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Décisions

CJCE, 15 octobre 1996, n° C-298/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Henke

Défendeur :

Gemeinde Schierke, Verwaltungsgemeinschaft Brocken

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Murray

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Kapteyn, Edward, Puissochet (rapporteur), Hirsch, Ragnemalm

Avocat :

Me Zieger

CJCE n° C-298/94

15 octobre 1996

LA COUR,

1 Par ordonnance du 19 octobre 1994, parvenue à la Cour le 4 novembre suivant, l'Arbeitsgericht Halberstadt a posé à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26, ci-après la "directive").

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant Mme Henke à la commune de Schierke et à la Verwaltungsgemeinschaft (groupement intercommunal) "Brocken" au sujet de son licenciement.

3 Aux termes de l'article 75 de la Gemeindeordnung fuer das Land Sachsen-Anhalt, du 5 octobre 1993 (réglementation communale du Land de Saxe-Anhalt, GVBl LSA n° 43-1993, p. 568), dans sa version résultant de la loi portant modification de la loi relative à la coopération communale et à d'autres règles relevant du droit des collectivités locales (GVBI LSA n° 7-1994, p. 164):

"1) Les communes voisines d'une circonscription administrative peuvent, en vue de renforcer leur pouvoir administratif, constituer un groupement intercommunal sur la base d'un contrat de droit public.

..."

L'article 77 du même règlement dispose ensuite:

"1) Le groupement intercommunal remplit les fonctions relevant du domaine d'activité confié par l'État aux communes membres, dans la mesure où le droit fédéral ne s'y oppose pas. Il remplit également les fonctions relevant de ce domaine d'activité dont l'exercice est lié à un nombre d'habitants déterminé, dans la mesure où le groupement intercommunal a ce nombre d'habitants...

2) En accord avec le comité intercommunal, le groupement intercommunal accomplit les missions relevant du domaine d'activité propre des communes membres qui lui sont confiées par l'ensemble des communes membres..."

4 Mme Henke a été embauchée comme secrétaire de mairie par la commune de Schierke à compter du 1er mai 1992. Le 1er juillet 1994, cette commune a créé avec d'autres communes, en application des articles 75 et suivants de la réglementation communale du Land de Saxe-Anhalt, le groupement intercommunal "Brocken" auquel elle a transféré des attributions administratives. Par lettre du 5 juillet 1994, la commune de Schierke a résilié le contrat de travail qui la liait à Mme Henke.

5 C'est dans ces conditions que cette dernière a saisi l'Arbeitsgericht Halberstadt afin de faire constater, à titre principal, que cette résiliation était nulle et non avenue et, à titre subsidiaire, que son licenciement était intervenu en violation de la réglementation applicable. Devant le juge national, Mme Henke a essentiellement fait valoir que, en application de l'article 613 a du Buergerliches Gesetzbuch (Code civil allemand, ci-après le "BGB"), son contrat de travail avait été transféré au groupement intercommunal "Brocken" et ne pouvait donc pas être résilié.

6 L'article 613 a du BGB transposant, en droit allemand, les dispositions de la directive, le juge national s'est alors interrogé sur la portée de cette dernière, dont l'article 1er, paragraphe 1, est ainsi rédigé:

"La ... directive est applicable aux transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements à un autre chef d'entreprise, résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion."

7 Dans ces conditions, il a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Y-a-t-il transfert d'entreprise, d'établissement ou de partie d'établissement au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, lorsque, à la suite de la création d'une 'Verwaltungsgemeinschaft' (groupement intercommunal) en application de l'article 75, paragraphe 1, de la Gemeindeordnung für das Land Sachsen-Anhalt (GO LSA) (réglementation communale du Land de Saxe-Anhalt) du 5 octobre 1993 (GVBI. LSA p. 568 et suivantes), cette dernière remplit les fonctions relevant du domaine d'activité confié par l'État aux communes membres, conformément à l'article 77, paragraphe 1, de la GO LSA, et accomplit les missions, qui lui sont dévolues en vertu de l'article 77, paragraphe 2, de la GO LSA, relevant du domaine d'activité propre des communes membres ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question:

Le transfert repose-t-il sur un accord conventionnel au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE, la 'Verwaltungsgemeinschaft' ayant été créée par contrat de droit public ?"

Sur la première question

8 Par sa première question, le juge national demande en substance si l'article 1er, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que la notion de "transfert d'entreprise, d'établissement ou de partie d'établissement" s'applique au transfert d'attributions administratives d'une commune à un groupement intercommunal, tel que celui en cause dans le litige au principal.

9 Selon Mme Henke, la directive s'applique en pareil cas parce que les entités telles que la commune de Schierke ont, au moins pour partie, des activités de nature économique. Elle ajoute que, selon la jurisprudence de la Cour, la protection prévue par la directive joue même si le transfert ne porte que sur une partie de l'entreprise.

10 La Commission propose de répondre qu'une opération qui se traduit par un transfert de toutes les tâches d'une entité et des moyens matériels y afférents, ainsi que par un changement d'employeur, constitue un "transfert" au sens de la directive. Elle estime cependant qu'une entité publique ne constitue une "entreprise" au sens de la directive que dans la mesure où elle n'exerce pas de fonctions relevant de la puissance publique et où elle emploie des personnes protégées, en leur qualité de travailleurs, par le droit national.

11 Le Gouvernement du Royaume-Uni estime, pour sa part, qu'il ne peut y avoir de "transfert" au sens de la directive que si l'opération porte sur une entité qui conserve son identité, c'est-à-dire que s'il y a transfert des locaux, des actifs ou des employés. En outre, selon lui, une autorité publique locale ne relève pas du champ d'application de la directive si elle effectue principalement ou exclusivement des activités typiques de celles effectuées par un service public.

12 Le Gouvernement allemand propose, quant à lui, de répondre qu'une opération telle que celle en cause dans le litige au principal ne constitue pas un "transfert d'entreprise" au sens de la directive. Selon lui, les communes ne sont pas des "entreprises" ou des "établissements" au sens de la directive parce qu'elles n'exercent aucune activité économique et n'entrent pas dans le champ d'application du traité. En outre, la création d'un groupement de communes ne constituerait pas un "transfert" au sens de la directive, car il n'y aurait pas reprise de l'activité des communes, mais création d'une nouvelle entité qui se substitue à ces dernières.

13 Ainsi qu'il ressort de son préambule, et notamment de son premier considérant, la directive tend à protéger les travailleurs contre les conséquences défavorables que pourraient avoir pour eux les modifications des structures des entreprises qu'entraîne l'évolution économique sur le plan national et communautaire et qui s'effectuent, entre autres, par des transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements à d'autres chefs d'entreprises, résultant de cessions ou de fusions.

14 Dès lors, ne constitue pas un "transfert d'entreprise", au sens de la directive, la réorganisation de structures de l'administration publique ou le transfert d'attributions administratives entre des administrations publiques.

15 Cette interprétation est d'ailleurs confirmée par les termes employés dans la plupart des versions linguistiques de la directive pour désigner l'objet du transfert (virksomhed, Unternehmen, entreprise, impresa, **********, onderneming, empresa, yritys, foeretag; et: bedrift, Betrieb, business, établissement, stabilimento, ***********, vestiging, estabelecimento, centro de actividad) ou son bénéficiaire (indehaver, Inhaber, chef d'entreprise, imprenditore, **************, ondernemer, empresário, empresario), et n'est contredite par aucune des autres versions linguistiques de ce texte.

16 Il ressort des pièces du dossier que le regroupement qui a concerné plusieurs communes du Land de Saxe-Anhalt, dont la commune de Schierke, avait notamment pour objet d'améliorer l'exécution des tâches administratives de ces communes. Il s'est traduit, en particulier, par la réorganisation des structures administratives et par le transfert d'attributions administratives de la commune de Schierke à une entité publique créée spécialement à cette fin: le groupement intercommunal (Verwaltungsgemeinschaft) "Brocken".

17 Il apparaît que, dans les circonstances de l'affaire au principal, le transfert opéré entre la commune et le groupement intercommunal n'a porté que sur des activités relevant de l'exercice de la puissance publique. A supposer même que ces activités aient comporté des éléments de nature économique, ces derniers ne pouvaient avoir qu'un aspect accessoire.

18 Dans ces conditions, il y lieu de répondre à la première question préjudicielle que l'article 1er, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que la notion de "transfert d'entreprise, d'établissement ou de partie d'établissement" ne s'applique pas au transfert d'attributions administratives d'une commune à un groupement intercommunal, tel que celui en cause dans le litige au principal.

Sur la seconde question

19 Par sa seconde question, le juge national demande si l'article 1er, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que la notion de "cession conventionnelle" s'applique à un transfert d'entreprise qui, tel que celui visé à la première question, est opéré par un contrat de droit public.

20 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, la seconde question devient sans objet. Il n'y a donc pas lieu d'y répondre.

Sur les dépens

21 Les frais exposés par les Gouvernements allemand et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par l'Arbeitsgericht Halberstadt, par ordonnance du 19 octobre 1994, dit pour droit:

L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements, doit être interprété en ce sens que la notion de "transfert d'entreprise, d'établissement ou de partie d'établissement" ne s'applique pas au transfert d'attributions administratives d'une commune à un groupement intercommunal, tel que celui en cause dans le litige au principal.