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Décisions

CA Agen, ch. civ., 9 octobre 2007, n° 05-01593

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupement Interclub de Maintenance Aéronautique (Gima), Allianz Marine et Aviation (Sté)

Défendeur :

Apex Aircraft (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Imbert

Conseillers :

Mme Auber, M. Mornet

Avoués :

SCP A.L. Patureau & Rigault, M. Burg

Avocats :

Mes Chevrier, Casati-Ollier, SCP Chevrier-Pretnar

TGI Auch, 28 sept. 2005

28 septembre 2005

LA COUR,

Exposé du litige

Le 1er mai 2001, lors d'une séance d'entraînement de voltige aérienne à Auch, un aéronef Cap 21 construit par la société Avions Mudry, appartenant à l'association Midi Pyrénées Voltige et piloté par Etienne Mazat s'est écrasé au sol ; le pilote a été mortellement blessé.

Le fonds de commerce et les actifs de la société Avions Mudry ont été acquis par la société Apex Aircraft selon jugement du Tribunal de commerce de Bernay en date du 16 mai 1997.

L'enquête a établi que l'avion était devenu incontrôlable au motif que la rotule de la bielle de la tringle de gouverne de profondeur avait été placée, lors du remontage après révision, à côté de l'écrou reliant les deux cornières du guignol, alors qu'elle aurait dû être traversée par cet écrou ; ce remontage a été effectué par André Bressolle, mécanicien salarié du Groupement Interclub de Maintenance Aeronautique (Gima) assuré auprès de la société SM 3A devenue la SA Allianz Marine et Aviation (Allianz).

Par jugement rendu le 28 septembre 2005, le Tribunal de grande instance d'Auch a déclaré le Gima responsable de l'accident du 1er mai 2001 ayant provoque le décès d'Etienne Mazat sur le fondement de l'article 1384 alinéas du Code civil, a condamné en conséquence in solidum le Gima et son assureur Allianz à indemniser les proches du défunt, et a rejeté l'action récursoire du Gima et d'Allianz à l'encontre de la société Apex Aircraft.

Le Gima et Allianz ont relevé appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui n'apparaissent pas critiquables.

Ils demandent à la cour de réformer le jugement et de condamner la société Apex Aircraft à relever et garantir le Gima et la compagnie Allianz de toutes les sommes mises à leur charge et allouées aux consorts Mazat ainsi qu'à la Maif et de la condamner en conséquence à payer à Allianz la somme de 220 964,28 euro ainsi qu'une indemnité de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ils soutiennent que le manuel d'entretien de l'avion était indigent et que cette lacune rédactionnelle est directement à l'origine de l'erreur commise par André Bressolle dans le remontage de la gouverne de profondeur, et que ces insuffisances entraînent la responsabilité de la société Apex Aircraft en sa qualité de repreneur de ta société des avions Mudry.

Ils soutiennent également que le manuel d'entretien relève de l'article L. 221-1 du Code de la consommation.

Ils ajoutent que la société Apex Aircraft s'est engagée au maintien du suivi de la navigabilité des appareils de la société des avions Mudry, et que le manuel d'entretien et ses modifications font partie de ce suivi de navigabilité.

La société Apex Aircraft conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation in solidum de Gima et Allianz à lui payer une indemnité de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle soutient d'abord que sa responsabilité ne peut être recherchée en qualité de cessionnaire de la société des avions Mudry puisqu'aux termes du jugement du tribunal de commerce, elle n'a acquis que les actifs et le fonds de commerce de sorte qu'elle n'a repris aucun engagement relatif au passif de la société des avions Mudry.

Elle prétend qu'elle ne saurait donc assumer, à la place des avions Mudry, même partiellement, les conséquences d'une éventuelle responsabilité du fait de l'insuffisance du manuel d'entretien élaboré par le constructeur, à l'époque où l'appareil était fabriqué (1987).

Elle soutient ensuite que l'article L. 221-1 du Code de la consommation est relatif à la sécurité des produits et services normalement utilisés, et ne concerne aucunement le suivi d'une documentation technique.

Elle soutient enfin qu'au regard des règles de l'aviation civile, l'arrêté du 6 septembre 1967 prévoit que la délivrance du certificat de navigabilité est subordonnée à la fourniture des documents nécessaires à l'entretien, en l'occurrence le manuel d'entretien, et que le constructeur s'engage à informer de toutes modifications ou inspections obligatoires et précise qu'aucun manquement n'est allégué sur ces points ; elle ajoute que le suivi de navigabilité d'un aéronef consiste à entreprendre toutes les actions nécessaires pour que, en fonction du retour d'expérience, l'appareil soit maintenu en état de navigabilité, conformément au certificat de navigabilité initialement délivré, et que c'est dans ce cadre que le manuel d'entretien a été mis à jour après l'accident du 1er mai 2001.

La société Apex Aircraft précise également que le manuel d'entretien a pour objet de définir les opérations d'entretien obligatoires et leur périodicité, mais non de fournir un mode opératoire qui relève la technique enseignée dans le cadre de la qualification donnée à tout mécanicien en matière aéronautique.

Motifs de la décision

I- Sur la responsabilité de la société Apex Aircraft en sa qualité de repreneur de la société des avions Mudry

L'article L. 621-63 du Code de commerce précise que les personnes qui exécutent le plan ne peuvent se voir imposer des charges autres que les engagements qu'elles ont souscrits au cours de sa préparation ;

il résulte de ce texte qu'en l'absence de dispositions contraires du plan, le cessionnaire désigné par le plan de cession de l'entreprise n'est pas tenu du passif de l'entreprise né antérieurement à la cession ;

En l'espèce, la société Apex Aircraft verse aux débats le jugement rendu le 16 mai 1997 par le tribunal de commerce de Bernay ; il résulte de ce jugement qui a décidé de la cession de la société des avions Mudry que la société Apex Aircraft s'est limitée à acquérir les actifs de cette société et qu'elle n'a pris aucun engagement quant au passif de la société des avions Mudry ;

il résulte de ces éléments que la société Apex Aircraft ne peut se voir rechercher. en sa qualité de cessionnaire, pour une responsabilité du fait d'une éventuelle insuffisance rédactionnelle du manuel d'entretien rédigé en 1982;

Il apparaît en conséquence que ce moyen ne peut être retenu.

II - Sur l'application de l'article L. 221-1 du Code de la consommation

Selon l'article L. 221-1 du Code de la consommation, les produits et services doivent, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes;

Le contenu rédactionnel du manuel d'entretien d'un avion et le suivi de cette documentation technique destinée au mécanicien aéronautique ne saurait être qualifiée de produit ou service au sens de l'article L. 221-1 du Code de la consommation ;

Il apparaît en conséquence que ce moyen ne peut être retenu.

III - Sur les obligations au regard des règles de l'aviation civile

L'arrêté du 6 septembre 1967 relatif aux conditions de navigabilité des aéronefs civils impose aux constructeurs "d'établir et fournir régulièrement tous les documents nécessaires à l'entretien" et de "s'engager par écrit à informer systématiquement tous les utilisateurs des modifications ou inspections obligatoires" afin d'assurer le maintien du certificat de navigabilité d'un aéronef;

Ce texte n'impose pas au repreneur d'un fabriquant d'aéronef de reprendre et réviser l'ensemble de la documentation technique établie par l'ancienne société pour des avions qui ne sont plus fabriqués, même si elle maintient cette documentation à disposition

L'article 10.B de cet arrêté prévoit que la délivrance du certificat de navigabilité est subordonnée à la fourniture des documents nécessaires à l'entretien et que le constructeur s'engage à informer de toutes modifications ou inspections obligatoires. En l'espèce, le certificat de navigabilité a été délivré pour l'avion piloté par Etienne Mazat ce qui tend à démontrer que les documents nécessaires à l'entretien ont été jugés satisfaisants ; en outre, aucune modification ni inspection obligatoire n'est intervenue ;

L'article 10.A.C de l'arrêté prévoit enfin que le constructeur doit fournir aux services qualifiés les justifications nécessaires pour maintenir la validité du certificat de navigabilité, soit dans les cas où il désire apporter des modifications, soit dans le cas où l'expérience conduit ses services à exiger des modifications, en particulier sous forme de consigne de navigabilité ;

C'est en application de cette disposition que la société Apex Aircraft a émis une consigne de navigabilité relative au mode opératoire de remontage de la tringle de gouverne de profondeur à la suite de l'accident, mais cela ne démontre aucunement qu'elle aurait du le faire avant d'avoir connaissance de la difficulté ;

il résulte encore du manuel versé aux débats que celui-ci indique les manipulations nécessaires au réglages des commandes de profondeurs; d'ailleurs, les auditions d'André Bressolle au cour de l'enquête et de l'information démontrent qu'en Sa qualité de mécanicien aéronautique, il connaissait parfaitement le remontage auquel il devait procéder et la difficulté de celui-ci, de sorte qu'il lui appartenait de mettre en œuvre tout moyen nécessaire pour vérifier la bonne réalisation de l'opération ;

Si la norme européenne (JAR 23) préconise que le manuel d'entretien contienne certains modes opératoires, cela concerne les méthodes spéciales de réparation applicables à l'avion, les techniques spéciales d'inspection telles que rayons X, ultrasons, inspections aux particules magnétiques, et les outillages spéciaux, mais cela ne concerne pas l'opération de remontage réalisée par André Bressole , qui, aussi délicate soit-elle en raison des difficultés d'accès, ne relevait de méthodes ou de techniques spéciales;

Il convient d'ailleurs de noter que ce manuel d'entretien a été utilisé dans sa rédaction d'origine de 1982 et qu'il n'a suscité aucune remarque particulière ni aucun problème jusqu'à l'accident de 2001, et qu'à la suite de l'accident, la société Apex Aircraft a émis la consigne de navigabilité sus-visée conformément à l'article 10.A.C de l'arrêté du 6 septembre 1967 ;

Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'aucune faute ne peut être reprochée à la société Apex Aircraft ;

Il convient en conséquence de débouter le Gima et Allianz de leurs demandes,

IV - Sur les dépens et les demandes d'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Le Gima et Allianz succombant à l'instance, ils en supporteront in solidum les dépens ;

Il convient également de les condamner in solidum à payer à la société Apex Aircraft une indemnité de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare recevable l'appel formé par le Groupement Interclub de Maintenance Aéronautique et la SA Allianz Marine et Aviation à l'encontre du jugement rendu le 28 septembre 2005 par le Tribunal de grande instance d'Auch; Constate que les dispositions du jugement concernant les rapports entre les consorts Mazat, André Bressolle, le Gima, Allianz Marine, Midi Pyrénées Voltige et la Maif ne sont pas contestées devant la cour; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes formées par le Groupement Interclub de Maintenance Aéronautique et la SA Allianz Marine et Aviation à l'encontre de la société Apex Aircraft; - Condamne in solidum le Groupement Interclub de Maintenance Aéronautique et la SA Allianz Marine et Aviation aux dépens, dont distraction de ceux d'appel au profit de Maître Burg, avoué, en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, et à payer à la société Apex Aircraft une indemnité de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.