rapporteur général, par un courrier en date du 12 avril 2005, a demandé à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de lui transmettre les résultats de l'enquête demandée. En réponse à cette demande, la DGCCRF a indiqué, par courrier du 6 mai 2005, que l'enquête avait été " suspendue " en janvier 2003 pour ne pas interférer avec les investigations ordonnées par le juge pénal en ce qui concerne les faits d'entente sur les enrobés bitumeux dans plusieurs départements normands. A aucun moment, avant la demande du rapporteur général, les services d'instruction du Conseil n'ont été informés de cette décision de " suspendre " l'enquête.

9. Le Conseil de la concurrence, dans une décision n° 05-D-71 du 19 décembre 2005 a prononcé un non-lieu à poursuivre après avoir constaté la prescription. Toutefois, dans un arrêt du 12 décembre 2006, la Cour d'appel de Paris, faisant sien le raisonnement qu'avait déjà suivi le Conseil dans sa décision n° 06-D-08 du 24 mars 2006 collèges de l'Hérault, postérieure à la décision attaquée, a jugé qu'en l'espèce la nouvelle prescription de 5 ans était applicable et a, en conséquence, constaté que cette prescription n'était pas acquise. Elle a donc renvoyé l'affaire au Conseil de la concurrence aux fins de poursuite de la procédure.

II. Discussion

10. Aux termes de l'article L. 464-6 du Code de commerce " lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure ".

1. Sur l'absence d'enquête

11. En premier lieu, le Conseil constate qu'une demande d'enquête a été régulièrement adressée le 19 juillet 1999 au Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et qu'à ce jour aucun acte d'enquête n'a été effectué par les services de la DGCCRF. Comme il a été dit plus haut, le soit-transmis du juge d'instruction de juillet 2002 n'a pu suppléer à cette absence dans la mesure où il ne s'appliquait à aucune donnée ayant un lien avec le dossier ouvert à la suite de la saisine de la société Toffolutti, l'information pénale n'ayant pas porté sur les pratiques mises en œuvre dans le département du Calvados.

2. Sur la suite de l'instruction

12. La société Toffolutti, dans ses observations, demande que l'instruction soit poursuivie, quand bien même les faits dénoncés remonteraient à dix ans. Elle s'appuie sur une note, accompagnée de ses annexes, établie par la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de Rouen, datée du 9 novembre 1998, qu'elle a jointe à ses observations. Il s'agit de la note restituée par le Conseil à la DGCCRF à la demande de la Cour d'appel de Paris statuant en 1999. Cette note analyse les prix proposés par les entreprises en réponse à des appels d'offres pour la pose d'enrobés dans le Calvados par les sociétés mises en cause par la saisine, en les comparant aux coûts supportés par ces entreprises pour l'achat et la mise en œuvre des enrobés et constate que, dans un certain nombre de cas, le niveau des offres de ces entreprises est sensiblement inférieur aux coûts ainsi constatés.

13. Ces documents, anciens, sont insuffisants en eux-mêmes pour caractériser un accord de volonté entre les entreprises dénoncées par la saisissante pour l'écarter par des prix prédateurs, du marché des enrobés bitumeux. L'enquêteur lui-même " suspectait " une volonté prédatrice mais indiquait qu' " elle ne pourra être établie que si elle est constatée sur une période plus longue en utilisant des moyens d'enquête appropriés. " Ce sont précisément ces moyens d'enquête appropriés qui ont été demandés par les services d'instruction du Conseil en juillet 1999 et qui n'ont pas été mis en œuvre.

14. En effet, des mesures coercitives de la nature de celles autorisées par les articles L. 450-3 et L. 450-4 du Code de commerce auraient été les mieux à même d'apporter la preuve d'un accord de volonté anticoncurrentiel mis en œuvre par les sociétés mises en cause.

15. Bien que le commissaire du Gouvernement s'y déclare aujourd'hui prêt, le Conseil est d'avis que le recours à de telles mesures, dix ans après les faits, alors que les entreprises ont eu connaissance de la note de la DDCCRF de novembre 1998, qu'elles ont été mises en garde par les mesures conservatoires prononcées en décembre 1998 par le Conseil et ont fait l'objet de perquisitions opérées à leur siège dans le cadre de l'instruction pénale portant sur les marchés publics de travaux de Seine-Maritime, est à la fois vain et disproportionné, compte tenu du risque important de déperdition des preuves nécessaires pour établir l'entente alléguée.

16. Le Conseil observe, au surplus, que les preuves d'entente sur les marchés publics de Seine-Maritime, recueillies lors de ces opérations de visites et saisies, ont permis au Conseil de condamner les entreprises mises en cause dans sa décision n° 05-D-69 du 15 décembre 2005 à des amendes d'un montant global de plus de 33 M€, décision entièrement confirmée par un arrêt du 30 janvier 2007 de la Cour d'appel de Paris, mais qu'aucun élément de nature à établir une entente entre les mêmes entreprises sur les marchés publics du Calvados n'avait été trouvé à l'époque, alors même que les directions régionales des entreprises visitées avaient compétence pour répondre aux appels d'offres dans les deux départements.

17. En conséquence, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.

Décision

Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.