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Décisions

CJCE, 6e ch., 16 octobre 1997, n° C-177/96

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Belgische Staat

Défendeur :

Banque Indosuez e.a., Communauté européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Ragnemalm

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Schintgen, Mancini, Kapteyn, Hirsch

Avocat :

Me van de Walle de Ghelcke

CJCE n° C-177/96

16 octobre 1997

LA COUR, (sixième chambre),

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 3 juillet 1997,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par ordonnance du 13 mai 1996, parvenue à la Cour le 22 mai suivant, le Rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles portant sur l'interprétation de la décision n° 2131-88-CECA de la Commission, du 18 juillet 1988, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certaines tôles de fer ou d'acier originaires de Yougoslavie et portant perception définitive du droit antidumping provisoire institué sur ces importations (JO L 188, p. 14).

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant la Banque Indosuez (ci-après "Indosuez"), société de droit suisse, la Stahlhandel Schmitz GmbH (ci-après "Schmitz"), société de droit allemand, et la Rijn- en Kanaalvaart Expeditie SA, société de droit belge (ci-après "Rijn- en Kanaalvaart Expeditie"), à l'État belge au sujet des droits antidumping perçus par ce dernier, en vertu de la décision n° 2131-88, sur l'importation dans la Communauté de certains produits sidérurgiques originaires de l'ancienne république yougoslave de Macédoine (ci-après l'"ARYM").

3 Schmitz a importé les produits litigieux dans l'Union économique belgo-luxembourgeoise entre le 1er mai 1992 et le 31 juillet 1992. Il ressort du dossier que ces marchandises provenaient de la société Rudnici i Zelezarnica Skopje (ci-après "Rudnici"), établie à Skopje (ARYM).

4 La décision n° 2131-88 était initialement fondée sur la décision n° 2177-84-CECA de la Commission, du 27 juillet 1984 (JO L 201, p. 17), et, ensuite, sur la décision n° 2424-88-CECA de la Commission, du 29 juillet 1988 (JO L 209, p. 18), toutes deux relatives à la défense contre des importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. La décision n° 2424-88 a abrogé et remplacé la décision n° 2177-84.

5 Aux termes du huitième considérant de la décision n° 2177-84 et du deuxième considérant de la décision n° 2424-88, le régime antidumping qu'elles établissent a été institué en conformité avec les obligations internationales existantes, notamment celles qui découlent de l'article VI de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce et de l'accord relatif à la mise en œuvre dudit article VI (code antidumping de 1979).

6 Sur la base de l'article 11 de la décision n° 2177-84, la Commission a adopté la décision n° 2767-86-CECA, du 5 septembre 1986 (JO L 254, p. 18), qui institue un droit provisoire de 68 écus par 1 000 kilogrammes sur certaines tôles de fer ou d'acier "originaires de Yougoslavie". Au point 14 de sa motivation, cette décision mentionnait expressément Rudnici parmi les exportateurs yougoslaves de ces produits.

7 Par sa décision n° 86-639-CECA, du 23 décembre 1986, portant acceptation d'un engagement souscrit dans le cadre de l'enquête antidumping concernant les importations de certaines tôles de fer ou d'acier originaires de Yougoslavie et portant clôture de l'enquête (JO L 371, p. 84), la Commission a accepté l'engagement de trois exportateurs yougoslaves, dont Rudnici, de supprimer tout préjudice causé par les produits faisant l'objet du dumping. Toutefois, à la suite de plaintes concernant le non-respect de cet engagement, la Commission a, par sa décision n° 229-88-CECA, du 25 janvier 1988, instituant un droit antidumping provisoire à l'importation de certaines tôles de fer ou d'acier originaires de Yougoslavie (JO L 23, p. 13), abrogé la décision portant acceptation qu'elle avait donnée à l'engagement souscrit par ces exportateurs et rétabli le droit antidumping provisoire à leur égard.

8 Par la suite, la décision n° 2131-88 a, aux termes de son article 1er, institué un droit antidumping définitif de 48 écus par 1 000 kilogrammes à l'importation des produits en cause "originaires de Yougoslavie." Elle est entrée en vigueur le 20 juillet 1988 pour une période de cinq ans à compter de cette date.

9 A la suite d'une demande déposée en février 1990 par la Fédération yougoslave du charbon et de l'acier, la Commission a rouvert, sur le fondement de l'article 14 de la décision n° 2424-88, l'enquête concernant les importations de produits en cause.

10 Le 17 septembre 1991, au cours de cette enquête, l'ARYM a déclaré son indépendance.

11 A l'issue de l'enquête de réexamen, la Commission a conclu à la persistance des pratiques de dumping, tout en constatant néanmoins que la marge de dumping avait diminué. Par conséquent, elle a adopté la décision n° 2297-92-CECA, du 31 juillet 1992, modifiant la décision n° 2131-88-CEC, portant acceptation d'engagements relatifs aux importations de certaines tôles de fer ou d'acier, originaires de la république de Slovénie et des républiques yougoslaves de Macédoine, du Monténégro et de Serbie, et portant clôture de la procédure antidumping en ce qui concerne la république de Croatie et la république de Bosnie-Herzégovine (JO L 221, p. 36). Cette décision a amendé la décision n° 2131-88 en fixant le droit antidumping définitif au taux légèrement réduit de 44 écus par 1 000 kilogrammes. Selon le libellé de son article 1er, la décision n° 2131-88, modifiée, vise les produits en cause pour autant qu'ils soient "originaires de la république de Slovénie ... et des républiques yougoslaves de Macédoine ..., du Monténégro ... et de Serbie." Cette même disposition précise que le droit antidumping définitif ne s'applique pas aux produits originaires de trois exportateurs, dont Rudnici, en raison des engagements que ceux-ci ont souscrits lors de l'enquête de réexamen.

12 Toutefois, la décision n° 2297-92 n'est entrée en vigueur que le 7 août 1992 et n'est donc pas applicable aux importations en cause dans le litige au principal.

13 Schmitz ainsi que son garant, Indosuez, et l'agent de douane Rijn- en Kanaalvaart Expeditie ont demandé au Rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen que l'État belge soit condamné à leur rembourser les droits antidumping acquittés.

14 Par jugement du 29 juin 1994, cette juridiction a condamné l'État belge par défaut à restituer ces droits.

15 Ce dernier a fait opposition à ce jugement et a, en outre, appelé à la cause la Communauté européenne, qui n'a toutefois pas comparu. Dans le cadre de ce recours, Schmitz, Indosuez et Rijn- en Kanaalvaart Expeditie soutiennent que la décision n° 2131-88 n'est pas applicable aux importations litigieuses. En premier lieu, l'ARYM ayant été reconnue en 1991 en tant qu'État indépendant, les produits en cause obtenus d'un producteur établi à Skopje en 1992 ne proviendraient plus de Yougoslavie, mais de l'ARYM. En second lieu, il ressortirait des règles de droit international applicables en matière de succession d'États que la république fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), à l'exclusion de l'ARYM, est le successeur de l'ancienne république fédérative socialiste de Yougoslavie, de sorte que seule la république fédérative de Yougoslavie aurait repris les engagements de cette dernière dans le domaine des prélèvements et que, dès lors, aucun droit antidumping ne pourrait être imposé pendant la période en question à des produits provenant de l'ARYM.

16 Dans ces conditions, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:

"1) Dans la décision n° 2131-88-CECA, la dénomination `Yougoslavie' couvre-t-elle également l'État de Macédoine-Skopje depuis que celui-ci s'est séparé de la (petite) Yougoslavie?

2) Les droits antidumping qui, par application de la décision n° 2131-88-CECA, doivent être perçus sur les importations, dans l'Union économique belgo-luxembourgeoise, de produits sidérurgiques originaires de Yougoslavie s'appliquent-ils également aux importations de cette nature originaires de l'État de Macédoine-Skopje, intervenues au cours de la période allant du 1er mai 1992 au 31 juillet 1992?"

17 Il résulte des faits au principal que, par ces deux questions, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si les droits antidumping que la décision n° 2131-88 institue, aux termes de son article 1er, à l'importation de certains produits sidérurgiques "originaires de Yougoslavie" s'appliquent également aux produits de cette nature fabriqués par un producteur et exportateur qui, ayant été établi dans la république fédérative socialiste de Yougoslavie, s'est retrouvé, en raison de la déclaration d'indépendance, établi dans l'ARYM au moment de l'importation des produits en cause.

18 Comme la Cour l'a souligné à diverses reprises, il y a lieu, pour l'interprétation d'une disposition de droit communautaire, de tenir compte à la fois de ses termes, de son contexte et de ses objectifs (arrêt du 30 juillet 1996, Bosphorus, C-84-95, Rec. p. I-3953, point 11).

19 A cet égard, il y a lieu de relever que les mesures antidumping en cause ont pour objet de protéger les productions communautaires contre les produits importés des pays tiers vers la Communauté à un prix inférieur à leur valeur normale et donc susceptibles de causer un préjudice aux producteurs communautaires.

20 Par conséquent, l'élément essentiel des mesures antidumping réside dans les produits et leur origine. En effet, pour éviter qu'un préjudice soit causé à une production de la Communauté, elles prévoient l'institution de droits antidumping sur des importations provenant d'une zone géographique déterminée. Ainsi l'article 13, paragraphe 2, de la décision n° 2424-88 dispose-t-il qu'une décision instituant un droit antidumping provisoire ou définitif indique notamment le produit concerné, le pays d'origine ou d'exportation et le nom du fournisseur si cela est possible.

21 Dès lors que l'origine géographique des produits est le critère pertinent en matière de droit antidumping, une modification dans la dénomination ou l'organisation politique du territoire géographique qui est indiqué en tant que pays d'origine ou d'exportation dans une décision instituant un droit antidumping provisoire ou définitif n'a aucune incidence sur le but économique du droit antidumping institué et ne saurait donc en lui-même rendre ce droit inapplicable aux produits qui proviennent de ce territoire.

22 Par ailleurs, ainsi que la Commission l'a souligné à juste titre, si le fournisseur dont les produits faisaient l'objet d'un dumping pouvait éluder des droits antidumping au seul motif qu'il est établi sur un territoire dont les autorités ont déclaré l'indépendance, les mesures antidumping risqueraient de manquer leur objectif qui est d'éviter qu'un préjudice soit causé à une production établie de la Communauté. En effet, le fait que, en droit international public, ce fournisseur relève de la compétence d'un nouvel État n'empêche pas que ses pratiques de dumping continuent à porter préjudice à une production communautaire.

23 En l'occurrence, la décision n° 2131-88 qui, selon son libellé, instituait un droit antidumping définitif à l'importation de certains produits sidérurgiques "originaires de Yougoslavie" était destinée, à l'époque de son adoption, à s'appliquer à l'ensemble du territoire de la république fédérative socialiste de Yougoslavie. Si cette république a entre-temps éclaté en plusieurs États, l'expression "Yougoslavie" employée par la décision n° 2131-88 ne peut que désigner la même zone géographique qui, se confondant jadis avec le territoire de cette république, correspond maintenant à l'ensemble des territoires de ces États, y compris celui de l'ARYM.

24 Il en découle que les droits antidumping prévus par la décision n° 2131-88 s'appliquent aux produits sidérurgiques fabriqués par un producteur et exportateur qui, ayant été établi dans la république fédérative socialiste de Yougoslavie, s'est retrouvé, en raison de la déclaration d'indépendance, établi dans l'ARYM au moment de l'importation des produits en cause.

25 Quant à l'argument de Schmitz, d'Indosuez et de Rijn- en Kanaalvaart Expeditie, selon lequel la décision n° 2131-88 n'est pas applicable à des marchandises originaires de l'ARYM en raison des règles de droit international en matière de succession d'États, il suffit de relever que ces principes ne s'appliquent pas directement à des droits antidumping, dès lors que ceux-ci ne constituent pas des dettes d'État, mais des droits dus par des particuliers.

26 Enfin, il convient d'examiner, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général aux points 33 et suivants de ses conclusions, si le fait d'inclure dans l'expression "Yougoslavie" tous les États existant sur le territoire de l'ancienne république fédérative socialiste de Yougoslavie est compatible avec le principe de la sécurité juridique.

27 A cet égard, il y a lieu de rappeler que le principe de la sécurité juridique constitue un principe fondamental de droit communautaire qui exige notamment qu'une réglementation imposant des charges au contribuable soit claire et précise, afin qu'il puisse connaître sans ambiguïté ses droits et obligations et prendre ses dispositions en conséquence (arrêt du 13 février 1996, Van Es Douane Agenten, C-143-93, Rec. p. I-431, point 27).

28 Il convient dès lors de vérifier si la décision n° 2131-88 permet aux justiciables de connaître avec exactitude leur situation juridique quant à l'acquittement des droits antidumping sur les produits qu'ils ont importés de l'ARYM au cours de la période en cause.

29 A cet égard, la décision n° 2131-88, en utilisant l'expression "Yougoslavie", fait apparaître avec clarté qu'elle s'applique à l'ensemble du territoire contenu à l'intérieur des frontières de la république fédérative socialiste de Yougoslavie. Au moment de l'adoption de la décision, l'expression "Yougoslavie" ne pouvait en effet revêtir aucune autre signification.

30 Or, comme il a déjà été observé au point 23 ci-dessus, depuis l'éclatement de la république fédérative socialiste de Yougoslavie, cette expression employée par ladite décision ne peut que désigner le territoire de cette ancienne république.

31 Par conséquent, les justiciables sont en mesure de connaître avec exactitude la portée de la décision n° 2131-88 et, notamment, de leur obligation d'acquitter des droits antidumping sur les produits importés de l'ARYM.

32 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions que les droits antidumping que la décision n° 2131-88 institue, aux termes de son article 1er, à l'importation de certains produits sidérurgiques "originaires de Yougoslavie" s'appliquent également aux produits de cette nature fabriqués par un producteur et exportateur qui, ayant été établi dans la république fédérative socialiste de Yougoslavie, s'est retrouvé, en raison de la déclaration d'indépendance, établi dans l'ARYM au moment de l'importation des produits en cause.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

33 Les frais exposés par le gouvernement belge et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen, par ordonnance du 13 mai 1996, dit pour droit:

Les droits antidumping que la décision n° 2131-88-CECA de la Commission, du 18 juillet 1988, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certaines tôles de fer ou d'acier originaires de Yougoslavie et portant perception définitive du droit antidumping provisoire institué sur ces importations, institue, aux termes de son article 1er, à l'importation de certains produits sidérurgiques "originaires de Yougoslavie" s'appliquent également aux produits de cette nature fabriqués par un producteur et exportateur qui, ayant été établi dans la république fédérative socialiste de Yougoslavie, s'est retrouvé, en raison de la déclaration d'indépendance, établi dans l'ARYM au moment de l'importation des produits en cause.