CJCE, 8 juin 1994, n° C-382/92
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Présidents de chambre :
MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Diez de Velasco
Avocat général :
M. Van Gerven
Juges :
MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler, Rodriguez Iglesias, Grévisse (rapporteur), Kapteyn, Murray
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 21 octobre 1992, la Commission des Communautés européennes a, en vertu de l'article 169 du traité CEE, introduit un recours visant à faire constater que, en ne transposant pas correctement en droit interne diverses dispositions de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26, ci-après la "directive"), le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité.
2 La directive, qui est fondée notamment sur l'article 100 du traité, tend à "protéger les travailleurs en cas de changement de chef d'entreprise en particulier pour assurer le maintien de leurs droits" (deuxième considérant). Elle constate que des différences subsistent dans les États membres en ce qui concerne la portée de la protection des travailleurs dans ce domaine et qu'il convient de réduire ces différences (troisième considérant). Elle souligne que ces différences peuvent avoir une incidence sur le fonctionnement du Marché commun (quatrième considérant). Aussi estime-t-elle nécessaire de "promouvoir le rapprochement des législations en la matière dans le progrès au sens de l'article 117 du traité" (cinquième considérant).
3 La directive s'applique, selon son article 1er, paragraphe 1, aux "transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements à un autre chef d'entreprise, résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion".
4 Elle prévoit, à son article 3, que les droits et obligations résultant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail sont transférés au cessionnaire du seul fait du transfert de l'entreprise. Selon son article 4, le transfert de l'entreprise ne peut pas constituer un motif de licenciement pour le cédant ou pour le cessionnaire. L'article 5 de la directive protège, dans certaines conditions, le statut ainsi que la fonction des représentants des travailleurs concernés par le transfert. Enfin, l'article 6 de la directive impose au cédant et au cessionnaire certains devoirs d'information et de consultation à l'égard des travailleurs concernés par le transfert.
5 En vertu de son article 8, les États membres étaient tenus de se conformer à la directive dans un délai de deux ans à compter de sa notification. La directive ayant été notifiée au Royaume-Uni le 16 février 1977, ce délai est venu à expiration le 16 février 1979.
6 Les dispositions de la directive ont été transposées au Royaume-Uni par les Transfer of Undertakings (Protection of Employment) Regulations 1981 (règlement de 1981 sur la protection de l'emploi en cas de transferts d'entreprises, ci-après le "règlement"). Ce règlement a été modifié sur certains points par le Trade Union Reform and Employment Rights Act 1993 postérieurement à l'introduction du recours.
7 La Commission estime que le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive et de l'article 5 du traité pour les raisons suivantes. Premièrement, le règlement ne permet pas d'assurer une information et une consultation des représentants des travailleurs dans tous les cas visés par la directive car ni ce règlement ni aucune autre disposition du droit britannique ne prévoient la désignation de représentants des travailleurs lorsque l'employeur refuse de reconnaître de tels représentants. Deuxièmement, le champ d'application du règlement est limité aux situations dans lesquelles l'entreprise transférée est la propriété du cédant. Troisièmement, le champ d'application du règlement ne comprend pas les entreprises sans but lucratif. Quatrièmement, le règlement n'oblige pas le cédant ou le cessionnaire qui envisagent des mesures à l'égard de leurs travailleurs respectifs à procéder en temps utile à des consultations sur ces mesures avec les représentants de leurs travailleurs, en vue de rechercher un accord. Cinquièmement, le règlement ne comporte pas de sanctions efficaces à l'encontre de l'employeur qui ne respecte pas les obligations d'information et de consultation des représentants des travailleurs prévues par la directive.
Sur le premier grief
8 Le premier grief de la Commission porte sur la transposition, par le droit britannique, de l'article 6 de la directive.
9 Cet article prévoit que le cédant et le cessionnaire sont tenus d'informer les représentants de leurs travailleurs respectifs concernés par un transfert sur les motifs du transfert, sur les conséquences juridiques, économiques et sociales du transfert ainsi que sur les mesures envisagées à l'égard des travailleurs. Le cédant est tenu de communiquer ces informations aux représentants de ses travailleurs en temps utile avant la réalisation du transfert. Le cessionnaire est tenu de communiquer ces informations aux représentants de ses travailleurs en temps utile et en tout cas avant que ses travailleurs ne soient directement affectés dans leurs conditions d'emploi et de travail par le transfert (paragraphe 1). Pour autant que le cédant et le cessionnaire envisagent des mesures à l'égard de leurs travailleurs, ils doivent en outre procéder en temps utile à des consultations sur ces mesures avec les représentants de leurs travailleurs respectifs en vue de rechercher un accord (paragraphe 2).
10 Les États membres peuvent limiter les obligations prévues à ces paragraphes 1 et 2 aux transferts qui provoquent une modification au niveau de l'établissement susceptible d'entraîner des désavantages substantiels pour une partie importante des travailleurs, lorsque la législation nationale prévoit la possibilité pour les représentants des travailleurs d'avoir recours à une instance d'arbitrage en vue d'obtenir une décision sur les mesures à prendre à l'égard des travailleurs (paragraphe 3 de l'article 6). Les États membres peuvent limiter les obligations prévues aux paragraphes 1 à 3 aux entreprises ou aux établissements qui remplissent, en ce qui concerne le nombre des travailleurs employés, les conditions pour l'élection ou la désignation d'une instance collégiale représentant les travailleurs (paragraphe 4 de l'article 6). Enfin, les États membres peuvent prévoir que, au cas où il n'y aurait pas de représentants des travailleurs dans une entreprise ou dans un établissement, les travailleurs concernés doivent être informés préalablement de l'imminence du transfert (paragraphe 5 de l'article 6).
11 Selon l'article 2, sous c), de la directive, on entend par "représentants des travailleurs", au sens de la directive, "les représentants des travailleurs prévus par la législation ou la pratique des États membres, à l'exception des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de société siégeant dans ces organes dans certains États membres en tant que représentants des travailleurs".
12 La Commission soutient que le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 6 de la directive en ne prévoyant pas de mécanisme de désignation des représentants des travailleurs dans l'entreprise lorsque l'employeur refuse de reconnaître de tels représentants. Selon elle, l'effet utile de l'article 6 de la directive implique que les États membres prennent toutes dispositions pour que, sauf exception, des représentants des travailleurs soient désignés dans l'entreprise, faute de quoi les obligations d'information et de consultation prévues à l'article 6 de la directive ne pourraient pas être satisfaites. Elle fait valoir que le droit britannique, en empêchant la désignation de représentants des travailleurs dans l'entreprise lorsque l'employeur n'est pas d'accord, ne répond pas à cette condition.
13 Le Gouvernement du Royaume-Uni admet qu'au Royaume-Uni la représentation des travailleurs dans l'entreprise repose, de manière traditionnelle, sur la reconnaissance volontaire des syndicats par l'employeur et qu'ainsi l'employeur qui ne reconnaît pas de syndicat n'est pas soumis aux obligations d'information et de consultation prévues par l'article 6 de la directive. Mais il soutient que la directive n'a pas entendu modifier les règles ou les pratiques nationales de désignation des représentants des travailleurs. Il souligne qu'à son article 2, sous c), la directive précise qu'elle entend par représentants des travailleurs les représentants des travailleurs "prévus par la législation ou la pratique des États membres". Il fait valoir aussi que la directive se limite à une harmonisation partielle des règles de protection des travailleurs lors des transferts d'entreprises, qu'elle n'impose pas aux États membres de prévoir une représentation spécifique des travailleurs en vue de satisfaire aux obligations qu'elle définit, que le législateur communautaire lui-même a envisagé que le droit national puisse ne pas imposer de représentation des travailleurs dans l'entreprise transférée ainsi qu'il ressort de l'article 6, paragraphe 5, de la directive.
14 Le point de vue du Gouvernement du Royaume-Uni ne saurait être retenu.
15 En harmonisant les règles applicables au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, le législateur communautaire a entendu, tout à la fois, assurer une protection comparable des droits des travailleurs dans les différents États membres et rapprocher les charges qu'entraînent ces règles de protection pour les entreprises de la Communauté.
16 A cette fin, l'article 6 de la directive pose, à ses paragraphes 1 et 2, le principe d'une information et, le cas échéant, d'une consultation obligatoires de représentants des travailleurs, chez le cédant comme chez le cessionnaire, sous réserve des exceptions qu'il prévoit, notamment à son paragraphe 4.
17 En vertu de l'article 8, paragraphe 1, de la directive, les États membres disposaient d'un délai de deux ans à compter de la notification de la directive pour modifier, si nécessaire, leur droit national afin de le mettre en conformité avec la directive sur ce point.
18 L'interprétation de l'article 6 de la directive n'est pas remise en cause par les termes de l'article 2, sous c), de la directive, contrairement à ce que soutient le Gouvernement du Royaume-Uni. En effet, l'article 2, sous c), de la directive n'opère pas un renvoi pur et simple aux règles en vigueur dans les États membres en ce qui concerne la désignation des représentants des travailleurs. Il laisse uniquement aux États membres le soin de déterminer selon quelles modalités les représentants des travailleurs dont l'information et la consultation sont obligatoires en vertu de l'article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive doivent être désignés.
19 L'interprétation suggérée par le Gouvernement du Royaume-Uni autoriserait les États membres à déterminer dans quels cas des représentants des travailleurs peuvent être informés et consultés puisque l'information et la consultation de représentants des travailleurs ne sont possibles que dans les entreprises où le droit national prévoit la désignation de représentants des travailleurs. Elle permettrait donc aux États membres de priver l'article 6 de la directive de son plein effet.
20 Or, la Cour a déjà jugé, en particulier dans l'arrêt du 6 juillet 1982, Commission/Royaume-Uni (61-81, Rec. p. 2601), qu'une législation nationale qui permet de faire obstacle à la protection garantie, de manière inconditionnelle, aux travailleurs par une directive est contraire au droit communautaire.
21 Le Gouvernement du Royaume-Uni oppose aussi qu'il ressort des termes mêmes de l'article 6, paragraphe 5, de la directive que le législateur communautaire a envisagé que la législation ou la pratique nationales puissent ne pas prévoir de représentation des travailleurs dans des cas autres que les hypothèses très limitées envisagées par la Commission puisqu'il a autorisé, sans aucune restriction, les États membres à prévoir que les travailleurs concernés peuvent être directement informés de l'imminence du transfert lorsqu'il n'existe pas de représentants des travailleurs dans une entreprise ou dans un établissement.
22 L'article 6, paragraphe 5, de la directive envisage, il est vrai, l'hypothèse où il n'existe pas de représentants des travailleurs dans une entreprise ou dans un établissement. Toutefois, cette disposition ne saurait être lue isolément et indépendamment des autres dispositions de l'article 6 de la directive.
23 Ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, l'article 6 de la directive prévoit, à ses paragraphes 1 et 2, l'obligation d'informer et de consulter des représentants des travailleurs en cas de transfert d'entreprise. Les paragraphes 3 et 4 énoncent les cas dans lesquels les États membres peuvent limiter, dans certaines conditions, cette obligation. Le paragraphe 4 permet, en particulier, aux États membres d'exonérer de cette obligation les entreprises ou les établissements qui ne remplissent pas, en ce qui concerne le nombre des travailleurs employés, les conditions pour l'élection ou la désignation d'une instance collégiale représentant les travailleurs. Afin d'éviter que les travailleurs ne se trouvent alors dépourvus de toute protection, le paragraphe 5 de l'article 6 de la directive permet aux États membres de prévoir que les travailleurs seront néanmoins obligatoirement informés de l'imminence du transfert.
24 Le législateur communautaire n'a donc pas entendu permettre aux différents ordres juridiques nationaux de tolérer l'absence de désignation de représentants des travailleurs alors que cette désignation est nécessaire pour que les obligations prévues par l'article 6 de la directive soient satisfaites.
25 Le Gouvernement du Royaume-Uni soutient aussi que la directive n'impose pas aux États membres de prévoir un mécanisme spécifique de représentation des travailleurs dans le seul but de satisfaire aux obligations de la directive lorsqu'il n'existe pas de représentants des travailleurs dans l'entreprise en vertu du droit national.
26 S'il est vrai que la directive ne comporte aucune disposition destinée à régler expressément une telle hypothèse, cette circonstance ne porte pas atteinte à celles des dispositions combinées des articles 6 et 8 de la directive qui font obligation aux États membres de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les travailleurs soient informés et consultés par l'intermédiaire de représentants en cas de transfert d'entreprise.
27 Enfin, le Gouvernement du Royaume-Uni ne saurait se fonder sur la circonstance que la directive ne réalise qu'une harmonisation partielle des règles de protection des travailleurs et n'a pas entendu modifier les règles nationales en matière de représentation des travailleurs.
28 La directive n'assure, certes, qu'une harmonisation partielle des règles de protection des travailleurs en cas de changement de chef d'entreprise (voir, notamment, arrêts du 11 juillet 1985, dit "Mikkelsen", Danmols Inventar, 105-84, Rec. p. 2639, point 26, et du 10 février 1988, Daddy's Dance Hall, 324-86, Rec. p. 739, point 16). Elle ne tend donc pas à une harmonisation d'ensemble des systèmes nationaux de représentation des travailleurs dans l'entreprise. Cependant, le caractère limité d'une telle harmonisation ne saurait priver d'effet utile les dispositions de la directive, notamment les dispositions de son article 6. En particulier, il ne saurait faire obstacle à ce que les États membres soient obligés de prendre toutes les mesures utiles pour que des représentants des travailleurs soient désignés en vue de l'information et de la consultation prévues par l'article 6 de la directive.
29 Le Gouvernement du Royaume-Uni reconnaît lui-même qu'en l'état actuel du droit britannique les travailleurs concernés par un transfert d'entreprise ne bénéficient pas de la protection prévue par l'article 6 de la directive lorsque l'employeur s'oppose à l'existence d'une représentation des travailleurs dans son entreprise.
30 Dans ces conditions, le droit britannique, qui laisse à un employeur la possibilité de mettre en échec la protection prévue en faveur des travailleurs par l'article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive, doit être regardé comme contraire aux dispositions de l'article 6 de la directive (voir, par analogie, arrêt Commission-Royaume-Uni, précité).
31 Il y a lieu, dès lors, d'accueillir le premier grief de la Commission.
Sur le deuxième grief
32 Par son deuxième grief, la Commission fait valoir que le règlement, dans l'interprétation qu'en donnent les juridictions britanniques, ne s'applique pas aux transferts qui ne s'accompagnent pas d'un transfert de la propriété de l'entreprise, contrairement à ce que prévoient les dispositions de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive, telles que la Cour les interprète. La Commission se réfère, sur ce point, à l'arrêt du 17 décembre 1987, Ny Moelle Kro (287-86, Rec. p. 5465), et à l'arrêt Daddy's Dance Hall, précité.
33 Le Gouvernement du Royaume-Uni fait valoir que, dès lors que, selon la jurisprudence de la House of Lords, le règlement doit être interprété à la lumière de la directive et de l'interprétation qu'en donne la Cour, le champ d'application du règlement est identique à celui de la directive, même si ce règlement n'indique pas expressément qu'un transfert au sens de ce règlement n'implique pas nécessairement le transfert de la propriété de l'entreprise.
34 L'article 3 du règlement prévoit que celui-ci s'applique au "transfert, d'une personne à une autre, d'une entreprise ou d'une partie d'entreprise situées immédiatement avant le transfert au Royaume-Uni".
35 En elles-mêmes, ces dispositions n'excluent pas du champ d'application du règlement les changements d'employeurs qui ne s'accompagnent pas d'un transfert de la propriété de l'entreprise.
36 En outre, la portée des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales doit s'apprécier compte tenu de l'interprétation qu'en donnent les juridictions nationales (voir arrêt du 16 décembre 1992, Katsikas e.a., C-132-91, C-138-91 et C-139-91, Rec. p. I-6577, point 39).
37 Il convient de relever que les décisions des juridictions britanniques invoquées par la Commission à l'appui de son deuxième grief sont antérieures à l'arrêt de la House of Lords dont fait état le Gouvernement du Royaume-Uni, qui a été rendu le 16 mars 1989, et duquel il résulte, comme le reconnaît la Commission, que le règlement doit être interprété, dans toute la mesure du possible, conformément aux termes et aux objectifs de la directive ainsi qu'à l'interprétation qu'en donne la Cour. La Commission ne fait état d'aucune décision juridictionnelle postérieure à cet arrêt et contraire aux dispositions de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive, dans l'interprétation qu'en donne la Cour.
38 Dans ces conditions, il n'est pas établi par la Commission qu'à la date d'expiration du délai fixé par l'avis motivé, soit le 26 mai 1991, l'article 3 du règlement avait la portée que lui prête la Commission.
39 Le deuxième grief de la Commission doit, dès lors, être écarté.
Sur le troisième grief
40 Par son troisième grief, la Commission fait valoir que le règlement, dans l'interprétation qu'en donnent les juridictions britanniques, ne s'applique pas aux entreprises sans but lucratif, contrairement à ce que prévoient les dispositions de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive, telles que la Cour les interprète. La Commission se réfère, sur ce point, à l'arrêt du 19 mai 1992, Redmond Stichting (C-29-91, Rec. p. I-3189).
41 L'article 2, paragraphe 1, du règlement définit la notion d'"entreprise" comme comprenant "toute affaire industrielle ou commerciale", mais exclut expressément "toute entreprise ou partie d'entreprise n'ayant pas le caractère d'une entreprise fondée sur le risque commercial". Ainsi que le soutient la Commission, dont les affirmations ne sont pas sérieusement contestées par le Gouvernement du Royaume-Uni, le règlement doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas aux transferts d'entreprises dépourvues de but lucratif.
42 Le Gouvernement du Royaume-Uni soutient que la directive ne peut pas s'appliquer, comme le prétend la Commission, aux transferts d'entreprises sans but lucratif car ces entreprises, qui n'exercent pas une "activité économique", au sens du traité, n'entrent pas dans le champ d'application de ce dernier.
43 Cette argumentation doit être écartée.
44 En effet, la Cour a déjà admis, au moins implicitement, dans des contextes tels que ceux du droit de la concurrence (voir arrêt du 23 avril 1991, Hoefner et Elser, C-41-90, Rec. p. I-1979) ou du droit social (voir, précisément, pour l'application de la directive, arrêt Redmond Stichting, précité), qu'une entité pouvait exercer une activité économique et être regardée comme une "entreprise" pour l'application des normes de droit communautaire même si elle ne poursuivait pas un but lucratif.
45 Il résulte de cette jurisprudence que l'absence de caractère lucratif de l'activité exercée par une entreprise n'est pas de nature, à elle seule, à ôter à cette activité son caractère économique ni à faire exclure l'entreprise du champ d'application de la directive.
46 Le champ d'application de la directive ne saurait donc être limité aux seules entreprises qui poursuivent un but lucratif, comme le soutient le Gouvernement du Royaume-Uni.
47 Il suit de là que, en limitant l'application des règles nationales de transposition de la directive aux transferts des entreprises ayant un but lucratif, le Gouvernement du Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive. Le troisième grief de la Commission est donc fondé.
Sur le quatrième grief
48 La Commission soutient que le règlement transpose incomplètement les dispositions de l'article 6, paragraphe 2, de la directive car il oblige simplement le cédant ou le cessionnaire qui envisagent de prendre des mesures à l'égard des travailleurs affectés par un transfert à engager des consultations avec les représentants des syndicats reconnus par eux, à prendre en considération toutes les observations formulées par ces représentants, à répondre à ces observations et, s'ils les écartent, à en indiquer les motifs, alors que l'article 6, paragraphe 2, de la directive impose de consulter les représentants des travailleurs "en vue de rechercher un accord".
49 Le Gouvernement du Royaume-Uni reconnaît que sa législation n'est pas conforme à la directive sur ce point.
50 A cet égard, il suffit de relever que les dispositions du règlement n'imposent pas au cédant ou au cessionnaire qui envisagent de prendre des mesures à l'égard des travailleurs concernés par un transfert de consulter les représentants de ces travailleurs "en vue d'aboutir à un accord", comme l'exige l'article 6, paragraphe 2, de la directive.
51 Le quatrième grief de la Commission doit, dès lors, être accueilli.
Sur le cinquième grief
52 La Commission soutient que les sanctions prévues par l'article 11 du règlement en cas de non-respect par le cédant ou par le cessionnaire de leur obligation de consultation et d'information des représentants des travailleurs ne sont pas suffisamment dissuasives pour les employeurs. Elle fait valoir que les dommages-intérêts que l'employeur peut, le cas échéant, être condamné à verser aux salariés sur le fondement de l'article 11 du règlement, qui sont, d'ailleurs, plafonnés, sont déductibles des indemnités dites "de protection" que l'employeur peut être condamné, par ailleurs, à verser aux salariés s'il ne respecte pas les dispositions de l'article 99 de l'Employment Protection Act 1975 (ci-après l'"EPA") qui imposent à l'employeur de consulter les représentants de travailleurs en cas de licenciement économique.
53 Le grief vise ainsi l'hypothèse où l'employeur procède cumulativement à un transfert d'entreprise ou d'établissement et à un licenciement économique de travailleurs.
54 Le Gouvernement du Royaume-Uni soutient que sa législation est conforme à la directive en tant qu'elle prévoit de plafonner les sommes que l'employeur peut être condamné à verser à ses salariés, mais reconnaît qu'elle n'est pas conforme à la directive en ce qu'elle prévoit que les indemnités versées aux salariés se substituent à tout ou partie des sommes que l'employeur est tenu, par ailleurs, de leur payer. Il a fait valoir aussi qu'un projet de loi en cours d'adoption devrait modifier la législation sur ces deux points.
55 Lorsqu'une directive communautaire ne prévoit pas de sanction spécifique en cas de violation de ses dispositions ou renvoie, sur ce point, aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, l'article 5 du traité impose aux États membres de prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l'efficacité du droit communautaire. A cet effet, tout en conservant un pouvoir discrétionnaire quant au choix des sanctions, ils doivent veiller à ce que les violations de la réglementation communautaire soient sanctionnées dans des conditions de fond et de procédure analogues à celles applicables aux violations du droit national d'une nature et d'une importance similaires et qui, en tout état de cause, confèrent à la sanction un caractère effectif, proportionné et dissuasif (voir, pour les règlements communautaires, arrêts du 21 septembre 1989, Commission/Grèce, 68-88, Rec. p. 2965, points 23 et 24, et du 2 octobre 1991, Vandevenne e.a., C-7-90, Rec. p. I-4371, point 11).
56 En vertu de l'article 11, paragraphe 4, du règlement, l'employeur qui omet de consulter les représentants des travailleurs lors d'un transfert d'entreprise peut être condamné à verser des dommages-intérêts appropriés aux travailleurs concernés par le transfert. En vertu du paragraphe 11 de cet article, le montant des dommages-intérêts ne peut pas dépasser un plafond qui a été porté de deux semaines à quatre semaines de salaire du travailleur concerné par le Trade Union Reform and Employment Rights Act 1993. Toutefois, selon le paragraphe 7 de l'article 11, lorsque l'employeur licencie, en outre, des travailleurs pour motif économique et qu'il omet de consulter les représentants des travailleurs, contrairement à ce que prévoit l'article 99 de l'EPA, les dommages-intérêts sont déductibles des indemnités dites "de protection" que l'employeur peut être ultérieurement condamné à verser au travailleur sur le fondement de l'EPA et, à l'inverse, ces indemnités "de protection" sont déductibles des dommages-intérêts que l'employeur peut être ultérieurement condamné à verser au travailleur.
57 Ainsi, lorsque les salariés de l'entreprise transférée font l'objet d'un licenciement économique et que l'employeur est condamné à leur verser une indemnité "de protection" pour n'avoir pas respecté les obligations de consultation et d'information des représentants des travailleurs conformément à l'article 99 de l'EPA, l'employeur n'est pénalisé par la sanction pécuniaire à laquelle il est condamné sur le fondement du règlement que dans la mesure où le montant de cette sanction dépasse le montant de l'indemnité "de protection". Cette sanction pécuniaire est ainsi affaiblie, voire supprimée. Au surplus, le plafonnement des dommages-intérêts que l'employeur peut être condamné à payer sur le fondement du règlement, surtout au niveau où il était fixé avant l'entrée en vigueur du Trade Union Reform and Employment Rights Act 1993, limite les occasions de dépassement de l'indemnité "de protection".
58 Il en résulte que, dans l'hypothèse où l'employeur fait aussi l'objet d'une condamnation sur le fondement de l'EPA, la sanction ne présente pas un caractère véritablement dissuasif. La législation britannique n'est donc pas conforme, sur ce point, aux exigences de l'article 5 du traité.
59 Il suit de là que le cinquième grief de la Commission doit être accueilli.
60 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que, en ne prévoyant pas la désignation de représentants des travailleurs lorsque cette désignation n'obtient pas l'accord de l'employeur, en excluant les entreprises sans but lucratif du champ d'application du règlement, en n'obligeant pas le cédant ou le cessionnaire qui envisagent des mesures à l'égard de leurs travailleurs à procéder en temps utile à des consultations sur ces mesures avec les représentants de leurs travailleurs en vue de rechercher un accord et en ne prévoyant pas de sanction efficace au cas où l'employeur omet d'informer et de consulter les représentants des travailleurs, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive et de l'article 5 du traité CEE.
Sur les dépens
61 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Toutefois, selon le paragraphe 3, premier alinéa, du même article, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.
62 Le Royaume-Uni ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête:
1) En ne prévoyant pas la désignation de représentants des travailleurs lorsque cette désignation n'obtient pas l'accord de l'employeur, en excluant les entreprises sans but lucratif du champ d'application du règlement destiné à mettre en œuvre la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements, en n'obligeant pas le cédant ou le cessionnaire qui envisagent des mesures à l'égard de leurs travailleurs à procéder en temps utile à des consultations sur ces mesures avec les représentants de leurs travailleurs en vue de rechercher un accord et en ne prévoyant pas de sanction efficace au cas où l'employeur omet d'informer et de consulter les représentants des travailleurs, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive et de l'article 5 du traité CEE.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Le Royaume-Uni est condamné aux dépens.